Les Rois du désert passe en ce moment sur Canal + Cinéma (prochaines diffusions mercredi et jeudi). Voici l’analyse que j’ai proposée sur ce film dans un ouvrage collectif publié par la Commission Française d’Histoire Militaire et l’Institut de Stratégie Comparée en 2006 (Le Cinéma et la guerre, dir. Hervé Coutau-Bégarie / Philippe d’Hugues, Paris, Éditions Economica, p.177-184).
Au début de l’année 2003, alors que le débat sur la légitimité de la guerre annoncée par les Etats-Unis d’Amérique contre l’Irak battait son plein, George Clooney se rangeait du côté des stars hollywoodiennes opposées à l’escalade militaire. Dans un entretien publié par l’hebdomadaire français Télérama, il se disait en outre très fier d’avoir tourné un film consacré à la première guerre du Golfe, Les Rois du désert, réalisé en 1999 par David O. Russell (également auteur du scénario, à partir d’une histoire de John Ridley). Pourtant, ce film n’a pas rencontré dans son pays le succès qu’aurait pu drainer le seul nom de l’acteur et, dans une moindre mesure, les noms de ses partenaires (Mark Wahlberg, mannequin vedette et futur premier rôle de La Planète des singes ; Ice Cube, chanteur de rap célèbre ; Spike Jonze, acteur comique et futur réalisateur de Dans la peau de John Malkovich), ainsi que le genre auquel il appartient (un film de guerre traité en comédie dramatique). La critique de l’interventionnisme américain ne serait-elle donc plus admise au cinéma, comme au temps du triomphe de M.A.S.H., auquel on ne cesse de comparer Les Rois du désert ? Ou faut-il plutôt attribuer cette différence de réception au traitement même que les deux films font subir à l’armée américaine ? Ces films ont en effet pour caractéristique commune de montrer l’armée américaine sous un jour assez peu reluisant.
Le ressort dramatique des Rois du désert est si classique dans le cinéma américain que l’on pourrait le résumer en rapprochant deux titres de films, Take the money and run et Detour : un ou plusieurs bandits ou escrocs fomentent un plan pour rafler une grosse somme d’argent et organisent leur fuite ; un ou des imprévus surviennent qui remettent tout en cause, les protagonistes subissant en fin de compte l’action au lieu de la contrôler. L’originalité du scénario de David O. Russel est de transposer ce schéma narratif dans un film de guerre : comment des militaires américains, bien plus préoccupés par leur intérêt matériel que par leur mission, se trouvent embarqués, de par leur propre faute, dans une aventure dont ils se montrent incapables de contrôler le cours. Les soldats américains perdent ici progressivement leur assurance légendaire et sont dominés par un sentiment d’instabilité, d’incertitude (quant à l’identité de leurs ennemis, quant à leurs motivations, quant à l’attitude à adopter, etc). Il était particulièrement audacieux de le faire à propos d’une guerre non seulement présentée comme "juste" par ses instigateurs (quelle guerre ne l’a pas été ?), mais qui fut qui plus est victorieuse et dont on peut penser qu’elle a été maîtrisée de bout en bout par les stratèges et soldats américains. Il n’est dès lors guère étonnant que cette volonté de démystification de l’héroïsme américain n’ait pas rencontré tous les suffrages aux Etats-Unis.
