Dans sa remarquable étude La Théorie de l’art au risque des a priori (L’Harmattan, 2004), Daniel Serceau a montré à quel point les résumés de films donnés par les théoriciens et critiques de cinéma étaient bien souvent biaisés afin de correspondre aux préjugés de l’auteur, à ses constructions intellectuelles. Il en appelait à une relecture plus minutieuse des films, à un souci de vérification constant, afin de se déprendre des idées préconçues qui font littéralement écran entre le spectateur-analyste et les films.
Ainsi pourrait-on multiplier les exemples d’erreurs factuelles dans les résumés de films fournis par la presse. Beaucoup ne sont que de détails. Mais certaines dénaturent le sens des films ou orientent le sens suivant les projections mentales du critique.
Trois beaux exemples pour aujourd’hui, tirés de l’hebdomadaire Télérama.
Dans le n°2512 du 4 mars 1998 (p.104), Aurélien Fereczi raconte l’histoire du film de Pierre Chenal La Foire aux chimères : « Défiguré depuis la guerre, Frank Davis dirige une entreprise de gravure de billets de banque. Il tombe amoureux de Jeanne, une jeune aveugle, partenaire d’un lanceur de couteaux de fête foraine. Il l’épouse et, pour financer l’opération qui lui rendra la vue se met à fabriquer de la fausse monnaie… »
Lui rendre la vue ? Jamais de la vie ! Le personnage, interprété par Erich von Stroheim, redoute au contraire que sa femme retrouve la vue et se détourne de lui une fois qu’elle aura vu à quoi il ressemble ! Aussi est-ce à l’insu de son mari que l’aveugle se fait opérer ! Bref, le contresens est complet.
Plus récemment, dans le numéro 3126 (9 décembre 2009, p.50), Juliette Bénabent parle, à propos de Qu’un seul tienne et les autres suivront du « portrait d’une adolescente qui découvre l’amour au côté d’un voyou », puis de « la peinture de l’amour naissant entre un jeune voyou et une adolescente de bonne famille ». Un voyou ? Où a-t-elle vu cela ? Les seuls actes du personnage qui lui attirent des ennuis avec la police sont ses tentatives d’obstruction lors d’expulsions de squatters et de clandestins. Est-ce devenu répréhensible pour Télérama ? Cela se saurait… « Une adolescente de bonne famille » ? Sur quel élément la journaliste s’est-elle fondée pour déduire la classe sociale du personnage ? Se serait-elle projetée dans l’histoire en trouvant bien romantique cette romance, conforme au cliché, entre le voyou et la fille de bonne famille ? Cela correspond-il à un fantasme personnel ?
Dernier exemple, dans le numéro 3140 (17 mars 2010, p.55), le compte rendu du savoureux Soul Kitchen est intitulé « Toques de Turcs » parce que le personnage principal en serait « un immigré turc » tenant un restaurant à Hambourg. Que le réalisateur du film, Fatih Akin, soit d'origine turc, implique-t-il que son héros, Zinos (interprété par Adam Bousdoukos), le soit forcément ? Or, justement, il est d'origine grecque ! Légère confusion...
Je viens de pointer du doigt trois erreurs de journalistes, en ayant bien conscience de l’injustice que je commets à leur égard, étant persuadé que j’en commettrais tout autant si j’étais à leur place. Peut-être est-ce pour cela, qui sait, que je rechigne si souvent à résumer les films dont il m’arrive de parler. Parce que ma façon de les raconter pourrait en dire encore plus sur moi-même que les jugements que je porte sur eux ?
Compléments :
- (22 août 2010) : dans L'Express du 16 juin 2010 (p.23), la pigiste pour revues d'économie de l'Année bissextile est devenue une étudiante ;
- (2 septembre 2010) : la substitution de sperme dans Une famille si moderne est délibérée dans le résumé donné par Télérama, beaucoup moins dans le film ;
- (20 septembre 2010) : le pacte tacite entre les deux couples de Happy Few serait conclu lors de la première soirée passée ensemble, après lecture à haute voix d'une dédicace, selon Les Échos du 15 septembre 2010 (p.15) ;
- (19 janvier 2011) : l'accident de l'acteur de Somewhere serait pour sa fille « l'occasion de passer quelque temps auprès de lui », selon Positif de janvier 2011 (n°599, p.28) ;
- (5 octobre et 6 novembre 2011) : "The Driver" ne suit pas un match de football (cf. Critikat.com), ni de baseball (Philippe Rouyer, Positif, n°608, octobre 2011, p.7), et n'enfile donc pas une casquette des Dodgers (cf. Les Inrockuptibles), mais des Clippers ;
- (17 octobre 2011) : Le psychanalyste joué par Nanni Moretti dans Habemus papam ne fait pas jouer les ecclésiastiques au handball, contrairement à ce qu'écrivent Les Inrockuptibles (7 septembre 2011, p.72), mais au volley ;
- (17 décembre 2011) : « A distance respectable des forces de l'ordre, Marcel assiste à l'ouverture du caisson, occupé par des Africains », dans Le Havre d'Aki Kaurismaki, selon Positif de décembre 2011 (n°610, p.32) ;
- (23 mars 2012) : ce n'est pas un ado qui met le feu à sa ville avec un lance-flammes dans Projet X, comme l'écrit Jacky Golberg dans Les Inrockuptibles du 21 mars 2012, mais un dealer adulte ;
- (18 avril 2012) Le personnage qui donne son titre au film israëlien Le Policier n' « admire son reflet dans le miroir, avec son bébé dans les bras » (Pierre Murat, Télérama, n°3246, 28 mars 2012, p.69), mais avec le bébé d'un ami, pour se représenter ce à quoi il ressemblera une fois que sa femme, encore enceinte, aura accouché ;
- (31 décembre 2014) Terre battue raconterait l'histoire d' « un chômeur prêt à tout pour faire triompher son fils tennisman », selon Positif de novembre 2014 (n°645, p.32) et plusieurs autres gazettes et canards.
- (2 février 2015) « le tueur de jeunes filles de l'est de Paris », selon Positif de janvier 2015 (n°647, p.37, à propos de L'Affaire SK1), qui voit donc en Guy Georges un pédophile, en plus d'avoir été un violeur et un assassin en série.
- (14 mars 2015) « Jadis superstar de blockbusters [...], Riggan Thomson cherche à relancer sa carrière [...]. Aux antipodes de l'image qu'il véhiculait naguère, citant désormais Barthes et Flaubert à la moindre occasion, il veut mettre et interpréter à Broadway une pièce de Raymond Carver, Parlez-moi d'amour. But : se racheter une conscience d'artiste véritable, exigeant. » Description caricaturale, par Jean-Christophe Buisson (Le Figaro Magazine, 20 février 2015, p.78), du personnage interprété par Michael Keaton, Barthes étant cité par un journaliste qui l'interroge, suscitant la gêne de Riggan Thomson (provoquée aussi une autre journaliste, qui ignore qui est Barthes).
- (10 août 2016) « Issue d’une famille bourgeoise, Marie a acheté seule leur logement ; d’un milieu modeste, Boris l’a entièrement rénovée et estime lui avoir donné sa valeur. Elle lui concède un quart de son prix. Il en réclame la moitié » (La Croix, 10 août 2016). Ce n'est pas le quart, mais le tiers qu'elle lui concède (plus 20.000 euros au bout d'un moment), dans L'Économie du couple.
- (21 septembre 2016) « [le] mannequin de The Neon Demon interprété par Elle Fanning qui dévore ses collègues anorexiques » (Michel Ciment, Positif, n°665-666, juillet-août 2016, p.81).