Mister Arkadin

PIERRE-ANDRÉ BOUTANG (25 MARS 1937 – 20 AOÛT 2008)

5 Septembre 2008, 23:13pm

Publié par Mister Arkadin

J’ai tardé à annoncer la mort de Pierre-André Boutang, d’abord parce que rédiger tant de nécrologies en si peu de temps finit par donner sérieusement le cafard, ensuite parce que la presse s’en est fait l’écho à peu près correctement (1). Je souhaiterais tout de même lui rendre hommage par les quelques remarques suivantes.

En premier lieu, parmi les remarquables documentaires réalisés par PAB, par dessus tout pour ses merveilleux "Océaniques", ce ne sont pas tant les entretiens avec Gilles Deleuze qui m’avaient enthousiasmé que ceux de Régis Debray avec Serge Daney, publiés depuis en DVD sous le titre Itinéraires d’un ciné-fils. J’avais été frappé à l’époque, il y a une petite quinzaine d’années, par la déférence de Debray envers Daney, que j’avais trouvé très émouvante et très flatteuse pour le cinéma, tant il est rare qu’un simple critique de cinéma parle d’égal à égal, au moins (et même plus en l’occurrence), avec un philosophe, médiatique qui plus est (mais pas pour autant déconsidéré), ce dernier recueillant humblement la parole d’un penseur de cinéma.

"Océaniques" et autres productions Boutang, pour moi, ce sont bien sûr des émissions de FR3, puis d’Arte, mais ce sont surtout quelques émissions diffusés sur La Sept, préfiguration d’Arte hébergée avant la création de cette dernière le samedi sur FR3. Elles nous en ont donné un avant-goût savoureux, qui ne ressemblait à pas grand-chose de ce que l’on pouvait voir ailleurs et qui nous a fait désirer Arte, chaîne qui, même si elle ne tient plus qu’épisodiquement ses promesses, demeure cent coudées au-dessus des autres.

Ensuite, il faut rappeler que les liens de Pierre-André Boutang avec le cinéma, même si son nom est aujourd’hui plutôt associé à la peinture ou à la littérature, furent très profonds. Assistant réalisateur sur plusieurs films, notamment Le Puits et le pendule d’Alexandre Astruc, dont il produisit le Sartre par lui-même, et Les Distractions de Jacques Dupont (2), pour lequel il avait participé à l’écriture du scénario, nul doute qu’il serait lui-même passé à la réalisation s’il l’avait pu. Seule ombre au tableau : la production de La Chasse aux papillons, l’un des films les plus soporifiques qu’il m’ait été donné de voir (en partie… j’en m’en explique ici).

Enfin, cela n’a été rappelé nulle part, si je ne me trompe, Pierre-André Boutang exprima d’abord sa passion pour le cinéma en tant que critique, sous le nom d’André Collonges, entre 1955 et 1960 environ, dans les colonnes de La Nation française, journal dirigé par son père, le grand philosophe et homme de presse Pierre Boutang. Cela vaudrait la peine d’aller un de ces jours à la Nationale ressortir une collection de ce journal pour voir quel critique fut Pierre-André Boutang.


Notes :

(1) Par exemple Le Monde du 23 août 2008 : Pierre-André Boutang, producteur et réalisateur

Grande figure de la télévision française, Pierre-André Boutang s'est noyé accidentellement mercredi 20 août en Corse. Il était âgé de 71 ans. Producteur, réalisateur, programmateur, intervieweur, il avait su allier intelligence et grand public à travers des films et des séries documentaires pour l'ORTF dès les années 1960. Tout au long de sa longue carrière, Pierre-André Boutang a exploré les univers de la littérature, du cinéma et de la télévision tout en irriguant le débat intellectuel.

Fils du philosophe Pierre Boutang, il a d'abord été étudiant à l'Institut d'études politiques, avant de devenir assistant-réalisateur pour le cinéma et la télévision. De 1962 à 1967, Pierre-André Boutang est responsable du choix des films à la télévision, puis devient producteur et réalisateur de nombreux films et séries pour la télévision ("Les écrans de la ville", "Le journal du cinéma", "Cinéregards", "Champ contre champ"). Il signe aussi de nombreux sujets pour "Dim Dam Dom", émission décapante du temps de l'ORTF.

De 1967 à 1986, il produit plusieurs émissions telles que "Le nouveau dimanche", "L'invité du dimanche", "L'homme en question", "Désir des arts", "Projection privée" "Bibliothèque de poche", "Archives du XXe siècle", puis "Océaniques" pour FR3, où il signe des portraits de Fidel Castro, Martin Heidegger ou Louis Althusser. Le magazine fut récompensé par un 7 d'or en 1987 et en 1988.

La télévision lui doit aussi de grandes séries d'entretiens coréalisées avec Jean Rouch, dont les "Mémoires du XXe siècle", avec notamment des portraits de Gilles Deleuze (3 DVD aux Editions Montparnasse) et Pierre Vidal-Naquet, ainsi que "Sartre par lui-même", où le philosophe parlait de son oeuvre durant trois heures. Parallèlement, il produisit pour le cinéma des films de Jean Yanne, Marco Ferreri, Robert Bresson et le Sartre par lui-même d'Alexandre Astruc, ainsi que Les Favoris de la lune, d'Otar Iosseliani. Il est l'auteur d'une biographie de Roman Polanski.

En 1990, appelé par l'historien Georges Duby au sein de la Sept, la chaîne de télévision culturelle devenue ensuite Arte, il est nommé directeur délégué aux programmes auprès de Jérôme Clément et lance le magazine culturel "Océanopolis". Initiateur de nombreuses "Thema" qui ont contribué au succès de la chaîne, Pierre-André Boutang avait également créé le magazine culturel de cette chaîne "Metropolis", dont il a été le rédacteur en chef pour la France de 1995 à 2006.

Depuis dix-huit ans, Pierre-André Boutang était devenu un pilier d'Arte. La chaîne franco-allemande a diffusé ses documentaires comme "L'abécédaire de Gilles Deleuze", "13 journées dans la vie de Picasso", "Alexandre Soljenitsyne", "Depardieu, le regard des autres", "Mao, une histoire chinoise" et dernièrement "Jeanne M", portrait de Jeanne Moreau. Sa dernière oeuvre, "Claude Levi-Strauss par lui-même", sera diffusée sur Arte le 27 novembre.

"Avec lui, c'est une des personnalités importantes de la télévision culturelle qui disparaît et Arte tout entière est en deuil", a déclaré au Monde Jérôme Clement, PDG d'Arte France. "C'était un homme d'une grande curiosité intellectuelle, un personnage emblématique qui a beaucoup aidé la chaîne à se positionner. Il avait une conception élevée et exigeante de la télévision". La chaîne lui rendra hommage les samedis 23 et 30 août dans "Metropolis".

Daniel Psenny


Dates

25 mars 1937 : Naissance à Paris

1962 : Producteur-réalisateur au cinéma et à la télévision

1990 : Directeur des programmes à la Sept-Arte

20 août 2008 : Mort en Corse

(2) Les Distractions serait le seul film dans lequel mon ami Philippe d’Hugues aurait fait une apparition.