En complément au billet « De l'horrible danger des lectures... cinématographiques ? », dans lequel est posée « la question de possibles écrits subversifs (ou se croyant tels, parfois...) sur le cinéma », je reproduis ci-dessous un petit texte de mon cru, qui dérangea légèrement et passagèrement le petit monde de la critique parisienne. Il s'agit du compte rendu d'un ouvrage, publié par le syndicat de la critique (sous la direction de Michel Ciment et Jacques Zimmer) en 1997, sur l'histoire et la situation de la critique de cinéma en France, que les Cahiers du cinéma avaient trouvé trop virulent pour être publié sans être allégrement caviardé (dans leur « Courrier des lecteurs », qui plus est, afin de ne pas en assumer la responsabilité).
Critiques, encore un effort si vous voulez sortir de l'amnésie
Par le titre qu'il a choisi de donner à l'article qu'il consacre, dans le numéro 515 des Cahiers du Cinéma (juillet-août 1997, p.4-5), à La critique de cinéma en France. Histoire. Anthologie. Dictionnaire, livre publié aux éditions Ramsay en avril 1997, sous la direction de Michel Ciment et Jacques Zimmer, Vincent Ostria se réclame explicitement du célèbre article de François Truffaut. En dénonçant « une certaine intendance de la critique française », il entend manifestement rejouer la scène du jeune critique audacieux qui ose s'en prendre aux encombrants grognards de la profession pour leur dire leurs quatre vérités. La virulence de ses attaques et le ton enjoué qu'il adopte donnent à son texte une allure de pamphlet qui tranche avec la tiède complaisance avec laquelle l'ouvrage a été accueilli par la presse. Malheureusement, Vincent Ostria semble ignorer que ce genre ne tolère ni l'improvisation, ni l'approximation, et, s'il rue lui aussi dans les brancards, c'est, faute d'être suffisamment informé sur la question traitée, le plus souvent à ses propres dépens. Dans un article paru dans la revue Cinémathèque (n°4, automne 1993), Antoine de Baecque a montré à quel point le manifeste de François Truffaut n'avait rien du brûlot hâtivement rédigé à coups de formules péremptoires. Les siennes frappaient fort et juste parce qu'elles avaient été longuement mûries et ciselées, et non éructées dans la précipitation. Il est bien regrettable que Vincent Ostria ne fasse pas preuve du même talent et de la même rigueur.
Il ne saurait être question pour nous de défendre à leur place les auteurs de l'ouvrage incriminé, tâche que, gageons-le, ils seront prompts à accomplir. Nous nous limiterons à leur soumettre quelques remarques sur leur façon d'envisager l'histoire de leur corporation et sur la curieuse vision qu'aussi bien eux-mêmes que Vincent Ostria s'en font.
Ce qui frappe d'abord, à la lecture de l'article de Vincent Ostria, est l'aplomb avec lequel il s'avoue totalement ignorant du sujet dont traite un livre qu'il critique pourtant sans retenue. Plus paradoxalement encore, bien que très sévère à son égard, il se fonde sur ce qu'il a lu dans ce livre pour porter des jugements sur l'histoire de la critique aussi définitifs (du genre : « il est clair que... ») qu'ineptes. A le lire, il aura fallu attendre les années 1930 pour qu'enfin, avec Pierre Bost et Roger Leenhardt, une critique digne de ce nom apparaisse et fasse oublier les « médiocres littérateurs » qui, auparavant, « discour[aient] distraitement » à propos du cinéma. Tant d'insuffisance, qui va de pair avec beaucoup de suffisance, laisse perplexe : résulte-t-elle d'une lecture superficielle de l'ouvrage ou des énormes lacunes de ce dernier ? Les deux hypothèses ne s'excluent nullement l'une l'autre, mais la seconde suffirait à expliquer l'ignorance de celui qui se contente de cette source pour se croire habilité à discourir sur l'histoire de la critique.
