Mister Arkadin

IMPERTINENCE

10 Mars 2009, 12:10pm

Publié par Mister Arkadin

L'humoriste Stéphane Guillon, qui officie dans la chronique « L'humeur de » sur France Inter (1), s'est taillé une solide aura d'impertinent incontrôlable en se moquant des frasques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn (« Visite de DSK à France Inter : tous aux abris ») (2). Ce dernier a largement contribué à entretenir cette flatteuse réputation en acceptant mal que l'on puisse sous-entendre qu'il serait incapable de ne pas harceler toute personne portant jupon et passant à moins d'un kilomètre à la ronde. On a connu DSK plus malin, quand il disait trouver sa marionnette des Guignols pas du tout ressemblante, mais qu'il était pris d'un doute quand il constatait que toutes les autres étaient en revanche très pertinentes. D'autres politiques se montrent également tantôt magnanimes, tantôt d'une susceptibilité exacerbée, et qui les dessert, vis-à-vis des amuseurs publics. Je me souviens en particulier de la réaction, ou plutôt de l'absence de réaction, de Jean-Pierre Chevènement, quand Daniel Schneidermann lui fit découvrir à « Arrêt sur images » une sélection de sketchs des Guignols le présentant comme un débile suite au coma dont il avait été victime. JPC n'avait pas fait preuve du même "self-control" à l'égard de Noël Godin quand celui-ci le fit entartrer, lui intentant un procès pour atteinte à l'image publique, considérée comme le principal "capital" d'un homme politique.

Cette réputation d'impertinence de Stéphane Guillon n'est-elle pas parfaitement méritée, lui qui ne manque par exemple jamais une occasion de stigmatiser les sympathies coupables de Pie XII pour le nazisme (« Benoit XVI et les intégristes »), avec une rigueur et un souci de se démarquer du "politiquement correct" pas moindres que ceux de Costa Gavras dans Amen ? C'est justement à propos d'un film qu'il a une nouvelle fois montré aujourd'hui son indépendance d'esprit, l'imprévisibilité de ses indignations, le contre-pied qu'il prend vis-à-vis des opinions toutes faites et de la bien-pensance, bref, qu'il a montré à quel point ses chroniques, de même que celles de ses confrères de « L'humeur de », font honneur à la démocratie, à l'humanisme, à la liberté d'expression, au rôle salutaire de médias libres, aux Droits de l'Homme, à la Résistance, à la modernité d'une société se débarrassant peu à peu des archaïsmes et résidus fascistes, si puissants encore dans notre "France moisie" ! Guillon s'est en effet fait l'écho du différend entre, d'un côté Philippe Lioret et Vincent Lindon, réalisateur et acteur du film Welcome, de l'autre le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Éric Besson (« Éric Besson contre le cinéma hors la loi »). Celui-ci a été conspué avec toute la vigueur nécessaire pour avoir osé s'offusquer que l'on assimile les immigrés clandestins aux Juifs pourchassés sous l'Occupation (cf. brève de France Info et article d'Albert Montagne, dont les liens sont très précieux (3)). Nul doute que toute la critique sera demain à l'unisson pour célébrer comme il se doit ce film-citoyen, qui devrait être classé de salubrité publique.


Notes :

(1) Voici le texte de présentation de l'émission sur le site Internet de la chaîne : « Souriez du bon pied, chaque matin, à 7h55 ! Stéphane Guillon (du lundi au mercredi), Didier Porte (le jeudi) et Philippe Val (le vendredi) mettent de l'acidité, du piquant, de l'impertinence, de l'humour et de l'humeur dans la matinale d'Inter. » Il n'est pas précisé s'il faut sourire en raison de l'association du nom de Philippe Val aux notions d'impertinence et d'humour.

(2) À voir : l'émission qu' « Arrêt sur images » a consacrée à "l'affaire".

(3) On lira notamment l'entretien de Vincent Lindon au Parisien (« Je suis un homme en colère »), dans lequel ce comédien on ne peut plus sympathique et sincère, démontre à quel point la conscience politique des artistes du cinéma français est éveillée, aiguë et leur permet d'être les fers de lance de la résistance à l'oppression dont on souffre en France. Par solidarité pour les victimes et les miséreux, Lindon pousse même le sacrifice jusqu'à ne plus fréquenter les restaurants de luxe. Il est en outre admirable que la profondeur de sa réflexion s'accorde à un instinct très sûr, nullement dépendant du patient façonnage de l'opinion par le système idéologico-médiatique : « En matière de politique, je fonctionne à l'instinct. Bayrou, des trois candidats, c'était le seul qui avait un terroir » (c'est moi qui souligne).


