Mister Arkadin

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UNE "BONNE RÉPONSE" : LA PUBLICATION DE VINNEUIL

8 Novembre 2009, 12:08pm

Publié par Mister Arkadin

« Comment juger Rebatet ou Chardonne, si certains de leurs livres, jamais interdits, ne sont pas réédités ? », écrit Jacques Drillon dans Le nouvel observateur (« Le retour de la censure », 29 octobre – 4 novembre 2009, p.98-101). Un peu plus loin : « La censure et l’autocensure a posteriori sont des manières de récrire l’histoire. Du révisionnisme. On voudrait que le passé ait été autrement, on ment pour le changer : c’est enfantin. » Est enfin mise en exergue la phrase suivante pour introduire la conclusion : « La censure est toujours une mauvaise réponse, même quand elle se pare de louables intentions. »

La censure par le silence étant au moins aussi efficace que la censure par les pouvoirs publics, cette dernière pouvant même bénéficier à la promotion d’une œuvre, nul doute que Jacques Drillon se fera un plaisir d’annoncer, voire de commenter dans Le Nouvel Observateur la parution prochaine d’écrits sur le cinéma de Lucien Rebatet, pour lutter contre le "révisionnisme" et afin d’inciter ses lecteurs à juger sur pièces (1). C’est en effet à la fin du mois de novembre que paraîtra chez Pardès un volume de plus de 400 pages des écrits de François Vinneuil, réunis par Philippe d’Hugues, travail auquel j’ai participé en compagnie de Marc Laudelout et de Philippe Billé, et que j’avais annoncé l’année dernière, ici et . Voici le texte de la quatrième de couverture :

« Tout le monde connaît le romancier des Deux Étendards, le pamphlétaire des Décombres ou le grand historien de la musique. Mais beaucoup ignorent ou ont oublié que Lucien Rebatet, qui avait d’autres cordes à son arc, fut aussi un très grand critique de cinéma, le plus grand, selon un augure comme l’antifasciste Nino Frank. Sous son pseudonyme de François Vinneuil, longtemps plus célèbre que son nom véritable, il écrivait avant la guerre à L’Action française et Je suis partout et, sous l’Occupation, dans le même hebdomadaire. À sa sortie de prison, et jusqu’à sa mort, il reprit cette activité dans Dimanche matin, L’Auto-Journal et le Spectacle du monde, notamment. L’ensemble représente une masse considérable d’articles exceptionnels qui méritent publication. Avec Quatre ans de cinéma, on a commencé par ceux de l’Occupation, à cause de l’intérêt historique de la période et de la qualité particulière de la production cinématographique d’alors. C’est aussi le temps où l’influence de Rebatet est à son apogée. Il contribue plus que n’importe qui à révéler les nouveaux talents qui surgissent alors (Autant-Lara, Becker, Bresson, Clouzot, Delannoy) et à défendre, en oubliant tout clivage politique, des maîtres d’avant-guerre comme Carné et Grémillon, ou de bons artisans comme Joannon, Decoin et Christian-Jaque. C’est lui qui, le premier, ferraille allégrement pour imposer ces futurs classiques, souvent d’abord contestés et aujourd’hui illustres : L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Goupi Mains-Rouges, Le Mariage de Chiffon, Douce, Les Anges du péché, Les Inconnus dans la maison, La Symphonie fantastique, La Main du Diable, L’Assassinat du Père Noël, Le Carrefour des enfants perdus, Pontcarral et dix autres que dominent deux titres phares : Les Visiteurs du soir et Le ciel est à vous, chevaux de bataille du critique dans son incessant combat pour la renaissance du cinéma français. L’évocation colorée – pleine de passion et d’animation – de ces oeuvres, du contexte politique – qui fut celui de leur apparition – et de la toile de fond historique qui en constitue l’arrière-plan, les sorties virulentes contre Vichy et Londres, contre les gaullistes, les communistes et les «terroristes»; tout cela donne lieu à une fresque pleine de bruit et de fureur. Livre de cinéma d’une importance majeure, Quatre ans de cinéma offre en creux une image oblique des quatre années les plus tragiques de notre histoire. Voilà qui en redouble l’intérêt et en fait un livre capital et sans équivalent. »

 


P.S. 1 : Le texte sur Lola Montès, reproduit ici, ne figure pas dans le volume édité par Pardès car celui-ci ne regroupe que des textes parus sous l’Occupation. Mais, on ne sait jamais, si cette publication est un succès, un autre volume regroupera peut-être les écrits des années 1950 à 1970, un troisième pouvant être consacré à ceux d’avant-guerre.

P.S. 2 : L’ouvrage peut d’ores et déjà être commandé auprès de Pardès (44 rue Wilson, 77 880 Grez-sur-Loing, tél. 01.64.28.53.38, fax 01.64.29.11.42 – sarl.pardes@orange.fr), en souscription jusqu’au 25 novembre au prix de 25 euros (+ 5 euros de port), ensuite au prix de 32 euros.

 


Note :

(1) Quoique l'on puisse douter que Jacques Drillon suive l'actualité éditoriale d'un peu près, puisque, en bon journaliste de la presse sérieuse (i.e. contrairement aux gougnafiers de la toile), il n'a pas même vérifié que Lucien Rebatet n'avait pas été réédité dernièrement. Or, il l'a été, par les Éditions de la Reconquête, où peuvent être trouvés Les Tribus du cinéma et du théâtre ainsi que la version intégrale des Décombres.

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POL VANDROMME (12 mars 1927 – 28 mai 2009)

13 Juillet 2009, 23:26pm

Publié par Mister Arkadin

Je me désolais l'année dernière d'écrire si régulièrement des nécrologies de cinéphiles et critiques, 2008 ayant vu la disparu de Lo Duca, Geneviève Le Baut, Roger Icart, José Baldizzone, Henri Agel, Claude Baignères, Francis Lacassin, Jacques Demeure, Philippe Esnault, Pierre-André Boutang. 2009 était jusqu'à présent moins funeste. Et voici que j'apprends la mort de Pol Vandromme. Espérons que cela ne nous annonce pas un été aussi triste, cinéphiliquement parlant, que le dernier et que la petite nécrologie qui suit, à paraître également dans le prochain numéro de la revue Ciné Scopie, sera la dernière avant longtemps.


