Mister Arkadin

L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUÉ

9 Janvier 2008, 14:44pm

Publié par Mister Arkadin

Entre autres collections relatives au cinéma, je me constitue un recueil de placards publicitaires trouvés dans la presse, ceux d’hier (ainsi m’en étais-je servi pour illustrer mon livre "Le Temps" du cinéma) comme ceux d’aujourd’hui. Dans ces derniers, j’aime en particulier noter quels médias sont cités pour encourager tel ou tel film. Une étude statistique permettrait aisément de confirmer que, selon le public que l’on pense pouvoir inciter à voir tel genre de films, sont cités soit les médias réputés populaires, soit les médias réputés élitistes (encore que l’on puisse également supposer que les uns et les autres recommandent presque systématiquement tel ou tel genre de films). Ainsi en est-il des deux dernières coupures que je viens de prélever, l’une dans Le Monde 2 du 5 janvier (pour La Graine et le mulet), l’autre dans le 20 Minutes du 9 janvier (pour À la Croisée des Mondes – La Boussole d’or). Sont appelés à la rescousse de ces films Ciné Live, Direct soir, Les Inrockuptibles, Le Monde, Le Nouvel Obs, Le Parisien et Télérama, avec les formules idoines (« Impressionnant ! », « Quel talent ! », etc.). Je laisse le lecteur deviner quels journaux sont utilisés pour soutenir qui Kidman, qui Kechiche.

 

Les-Dents-de-la-mer.jpgSurprise dans le même 20 Minutes du jour (ainsi qu'en dernière page de L'Humanité) : voici une pleine page, non plus pour un film, mais pour un complexe cinématographique. Le placard parodie les Dents de la mer, avec un joli poisson rouge, tout petit et tout mignon, menacé par les crocs acérés et sanguinolents d’un énorme et horrible requin, suivi de près par un autre, un peu moins gros mais à la mâchoire tout aussi menaçante. « UGC & MK2 ATTAQUENT / LE CINÉMA DE MONTREUIL / LE MÉLIÈS », clame la réclame pour une pétition de protestation visant le recours en justice des deux circuits de salles contre l’expansion du cinéma municipal. Renvoyons donc bien volontiers au site de l'association des spectateurs du Méliès, sur lequel ladite pétition peut être signée. Je le fais d’autant plus volontiers qu’en plus d’être, comme tout le monde, très sensible au racolage, même le plus outrancier, tout mon parcours de cinéphile me prédestine à rejoindre ce combat « pour la diversité du cinéma », pour les petites salles contre les grosses, pour celles qui passent les films en VO plutôt qu’en VF, pour celles qui passent les films de l’ensemble du monde plutôt que les seules superproductions hollywoodiennes et grosses comédies françaises, etc. Lecteur assidu des revues les plus prestigieuses de la cinéphilie, lecteur de Télérama plutôt que de Télé 7 jours et habitué des salles du quartier latin depuis mon adolescence banlieusarde, m’étant pris de mémorables râteaux pour avoir invité des demoiselles voir Woody Allen plutôt que Bruce Willis, admirateur de Hou Hsia-Hsien plutôt que d’Ang Lee, ayant proposé mon premier texte aux Cahiers du cinéma plutôt qu’à Première (nouveau râteau, soit dit en passant…), etc., tout me porte à me reconnaître dans la Résistance de Stéphane Goudet, directeur du Méliès, et de ses supporters, pour le vrai cinéma contre le pop-corn. Et pourtant…

 

Pourtant, je ne signerai probablement pas cette pétition. J’ai beau regarder le brillant dossier établi par le Méliès – auquel, là aussi, je renvoie bien volontiers – et essayer d’appréhender toutes les arcanes de l’affaire, tant bien que mal (étant peu féru d’économie et peu au fait de toutes les données de l’exploitation cinématographique), je ne puis m’empêcher d’éprouver un certain malaise devant la tournure des événements. Je sais bien qu’il faut se garder des analogies historiques, de celles qui peuvent se résumer par la formule « L’histoire se répète ». Néanmoins, tout ceci me rappelle immanquablement la plus fameuse affaire ayant mobilisé toutes les puissances de la cinéphilie française, la si fameuse « affaire Langlois » de 1968. Même combat du petit (même si très corpulent !), dévoué corps et âme au cinéma, que son amour éperdu porte à servir plutôt qu’à s’en servir, contre les gros (hier l’État tentaculaire et castrateur, aujourd’hui le capital cosmopolite) ; même raffut dans toute la presse amie (quasiment la même – seuls les titres changent parfois – à trente ans d’écart…) ; même appel aux cinéastes du monde entier, toujours prompts à défendre les représentants autoproclamés du "pays du cinéma" ; mêmes "mutins de Panurge", pour reprendre l’heureuse formule de Philippe Murray. Mêmes méthodes de propagande surtout, toutes de manichéisme et de manipulation. Ainsi la revue de presse du Méliès est-elle soigneusement expurgée des comptes rendus offrant un aperçu plus nuancé sur l’affaire (comme par hasard, sur les trois articles de Télérama, si mes souvenirs sont bons, seul le moins défavorable aux complexes UGC et MK2 est-il « non disponible en ligne ») ; ainsi le point de vue de l’adversaire est-il soit caricaturé, soit passé sous silence. On constatera en outre que le petit, hier comme aujourd’hui, ne manque pas de moyens, que ce soit en termes médiatiques (un dossier complet de la revue Positif confié en septembre à son ancien rédacteur et désormais exploitant des salles de Montreuil) ou financiers (combien coûte une page de pub dans 20 Minutes ?).

 

Cessons d’être mauvaise langue et espérons nous tromper quandPierre-Barbin.jpg nous prétendons que la jolie fable qui nous est servie cache une réalité plus complexe (si l’on ose dire !). Car autant les ouvrages de Raymond Borde, puis de Pierre Barbin, et même de Laurent Mannoni, ont révélé à quel point « l’affaire Langlois » ne fut pas tant à l’honneur de la Cinémathèque française et des grandes figures de la cinéphilie qu’on le répète encore si souvent, autant je serais ravi qu’il n’en soit pas de même de la présente « affaire Méliès ».

 

Une dernière précision pour être tout à fait honnête. Autant voir une partie de la presse se retourner contre Marin Karmitz, un très habile manipulateur de celle-ci lui aussi, me réjouit, autant UGC m’est devenu plus sympathique depuis l’ouverture, il y a deux ans, de son complexe de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui m’a redonné goût au cinéma en salles. Ceci est une autre histoire, sur laquelle je reviendrai un de ces jours.