Mister Arkadin

QUEL CINÉPHILE SUIS-JE ?

8 Janvier 2008, 15:44pm

Publié par Mister Arkadin

Ne figure pour l’instant sur ce blog aucune profession de foi, aucune note d’intention, aucune présentation générale. Il s’est pour l’instant construit sans plan préconçu, au gré de ma découverte de l’outil, au gré de ma fantaisie. Je pense qu’il en sera ainsi encore quelque temps.

Toutefois, peut-être est-il temps, puisqu’il s’agit d’un site essentiellement consacré au cinéma, et à mes publications dans ce domaine, de donner quelques indications sur mon rapport à la cinéphilie. Pour ce faire, j’ai ressorti de mes tiroirs les réponses à un questionnaire de Françoise De Paepe, que j’avais écrites entre le vendredi 18 octobre 2002, à 18 heures, et le vendredi 3 janvier 2003, à 17 heures. Paru dans le « feuilleton cinéphilique » de Cinérivage.com, l’un des plus beaux sites sur le cinéma qu’il m’ait jamais été donné de voir. Administré admirablement par Françoise De Paepe, il a disparu avec la mort tragique de sa responsable, en avril 2003.

Un petit autoportrait devait précéder les réponses au questionnaire. Voici celui que j’avais rédigé, avec quelques modifications de détail entre crochets : 

« Je suis né à Oullins (Rhône), en 1974, et j’habite en région parisienne. Je mène depuis quelques années des recherches en histoire, principalement sur le cinéma.

 » J’ai publié des articles dans les revues de cinéma 1895 et Les Cahiers de la cinémathèque. Le dernier doit paraître prochainement dans Cinémas [paru depuis et disponible ici] et j’en prépare actuellement plusieurs autres, dont l’un pour Archives [sur le pionnier de la critique Lucien Wahl ; non paru], et un autre pour les Études cinématographiques [sur L’Anglaise et le duc, d’Éric Rohmer ; non paru].

 » Je prépare également plusieurs ouvrages, dont au moins un paraîtra en 2003 [paru en octobre 2003] : Émile Vuillermoz, père de la critique. "Le Temps" du cinéma (Paris, L’Harmattan) ; ainsi qu’un inventaire des numéros, dossiers spéciaux et séries d’articles consacrés au cinéma par les publications périodiques francophones non spécialisées en cinéma (environ 800 références enregistrées, pour l’instant [mille de plus environ aujourd’hui]). »


1. Le premier film qui vous a marqué, enfant ?

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Le Roi et l’oiseau : vu dans une salle lyonnaise, traîné par ma grand-mère, sans doute en 1979 ; puis revu peu après, au début de l'école primaire, au centre socio-culturel de Bois d’Arcy (commune qui se dit la « Cité du Patrimoine cinématographique » car elle abrite le Service des Archives du Film du C.N.C.), seul lieu où les Arcyciens peuvent voir de temps en temps un film sur grand écran.

  La Strada, America America, Que Viva Mexico ! : un peu surpris tout de même quand j’ai découvert l’âge que nous avions lorsque ma mère nous amena voir ces films, le dernier étant sorti au Cosmos en 1980, alors que j’avais 6 ans ! Du coup, il figure dans ma réponse à la question 16.

 

2. Le film qui vous a fait le plus rire ?

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Les comédies de Howard Hawks : Bringing Up Baby, Monkey Business et Man’s Favorite Sport ?. 

 

Rabbi Jacob : grâce à l’émulation avec mon frère, qui rendit la chose particulièrement sympathique, au sens propre du terme ; pour cette raison même, et aussi parce que les bons souvenirs d’adolescence gagnent souvent à rester à l’état de souvenir, je doute que le film me ferait autant rire si je le revoyais aujourd’hui.

 

3. Une scène comique que vous appréciez spécialement ?

 

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Une scène qu’avait diffusée « Cinéma Cinémas », extraite de Sogni d’Oro. Afin de gagner une confrontation télévisée, Michele / Nanni insulte un autre réalisateur, ce qui donne notamment, en m’excusant pour une retranscription d’autant plus approximative que j’ignore l’italien : « Stronzo ! Fa me la pipa ! », etc.