Autant l'histoire de la critique de cinéma française commence à avoir été largement parcourue, même si quelques zones d'ombre subsistent, autant l'histoire de la critique des autres pays francophones demeure embryonnaire. Sauf erreur, on attend encore des histoires générales de la critique et de la presse québécoises ou suisses, ainsi qu'un inventaire des magnifiques émissions sur le cinéma produites par la Radio Suisse Romande et par la RTBF. Nos amis de Lausanne ont certes débroussaillé le terrain, en ce qui concerne les années 1920 surtout, notamment les remarquables chercheurs Roland Cosandey, Laurent Guido et Pierre-Emmanuel Jaques (1). Mais nulle synthèse portant sur l'ensemble du siècle dernier n'a vu le jour. La critique belge, peut-être plus dynamique pourtant, semble encore plus délaissée. Sans doute quelques mémoires, de l'Université libre de Bruxelles principalement (2), ont-ils lancé des pistes, que leur consultation difficile et leur absence de diffusion n'ont guère permis de poursuivre. À quand un dictionnaire des critiques, souvent excellents, de Bruxelles, de Charleroi ou de Liège, qui ferait redécouvrir et mettrait en valeur, entre autres, Georges Roane, Albert Valentin, Carl Vincent, Robert Poulet, Gaston Derycke et Claude Elsen, Denis Marion, Raymond de Becker, Noël Godin ou Patrick Leboutte ? Nombre d'entre eux nous sont souvent connus parce qu'ils ont aussi écrit dans la presse hexagonale et entretenu des rapports cordiaux avec leurs confrères français, la collaboration entre critiques belges et français ayant par exemple produit l'un des plus beaux livres de cinéma jamais parus, Une encyclopédie du nu au cinéma (Éditions Yellow Now), et l'un des sites les plus somptueux, "Cinerivage ", coordonné par la regrettée Françoise De Paepe.

Une histoire générale de la critique belge ne devrait pas manquer d'inclure Pol Vandromme, récemment disparu. S'étant essentiellement consacré à la critique littéraire, Vandromme ne paraît pas avoir pratiqué la critique de films proprement dite. En revanche, le premier de la bonne cinquantaine de livres qu'il a publiés en un demi-siècle est le dixième titre publié en 1955 dans la collection « 7ème art » du Cerf (encore active) : Le Cinéma et l'enfance. Thème archi rebattu depuis, que Vandromme fut alors l'un des premiers à traiter de manière sensible, originale et approfondie. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques les plus admirables de son œuvre : avoir été pionnier dans l'appréhension de sujets et d'auteurs ayant ensuite suscité de nombreuses études, qui n'ont cependant pas rendu caduques les siennes. Ainsi fut-il le premier à publier une monographie sur Hergé, Le Monde de Tintin, chez Gallimard (3), dont les exemplaires ne partent jamais à moins de quelques dizaines d'euros sur e-bay. Même antériorité en ce qui concerne deux critiques de cinéma plus connus pour leur engagement de journaliste dans la Collaboration, Robert Brasillach (4) et Lucien Rebatet (5), dont il sut étudier l'œuvre, quoiqu'il désapprouvât leur dérive politique, en faisant fi des critères moraux, la littérature et l'art n'ayant rien à voir avec ces derniers selon lui, principe qu'il appliqua également à l'égard de Céline. Alors qu'en ce qui concerne Rebatet, Vandromme s'attacha essentiellement à commenter le polémiste et le romancier, il sut faire ressortir pour Brasillach l'importance du 7ème art, là aussi lié à la jeunesse et même à la nostalgie, et de L'Histoire du cinéma, « la base même de notre existence », comme Brasillach l'écrivit de prison à Maurice Bardèche en novembre 1944.

Hergé, Brasillach, Rebatet, Pol Vandromme choisissait presque exclusivement des auteurs classés à droite, voire à l'extrême droite, puisque Aimé, Blondin, Déon, Marceau, Nimier figurent également parmi ses écrivains de prédilection, le mouvement des Hussards l'ayant profondément marqué, au point qu'il s'en fit le premier exégète dans La Droite buissonnière. Mais Vandromme savait reconnaître le talent d'où qu'il vienne, rendant aussi bien justice à Aragon qu'à Emmanuel Berl, aucun de ses écrits ne pouvant prêter le flanc à la police de la pensée, tant la passion n'y altère aucunement la rigueur, rehaussée par une érudition dépourvue de tout jargon. Et, pour en revenir au cinéma, si l'empathie était déclarée vertu première d'un critique, son Robert Le Vigan, compagnon et personnage de Céline, publié aux Éditions de la Revue Célinienne, puis dans Céline & Cie (L'Age d'Homme, 1996), serait institué en modèle des études biographiques.


P.S. : ma seule relation, extrêmement ténue, avec Pol Vandromme, est une référence que j'avais transmise à Alain de Benoist (auteur d'une monumentale bibliographie des intellectuels de droite) et qui figure dans la bibliographie, établie par Arina Istratova et Marc Laudelout, de son deuxième ouvrage sur Rebatet (Pardès, 2002, p.127) : Pons (Frédéric), Esthétique et politique. Les intellectuels fascistes français et le cinéma : Rebatet, Brasillach, Bardèche. 1930-1945, Mémoire de maîtrise d'histoire, dir. Jacques Droz, Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), 1977, 318 f.


Notes :

(1) Par exemple : Jaques (Pierre-Emmanuel), « La publication de Ciné et de Cinémaboulie, ou de quelques luttes dans le champ de la critique cinématographique genevoise (1926-1929) », Cinéma CH. Réception, esthétique, histoire, éd. Alain Boillat / Philipp Brunner / Barbara Flückiger, Marburg, Schüren, 2008, p.69-83.

(2) En particulier : Lemesre (Marion), Naissance de la critique cinématographique. Ses origines en France (1896-1921). Son passage en Belgique (1920-1930), dir. Gabriel Thovernon, Université Libre de Bruxelles, Section de Journalisme et Communications sociales, 1975-1976, 167 f.