Cependant, au fur et à mesure que la seconde guerre du Golfe devenait de plus en plus probable, puis certaine, Les Rois du désert, qui rencontra un succès mitigé lors de sa sortie (aussi bien auprès de la critique que du public) (1), prenait une nouvelle dimension. Les chaînes françaises ne s’y sont pas trompées, TPS Star et France 3 l’ayant diffusé opportunément, en février 2003 pour la première, le 29 mai pour la seconde. Parallèlement, le forum de la plus célèbre encyclopédie en ligne sur le cinéma, l’Internet Movie Data Base (I.M.D.B.), montre que l’intérêt pour le film de David O. Russell s’est maintenu tout au long de l’année 2002, alors même qu’il était sorti partout dans le monde depuis deux ou tr
ois ans déjà. Le nombre de textes déposés sur le site à propos de Three Kings (2) est très proche pour 2002 et 2001 (trente-quatre pour 2002, quarante-cinq pour 2001, dont quinze pour le seul mois de janvier). Après un net ralentissement en décembre 2002 et janvier 2003 (un seul en deux mois), Three Kings a de nouveau suscité l’intérêt des cinéphiles internautes, dix commentaires étant déposés en février et mars, quatre en avril et mai, six en juin (3). Il n’est dès lors pas surprenant de constater que Three Kings, bien que consacré à la première guerre du Golfe, en est venu à nourrir la réflexion et les discussions sur la seconde. Comme le remarque un internaute de Hambourg, « contrairement à beaucoup de films de guerre précédents », « le scénario n’est pas datée quelques semaines après la réalisation du film, mais reste pertinent au point que la fiction, la satire délibérée devient réalité. Non qu’un film puisse influencer les décisions politiques, mais n’est-il pas amusant que tout ce que l’on voit dans Three Kings soit rejoué pour de vrai dans les déserts du Moyen Orient ? » (4).
On se souvient que M.A.S.H. avait eu une résonance particulière dans l’opinion au début des années 1970 alors que l’action était située durant la guerre de Corée, c’est-à-dire les années 1950. Mais il était évident, aussi bien pour les auteurs du film que pour les spectateurs, ainsi que pour le Jury cannois qui lui attribua la Palme d’or, que l’impact du film tenait à l’écho de la guerre du Vietnam. Dans le cas des Rois du désert, il va de soi que le film peut faire l’objet d’une lecture qui ne prendrait en compte que la première guerre du Golfe. Mais, d’une part, il a été réalisé bien après et traite finalement plus des causes et des conséquences de la guerre que de la guerre elle-même. D’autre part, il a été réalisé alors que le conflit avec l’Irak n’avait pas vraiment cessé puisqu’il avait pris la forme d’un blocus économique et de bombardements anglo-américains périodiques sur certaines zones du pays.
L’action des Rois du désert se situe en mars 1991, juste après l’accord de cessez-le-feu consécutif à la victoire des alliés en Irak. Les troupes américaines ne se préoccupent plus que de faire la fête et leurs chefs de « vendre les sujets qu’on veut » « pas ceux qu’on ne veut pas » à la presse, représentée ici par une journaliste de la chaîne "NBS" (Adriana Cruz, interprétée par Nora Dunn). À un supérieur qui lui reproche de se divertir avec une autre journaliste au lieu de songer à ses responsabilités, le Major Archie Gates (interprété par George Clooney) répond qu’il n’a jamais voulu ce travail et qu’il ne sait même pas ce qu’ils sont venus faire en Irak. Quand il met la main sur une carte confisquée à un prisonnier irakien, persuadé qu’elle indique dans quel bunker irakien ont été cachés des lingots d’or volés aux Koweïtiens, c’est donc sans le moindre scrupule qu’il part à leur recherche sans en avertir sa hiérarchie, bien décidé à s’accaparer le magot. Accompagné de trois autres soldats, Troy Barlow (Mark Wahlberg), Chief Elgin (Ice Cubin) et Conrad Vig (Spike Jonze), c’est avec le plus parfait cynisme qu’il se réclame des ordres du Président Bush (« Nous sommes ici pour vous protéger » et pour rendre aux Koweïtiens ce qui leur appartient) pour demander à la population du village de Kerbala où se trouve le trésor, alors même que leur expédition va créer une confusion profitable aux troupes restées fidèles à Saddam Hussein, chargées de mater la rébellion qu’avait encouragée dans le pays l’Administration Bush. Pris à parti par la population qui les supplie de leur apporter nourriture et assistance médicale, ils demeurent uniquement préoccupés par la quête de l’or et cherchent même à profiter de la nécessité pour l’armée irakienne de contenir la population pour agir à leur guise. Ils finissent cependant par s’apitoyer et décident de sauver les rebelles tout en ne renonçant pas à récupérer l’or. Un pacte est alors conclu : les quatre soldats achemineront cinquante-cinq rebelles (hommes, femmes et enfants) à la frontière entre l’Irak et l’Iran, si ces derniers les aident à trouver l’or, la journaliste, ravalée jusque là au rang d’utilité, devant leur servir, par sa couverture de l’événement, à dissuader l’armée américaine de les en empêcher, bien que cette action humanitaire soit illégale (vu la politique de désengagement des affaires irakiennes adoptée après le cessez-le-feu).