 

Pour le plaisir de contredire Noël Godin, qui prétend que les films de Bresson sont « les plus rigoureusement dépourvus d’humour de l’histoire du cinéma » (Amis du film, n°162, novembre 1969 ; repris dans Godin par Godin, Yellow now, 2001, p.21), j’ajouterai l’une des séquences du début d’Au hasard Baltazar. Celle où l’âne semble s’amuser à dévaler à toute allure une pente alors que le conducteur de la carriole roupille. Me plaît tout particulièrement le moment où le petit bonhomme revient accompagné d’une troupe d’autres paysans et court en direction de l’animal tranquillement allongé dans l’herbe. Ce n’est certes pas de la franche rigolade, mais c’est assurément humoristique, tout en étant très émouvant, les vingt premières minutes de ce film faisant partie des plus merveilleuses que j’ai jamais vues.

 

4. Un film qui vous a durablement angoissé ?  

Vertigo.

5. Le film qui vous a fait le plus peur ?

   A dû m’effrayer énormément pour que j’en aie à ce point purgé ma mémoire.
 

6. Le premier émoi érotique au cinéma ? Le premier souvenir ?

 

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Probablement les pin-up de Tex Avery.

   

Dans Le Prince et la danseuse, film vu quand j’avais une dizaine d’années, la scène d’introduction entre Laurence Olivier et Marilyn Monroe, cette dernière rattrapant de justesse la lanière de sa robe qui a craqué, menaçant de découvrir son sein. Quelle dommage qu’elle ne l’ai pas ratée, me suis-je dit ! Et quelle chance ont eue les personnes présentes sur le plateau s’il a fallu plusieurs prises pour qu’elle réussisse la scène !

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7. Plus récemment ?

 

En ce moment même, Shannon Elizabeth, dont je n’ai vu qu’American Pie, moins pour ce film d’ailleurs (ses talents de comédienne étant inversement proportionnelle à la beauté de son buste), bien que son strip-tease mérite sa réputation, que pour lesShannon-Elizabeth.jpg photographies parues dans Play Boy. J'ai cependant été déçu de constater, en voyant des photos des films qui ont précédé American Pie, qu'elle était passée sur la table d'opération. D'un autre côté, je me suis dit que cela n'enlaidissait pas forcément les femmes, contrairement à ce que je croyais auparavant. Reste à savoir ce qu'il adviendra de ces deux merveilles dans quelques années...

 
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Marianne Basler, par exemple dans Rosa la rose, fille publique, Outremer ou Vidange, vu récemment lors de son passage à la télévision, et y compris dans L’Amour propre ou Contrainte par corps, c’est dire.

 
 

8. S'il faut citer une musique ?

Au risque de donner du grain à moudre à ceux qui fustigent périodiquement le manque d’originalité des réponses que l’on trouve dans ce « feuilleton » : Vertigo, par Bernard Hermann.

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Neil Young pour Dead Man.

 

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« Bensonhurst Blues », d’Oscar Benton, qui ponctue le film d’Alain Delon Pour la peau d’un flic.

 

9. Une chanson ?

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La chanson finale d’Une partie de campagne ; « Put the blame on mame » ; « Le Tourbillon ».

10. Une affiche ? Une photo ?Mullholland-Drive.jpg

Dead Man ; Mulholand Drive.

   

11. Le cinéma, c'est une forêt de beaux visages. Alors, dans ce paysage, quel visage émerge, s'impose ? Masculin ? Féminin ? Quelle silhouette ? Quelle allure ?

 

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Lon Chaney ; Deborah Kerr et Ava Gardner dans la Nuit de l’iguane ; Silvana Mangano et Vittorio Gasman dans Riz amer ; Johnny Depp dans Dead Man ; l’acteur fétiche de Tsaï Ming-Liang (Lee Kang-Sheng je crois), plus particulièrement dans La Riviere, etc.La-Rivi--re---4.JPG

 

12. Si le cinéma était une voix ?

Orson Welles ; James Mason ; Charlie Chaplin ; les voix dans les films de Tex Avery.