(3) Ce livre a été réédité en 1994 à La Table Ronde, avec une préface de Roger Nimier, dont Hergé avait refusé la publication en 1959.

(4) Robert Brasillach. L'homme et l'œuvre, Paris, Plon, 1956, 256 p.

(5) Rebatet, Paris, Éditions Universitaires, coll. « Classiques du XXe siècle », 1968 ; Puiseaux, Pardès, 2002, 128 p.


Compléments :

- un texte de Pol Vandromme, « Il paraît que le journalisme s'enseigne... ».

- (25 août 2009) cette nécrologie vient d'être reprise dans le Bulletin célinien de septembre 2009 (n°211), dont voici le sommaire (et ci-contre la couverture) :

Marc Laudelout : « Bloc-notes »

Jacques Aboucaya : « Un spadassin des lettres »

Christian Dedet : « Le plus germanopratin des grands écrivains belges »

Jean-Baptiste Baronian : « Pol Vandromme : au bonheur des humeuristes »

Marc Laudelout : Entretien avec Pol Vandromme

Marc Hanrez : « Pol »

Bouquet d'hommages à Pol ( Jean Bourdier, François Cérésa, Christian Authier, Laurent Dandrieu, Michel Mourlet, Pascal Manuel Heu, Frédéric Saenen, Christopher Gérard )

Frédéric Vitoux : « Hommage à Pol Vandromme »
- (6 septembre 2009) Nécrologie de PV par PA (Pierre Assouline)

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LOUELLA INTERIM

26 Septembre 2008, 23:12pm

Publié par Mister Arkadin

Nombre de cinéphiles ont sans doute longtemps pensé que Louella Interim était un pseudonyme collectif, utilisé par les rédacteurs du service « Cinéma » de Libération, à l’instar de l’Albert Bolduc de Positif. C’est hélas la mort, survenue il y une dizaine de jours, de Marc Raynal qui, pour ma part, m’a détrompé. C’est dire si je connaissais peu ce critique, que j’avais souvent lu avec plaisir et auquel deux de ses collègues ont consacré le bel article que je reproduis ci-dessous.


« Louella n’est plus là, mort d’un journaliste artiste », par Gérard Lefort et Olivier Séguret, Libération, jeudi 18 septembre 2008 :

«Elle était en vie d’une façon très spéciale, ça ne relève pas du sens commun». C’est ainsi qu’une amie de longue date de Marc Raynal commente sa mort, survenue hier matin à son domicile parisien. Marc Raynal ? C’est un nom qui aujourd’hui ne dit quelque chose qu’à sa famille ou ses intimes. Par contre les plus anciens lecteurs de Libération se souviennent des articles signés Louella Intérim (pour le cinéma), Maud Molyneux (pour la mode), Dora Forbes (pour la littérature). Or, Maud, Louella, Dora, c’était elle, c’était lui. Sous ces différents pseudonymes, Marc R. a vécu plusieurs vies.

Né en 1947 dans une famille de haute bourgeoisie, il mène des études de bon élève à l’Ecole alsacienne. Après il suit un cursus de lettres à la Sorbonne jusqu’à l’agrégation, qu’il rate, recalé par la question : «Qu’est-ce que le décadentisme ?» Un comble, le jeune homme développant une extravagance morale et vestimentaire qui cite aussi bien Des Esseintes que les excentriques anglais. Une condisciple se souvient : «Nous nous promenions de la fac à la Cinémathèque. Sinon, c’était le séminaire de Lacan ou celui de Barthes.» Une sorte de situation de jeune rentier sans rentes. En faisant très attention de ne pas travailler.

Les années gauchistes battent le pavé parisien, et Marc en sera au sein du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), créé en 1971, entre autres par Guy Hocquenghem. Il s’y radicalise dans le groupe dissident des Gazolines, qui prône que «le maquillage est une manière de vivre». Une ambiance folle, matérialisée par quelques actions publiques «outrageantes» (attaques au sac à main, attentats au talon aiguille). Le FHAR explose, les Gazolines aussi. Marc lorgne alors vers la mode. En compagnie de la jeune Adeline André, devenue depuis fameuse créatrice de haute couture. Adeline s’étonne de «ce jeune érudit timide» qui s’intéresse à des futilités : «Ça l’amusait…»

C’est l’époque où les Halles sont encore un trou, hanté par des tribus interlopes de marginaux envapés. Parmi les lieux de ralliement, la boutique Kiruna Melba où Adeline André place ses premiers modèles. Suite aux chaleurs exceptionnelles de l’été 1976, elle conçoit une ligne Canicule dont Marc devient un des emblèmes, arborant un costume en tissu madras qu’il étrenne lors d’un entretien avec Bernard-Henri Lévy, paru dans le magazine Façade. Le début du papier ressemblait à quelque chose comme : «Au petit matin je rentrais en Solex du mariage de Loulou de La Falaise et Thadée Klossowski pour interviewer le "nouveau" philosophe Bernard-Henri Lévy…»Maggie Moon, évocation de Marilyn Monroe par Jean-Louis Jorge, ou acteur de cinéma dans Tam Tam (1976) d’Adolfo Arrieta. Voilà Marc journaliste pour une journée. Mais il est aussi, en 1975, sur la scène du cinéma Olympic (période Frédéric Mitterrand) dans Maggie Moon, évocation de Marilyn Monroe par Jean-Louis Jorge, ou acteur de cinéma dans Tam Tam (1976) d’Adolfo Arrieta.