Les Rois du désert, contrairement à M.A.S.H., qui accumulait les situations grotesques et tournait en ridicule l’armée américaine, peut être qualifié de tragi-comédie. L’intrigue principale prête bien sûr à sourire. Mais peu de scènes sont traitées de façon outrancièrement comique et l’histoire racontée est en fin de compte on ne peut plus sérieuse. De plus, les conséquences de ce hiatus ne sont nullement épargnées au spectateur. Ainsi est-ce avec le plus grand réalisme que sont filmées plusieurs scènes particulièrement violentes : l’assassinat d’une femme d’une balle dans la tête tirée à bout portant, sous les yeux de son mari et de sa fille ; une scène de torture ; un enfant soldat bombardé par un tank. C’est la tension constamment entretenue tout du long du film entre les motivations dérisoires des protagonistes principaux et les situations tragiques auxquelles se trouvent confrontés les personnages qu’ils rencontrent en chemin qui crée simultanément l’amusement et la stupeur du spectateur. À cet égard, il est particulièrement habile de la part des scénaristes d’avoir situé l’action après le cessez-le-feu. Ainsi, le début du film pourrait-il presque illustrer la thèse de Jean Baudrillard selon laquelle la guerre du Golfe n’aurait pas eu lieu. La première scène mérite à ce propos d’être décrite. Elle donne de plus une bonne idée de l’habile mélange des genres auquel est parvenu David O. Russell, non seulement en faisant alterner scènes satiriques et scènes dramatiques, mais au sein d’une même séquence. On y voit deux soldats, l’un américain, l’autre irakien, se faire face dans le désert, leur fusil à la main. Le dialogue place d’emblée le spectateur devant une parodie du duel des westerns hollywoodiens. Filmé du point de vue du soldat américain, le soldat irakien est vu d’assez loin et sans que l’on distingue très bien ses intentions, de telle sorte que l’on comprend la peur qui saisit Troy Barlow. Il s’adresse alors à ses compagnons restés derrière lui (5) :
- « Est-ce qu’on tire ? » (« Are we shooting ? ») ;
- « Pourquoi ? » (« Why ? »), lui répond une voix manifestement peu intéressée ;
- « On est ici pour tirer ou quoi ? » (« Are we shooting people or what ? ») ;
- « Est-ce qu’on tire ? » (« Are we shooting ? »), lui fait-on écho, toujours aussi peu concerné ;
- « C’est ce que je vous demande ! » (« That’s what I am asking you ! ») ;
- « Quelle est la réponse ? » (« What is the answer ? ») ;
- « J’en sais rien ! C’est justement pour ça que je cherche à savoir ! » (« I don’t know the answer ! That’s what I’m trying to find out ! »).