L'apport historique de La critique de cinéma en France est, en effet, pour peu que nous puissions en juger, plus que décevant. Vincent Ostria parle à son propos d'érudition, qu'il s'empresse bien entendu de juger « rébarbative », cliché qui relève d'un infantilisme d'esprit que même le si décrié magazine concurrent Première ne se permettrait pas. Il est assez pénible de devoir rappeler dans ces colonnes que l'érudition n'a rien de méprisable. En outre, regretter qu'un livre d'histoire « répond[e] à des préoccupations d'historiens » n'est pas seulement paradoxal mais tout simplement stupide. L'érudition nous semble en tout cas nettement préférable à la déplaisante ignorance joyeusement satisfaite à laquelle la jeunesse ne saurait servir d'excuse. De plus, comment peut-on juger de l'érudition dans un domaine que l'on dit méconnaître (ce dont, qui plus est, on se vanterait presque) ?
Le plus grave à nos yeux est que cette attitude, pour le moins légère, rejoint celle des responsables de La critique de cinéma en France. N'ont-ils pas procédé un peu de la même façon en confiant la rédaction du chapitre le plus délicat du point de vue historique, celui qui porte sur les origines de la critique cinématographique, à un auteur qui se présente comme un historien tout en se dispensant justement des tâches, certes rébarbatives, mais indispensables à toute recherche historique ? Contrairement à ce que croit Vincent Ostria, il convient de reprocher à leur ouvrage non d'être trop érudit mais bien plutôt de ne pas l'être assez. Certes, il présente toutes les apparences de l'étude historique la plus rigoureuse. Il n'est cependant pas nécessaire d'être particulièrement savant pour se rendre compte que la marchandise est, à bien des égards, trompeuse, sinon avariée. Mais de cela, Vincent Ostria ne se préoccupe sans doute pas beaucoup. Il voudrait y trouver ce que les auteurs n'ont pas voulu y mettre, et par là même se trompe de cible en leur reprochant de n'avoir pas écrit « un plaidoyer » ou « une analyse en profondeur du rôle de la critique », c'est-à-dire un livre sur les conditions d'exercice et les raisons d'être de la critique aujourd'hui, et non tout au long de son histoire.
Car la critique de cinéma faisant retour sur son histoire, le fait est trop rare pour ne pas être salué comme un événement. Cette volumineuse synthèse, « sans équivalent » selon ses auteurs, entendait « rendre compte de la critique de cinéma telle qu'elle s'exerce dans ce pays depuis près de quatre-vingts ans ». Dans la présentation promotionnelle de leur ouvrage à France Info, l'un de ses deux principaux responsables, Michel Ciment, soulignait qu'il s'agissait d'une œuvre collective, le nombre très élevé de collaborateurs étant sans doute censé garantir l'exhaustivité et le sérieux de l'entreprise. On regrettera, pour notre part, qu'il ait surtout favorisé l'hétérogénéité des approches entre les différents collaborateurs.
Michel Ciment tenant à insister (toujours dans la présentation de l'ouvrage à France Info) sur sa dimension historique, on comprend mal que la première partie soit uniquement consacrée à « un survol » de l'histoire de la critique (avant-propos, p.7). Les remarques suivantes visent donc surtout à mettre en garde les critiques contre les dangers de superficialité que fait courir un tel « survol » à leur louable tentative de rétrospection. Précisons d'emblée, pour éviter tout malentendu, qu'elles concernent principalement les pages consacrées à la critique cinématographique française des années 1895-1930. Mais les insuffisances criantes qui les caractérisent nous semblent rejaillir défavorablement sur l'ensemble de l'ouvrage - qui, par ailleurs, rendra de grands services - au risque de le discréditer, peut-être injustement. Ne serait-il pas plus que temps que la critique se penchât attentivement sur ses débuts plutôt que de continuer à célébrer inlassablement l' « âge d'or » des années 1950-1960 ? Il est d'autant plus dommage que l'occasion n'ait pas été saisie pour revisiter l'histoire des origines qu'un effort méritoire pour étendre l'investigation aux années 1930 et 1940 tranche avec la présentation traditionnellement admise d'une critique née du bouillonnement cinéphilique de l'après Seconde Guerre.