C’est dans les pages de Libération qu’il va bientôt exercer le meilleur de lui-même. Introduit par quelques amis (Michel Cressole, Jean-François Briane…), Marc devient un pilier des pages Télé : Louella Intérim est née. Louella comme Louella Parson, fameuse commère d’Hollywood, Intérim car le débutant n’imaginait pas que sa collaboration excéderait quelques piges. Pour de nombreux cinéphiles elle devient la référence, fiable et impertinente, sur l’âge d’or du cinéma hollywoodien et ses monstres sacrés. «Le jour où Marlène Dietrich disparaîtra, disait-elle, il ne faudrait pas écrire de nécrologie, mais distribuer Libé enroulé dans un morceau de voile en crêpe noir». Spécialiste des trésors de cinémathèques, elle fut aussi le défenseur ardent du cinéma moderne, qu’elle s’y impliquât physiquement (comme chez Arrieta ou Virginie Thévenet) ou intellectuellement (mémorables passes d’armes contre Télérama qui avait eu l’affront de démolir le Francisca de Manoel de Oliveira : «Aux lions les chrétiens!», écrivit Louella). A Cannes en 1983, à propos de l’Homme blesséLibération ne peuvent pas aller dans les soirées mondaines sans un châle jeté sur les épaules. L’idée cette fois fut retenue… de Patrice Chéreau, Louella propose d’interviewer un gigolo ; l’idée hélas n’est pas retenue. Elle estime que les journalistes de Libération ne peuvent pas aller dans les soirées mondaines sans un châle jeté sur les épaules. L’idée cette fois fut retenue…

Cette rédactrice férue d’imparfait du subjonctif, crack en orthographe et passionnelle du point-virgule, allait endosser d’autres pseudonymes, toujours à tiroirs. Dora Forbes pour parler des écrivains avec une prédilection affirmée pour Evelyn Waugh, dont l’humour au vitriol ne lui était pas étranger. Maud Molyneux, enfin, lorsqu’elle écrivait sur la mode, dans Libé, Harper’s Bazaar ou Joyce, lorsqu’elle signait les costumes des films de Pascal Thomas ou lorsqu’elle rédigeait l’intégralité du seul fanzine radical chic que la couture ait connu, les Carnets d’Angeline de Monturban von Schnupp und Taxis. Là aussi, de «pétro-brocards» en «forte envie de plisser», le style flambe.

Le dernier article de Louella dans Libération fut une nécrologie de Bette Davis, écrite au crayon à papier et dictée à un secrétaire de rédaction car Louella, adepte des vieilles Remington, ne voulait pas entendre parler d’ordinateur. Un personnage sorti de la Recherche du temps perdu, un aristocrate proustien merveilleusement bien élevé, né pour l’art des salons et dont les articles eux-mêmes, tout en longues périodes («J’ai fait une phrase d’un feuillet et demi !» l’entendit-on s’amuser un jour), faisaient écho au narrateur de la Recherche, dont elle était évidemment une grande amatrice.

Son trouble des identités parachevait idéalement un trouble identitaire. Un jour très garçon, barbu, portant jean serré, catogan et chemise imprimée, sosie troublant de John Lennon. Le lendemain en minijupe noire, cuissardes et chignon. Et toujours la Gauloise sans filtre au coin des lèvres. Il parlait de lui au masculin et se faisait appeler au féminin, quelques fois l’inverse. Louella, La Maud, Marc, Dora, comme on voudra. Un être féroce et raffiné qui, à l’instar d’un Brummel, avait fait de sa vie une œuvre d’art.

 

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PIERRE-ANDRÉ BOUTANG (25 MARS 1937 – 20 AOÛT 2008)

5 Septembre 2008, 23:13pm

Publié par Mister Arkadin

J’ai tardé à annoncer la mort de Pierre-André Boutang, d’abord parce que rédiger tant de nécrologies en si peu de temps finit par donner sérieusement le cafard, ensuite parce que la presse s’en est fait l’écho à peu près correctement (1). Je souhaiterais tout de même lui rendre hommage par les quelques remarques suivantes.

En premier lieu, parmi les remarquables documentaires réalisés par PAB, par dessus tout pour ses merveilleux "Océaniques", ce ne sont pas tant les entretiens avec Gilles Deleuze qui m’avaient enthousiasmé que ceux de Régis Debray avec Serge Daney, publiés depuis en DVD sous le titre Itinéraires d’un ciné-fils. J’avais été frappé à l’époque, il y a une petite quinzaine d’années, par la déférence de Debray envers Daney, que j’avais trouvé très émouvante et très flatteuse pour le cinéma, tant il est rare qu’un simple critique de cinéma parle d’égal à égal, au moins (et même plus en l’occurrence), avec un philosophe, médiatique qui plus est (mais pas pour autant déconsidéré), ce dernier recueillant humblement la parole d’un penseur de cinéma.

"Océaniques" et autres productions Boutang, pour moi, ce sont bien sûr des émissions de FR3, puis d’Arte, mais ce sont surtout quelques émissions diffusés sur La Sept, préfiguration d’Arte hébergée avant la création de cette dernière le samedi sur FR3. Elles nous en ont donné un avant-goût savoureux, qui ne ressemblait à pas grand-chose de ce que l’on pouvait voir ailleurs et qui nous a fait désirer Arte, chaîne qui, même si elle ne tient plus qu’épisodiquement ses promesses, demeure cent coudées au-dessus des autres.

Ensuite, il faut rappeler que les liens de Pierre-André Boutang avec le cinéma, même si son nom est aujourd’hui plutôt associé à la peinture ou à la littérature, furent très profonds. Assistant réalisateur sur plusieurs films, notamment Le Puits et le pendule d’Alexandre Astruc, dont il produisit le Sartre par lui-même, et Les Distractions de Jacques Dupont (2), pour lequel il avait participé à l’écriture du scénario, nul doute qu’il serait lui-même passé à la réalisation s’il l’avait pu. Seule ombre au tableau : la production de La Chasse aux papillons, l’un des films les plus soporifiques qu’il m’ait été donné de voir (en partie… j’en m’en explique ici).

Enfin, cela n’a été rappelé nulle part, si je ne me trompe, Pierre-André Boutang exprima d’abord sa passion pour le cinéma en tant que critique, sous le nom d’André Collonges, entre 1955 et 1960 environ, dans les colonnes de La Nation française, journal dirigé par son père, le grand philosophe et homme de presse Pierre Boutang. Cela vaudrait la peine d’aller un de ces jours à la Nationale ressortir une collection de ce journal pour voir quel critique fut Pierre-André Boutang.


Notes :

(1) Par exemple Le Monde du 23 août 2008 : Pierre-André Boutang, producteur et réalisateur

Grande figure de la télévision française, Pierre-André Boutang s'est noyé accidentellement mercredi 20 août en Corse. Il était âgé de 71 ans. Producteur, réalisateur, programmateur, intervieweur, il avait su allier intelligence et grand public à travers des films et des séries documentaires pour l'ORTF dès les années 1960. Tout au long de sa longue carrière, Pierre-André Boutang a exploré les univers de la littérature, du cinéma et de la télévision tout en irriguant le débat intellectuel.

