Quoique rétif aux pétitions, il m’arrive d’en signer, tous les deux ou trois ans.
Bien qu’alerté très rapidement par la dynamique association des Amis de Maurice Ravel et bien que la cause m’ait d’emblée paru bonne, c’est avec deux semaines de retard que je me suis décidé à signer la pétition « Non à la calomnie sur le compositeur Henri Dutilleux ! Pour l'apposition d'une plaque commémorative à l'endroit de son ancienne résidence sur l'Ile Saint-Louis ».
Je renvoie au volumineux dossier constitué sur le blog de l’association susmentionnée mes lecteurs qui n’auraient pas entendu parler des poux que la très érudite municipalité du IV° arrondissement est allé chercher dans la chevelure du grand compositeur.
Le point le plus notable à ce propos, sur un blog de cinéma, est que l’unique reproche fait à Dutilleux quant à ses activités pendant l’Occupation est d’avoir composé la musique de Forces sur le stade, un court métrage réalisé en 1942 sur commande du Commissariat Général à l’Éducation Générale et aux Sports (dépendant de l’État français, plus communément appelé Vichy, ou le régime de Pétain).
Un journaliste du Monde s’est fendu d’une analyse de ce film.
S’il n’y a que ça, on n’a pas fini de débaptiser des rues, des théâtres, de cesser de jouer des pièces, tant tant d’autres ont fait bien pire, à commencer par Guitry, Sartre, Beauvoir, Cocteau, etc., pour s’en tenir à des personnalités s’en étant extrêmement bien sortis à la Libération et d’autres pas trop mal.
Pourrions-nous encore célébrer comme figure titulaire de la critique cinématographique le fondateur de La Revue du cinéma, Jean George Auriol, qui se trouve avoir aussi été le scénariste de Forces sur le stade (ainsi que d’avoir, plus compromettant, pas mal écrit dans Ciné-Mondial, journal contrôlé par les Nazis) ?
Cette affaire confirme en tout cas que plus on s’éloigne de l’Occupation, moins la pulsion épuratrice se refroidit et plus elle doit trouver de nouveaux objets sur lesquels s’exercer.
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Parallèlement, notons :
- qu’après Alexis Carrel, c’est un autre de nos prix Nobel de médecine qui doit être éjecté de la mémoire nationale, Charles Richet (cf. « Charles Richet, jugé "raciste", ne donnera plus son nom à un hôpital du Val-d'Oise »). Va-t-on vider de leurs postes tous les petits copains de sa promotion que notre cher Président a placés un peu partout sous prétexte qu’elle prit le nom de Voltaire (qui n’était pas le dernier à s’y connaître en matière de racisme, d’islamophobie et d’antisémitisme) ?
- que l’inauguration d’une rue Commandant Denoix de Saint Marc, par Robert Ménard (discours du 14 mars 2015), en lieu et place d’une rue du 19 mars 1962, a fait pousser de hauts cris.
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Compléments :
- Le lendemain de la rédaction de ce billet, je recevais deux courriels annonçant que la Mairie de Paris avait finalement décidé, le 2 avril en fin d'après-midi, qu'une plaque en l'honneur de Dutilleux serait bien installée. Comme quoi, je mésestime mon influence, indéniable, n'est-ce pas ? (j'en entends qui seraient capables de prétendre que ce revirement est plutôt dû aux dizaines de protestations que la décision initiale a provoquées : pfff...)
- Dutilleux et le petit remplacement : « Je suis de ceux qui ne se sont pas encore remis de l’attitude du ministre de la Culture de l’époque, Aurélie Filippetti, assistant en grande pompe aux funérailles de Georges Moustaki, en 2013, tandis que se déroulaient sans aucune présence officielle, au même moment, celles d’Henri Dutilleux. C’est une date essentielle de l’histoire de la culture dans notre pays, donc de l’histoire de France : celle où la musiquette a remplacé la musique comme référence officielle ; celle où l’industrie culturelle s’est substituée à la culture, le show-bizness à la magique étude, le divertissement (et je n’ai strictement rien contre Georges Moustaki) au grand art » (Renaud Camus, « La gloire d'Henri Dutilleux », "Boulevard Voltaire") ; point de vue que la programmation musicale sur France Culture durant la grand grêve de mars-avril 2015 rendent on ne peut plus pertinents.