Les critiques ayant toujours été soucieux de promouvoir la liberté de jugement, ce qui les amena si souvent à reprocher aux cinéastes et producteurs de rechigner à soumettre leurs films au libre examen critique, ils accepteront sans doute bien volontiers qu'un étranger à leur corporation s'immisce dans leurs petites querelles et que leur production fasse à son tour l'objet de quelques menues réserves.
Les premières portent justement sur la reprise par les critiques de cinéma de cette pratique bien connue des fabricants de films - pratique si décriée par les critiques, qui, eux, sont forcément indépendants - qui consiste à vanter soi-même sa marchandise. On est jamais si bien servi que par soi-même : telle semble également leur devise. Comme l'a déploré Vincent Ostria à juste titre, cela donne au dictionnaire des critiques, qu'ils proposent en troisième partie, une allure assez déplaisante d'auto-promotion, nullement camouflée d'ailleurs et presque revendiquée, ce qui ne la rend pas moins antipathique. N'y a-t-il pas quelque impudence à confier aux critiques eux-mêmes la rédaction des notules concernant leurs collègues ou camarades, les rédacteurs des Cahiers et de Positif, en particulier, se dorant complaisamment la pilule les uns les autres ? On comprend bien, vu l'importance qu'ils se reconnaissent, que les nombreux responsables et collaborateurs de cet ouvrage aient tenu à figurer en bonne place dans leur dictionnaire. Et Michel Ciment a beau jeu de déclarer que « réalisé par des critiques », leur ouvrage « ne pouvait en aucune façon adopter un point de vue polémique à l'égard de confrères » (1). Mais n'aurait-il pas été opportun de prendre exemple sur « Le Monde des Livres », publication qui a choisi, elle aussi, de ne pas garder le silence sur les ouvrages de ses collaborateurs, mais qui, au moins, a la décence de demander à des intervenants extérieurs d'en rendre compte ? La pratique adoptée ici, pour courante qu'elle soit dans d'autres milieux, surprend de la part de critiques de cinéma, car elle porte un rude coup à leur corporation et à ses revendications d'indépendance. De quelle légitimité pourront-ils ensuite se prévaloir pour stigmatiser les pratiques d'un Bernard-Henri Lévy, qui refuse de voir son film jugé par quiconque ne serait pas son ami ? Tout cela donne à cet ouvrage un caractère de présentation officielle de la critique et de son histoire par elle-même, « sous l'égide du Syndicat français de la critique de cinéma » et sous la direction de son président (page de titre), que Vincent Ostria n'a pas eu tort de moquer.
De plus, certains choix éditoriaux nous semblent bien discutables, notamment en ce qui concerne l'équilibre entre les différentes périodes étudiées. Les responsables de l'entreprise ont délibérément privilégié le retour sur la période récente, et notamment sur les Cahiers du cinéma et Positif (une quarantaine de critiques ayant écrit dans cette dernière revue figurant dans le dictionnaire), au détriment de la recherche sur les périodes moins connues de la critique cinématographique en France, et plus particulièrement sur la naissance de celle-ci. Contrairement à Vincent Ostria, qui s'émeut de l'absence de critiques de moins de trente-trois ans (à propos de laquelle les auteurs s'expliquent page 267, en caractères gras), c'est la faible représentation des critiques de plus de cent ans qui nous étonne, car il y en a, et non des moindres. Ni Émile Vuillermoz, ni Lucien Wahl, ni Jean-Louis Croze, ni Pierre Scize, ni Paul Ramain, ni André Lang et autres grands précurseurs de la critique n'ont ainsi droit à une notule dans le dictionnaire. Car celui-ci privilégie logiquement, mais un peu négligemment à notre goût, les critiques des années 1920-1930 qui ont fait l'objet de publications (Alexandre Arnoux, Philippe Soupault, André Delons, Claude Aveline (2), etc.) au détriment de ceux qui n'ont pas eu cette chance. Par ailleurs, pourquoi faire figurer Georges Duhamel dans un dictionnaire des critiques de cinéma ? Et pourquoi pas Pie XI, dont une encyclique de 1936 est très critique envers le cinéma ? Avoir écrit sur le cinéma suffit-il à faire de quiconque un critique de cinéma (3) ? Georges Duhamel ne semble avoir été placé là que pour montrer que, certes, de nombreux écrivains, parfois très prestigieux, se sont intéressés au cinéma (ce qui permet à nos amis critiques de se sentir bien entourés), mais que d'autres n'ont pas été aussi clairvoyants que tout ce beau monde.