Ce dialogue de sourds n’étant guère à même de rassurer le soldat américain et la panique le saisissant lorsque son vis-à-vis bouge son arme, il finit par lui tirer dessus, malgré le chiffon blanc agité. « Félicitations, tu t’en es payé un ! », lui dit son ami Conrad Vig, avant d’ajouter : « je ne pensais pas voir un seul mort durant cette guerre. »
Ce sentiment d’une guerre tronquée, sans combat, se retrouve plus tard dans l’excuse que Conrad Vig invoque pour expliquer son désir de se défouler un peu en tirant à tout va dans le désert : « On n’a pas vu d’action. ». À quoi Archie Gates réplique en amenant ses trois compagnons voir les corps calcinés d’Irakiens enterrés vifs pour cause de bombardements américains. Un peu honteux, Conrad Vig bafouille « On n’a rien vu, sauf sur CNN. » Au fur et à mesure du film, alors même que l’armée irakienne est vaincue et que les Américains sont censés régner en maîtres, les quatre soldats en quête de fortune, et le spectateur avec eux, sont amenés à découvrir qu’une guerre a bien eu lieu et qu’elle a fait des ravages (bombes à fragmentation ; terrains infectés de mines ; populations affamées, quand elles ne sont pas tout bonnement massacrées par les forces armées de Saddam Hussein ; puits de pétrole en feu et oiseaux souillés, etc.). C’est sans doute cette guerre-ci que les spectateurs américains n’étaient guère disposés à accepter de voir en masse.
Il est possible également que l’absence de manichéisme manifestée par ce film ait quelque peu déconcerté le public américain. David O. Russell fait preuve de beaucoup d’égards dans le traitement de l’Autre, les Arabes en l’occurrence, presque jamais ridiculisés et très souvent à leur avantage dans leurs rapports avec les Américains (mis à part dans le maniement des armes), notamment pour ce qui est de l’intelligence. Une scène est particulièrement significative de cette volonté de ne pas présenter l’adversaire comme un monstre, alors même que la situation pourrait s’y prêter. Troy Barlow, fait prisonnier, est torturé par un Irakien. S’engage alors un interrogatoire qui tourne à la discussion sur les buts de guerre des Américains. Alors que Troy Barlow semble réciter une leçon dont tout son comportement précédent indique qu’il n’y croit pas vraiment (la nécessité de faire respecter le droit international, d’assurer la stabilité dans la région, de secourir le peuple irakien, etc.), son bourreau lui rétorque : « Ton armée se soucie-t-elle des enfants irakiens ? Est-elle revenue après la guerre ? Intervient-elle dans d’autres parties du monde en guerre ? ». Il lui raconte ensuite que son fils est mort dans son lit sous un bombardement américain, ce qui permet de comprendre la haine qui l’anime. Dans le même temps, bien que le point de vue du tortionnaire soit présenté plus qu’équitablement, sa cruauté n’est en rien dissimulée (par exemple quand il force le soldat américain à boire du pétrole pour lui montrer quel était le véritable but de son pays), et aucunement excusée par les horreurs qu’il a lui-même subies, les deux parties étant en quelque sorte renvoyées dos à dos.
On notera également que le réalisateur ne se permet quelque fantaisie dans le traitement des souffrances endurées par les victimes de la guerre que lorsque c’est un Américain qui est touché. Il propose une visualisation, que l’on a dit à juste titre très cartoonesque (tout en paraissant très réaliste, chirurgicale même), des effets provoqués par une balle à l’intérieur du corps (par exemple quand elle perfore les poumons). A contrario, son respect de la population irakienne, son attention à sa détresse, la description de ses aspirations, ainsi que de certaines de ses coutumes (par exemple ses funérailles, que Conrad Vig, pourtant le plus inculte des quatre mercenaires, demande à recevoir au moment de sa propre mort), ont été soulignés par plusieurs internautes ayant vu le film récemment : « Ce film est dur à regarder, surtout au moment où nous sommes engagés dans une autre guerre contre Saddam Hussein, mais il propose une excellente étude de la condition des Irakiens après la guerre. […] Ce film ne laisse jamais le spectateur oublier son message pacifiste, ainsi que l’Administration qui a laissé mourir tant d’innocents qui auraient pu être sauvés si nous étions intervenus » (6).