Fils du philosophe Pierre Boutang, il a d'abord été étudiant à l'Institut d'études politiques, avant de devenir assistant-réalisateur pour le cinéma et la télévision. De 1962 à 1967, Pierre-André Boutang est responsable du choix des films à la télévision, puis devient producteur et réalisateur de nombreux films et séries pour la télévision ("Les écrans de la ville", "Le journal du cinéma", "Cinéregards", "Champ contre champ"). Il signe aussi de nombreux sujets pour "Dim Dam Dom", émission décapante du temps de l'ORTF.

De 1967 à 1986, il produit plusieurs émissions telles que "Le nouveau dimanche", "L'invité du dimanche", "L'homme en question", "Désir des arts", "Projection privée" "Bibliothèque de poche", "Archives du XXe siècle", puis "Océaniques" pour FR3, où il signe des portraits de Fidel Castro, Martin Heidegger ou Louis Althusser. Le magazine fut récompensé par un 7 d'or en 1987 et en 1988.

La télévision lui doit aussi de grandes séries d'entretiens coréalisées avec Jean Rouch, dont les "Mémoires du XXe siècle", avec notamment des portraits de Gilles Deleuze (3 DVD aux Editions Montparnasse) et Pierre Vidal-Naquet, ainsi que "Sartre par lui-même", où le philosophe parlait de son oeuvre durant trois heures. Parallèlement, il produisit pour le cinéma des films de Jean Yanne, Marco Ferreri, Robert Bresson et le Sartre par lui-même d'Alexandre Astruc, ainsi que Les Favoris de la lune, d'Otar Iosseliani. Il est l'auteur d'une biographie de Roman Polanski.

En 1990, appelé par l'historien Georges Duby au sein de la Sept, la chaîne de télévision culturelle devenue ensuite Arte, il est nommé directeur délégué aux programmes auprès de Jérôme Clément et lance le magazine culturel "Océanopolis". Initiateur de nombreuses "Thema" qui ont contribué au succès de la chaîne, Pierre-André Boutang avait également créé le magazine culturel de cette chaîne "Metropolis", dont il a été le rédacteur en chef pour la France de 1995 à 2006.

Depuis dix-huit ans, Pierre-André Boutang était devenu un pilier d'Arte. La chaîne franco-allemande a diffusé ses documentaires comme "L'abécédaire de Gilles Deleuze", "13 journées dans la vie de Picasso", "Alexandre Soljenitsyne", "Depardieu, le regard des autres", "Mao, une histoire chinoise" et dernièrement "Jeanne M", portrait de Jeanne Moreau. Sa dernière oeuvre, "Claude Levi-Strauss par lui-même", sera diffusée sur Arte le 27 novembre.

"Avec lui, c'est une des personnalités importantes de la télévision culturelle qui disparaît et Arte tout entière est en deuil", a déclaré au Monde Jérôme Clement, PDG d'Arte France. "C'était un homme d'une grande curiosité intellectuelle, un personnage emblématique qui a beaucoup aidé la chaîne à se positionner. Il avait une conception élevée et exigeante de la télévision". La chaîne lui rendra hommage les samedis 23 et 30 août dans "Metropolis".

Daniel Psenny


Dates

25 mars 1937 : Naissance à Paris

1962 : Producteur-réalisateur au cinéma et à la télévision

1990 : Directeur des programmes à la Sept-Arte

20 août 2008 : Mort en Corse

(2) Les Distractions serait le seul film dans lequel mon ami Philippe d’Hugues aurait fait une apparition.

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JACQUES DEMEURE (20 JUIN 1929 – 18 AOÛT 2008)

26 Août 2008, 23:02pm

Publié par Mister Arkadin

La mort de Jacques Demeure vient d’être signalé par Le Monde dans une brève note non signée (24-25 août 2008, p.13) :

« Réalisateur à la télévision et critique de cinéma, Jacques Demeure est mort à Paris, le 18 août. Il était âgé de 79 ans. Né au Puy, le 20 juin 1929, il commence à écrire à Positif dès 1952 ce qu’il continuera de faire jusqu'en 1989 (1).

 » Grâce à Jacques Demeure, entre autres, Positif s'est ancrée à gauche, avec une irrévérence sans dogmatisme. Le cinéma français, le court métrage, le documentaire l'ont toujours intéressé. Mais il ne négligeait pas le western, John Huston, le cinéma soviétique du dégel, Ruy Guerra... Il fut sans doute le premier en France à attirer l'attention sur Krzysztof Kieslowski, dès 1973, bien avant la consécration du cinéaste polonais au Festival de Cannes.

 » Jacques Demeure travailla à l'ORTF, puis à Antenne 2, où il réalisa notamment plusieurs émissions de "Portrait souvenir" pour Roger Stéphane (consacrées à Madame de Sévigné, à Saint-Simon, à Montesquieu, à Louis Pergaud, à Gobineau, à Victor Hugo, à Maurice Barrès, à Jean-Jacques Rousseau et à François Mauriac). »

J’ai toujours regretté que Jacques Demeure, que je n’ai personnellement pas connu, n’écrive plus guère dans Positif, depuis 1984 si j’en crois l’index Calenge. On relira avec d’autant plus d’intérêt le texte qu’il donna à sa revue de prédilection, en 2002 (n°500, p.96), sur l’année 1952. Il y précise les conditions de son arrivée à Positif et livre quelques informations sur sa cinéphilie. On apprend au passage qu’il écrivit aussi dans Les Nouvelles Littéraires. Il ne fut donc pas l’homme d’une seule revue.

Par ailleurs, dans sa notice de La Critique de cinéma en France. Histoire. Anthologie. Dictionnaire (2), Paul-Louis Thirard mentionne une étude de 80 pages sur « la mer dans le cinéma anglais », parue dans La Vie maritime en 1993. Cela confirme, s’il en était besoin, qu’une sorte de "veille" doit impérativement être observée en matières d’études cinématographiques, en prenant soin de se tenir régulièrement au courant de ce qui se publie sur le cinéma dans les publications non cinématographiques (3). Il est à cet égard heureux que le travail d’un critique aussi rigoureux que Jacques Demeure ait pu être édité dans une revue spécialisée comme La Vie maritime.

