Mister Arkadin

ANDRÉ GILLOIS (MAURICE DIAMANT-BERGER, 1902-2004)

19 Juin 2008, 06:42am

Publié par Mister Arkadin

Il y a quatre ans disparaissait André Gillois. Voici la nécrologie que j’ai publiée dans le n°295 de la revue Jeune cinéma (mars-avril 2005, p.70-72).

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« Mort un 18 juin… » (le 19 selon Le Monde…), a titré l’année dernière Le Figaro à propos d’André Gillois, né Maurice Diamant-Berger en 1902. Cette référence était à la fois bien venue et un peu réductrice. Entré très précocement dans l’action clandestine, André Gillois se rendit en effet en 1942 à Londres où, ayant été l’un des pionniers des émissions radiophoniques dès les années 1930, il devint, à la BCC, l’un des principaux animateurs de l’émission « Les Français parlent aux Français ». Toutefois, il ne s’est jamais considéré comme gaulliste et, s’il remplaça Maurice Schumann comme porte-parole du général de Gaulle le 1er juin 1944, il ne s’engagea pas pour autant en politique une fois rentré en France, préférant reprendre son œuvre de médiateur culturel. Après l’édition dès les années 1920 (du journal de Jules Renard notamment), il se consacra plus spécifiquement à la radio et à la télévision, auxquelles il doit sa célébrité (un mémoire d'histoire soutenu en 2002 par Benjamin Goldenstein à Paris I a fait le point sur la question). Certaines rediffusions dans les « Nuits de France-Culture » étonnent encore par la tenue et l’exigence de ce qui était proposé au public des années 1950 et 1960.

Mais ce brillant touche-à-tout, auteur d’essais historiques, de pièces de théâtre et de romans, croisa aussi plusieurs fois le cinéma en cours de route. Passons rapidement sur les faits mentionnés par les dictionnaires et bases de données : scénarios, écrits avec son compère Jean Nohain, de Raphaël le tatoué, une fernandelerie de Christian-Jaque (1939), et de Voyage surprise, adapté par Jacques Prévert pour son frère Pierre (1947) ; dialogue de Narcisse (1940) ; apparition dans un film de Jean Boyer, Cent francs par seconde (1953) ; adaptation de son roman 125, rue Montmartre, un policier écrit à la manière de Simenon, qui donna un bon Grangier avec Lino Ventura et Robert Hirsch (1959). Et rappelons plutôt son activité de critique cinématographique, bien moins connue. Si peu connue d’ailleurs qu’André Gillois lui-même, que j’ai interrogé à ce sujet en 1997, redécouvrit avec surprise ses articles sur le cinéma publiés pendant quelques années dans l’hebdomadaire parisien Chantecler, à partir de 1926. « Je ne me souvenais pas qu’on ait attaqué Chaplin comme cela. », me déclara-t-il par exemple en lisant les textes où il prit vigoureusement la défense de celui que quelques gloires littéraires de l’époque considéraient encore comme un pitre. La relecture de ses chroniques, pleines de liberté, de verve et de pertinence, confirme pourtant qu’il faut ajouter le nom de Maurice Diamant-Berger à la liste, bien moins réduite qu’on ne croit, des très bons critiques de l’entre-deux guerres.

André Gillois n’y abordait du reste pas le cinéma en néophyte, puisqu’il fut l’assistant de son frère Henri Diamant-Berger, directeur du Film puis réalisateur des Trois mousquetaires (1921). « J’étais passionné de cinéma, et j’en ai fait du très mauvais », prétendait André Gillois, qui n’était pas tendre non plus pour son frère, dont il disait qu’il était si peu doué pour la mise en scène qu’il aurait dû se cantonner à la production. André Gillois a décrit ses aventures cinématographiques dans ses très riches et très plaisants mémoires, Ce siècle avait deux ans (Belfond, 1980 ; Mémoire du Livre, 2002, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac). Il n’en gardait en définitive qu’un seul bon souvenir : sa rencontre avec René Clair, dont il a reproduit une précieuse lettre (Opus cité, p.315-316). Aux débuts du Parlant, le cinéaste dit du film qu’il vient d’ « exécuter », 14 juillet, qu’il est « absolument vide ». Trop de contraintes, trop de compromis à passer, trop de gens auxquels il faut plaire : « J’essaie de faire [des films] les moins mauvais possible. Mais l’élan n’y est plus. » Tout aussi désabusé que son ami, André Gillois n’en a pas moins lui aussi réussi à devenir l’un des acteurs les plus actifs de la vie culturelle française du XXe siècle : preuve que l’audace et le talent peuvent s’accorder avec le scepticisme et la modestie qui le caractérisaient.

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Complément (31 janvier 2011) : un article assez complet est consacré  par Paul Vecchiali aux activités cinématographiques de MDB dans l'’Encinéclopédie. Cinéastes « français » des années 1930 et leur œuvre (Éditions de l’Œil, 2010).