Il nous semble également que les années 1960, qui correspondent aux débuts dans la critique des principaux concepteurs du projet, sont surreprésentées : onze textes de l'anthologie, sur quarante-cinq, contre seulement neuf pour toute l'avant-Seconde Guerre mondiale - dont quatre, soit un sur dix, pour la période du muet (deux d'entre eux ayant, en outre, été publiés en 1928-1929) ! - ; aucun essai sur la critique antérieur à 1947, deux essais antérieurs à 1960 ; etc. Certes, les textes sur la critique cinématographique furent probablement moins nombreux avant-guerre qu'après, et leur accès est assurément moins aisé. Mais, de ce fait même, l'article de Lucien Wahl paru en 1925 (d'ailleurs cité page 142), ou quelques-unes des réponses à l'enquête sur la critique cinématographique menée dans les années 1920 par Léon Moussinac pour L'Humanité, ne méritaient-ils pas, par exemple, d'être reproduits ?
En résumé, quatre critères principaux de sélection des critiques figurant dans le dictionnaire (et, dans une moindre mesure, dans l'anthologie) semblent avoir guidé ses responsables :
- faire partie des collaborateurs de l'entreprise ;
- avoir écrit aux Cahiers, à Positif, à La Revue du cinéma / Image et son, ou, à tout le moins, faire partie des petits carnets du Syndicat français de la critique de cinéma ;
- avoir été publié ;
- être une personnalité littéraire.
Les absences déjà signalées vont dans le même sens que le choix de consacrer des chapitres très développés aux périodes les plus récentes et rebattues de cette histoire et seulement un chapitre maigrelet à la période la plus méconnue : une quinzaine de pages, la plupart hors sujet, pour les années 1895-1930 ; un peu plus d'une vingtaine de pages pour les années 1930 et l'Occupation ; trente-deux pages pour les années 1944-1958 ; treize pages pour les années 1960 ; dix pour les années 1970 ; sept pour les quinze dernières années.
Plutôt que de nous disperser et de diluer notre propos, nous concentrerons notre attention sur le chapitre de loin le plus discutable à nos yeux. Il s'agit du premier chapitre, consacré à la période 1895-1930, c'est-à-dire aux origines de la critique, ou plutôt celui qui aurait dû l'être. Au lieu de cela, nous est proposée une synthèse de quelques travaux, qui commencent à dater sérieusement pour le premier (René Jeanne et Charles Ford, Le Cinéma et la presse (1895-1960) : 1961), et même pour le deuxième (série d'articles publiés par Christian Bosséno dans La Revue du Cinéma / Image et Son : 1979-1980). Claude Beylie « tient à [leur] rendre hommage » (p.13, note 1), ce qui est la moindre des choses tant son propre texte leur est redevable.
Notons pour commencer que ce chapitre ne traite pas vraiment le sujet, ce qui ne saurait surprendre puisque aucun des travaux cités et compilés ne portent vraiment sur la question, deux d'entre eux (les plus récents, celui de Christian Bosséno, et ceux d'Emmanuelle Toulet et Henri Bousquet, parus dans la revue italienne Immagine) s'étant attachés à répertorier les revues de cinéma - et non les critiques - de l'ère du muet. Il en est de même en ce qui concerne l'article publié par Claude Beylie dans le numéro 69 (4ème trimestre 1993) de la revue CinémAction sur « les revues de cinéma dans le monde », dont nous est refourguée ici une nouvelle mouture à peine remaniée. Pourquoi donc s'attarder si longuement sur les revues de cinéma si c'est pour constater que la part critique y était très faible ? Rappelons par exemple que Cinéa, l'une des plus prestigieuses revues de l'époque, fondée au début des années 1920 par Louis Delluc, l'ancêtre vénéré, ne comprenait pratiquement pas de critique de films. En revanche, on n'hésitait pas à faire figurer en couverture de deux numéros parus en 1922 (n°50 et 69-70) l'actrice Eve Francis dans La Femme de nulle part, femme, muse et film du rédacteur en chef. Nous n'ignorons pas que la critique de cinéma ne saurait se limiter à la critique de films, mais il est tout de même étrange que cette dernière soit tout juste évoquée par Claude Beylie.