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A ce propos, j’adore écouter des extraits de films à la radio (essentiellement sur France Culture) et suis partisan de l’édition des bandes sonores en CD, plutôt que les prétendues « bandes originales de films » : certaines passent formidablement bien (notamment quand elles proviennent des films de Jean-Luc Godard, Sacha Guitry et Orson Welles, ainsi que ceux de Jean Renoir et Alfred Hitchcock), d’autres beaucoup moins. À cet égard, l’éviction de Noël Simsolo de France Culture, de même que l’arrêt des « Mardis du cinéma » (puis de l’émission qui l’a remplacée, « Ciné-Club »), me consternent. Heureusement, Nicolas Saada, véritable bienfaiteur, « exemplaire » comme il le dit de sa réalisatrice, à laquelle il faut l’associer, sévit chaque semaine sur Nova. [Devenu réalisateur, Nicolas Saada a interrompu "Nova fait son cinéma"]

 

A contrario, les émissions de France Inter, dont les producteurs sont en général bien paresseux par rapport à ceux de France-Culture, proposent plus rarement des extraits de films, ce qui, seule petite consolation pour moi, me permet d’entendre un peu de la musique qui se joue aujourd’hui, puisqu’en guise de pauses, ce sont des morceaux n’ayant souvent rien à voir avec le cinéma qui sortent des robinets. Je pense surtout à l’émission de Frédéric Bonnaud et Rebecca Manzoni (« Ouvrez l’œil, et le bon »). L’émission du samedi 21 décembre 2002 fut à cet égard caricaturale. En une heure consacrée à John Ford, plutôt bonne au demeurant (grâce à l’invité, Patrick Brion), furent diffusés deux misérables extraits de La Chevauchée fantastique (en v.f.), un extrait relativement long du doubleur de John Wayne pour La Charge héroïque (c’est-à-dire : « en version française, pardon », comme le dit Rebecca Manzoni), plus la voix de John Ford, interrompue au bout de quelques secondes par une chanson n’ayant aucun rapport avec le cinéma.

 

[Nota : Une grande émission de cinéma a heureusement fait depuis son apparition sur France-Culture : « Rien à voir », par Hélène Frappat (dans le cadre de « Surpris par la nuit », un lundi par moi, à 22h40).].

 

13. Parfois le cinéma donne faim. Un souvenir gastronomique ?

 

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Aucun souvenir de ce type. En revanche, beaucoup de scènes de repas. Bertrand Tavernier est probablement le spécialiste en la matière. Deux scènes particulièrement savoureuses, quoique (ou parce que ?) assez cruelles, dans Coup de torchon (aux dépends de Stéphanie Audran) et La Passion Béatrice (le propre fils de Tavernier servant de souffre-douleur à Bernard-Pierre Donnadieu).

 

14. Quel film vous a indigné ? Révolté ?

Le Cercle des poètes disparus, qui me fit subitement, et pour un temps seulement sans doute, énormément apprécier mes professeurs, et que j’appelais alors (blague de potache j’en conviens, mais j’étais alors en seconde) : « Le cercle des poets-poets disparus ».

 

15. Un film pendant lequel vous vous êtes endormi ?

Val Abraham de Manoel de Oliveira. Je me souviens avoir dû lutter de toutes mes forces contre la fatigue et l’envie de fuir, victorieusement. Heureusement ou malheureusement ? Se reporter à la question 18.

 

16. Un film-choc ? Pire encore, électrochoc ?Que-Viva-Mexico---2.jpg

 

Que Viva Mexico ! Particulièrement la scène où des cavaliers passent sur des paysans enterrés jusqu’à la tête.

 

17. Un mélodrame qui vous a fait pleurer ? Disons, qui vous a mis les larmes aux yeux ?

Paris Texas : bizarrement, c’est seulement après la séance, et non pendant, que je me suis rendu compte qu’il s’agissait en fin de compte d’un bon vieux mélo, ce qui n’a pas diminué mon admiration pour ce film.

L’Incompris ; The Kid.