Ajoutons que, d’après les témoignages de cinéphiles que j’ai pu recueillir, Jacques Demeure semble avoir été le prototype de l’honnête homme, modeste quoique de grande culture, digne en toutes circonstances et habité par un amour du cinéma tel qu’il faisait partie de la petite cohorte en voie d’extinction des passionnés s’efforçant de voir absolument tous les films sortant en salle.


Notes et informations complémentaires :

(1) La version de cette nécrologie disponible sur le site du Monde diffère légèrement : « […] il commence à écrire à Positif dès 1952. Il collabolera [sic] à cette revue de cinéma jusqu'en 1989. » Les lecteurs d’Internet sont-ils jugés moins cultivés que ceux du journal papier pour qu’il soit nécessaire de leur préciser ce qu’est Positif ?

(2) Dir. Michel Ciment / Jacques Zimmer, Syndicat français de la critique de cinéma / Ramsay, 1997, p.316-317.

(3) De la même façon que maintes conférences ou discussions sur le cinéma sont disponibles sur des sites Internet non cinématographiques et que les émissions de radio les plus intéressantes sur le cinéma ne sont pas forcément celles qui lui sont exclusivement consacrées.

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FRANCIS LACASSIN

17 Août 2008, 13:39pm

Publié par Mister Arkadin

J’apprends par le blog de Pierre Assouline la mort de Francis Lacassin (18 novembre 1931 – 12 août 2008), journaliste, éditeur et préfacier exemplaire, spécialiste de littérature populaire et de bande dessinée, "contre-historien" du cinéma (1). La série noire continue avec la disparition d’une énième figure historique de la cinéphilie cette année, après celle de Lo Duca, de Geneviève Le Baut, de Roger Icart, de José Baldizzone, de Henri Agel et de Claude Baignères. N’ayant connu Francis Lacassin qu’à la tout fin de sa vie, j’ai peu de choses à ajouter à la belle nécrologie écrite par Assouline, à celle du Monde, à celle d'Albert Montagne, et au portrait très informé publié sur le site "Bibliotrutt".

Retenons que c’est dans Le Cimetière des éléphants (Editions Encrage, 1996) que figurerait la bibliographie la plus complète des ouvrages écrits ou édités par Lacassin (2), qu’une partie de ses archives (171 boites tout de même, avec des quantités de publications !) a été déposée à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), que Lacassin avait initié la republication des ouvrages de Henri Béraud (3), que Lacassin écrivit avec Jacques Champreux le scénario et les dialogues du Judex de Franju et qu’une notice lui a été consacrée par Gérard Lenne dans La Critique de cinéma en France. Histoire. Anthologie. Dictionnaire (4).

Le 14 juin 2007, Francis Lacassin était venu présenter au Libre journal du cinéma (5) le premier tome de ses mémoires, Sur les chemins qui marchent (Editions du Rocher) et le n°99 d’Archives, qui reprenait les brochures L’Idée et l’écran de Jean-Louis Bouquet et Henri Fescourt, parues dans les années 1920. Nous espérions pouvoir l’inviter à nouveau pour la publication de la suite de ses mémoires. Espérons qu’une édition posthume nous consolera quelque peu de la perte de ce "passeur" hors norme.


Notes et informations complémentaires :

(1) Pour une contre-histoire du cinéma, Paris, UGE, coll. "10/18", 1972 ; Actes Sud, 1994.

(2) À l’occasion de la sortie de cet ouvrage, avait paru un avis discordant sur l’œuvre de Francis Lacassin et notamment ses compétences d’éditeur et de bibliographe.

(3) Le Flâneur salarié, Paris, UGE, coll. "10/18", 1985. Est particulièrement précieux, dans cette réédition de reportages de Béraud, le relevé des pages de différents mémoires (André Billy, Horace de Carbuccia, Gabriel Chevallier, Jean Galtier-Boissière, etc.) dans lesquelles Béraud est évoqué. Francis Lacassin m’avait confié avoir espéré pouvoir publier un volume regroupant tous les volumes de souvenirs de Béraud, en vain, faute d’intérêt de la part des éditeurs.

(4) Dir. Michel Ciment / Jacques Zimmer, Syndicat français de la critique de cinéma / Ramsay, 1997, 423 p.

(5) Script de l’émission ici et enregistrement numérique .

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CLAUDE BAIGNÈRES

31 Juillet 2008, 23:25pm

Publié par Mister Arkadin

Roger Icart, José Baldizzone, Henri Agel : ce site, dont deux des premiers articles ont été consacrés à Lo Duca et Geneviève Le Baut, se transforme ces derniers temps en nécropole, Claude Baignères venant de les rejoindre au paradis des cinéphiles. Ayant assez peu connu ce dernier, je reprends ci-dessous la nécrologie du Figaro, journal dans lequel il effectua l’essentiel de sa carrière. Je me contenterai de la compléter légèrement et de rectifier quelques approximations.

Claude Baignères fut également scénariste pour un film de Serge Gobbi, La Nuit du risque (1986), méritant peut-être mieux que la mauvaise réputation que lui fait tel site sur les nanars (la mauvaise réputation étant cependant le gage de l’attraction d’un nanar, comme je l’ai écrit récemment).