Ce dernier, si prolixe sur les revues et les livres de cinéma des années 1920, reste par contre bien flou sur la naissance de la critique dans la presse non spécialisée. Et pour cause : il ignore les travaux les plus récents et de loin les plus novateurs sur le sujet, ceux de Richard Abel (4) surtout, ainsi que la thèse de Nourredine Ghali (5). Bref, on est en droit de se demander, comme nous le faisions plus haut, pourquoi les responsables de cet ouvrage ont choisi de confier la rédaction de ce chapitre à un « historien »
- qui admet ne travailler qu' « à partir de travaux de seconde main » (p.13),
- qui s'est dispensé d'éplucher les collections de revues de cinéma, ce qui l'amène à n'émettre que des suppositions sur leur contenu (p.14),
- qui renonce à se lancer dans des recherches qui lui paraissent si difficiles qu'il préfère les prétendre impossibles (p.16),
- qui se contente de publier « la liste des principaux titulaires de rubrique cinématographique dans les journaux français » (p.17), « sans plus de commentaires », et en omettant surtout de préciser qu'il serait bien en peine de la commenter, car l'annuaire dans lequel il l'a recopiée ne s'en est pas chargé pour lui,
- qui lance un « appel aux chercheurs » (p.18), ce qui sous-entendrait, avec une certaine franchise (ainsi qu'un à-propos) dont on lui saurait gré, que lui-même ne se considère peut-être pas comme tel.
On ose espérer que les autres chapitres de la première partie (« Histoire ») de La critique de cinéma en France, ainsi que le dictionnaire des critiques qu'il propose, dont nous laissons à d'autres le soin d'évaluer plus précisément l'apport, n'encourent pas, eux aussi, le reproche que Claude Beylie ose faire à un livre de Léon Moussinac (p.24) : « [des] pages écrites à la va-vite ». Au moins traitent-ils véritablement le sujet. Cependant, plusieurs notules du dictionnaire n'incitent guère à l'optimisme. Ainsi, certaines invraisemblances manifestes n'ont pas choqué outre mesure les responsables de l'entreprise. Deux exemples : Louis Chauvet commença-t-il vraiment à écrire dans Le Temps à partir de 1920, c'est-à-dire à 14 ans, si sa date de naissance est bien 1906 (p.305) ? René Jeanne commença-t-il vraiment à écrire dans Cinémagazine en 1919 (p.344), ce qui relèverait de l'exploit puisque cette revue ne fut lancée que deux ans plus tard ? On nous rétorquera sans doute que, sur la masse d'informations fournies par ce volume, il est aisé de repérer quelques coquilles, négligences ou imprécisions. L'objection serait recevable si ce n'était la méthode qui était en cause et non quelques lacunes ou erreurs de détail. Car d'où proviennent, par exemple, les nombreuses bourdes figurant dans la notule consacrée à René Jeanne ? Elles ont tout simplement été recopiées dans un Annuaire biographique du cinéma et de la télévision (daté 1953-1954) dont le moins qu'on puisse dire est qu'il conviendrait de ne s'en servir qu'avec le plus de précautions possible.