 

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5 Soirées et Partition inachevée pour piano mécanique : l’air de Donizetti, opportunément à la fin du film, provoque un effet sans doute facile à obtenir, dont je ne me lasse pas cependant ; alors, pourquoi s’en priverions-nous ? Et pourquoi Mikhalkov s’en serait-il lui-même privé ?http://img.over-blog.com/200x283/1/56/09/56//Partition-inachev--e-pour-piano-m--canique.jpg

18. Dans le registre de l'insoutenable ?

La Chasse aux papillons, d’Iotar Iosseliani, vu à Lyon [film sorti le 4 novembre 1992], m’a procuré un ennui tellement pesant que je n’ai pu me retenir de partir, au bout de trois quarts d’heure (ce qui donne une idée de mes efforts pour supporter l’engourdissement). C’est de ce jour que je me suis promis de ne plus jamais me forcer à rester dans une salle, bien respectueusement pour les valeurs établies, quand bien même cela serait excessivement pénible.

 

19. Un film particulièrement astucieux ?

Stage Fright, dont on dit à tort que son intrigue reposerait sur un mensonge de mise en scène, puisqu’Alfred Hitchcock montre une scène mensongère : il la montre tout simplement telle que la raconte un personnage, ce que le spectateur oublie en cours de route. D’où le maintien du suspens tout au long du film et sa surprise finale, lorsque ce qui s’est réellement passé lui est révélé.

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Usual Suspects. [J’ai revu le film en DVD en janvier 2005 et l’ai beaucoup moins apprécié.]

 

20. Une anecdote ? Une histoire vécue, lue, vue ou entendue. Drôle ? Triste ? Les deux ?

Une histoire connue, racontée par Peter Bogdanovich. Un soir, sans doute dans les années 1970, il surprend Orson Welles qui ne peut s’empêcher d’avoir la larme à l’œil en regardant La Splendeur des Amberson à la télévision. « Tu es toujours aussi triste de voir la façon dont ton film a été massacré », remarque-t-il. Et Welles répond : « No. I’m sad because it’s past. »

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21. Une réplique-culte pour vous. Une phrase même anodine qui nous changera de "Tas de beaux yeux, tu sais" et autre "Atmosphère, atmosphère".

« He was somekind of a man », sentence finale prononcée par Marlène Dietrich dans Touch of Evil, d’Orson Welles.

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« This world is wild at heart and weird on top » (Lula dans Wild at Heart, de David Lynch ; Sailor et Lula en français).

 

22. Le film que vous avez l’impression d'avoir vu le plus souvent ?

Limelight : j’ai dû me résoudre à effacer la K7, car je la regardais tous les soirs en rentrant de l’école, et qu’il fallait bien que j’en fasse tout de même un minimum l’année du passage du bac. Le même cas de figure s’est reproduit avec Une Vie de chien. Mais au moins, celui-ci est-il un moyen métrage. Aussi l’ai-je conservé dans ma vidéothèque. 

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23. Une fausse valeur ? D'hier ? D'aujourd'hui ?

A propos de Limelight, André Bazin a écrit des pages que je trouve admirables et dont je prélève le passage suivant : « On a, bien sûr, le droit de faire des réserves sur les chefs-d’œuvre, de reprocher à Racine le récit de Théramène, à Molière ses dénouements, à Corneille la maladresse de ses rapports avec les règles. Et je ne dis point que ces critiques soient fausses ou stériles, mais j’observe qu’à partir d’une certaine qualité de la création artistique et, en tout cas, devant l’évidence du génie, le parti pris contraire est nécessairement plus fécond. Je veux dire qu’au lieu d’imaginer de retirer de l’œuvre ses prétendus défauts, il vaut mieux leur accorder le préjugé favorable et les traiter comme des qualités dont nous n’avons pas encore su percer le secret. Attitude critique absurde, j’en conviens, si l’on doute de son objet et qui suppose une manière de pari. »

J’essaie pour mon propre compte d’adapter ce que l’on pourrait appeler le pari bazinien aux cinéastes qui, bien que presque unanimement célébrés, me laissent de marbre. Je m’efforce tant bien que mal de comprendre l’engouement qu’ils peuvent susciter et ne puis me résoudre à décréter que tant de personnes souvent lucides et brillantes se trompent à ce point. Ainsi, je continue à essayer de reconsidérer l’œuvre de Luis Bunuel, dont pratiquement tous les films que j’ai vus me le feraient volontiers désigner comme une « fausse valeur », et à vrai dire comme l’imposteur en chef. Cela dit, pour quelqu’un qui a commis La Mort en ce jardin, Viridiana, La Voie lactée, Tristana, Belle de jour, Le Journal d’une femme de chambre et même L’Age d’or, je ne me déplacerai plus jamais en salle, car je tiens rarement plus d’une demi-heure (même confortablement installé chez moi).