Sa fiche publiée dans La Critique de cinéma en France. Histoire. Anthologie. Dictionnaire (1) donne 1947 comme date de la collaboration de Claude Baignères au Figaro. C’est en tout cas vers 1947 que Baignères débuta au journal Spectateur. Il m’avait confié qu’il y fit son entrée (comme peut-être au Figaro) grâce à Émile Vuillermoz, son initiateur (avec Bernard Gavoty) dans le métier de critique musical, dont il ignorait qu’il fut aussi critique de cinéma. Au reste, si c’est comme critique de cinéma que j’ai d’abord connu Claude Baignères, il me semble avoir plus excellé dans la critique musicale, domaine dans lequel il publia des livres, ce qu’il ne fit pas pour le "7ème Art". J’avouerais même volontiers que les goûts de Baignères, sinon sa façon de les exprimer, ne m’ont pas toujours paru très heureux. Je me souviens notamment d’un éreintement en trois ou quatre lignes d’un de mes films préférés, Good Men, Good Women. Autant projeter de la lumière blanche sur un drap, tant le film est vide, avait statué Claude Baignères. Au moins ses avis étaient-ils toujours sincères et exprimés dans une langue aussi classique qu’agréable, ne cherchant pas à se faire valoir aux dépens d’œuvres dont Baignères rendait compte avec simplicité et scrupule, à la manière de Jean de Baroncelli ou Jacques Siclier dans le camp d’en face (au Monde), en parfait honnête homme qu’il était.


Note et information complémentaire :

(1) Dir. Michel Ciment / Jacques Zimmer, Syndicat français de la critique de cinéma / Ramsay, 1997, 423 p.

- La nécrologie du Figaro :

« Claude Baignères, un homme de qualité », par M. Th. (24/07/2008, mise à jour, 10:49)



Claude Baignères signait aussi des adaptations pour le théâtre, dont Love Letters, dernière pièce jouée par Philippe Noiret.

Collaborateur du « Figaro » où il dirigea le service spectacles, il vient de s'éteindre à l'âge de 87 ans.

Cigarette vissée à la bouche qu'il remplaça par la suite par le cigare, lunettes relevées sur le front, en bras de chemise, tapant à toute vitesse sur le clavier de sa machine à écrire, il était l'archétype du journaliste, homme d'action jouant d'un charme qui n'était pas sans rappeler celui de Robert Mitchum. Collaborateur au Figaro pendant cinquante ans, Claude Baignères, retiré en Angleterre auprès de sa compagne Anne Tognetti, est mort des suites d'une longue maladie, à l'âge de 87 ans. Opéré des poumons, il parlait avec difficulté, mais jusqu'au bout, la tête fonctionnait.

Filleul de Claude Debussy

À la tête du service spectacles du Figaro qu'il dirigea de 1974 à 1994, il imprima son style fait de culture et de distance envers les événements. Sous sa direction, il n'y eut jamais de chasse aux sorcières, mais l'actualité était traitée avec élégance. Un art de vivre qu'il reçut à la naissance, auprès de son parrain Claude Debussy et d'une famille qui recevait les artistes de son temps, Proust, Stravinsky, dont il se souvenait fort bien. « J'ai sauté sur ses genoux » disait-il parfois, rappelant à ses jeunes troupes qu'il avait eu la chance de croiser des êtres d'exception. La musique baigna son enfance en Suisse où son père était diplomate à la Société des nations et où sa mère, pianiste, tenait un salon comme on le disait au XVIIIème siècle.

Après des études de droit, il entra au début des années 1950 au Figaro, repéré par Bernard Gavoty qui l'initie à la critique musicale. Curieux, homme de culture et de bon goût, il collabore au Figaro Littéraire et signe par la suite des critiques de danse, de théâtre, puis de cinéma. Un éclectisme qui n'avait pas échappé à Jean-Luc Godard qui s'était amusé à lui confier un rôle dans son film, Éloge de l'amour. Quittant notre journal en 2002, Claude Baignères n'a pas posé sa plume, signant avec Anne Tognetti de nombreuses adaptations pour le théâtre, dont LoveLetters, dernière pièce jouée par Philippe Noiret. Amoureux du beau sexe, il laisse une nombreuse famille auquel le Figaro exprime sa sympathie.


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PHILIPPE D'HUGUES - CV

20 Juillet 2008, 00:45am

Publié par Mister Arkadin

J'avais annoncé que Philippe d'Hugues participerait au libre journal d'Arnaud Guyot-Jeannin du 8 juillet dernier. La liaison téléphonique n'a finalement pu être établie entre le studio et le lieu de villégiature de Philippe d'Hugues. On peut se rattraper en lisant l'entretien qu'il a donné au même journalisme pour le magazine Le Choc du mois, qui consacre son numéro d'été au cinéma français, "à bout de souffle". Le dossier remet habilement certaines tares du cinéma français en perspective, même s'il n'apprendra sans doute pas grand chose aux personnes susceptibles d'être intéressées par mon site ; la couverture, que j'ai hésité à reproduire, est par contre fort laide.
Pour faire bonne mesure, je diffuse
le CV de PdH dans la section "Cinéma et Radio" .

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HENRI AGEL

12 Juillet 2008, 23:21pm

Publié par Mister Arkadin

Après le décès de Roger Icart, qui faisait suite à celui de José Baldizzone, j’ai écrit, par superstition sans doute, que j’espérais qu’il ne s’agissait pas d’une série en cours. Hélas, le critique et professeur de cinéma Henri Agel est mort la semaine dernière, portant à trois, au moins, le nombre des personnalités de la cinéphilie du Sud-Ouest récemment disparues.

Autant j’avais eu l’occasion de rencontrer Messieurs Baldizzone et Icart, autant n’ai-je entretenu avec Monsieur Agel que des relations épistolaires et peut-être une ou deux fois téléphoniques (en particulier à propos d’un volume d’hommage à Claude Beylie que nous aurions voulu éditer avec Jacques Pinturault, Philippe d’Hugues et quelques autres). Aussi renverrai-je à la belle nécrologie de Jean-Max Méjean pour ce qui est de la personnalité de Henri Agel (1) et à la fiche figurant dans La Critique de cinéma en France. Histoire. Anthologie. Dictionnaire pour plus de renseignements bio-bibliographiques (2).

Je retiendrai pour ma part surtout de Henri Agel qu’il fut l’un des derniers témoins de la presse cinématographique des années 1930, ayant commencé à écrire dans Cinémagazine. Il fut également l’un des jeunes rédacteurs les plus dynamiques de l’une de ces multiples revues intellectuelles de haute tenue qui ont fleuri dans le sud de la France sous Vichy et sous l’Occupation. Jean-Max Méjean rappelle l’attrait de Henri Agel pour la poésie. Une collection de la revue Pyrénées, dont Agel m’avait très aimablement prêté quelques numéros, me permit de constater qu’il s’y adonna avec passion. Il écrivit aussi dans cette revue quelques chroniques cinématographiques, dont je donnerai à coup sûr au moins un exemple dans l’histoire / anthologie des écrits de cinéma parus pendant l’Occupation que je prépare.