« Ces volumes peuvent encore être consultés, mais avec une vigilance critique, qui a insuffisamment guidé les auteurs » : tel est le jugement, tout à fait juste au demeurant, que porte Philippe d'Hugues sur l'Histoire encyclopédique du cinéma que René Jeanne écrivit avec Charles Ford. Il est regrettable que la leçon n'ait pas été retenue et que ce volume, La critique de cinéma en France, ait été concocté si hâtivement que la masse de renseignements fournies ne compense pas leur manque de fiabilité, ainsi que les choix éditoriaux discutables qui présidèrent à l'ensemble.
Notes : (1) Entretien donné au Nouvel observateur, « Sans la critique, le marketing triompherait », 30 avril-6 mai 1997, p.109.
(2) Notons au passage que l'étonnement de Vincent Ostria de voir figurer Claude Aveline dans l'anthologie proposée par La critique de cinéma en France montre que, s'il a bien perçu l'objectif poursuivi (« s'ériger un rempart de respectabilité »), il n'a manifestement pas compris comment avait été édifié l'ouvrage.
(3) Contrairement à ce qu'affirme la déclaration d'intention de la page 267, figurent dans le dictionnaire des historiens, des théoriciens et des écrivains n'ayant pas, à proprement parler, pratiqué la critique de films.
(4) Voir le chapitre « The Beginnings of a French Criticism », dans la troisième partie de French Cinema. The First Wave. 1915-1929 (Princeton University Press, 1984), et le premier volume (1907-1929) de French Film Theory and Criticism. A History / Anthology (Princeton University Press, 1988).
(5) L'Avant-garde cinématographique en France dans les années vingt. Idées, conceptions, théories, Editions Paris Expérimental / Librairie du premier siècle du cinéma, 1995, 438 p.
(6) Sont également sujettes à caution les dates concernant la collaboration de René Jeanne au Petit Journal (sans doute 1921, plutôt que 1919) et à Candide (vraisemblablement 1925, plutôt que 1927).
PS : une petite trentaine de notes complémentaires, écrites depuis la première version de cet article proposée aux Cahiers du cinéma, seront présentées en annexe de la thèse sur Émile Vuillermoz et la critique de cinéma que je rédige actuellement.
En complément, la lettre que j'ai envoyée le 7 octobre 1997 au directeur des Cahiers du cinéma, suite à la parution d'extraits caviardés et réécrits de cet article dans leur « Courrier des lecteurs » :
Monsieur le Directeur de la publication,
C'est avec surprise que j'ai découvert mon nom en bas de la page 7 du numéro d'octobre 1997 des Cahiers du cinéma. Je me suis senti, vous pensez bien, très honoré de figurer dans votre revue, jadis prestigieuse. M'avisant de relire les lignes qui précédaient mon nom et qui justifieraient ma signature, j'ai cru reconnaître quelques lambeaux d'un texte que j'avais adressé à l'un de vos rédacteurs.
Il serait bien naïf de ma part de venir me plaindre de voir ainsi mon texte défiguré. Je n'ignore pas, en effet, que l'usage veut que toute revue se réserve le droit de publier les textes qui lui sont adressés avec autant de coupures que bon lui semble. Mais, dans la mesure où elles ont été effectuées sans me consulter, sans être systématiquement signalées et de telle manière que je ne reconnais presque plus le texte original, assez cependant pour constater que l'esprit en a été trahi, pourriez-vous avoir l'obligeance de préciser dans un prochain numéro des Cahiers du cinéma - deux ou trois lignes suffiraient amplement - que je n'entends pas être tenu pour responsable du papier que vous avez publié et que je ne l'aurais jamais signé si l'on m'avait averti de la forme sous laquelle il paraîtrait ?
Je récuse l'idée selon laquelle présenter comme une lettre la proposition d'article que je vous avais adressée vous autorisait à lui infliger n'importe quel traitement. Les altérations que vous lui avez fait subir vous paraissaient peut-être bénignes. Il n'en est rien à mes yeux, d'autant que certaines me compromettent puisque, par exemple, Claude Beylie se trouve mis en cause de façon allusive et sans aucune raison apparente, toute l'argumentation justifiant la critique de sa contribution à l'ouvrage du Syndicat de la critique ayant été supprimée.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sincères salutations.
Pascal Manuel Heu