Même en matière de comique, genre que l’on pourrait croire le moins propice au respect du pari bazinien, puisqu’il est difficile de se forcer à rire quand cela ne vient pas, j’en fais usage. Ainsi, je persiste à vouloir croire que Jacques Tati réussira à m’amuser, un jour peut-être, ne serait-ce qu’un tout petit peu.

Dans une moindre mesure, vu que ce cinéaste n’est pas aussi idolâtré que les deux précédents, une autre fausse valeur : Roman Polanski, ce qui m’a été confirmé par son dernier film [son dernier film d’alors, Oliver Twist m’ayant a contrario beaucoup plû]. J’hésite à employer ce mot, qui paraîtra probablement excessif, mais au diable les précautions oratoires : j’ai été rétrospectivement scandalisé par les remerciements de Roman Polanski lorsqu’il a reçu la Palme, bien que je ne puisse les croire hypocrites, adressés aux Polonais. Car ces derniers sont, à proprement parler, relégués au rang de figurants dans son film [Le Pianiste], puisque, pour des raisons de prosélytisme (qui rejoignent les raisons commerciales des autres films adoptant ce parti pris), on n’entend pas un mot de leur langue (1). On n’entend pas plus de yiddish d’ailleurs, ce qui est tout de même on ne peut plus dommageable, vu le sujet et les intentions affichées par le réalisateur. Le désir d’obtenir un succès international l’a manifestement emporté sur le souci maniaque d’authenticité qui aurait habité Polanski, selon ce que claironnèrent les publi-reportages sur le tournage du film : « Avec Roman, […] il fallait que le pain soit exactement celui qu’il trouvait dans le ghetto, que les allumettes soient les mêmes, que le moindre détail de couleur ou de textures soit conforme à son souvenir. Il a fallu travailler pendant des jours pour que la marmelade ressemble enfin à celle qu’il souhaitait. Et comme en plus il possède une mémoire extraordinaire… » (d’après un témoignage recueilli par Pascal Mérigeau, Le Nouvel Observateur, n°1976, 19 septembre 2002). Ainsi, un acteur qui semble tout droit sorti d’une série américaine ou d’un film d’action de série B (Ed Stoppard) a-t-il été engagé. Il me semble qu’on entend en revanche un peu d’allemand, ce qui permet au moins de distinguer les Nazis des autres personnages, au risque, du même coup, que l’allemand apparaisse assimilée à la langue des Nazis, lesquels s’expriment dans un anglais "petit nègre" quand ils s’adressent aux Polonais (qui eux, je le rappelle, parlent parfaitement l’anglais), ce qui est parfaitement ridicule. Quant aux Russes qui apparaissent à la fin, je me souviens que cela m’avait également gêné, je ne sais plus trop pourquoi, tant les choix de Polanski rendent tout confus au lieu de simplifier les choses (2). Songez à La Cité des douleurs pour comparer.

   Beaucoup de critiques ont dit s’être facilement accommodés de ce qu’ils ont jugé être un défaut mineur du film ; défaut majeur pour moi, qui fut rédhibitoire puisqu’il m’a empêché de rentrer dans un film peut-être pas si mauvais que cela (mais certainement pas un chef-d’œuvre en tout cas). Il y a quelque ironie à lire ensuite sous la plume de Claude Berri que Roman Polanski lui aurait un jour déclaré : « La réussite d’un film dépend de tout ce que l’on n’a pas cédé » (Autoportrait, Éditions Léo Scheer, 2003, p.131). A contrario, Ararat, auquel il était facile de l’opposer, ce que l’on ne s’est pas privé de faire, en défaveur du film d’Egoyan la plupart du temps (je pense notamment aux « Cahiers du cinéma », sous la plume de Charles Tesson, puis d’un des rédacteurs des petites notules de fin de numéro), présentait au moins l’avantage (il en présentait bien d’autres à mon goût, au point qu’il aurait à mes yeux amplement mérité d’obtenir la palme) de donner à entendre tous les personnages dans leur propre langue, voire dans plusieurs pour certains (ainsi Arsinée Khanjian parle-t-elle aussi bien l’anglais que l’arménien et le français, mais on entend également de l’allemand dans le film, et peut-être du turc, il faudrait vérifier).