La fin du film, qui délivre en quelque sorte son message, est plus ambiguë. Tels les trois hors-la-loi du western de John Ford Le Fils du désert (Three Godfathers, 1948) (7), auquel il est implicitement fait référence, nos rois mages sont détournés de leur but initial par leur prise de conscience qu’ils ne peuvent se désintéresser plus longtemps du sort d’autrui. Partis pour de mauvaises raisons, ils sont amenés à faire le bien presque « à l’insu de leur plein gré », pour reprendre une expression qui a fait florès. Cette rédemption in fine des soldats américains a pu conduire certains esprits forts à y déceler une insidieuse « ruse de la propagande », comme en témoigne l’avis de Jean-François Rauger, qui officie dans le supplément hebdomadaire « Télévision » du quotidien Le Monde : « Pendant la guerre du Golfe, trois soldats cherchent à mettre la main sur un trésor. Un faux film de guerre. Sa peinture de héros individualistes fut appréciée. On peut y voir aussi (et le développement du scénario y invite, qui voit trois GI oublier le projet pour pratiquer un sauvetage humanitaire de réfugiés) une ruse de la propagande » (19 janvier 2002). Certes, tout est bien qui finit bien, les soldats fautifs étant même réhabilités dans leur pays, puisqu’un carton nous indique qu’ils ont obtenu « un certificat de bonne conduite grâce au reportage d’Adriana Cruz » et que les dernières images nous montrent la réussite de leurs reconversions respectives. Et, a posteriori, on peut voir dans la conclusion du film une incitation à retourner en Irak « finir le travail », selon l’expression typiquement américaine employée par un internaute de l’État de New York le 18 mai 2003 : « Ce film montre l’hypocrisie de l’administration de Bush durant la guerre du Golfe [la première]. Il voulait se débarrasser de Saddam Hussein mais ne voulait pas utiliser les troupes américaines pour le faire ou aider les autres à se débarrasser de lui. C’est pourquoi nous l’avons laissé au pouvoir jusqu’à récemment. Ce film montre à quel point la guerre du Golfe fut une plaisanterie et pourquoi nous avons dû y retourner douze ans plus tard pour finir le travail » (8). Une fois levée la principale critique émise par David O. Russel à l’encontre de la politique américaine en Irak (ne pas avoir libéré les Irakiens de Saddam Hussein), il était tentant d’y lire un discours justifiant une nouvelle intervention. Aussi, s’il est vrai, comme l’écrivait Jean-Claude Loiseau dans le Télérama du 19 février 2003 (diffusion des Rois du désert sur TPS Star), que « ce film "démonte" à sa manière le monstrueux mensonge que fut ce show télévisé planétaire intitulé, rappelez-vous, Tempête du désert », il devint plus difficile d’y voir une sorte de critique par anticipation de la seconde guerre du Golfe. Télérama ne s’y est pas trompé, puisque l’hebdomadaire a coupé la dernière phrase de Jean-Claude Loiseau dans la nouvelle mouture du même texte, paru le 21 mai 2003 (diffusion sur France 3). Jean-Claude Loiseau conclut : « Un salubre mauvais esprit souffle sur ce film brillant, tordu, roublard à l’occasion, bourré d’une énergie explosive. » Or, dans la version précédente, il ajoutait : « dont l’effet ne peut être que démultiplié aujourd’hui par la sinistre croisade "bushienne" en cours… » Entre-temps, les statues du tyran étaient tombées… Le cours des événements sur le terrain incitera-t-il Télérama à rétablir la conclusion de sa notule pour la prochaine diffusion du film ? Cependant, autant les mercenaires des Rois du désert, en tant qu’individus ayant par la force des choses acquis une connaissance plus aiguë des problèmes de la région, sont absous, autant n’est-ce qu’au prix d’un marchandage assez sordide que l’armée régulière, aussi tatillonne sur les règlements qu’indifférente aux malheurs des autochtones, accepte in extremis de se plier à leur volonté en laissant s’enfuir les rebelles. Ce n’est que contre la restitution de l’or koweïtien par les trois soldats que l’armée permet aux rebelles de passer la frontière pour se réfugier en Iran. La vertueuse Amérique en sort-elle grandie ? C’est sans doute la richesse d’un film de pouvoir se dérober ainsi au sens univoque qu’on voudrait lui trouver.