Signe que l’édition cinématographique n’est pas si moribonde que je le déplore parfois, les ouvrages de Henri Agel faisaient depuis quelques années l’objet de rééditions, par exemple Romance américaine, aux éditions du Cerf. Il reste encore bien des titres à redécouvrir, dont on ne pourrait que se féliciter que l’accès soit facilité par de nouvelles rééditions.


Notes et informations complémentaires :

(1) Frédéric Vitoux rend hommage à son « professeur d’enthousiasme » dans Le Nouvel Observateur (TéléObs, 26 juillet – 1er août 2008, p.10 : « Un homme d’influence »).

(2) Ciment (Michel), Zimmer (Jaques), dir., syndicat français de la critique de cinéma / Ramsay, 1997, 423 p.

- Une émission sur le cinéaste et critique Philippe Colin, élève de Henri Agel pendant sa préparation au concours de l'Idhec, a été diffusée récemment sur France Culture.

- Des extraits de livres de Henri Agel sont disponibles sur le Net : Le cinéma a-t-il une âme ? ; Le Cinéma et le sacré

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ANDRÉ GILLOIS (MAURICE DIAMANT-BERGER, 1902-2004)

19 Juin 2008, 06:42am

Publié par Mister Arkadin

Il y a quatre ans disparaissait André Gillois. Voici la nécrologie que j’ai publiée dans le n°295 de la revue Jeune cinéma (mars-avril 2005, p.70-72).

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« Mort un 18 juin… » (le 19 selon Le Monde…), a titré l’année dernière Le Figaro à propos d’André Gillois, né Maurice Diamant-Berger en 1902. Cette référence était à la fois bien venue et un peu réductrice. Entré très précocement dans l’action clandestine, André Gillois se rendit en effet en 1942 à Londres où, ayant été l’un des pionniers des émissions radiophoniques dès les années 1930, il devint, à la BCC, l’un des principaux animateurs de l’émission « Les Français parlent aux Français ». Toutefois, il ne s’est jamais considéré comme gaulliste et, s’il remplaça Maurice Schumann comme porte-parole du général de Gaulle le 1er juin 1944, il ne s’engagea pas pour autant en politique une fois rentré en France, préférant reprendre son œuvre de médiateur culturel. Après l’édition dès les années 1920 (du journal de Jules Renard notamment), il se consacra plus spécifiquement à la radio et à la télévision, auxquelles il doit sa célébrité (un mémoire d'histoire soutenu en 2002 par Benjamin Goldenstein à Paris I a fait le point sur la question). Certaines rediffusions dans les « Nuits de France-Culture » étonnent encore par la tenue et l’exigence de ce qui était proposé au public des années 1950 et 1960.

Mais ce brillant touche-à-tout, auteur d’essais historiques, de pièces de théâtre et de romans, croisa aussi plusieurs fois le cinéma en cours de route. Passons rapidement sur les faits mentionnés par les dictionnaires et bases de données : scénarios, écrits avec son compère Jean Nohain, de Raphaël le tatoué, une fernandelerie de Christian-Jaque (1939), et de Voyage surprise, adapté par Jacques Prévert pour son frère Pierre (1947) ; dialogue de Narcisse (1940) ; apparition dans un film de Jean Boyer, Cent francs par seconde (1953) ; adaptation de son roman 125, rue Montmartre, un policier écrit à la manière de Simenon, qui donna un bon Grangier avec Lino Ventura et Robert Hirsch (1959). Et rappelons plutôt son activité de critique cinématographique, bien moins connue. Si peu connue d’ailleurs qu’André Gillois lui-même, que j’ai interrogé à ce sujet en 1997, redécouvrit avec surprise ses articles sur le cinéma publiés pendant quelques années dans l’hebdomadaire parisien Chantecler, à partir de 1926. « Je ne me souvenais pas qu’on ait attaqué Chaplin comme cela. », me déclara-t-il par exemple en lisant les textes où il prit vigoureusement la défense de celui que quelques gloires littéraires de l’époque considéraient encore comme un pitre. La relecture de ses chroniques, pleines de liberté, de verve et de pertinence, confirme pourtant qu’il faut ajouter le nom de Maurice Diamant-Berger à la liste, bien moins réduite qu’on ne croit, des très bons critiques de l’entre-deux guerres.

André Gillois n’y abordait du reste pas le cinéma en néophyte, puisqu’il fut l’assistant de son frère Henri Diamant-Berger, directeur du Film puis réalisateur des Trois mousquetaires (1921). « J’étais passionné de cinéma, et j’en ai fait du très mauvais », prétendait André Gillois, qui n’était pas tendre non plus pour son frère, dont il disait qu’il était si peu doué pour la mise en scène qu’il aurait dû se cantonner à la production. André Gillois a décrit ses aventures cinématographiques dans ses très riches et très plaisants mémoires, Ce siècle avait deux ans (Belfond, 1980 ; Mémoire du Livre, 2002, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac). Il n’en gardait en définitive qu’un seul bon souvenir : sa rencontre avec René Clair, dont il a reproduit une précieuse lettre (Opus cité, p.315-316). Aux débuts du Parlant, le cinéaste dit du film qu’il vient d’ « exécuter », 14 juillet, qu’il est « absolument vide ». Trop de contraintes, trop de compromis à passer, trop de gens auxquels il faut plaire : « J’essaie de faire [des films] les moins mauvais possible. Mais l’élan n’y est plus. » Tout aussi désabusé que son ami, André Gillois n’en a pas moins lui aussi réussi à devenir l’un des acteurs les plus actifs de la vie culturelle française du XXe siècle : preuve que l’audace et le talent peuvent s’accorder avec le scepticisme et la modestie qui le caractérisaient.

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Complément (31 janvier 2011) : un article assez complet est consacré  par Paul Vecchiali aux activités cinématographiques de MDB dans l'’Encinéclopédie. Cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre (Éditions de l’Œil, 2010).

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