 

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24. Un cinéma national (ou une thématique ou un réalisateur ou un acteur...) qui, actuellement, vous passionne ?

La nudité, le sexe, la porno (comme disent les Québécois).

A propos de cette dernière, comme beaucoup, j’ai beau vouloir faire mienne les thèses de Jean-Pierre Bouyxou, telles qu’il les expose par exemple dans Une encyclopédie du nu au cinéma (Yellow now, p.304 : « (…) je ne vois pas au nom de quelle schlingante éthique un film où l’on suce, où l’on branle et où l’on baise serait plus négligeable qu’un film où l’on tire au flingue, qu’un film où l’on cause métaphysique ou qu’un film où l’on nage le crawl, merde alors ! »), je n’ai jamais vu de films pornographiques vraiment satisfaisants. Bien sûr, j’ai encore beaucoup à apprendre, mes connaissances en la matière étant assurément moins encyclopédiques que les siennes. Ou plutôt : elles ne sont quasiment qu’encyclopédiques, je veux dire livresques. J’adore lire tout ce qui concerne ce genre, y compris les âneries du père Baudis ou de la mère Kriegel (je rappelle au passage qu’en ce qui concerne la violence et les contre-sens à propos du travelling de « Kapo », le responsable en est Olivier Mongin, directeur d’Esprit), similaires à celles de l’abbé Bethléem ou de Daniel Parker. Mais mes quelques expériences de spectateurs m’ont déçu, malgré mes bonnes dispositions. C’est pourquoi je serais ravi de pouvoir regarder les grands classiques du genre ou ce qui se fait de mieux aujourd’hui, sans pour autant passer à l’acte, si je puis dire.

J’ai par exemple acheté d’occasion il y a quelques semaines la K7 de Mes nuits avec Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard (Michel Barny, 1975), « un des meilleurs films français du genre » selon Jean-Pierre Bouyxou (Op.cit., p.307) et beaucoup d’autres spécialistes. Je n’en ai toujours pas regardé la moindre image, de peur de devoir me dire : « Ce n’était donc que cela ! ? ». De même n’ai-je jamais regardé L’Empire des sens, enregistré il y a quelques années sur Arte.

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Mais peut-être ce type de rapport aux films pornographiques n’est-il en fin de compte pas si décevant ? ou plutôt, la déception ne peut-elle pas faire d’une certaine façon partie du plaisir ? ne peut-elle y participer ou le susciter ? De même en ce qui concerne les soi-disant films érotiques que M6 diffuse le dimanche soir. Comme toi aussi sans doute, ami lecteur, il m’est arrivé de zapper dessus en attendant que Christine Ockrent en ait fini avec son émission pour pouvoir démarrer l’enregistrement du « Cinéma de minuit ». J’ai été frappé par leur nullité, comme toi encore lecteur, à tel point que je me suis demandé si elle n’était pas fait exprès pour que le spectateur soit obligé de détourner le regard et d’imaginer autre chose que les misérables ébats qui se déroulent sur l’écran s’il veut s’exciter un peu, de la même façon que les titres de la presse de cul (Sextravagantes, Pur amateur, Satisfaction, Invitations, Cuir et Châtiment, Charnelles, Fresh Men, Bad Boys Videos, etc., l’un d’entre eux renvoyant d’ailleurs peut-être implicitement à cette problématique : La poudre aux rêves) sont bien plus émoustillants ou rigolos que leur contenu (ainsi que les titres des films pornos ou le résumé de leur intrigue, que, bizarrement, on ne trouve hélas pas dans Télérama).