Notes, liens et informations complémentaires :
- La bande-annonce du film pour sa sortie en DVD, qui souligne la dimension tragique de l’histoire bien plus que sa dimension comique.
(1) George Clooney aime à se présenter comme un véritable acteur qui, malgré son statut de star, est prêt à faire des sacrifices financiers en révisant ses cachets à la baisse afin que de "petits" films d’auteurs à contre-courant des modes puissent être réalisés. L’insuccès d’une entreprise comme celle-ci, et donc les risques courus par les producteurs, sont cependant relatifs puisque, d’après la base de données « Lumière » sur les entrées des films distribués en Europe, Les Rois du désert a tout de même été vu par près de 12 millions de spectateurs dans les salles américaines, 5 millions dans les salles de l’Europe des Quinze, dont 800 000 en France. C’est très peu par rapport au plus grand succès de George Clooney (Ocean’s Eleven, Steven Soderbergh : plus de 33 millions aux U.S.A., de 25 millions en Europe, de 4 en France), mais plus que beaucoup d’autres, dont Hors d’atteinte, du même Soderbergh, qui bénéficiait également de la présence de Jennifer Lopez (8 millions, 4 millions, 550 000).
(2) Mieux vaut ici donner le titre américain car tous les commentaires déposés sur l’Internet Movie Data Base à propos de ce film le sont en anglais.
(3) Les débats sur ce film ont continué les années suivantes, 535 commentaires ayant été déposés au total (au 8 avril 2008).
(4) Commentaire de Dierk Haasis, I.M.D.B. (http://us.imdb.com/CommentsShow?0120188), 11 avril 2003 : « […] the script shows to be timeless ; it’s not – like many a war movie before – dated a few weeks after release but remains topical to a point where the fiction and deliberate satire becomes reality. Not that a movie could hold off political decisions, but isn’t it funny that everything we see in "Three Kings" is re-enacted for real in the Persian deserts ? »
(5) Cette scène peut être entendue dans la « Hollywood : la fabrique de l'ennemi », émission, diffusée dans le cadre de « Surpris par la nuit » en 2005, que l'on peut récupérer ici.
(6) « This movie is hard to watch, especially when we are intrenched in another war with Saddam Hussein, but it is an excellent study of the conditions of the Iraqi people after the war. […] This movie never lets the viewer forget the antiwar message, and the beaurocracy which allowed so many innocent people die who could have been saved if we intervened. » (anonyme, I.M.D.B., 31 mars 2003 ; rappelons que le déclenchement des opérations a eu lieu le 20 mars 2003, la chute de Bagdad étant annoncée le 10 avril).
(7) Le parallèle entre les deux films se retrouve non seulement dans leur titre, la référence à Ford étant probablement volontaire de la part de David O. Russel, mais aussi dans la distance qui existe entre les titres originaux et les titres français (eux aussi assez proches). Dans Le Fils du désert, trois bandits tentent de traverser un désert après avoir dévaliser une banque. En chemin, il trouve une mourante qu’ils aident à accoucher. Lui ayant promis de s’occuper du nouveau-né, ils compromettent leur fuite et même leur survie (deux d’entre eux meurent) afin de sauver l’enfant recueilli.
(8) « This movie shows the hypocrisy of the Bush Aministration during the Gulf War. He wanted to get rid of Saddam Hussein but didn’t want to use American troops to do it or help others to get rid of him. So we left in power until recently. This movie shows what a joke the Gulf War was and why we had to go back 12 years later to finish the job. » (commentaire de Joseph Pintar, I.M.D.B.).