Compléments :

- Cette "affaire" a donné lieu à un intéressant débat sur le site du magistrat Philippe Bilger (voir en particulier les commentaires de Laurent Dingli).

- Une « lettre ouverte » de Philippe Lioret, en réponse à Éric Besson, a paru dans Le Monde du 11 mars 2009 (p.18).

- L'avis de Jérôme Garcin, du Nouvel Observateur.

- Les producteurs de certaines émissions auxquelles a participé Philippe Lioret, tels Vincent Josse (« Esprit critique », le mercredi 11 mars, sur France Inter) et Daniel Schneidermann (« Arrêt sur images », le 13 mars 2009) , lui ont adjoint Jean-Pierre Lenoir, membre fondateur et vice-président de l'association Salam d'aide aux migrants, pour commenter son film et en assurer la véracité. « Ce que montre le film est la triste vérité », tel est le titre qu'a choisi Le Monde pour l'entretien avec le même Jean-Pierre Lenoir qu'il a publié avec en complément de sa critique du film. Cela m'incite à élargir le projet que j'ai annoncé dans « Les historiens experts du cinéma » à tous les experts auxquels ont appel les médias pour commenter les films : « Il faudrait étudier un jour plus en détails la façon dont les historiens sont convoqués par les médias pour commenter les films, comment, la plupart du temps, ils sont choisis en fonction de l'avis préalable que le journal se fait du film en question, sur des critères au moins autant idéologiques que scientifiques. Ce fut particulièrement flagrant lors de la sortie du film de Tavernier Laissez-passer. Mais l'intervention des historiens (et plus largement des "savants", universitaires ou "experts") dans la réception critique des films mériterait d'être analysée en ce qui concerne bien d'autres, d'Amen à La Passion du Christ, de L'Anglaise et le duc à La Chute. Ce sera l'objet d'un prochain ouvrage, comme aurait dit Jean-Paul. »

- (4 avril 2009) Dans un long entretien donné à L'Express (2 avril 2009, p.12-15), Stéphane Guillon relativise injustement son si considérable courage : « Dans votre spectacle, vous dites pratiquer "un humour très noir, mais légèrement couille molle". Vous auto-censurez-vous ? - J'explique qu'il est plus facile de traiter le pape de gros enculé que de dézinguer les barbus. Je me moque aussi de mes propres lâchetés. Je ne suis pas kamikaze ! »


Le texte de Philippe Lioret mentionné ci-dessus :

Monsieur Besson,

Je prends connaissance de votre intervention, ce matin sur Europe 1, où vous m'accusez, suite à mon film Welcome, de franchir "la ligne jaune dans un but promotionnel" quand, dans une interview, je mets en parallèle la situation des migrants et des bénévoles, aujourd'hui à Calais, avec celle des juifs et des Justes qui leur venaient en aide durant l'Occupation. Vous trouvez cela "inacceptable, désagréable, insupportable".

Sachez que mon travail d'auteur et de réalisateur est de m'intéresser aux événements qui se passent aujourd'hui, chez nous, et à leurs prolongements et conséquences sur l'âme humaine, en essayant de ne pas être manichéen. Dans toute société en situation de crise, face à l'injustice, chaque citoyen se trouve un jour placé devant ses responsabilités. Georges Brassens a parfaitement illustré le choix de cet engagement dans sa Chanson pour l'Auvergnat. A mon époque, la nôtre, je fais de même avec mon film. Sachez qu'en l'occurrence, je ne mets pas en parallèle la traque des juifs et la Shoah, avec les persécutions dont sont victimes les migrants du Calaisis et les bénévoles qui tentent de leur venir en aide, mais les mécanismes répressifs qui y ressemblent étrangement ainsi que les comportements d'hommes et de femmes face à cette répression.

Par ailleurs, vous avancez que Welcome serait "truffé d'invraisemblances". Sachez aussi que, bien que ce film se revendique comme étant une fiction cinématographique et pas du tout un documentaire, nous avons, Emmanuel Courcol, mon coscénariste et moi-même, mis un point d'honneur à ce qu'il soit très scrupuleusement documenté et à ce qu'il évoque toujours des faits ayant ou ayant eu lieu, comme ont pu en attester les nombreux bénévoles qui ont vu le film en avant-première.

Il y a quelques jours encore, près de Béthune, une femme a été mise en garde à vue pour avoir simplement rechargé des téléphones portables de migrants. Welcome ne fait qu'illustrer ce genre de fait divers.

La réalité, dit-on, dépasse souvent la fiction. Votre réalité, Monsieur Besson, se contente de l'égaler et c'est déjà suffisant pour être affligeant, pour confirmer qu'aujourd'hui, dans notre pays, de simples valeurs humaines ne sont pas respectées. C'est cela que vous devriez trouver "inacceptable."