Quoi qu’il en soit, je persiste à penser qu’il y a encore beaucoup à dire sur l’effet de sidération produit par le spectacle pornographique, pour expliquer aussi bien la prodigieuse attraction que la non moins intrigante répulsion (plus grand hommage rendu à sa puissance, soit dit en passant) qu’il provoque, envers et revers d’une même fascination.

  À mon sens, la meilleure description du phénomène demeure littéraire. L’auteur en est Annie Ernaux, au tout début d’Une passion simple (note à l’éditrice : je n’ai pas le cœur de couper une page de littérature ; aussi, si vous le jugez nécessaire pour des raisons de place, ne reproduire ce passage qu’à partir de « On s’habitue certainement à cette vision… ») :
  « Cet été, j’ai regardé pour la première fois un film classé X à la télévision, sur Canal +. Mon poste n’a pas de décodeur, les images sur l’écran étaient floues, les paroles remplacées par un bruitage étrange, grésillements, clapotis, une sorte d’autre langage, doux et ininterrompu. On distinguait une silhouette de femme en guêpière, avec des bas, un homme. L’histoire était incompréhensible et on ne pouvait prévoir quoi que ce soit, des gestes ou des actions. L’homme s’est approché de la femme. Il a eu un gros plan, le sexe de la femme est apparu, bien visible dans les scintillements de l’écran, puis le sexe de l’homme, en érection, qui s’est glissé dans celui de la femme. Pendant un temps très long, le va-et-vient des deux sexes a été montré sous plusieurs angles. La queue est réapparue, entre la main de l’homme, et le sperme s’est répandu sur le ventre de la femme. On s’habitue certainement à cette vision, la première fois est bouleversante. Des siècles et des siècles, des centaines de génération et c’est maintenant, seulement, qu’on peut voir cela, un sexe de femme et un sexe d’homme s’unissant, le sperme – ce qu’on ne pouvait regarder sans presque mourir est devenu aussi facile à voir qu’un serrement de mains.
  » Il m’a semblé que l’écriture devrait tendre à cela, cette impression que provoque la scène de l’acte sexuel, cette angoisse et cette stupeur, une suspension du jugement moral. »

 

25. Un réalisateur préféré ? Et dans son œuvre, un film favori ? Et dans ce film, une scène ?

Alfred Hitchcock ; Vertigo ; la scène finale.

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26. Un livre écrit par un réalisateur, un acteur, un technicien, un historien du cinéma, un critique ? Étude ? Essai ? Compilation ?

Tout d’abord deux livres que j’aurais mentionnés même si l’opportunité ne s’en faisait pas autant sentir en ce moment [i.e. la croisade Dominique Baudis, alors Président du Conseil supérieur de la télévision, contre la diffusion de films pornographiques] :

- Éloge de la pornographie, d’Olivier Smolders, que l’on trouve, ô ironie, à la bibliothèque municipale de Versailles, dont je précise, pour montrer son orientation ou son ouverture d’esprit (comme on voudra dire), qu’elle reste abonnée à L’Action Française et à Présent, au grand dam de beaucoup de lecteurs qui expriment régulièrement leur indignation dans les cahiers de doléances de la bibliothèque (ce qui me ravit au plus haut point) ;

- Une encyclopédie du nu au cinéma.

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Le Hitchcock / Truffaut : désolé pour les férus d’originalité.

Enfin, le recueil des textes du fondateur de la critique de cinéma en France (1916), le critique d’art Émile Vuillermoz, que j’ai préparé cette année et qui paraîtra quand j’aurai trouvé un éditeur motivé [à paraître en 2008 dans la collection « Les Temps de l’image », dirigée par Pierre Lherminier, chez L’Harmattan].

 

27. Vous vous souvenez d'applaudissements spontanés entendus au cinéma à l'issue d'un film ? Lequel ?

Chantons sous la pluie. Pendant le cours même du film, au Racine Odéon, les spectateurs se levaient pour applaudir, chaque scène faisant office de clou du spectacle.

Non, ou la vaine gloire de commander. J’ai vu ce film au MK2 Vavin, près de Montparnasse, dans une salle remplie de Portugais. Ils ne cessaient de rire et d’applaudir aux malheurs des figures historiques de leur pays et aux événements tragiques qu’il a connus, tandis que je restais imperméable à l’humour du film en raison de mes trop faibles connaissances de la langue, de la culture, de l’histoire portugaises. Aussi cette séance reste-t-elle un grand souvenir bien que je n’aie pu apprécier le film faute d’une compréhension réelle (bien que je pense avoir compris le projet). On rêverait bien sûr d’un tel film pour la France, qui parcourrait son histoire d’Alésia à Diên Biên Phu, en passant par Waterloo.

 

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Une troisième forme de manifestation du public que je n’oublierai pas de sitôt : le grand soupir d’admiration provoqué par la scène du Bossu où Marie Gillain laisse glisser ses vêtements et plonge dans une rivière. J’ai regardé derrière moi et ai pu vérifier que les spectateurs les plus ébahis par ce somptueux postérieur n’étaient pas de jeunes vicieux (sans doute dois-je me ranger dans cette catégorie) ou des vieillards libidineux, mais des dames tout ce qu’il y a de plus comme il faut.Marie-Gillain---Le-Bossu---4.jpg

 

 

28. Un dernier plan inoubliable ?

Stalker.

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29. Une devise cinématographique, un titre par exemple, ou mieux encore, un titre détourné ?

Une devise qui ne provient pas d’un film, mais de Montaigne : « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »

 

30. Y a-t-il une question que vous auriez aimé que l'on vous pose ?

Il y en beaucoup que je n’aurais pas aimé que l’on me pose ; je ne vous dirai pas lesquelles.

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Compléments :

(1) (14 décembre 2011) : Dans un article du New-York Times traduit et reproduit dans Le Figaro du 9 décembre 2011 (supplément, p.7, « Cinéma : un conte de l'héroïsme ordinaire, en plein Holocauste »), Larry Rohter écrit que l'une des raisons pour lesquelles s'est dissipée la réticence d'Agnieszka Holland à réaliser un troisième film sur l'Holocauste (In Darkness, sorti aux USA le 8 décembre, sur les écrans européens début 2012), après Amère récolte et Europa Europa, est qu'elle a « voulu fournir une correction à ce qu'elle décrit comme "plusieurs films sur l'Holocauste que j'ai regardés ces dernières années et que j'ai trouvé très faux, que ce soit du point de vue artistique ou humain". Elle n'a pas souhaité les nommer mais, d'une façon générale, elle affirme que lorsque les acteurs parlent anglais, par exemple, "à certains égards, cela devient conventionnel : ce n'est pas réel, nous jouons, c'est tout". »

(2) (24 septembre 2010) : Lu dans Le Monde du 15 septembre 2010 (p.22), à propos du Miral de Julian Schnabel : « Il n'est pas un piège de la reconstitution historique dans lequel ce pensum ne tombe pas. Saviez-vous par exemple qu'entre la Méditerranée et le Jourdain tout le monde parle la même langue, l'anglais ? » Comme l'a écrit Alain Soral (Jusqu'où va-t-on descendre ?, 2002, p.209), à propos de déclarations antisémites de Jean Renoir exhumées par Henri Jeanson (Jeanson par Jeanson 2000, p.460) : « Pourquoi à certains est-il toujours tout pardonné ? » Idem à propos du Cheval de guerre de Spielberg, auquel le même genre de reproches ont été faits (par Danièle Heyman, si mes souvenirs sont bons, au "Masque et la Plume" du 4 mars 2012 ; par Serge Kaganski dans Les Inrockuptibles ; par Pascal Mérigeau, sur un mode ironique, dans le n°2468 du Nouvel Observateur, 23 février 2012, p.110 : « Les mieux disposés à son égard admettront peut-être cependant qu'un cheval, aussi attachant soit-il, si aimé des personnages que pour lui ils poussent la complaisance jusqu'à renoncer à l'allemand, au français, pour ne parler que l'anglais, ne peut susciter en eux l'émotion que seules à l'écran les destinées humaines font naître. »).