Mister Arkadin

POL VANDROMME (12 mars 1927 – 28 mai 2009)

13 Juillet 2009, 23:26pm

Publié par Mister Arkadin

Je me désolais l'année dernière d'écrire si régulièrement des nécrologies de cinéphiles et critiques, 2008 ayant vu la disparu de Lo Duca, Geneviève Le Baut, Roger Icart, José Baldizzone, Henri Agel, Claude Baignères, Francis Lacassin, Jacques Demeure, Philippe Esnault, Pierre-André Boutang. 2009 était jusqu'à présent moins funeste. Et voici que j'apprends la mort de Pol Vandromme. Espérons que cela ne nous annonce pas un été aussi triste, cinéphiliquement parlant, que le dernier et que la petite nécrologie qui suit, à paraître également dans le prochain numéro de la revue Ciné Scopie, sera la dernière avant longtemps.


Autant l'histoire de la critique de cinéma française commence à avoir été largement parcourue, même si quelques zones d'ombre subsistent, autant l'histoire de la critique des autres pays francophones demeure embryonnaire. Sauf erreur, on attend encore des histoires générales de la critique et de la presse québécoises ou suisses, ainsi qu'un inventaire des magnifiques émissions sur le cinéma produites par la Radio Suisse Romande et par la RTBF. Nos amis de Lausanne ont certes débroussaillé le terrain, en ce qui concerne les années 1920 surtout, notamment les remarquables chercheurs Roland Cosandey, Laurent Guido et Pierre-Emmanuel Jaques (1). Mais nulle synthèse portant sur l'ensemble du siècle dernier n'a vu le jour. La critique belge, peut-être plus dynamique pourtant, semble encore plus délaissée. Sans doute quelques mémoires, de l'Université libre de Bruxelles principalement (2), ont-ils lancé des pistes, que leur consultation difficile et leur absence de diffusion n'ont guère permis de poursuivre. À quand un dictionnaire des critiques, souvent excellents, de Bruxelles, de Charleroi ou de Liège, qui ferait redécouvrir et mettrait en valeur, entre autres, Georges Roane, Albert Valentin, Carl Vincent, Robert Poulet, Gaston Derycke et Claude Elsen, Denis Marion, Raymond de Becker, Noël Godin ou Patrick Leboutte ? Nombre d'entre eux nous sont souvent connus parce qu'ils ont aussi écrit dans la presse hexagonale et entretenu des rapports cordiaux avec leurs confrères français, la collaboration entre critiques belges et français ayant par exemple produit l'un des plus beaux livres de cinéma jamais parus, Une encyclopédie du nu au cinéma (Éditions Yellow Now), et l'un des sites les plus somptueux, "Cinerivage ", coordonné par la regrettée Françoise De Paepe.

Une histoire générale de la critique belge ne devrait pas manquer d'inclure Pol Vandromme, récemment disparu. S'étant essentiellement consacré à la critique littéraire, Vandromme ne paraît pas avoir pratiqué la critique de films proprement dite. En revanche, le premier de la bonne cinquantaine de livres qu'il a publiés en un demi-siècle est le dixième titre publié en 1955 dans la collection « 7ème art » du Cerf (encore active) : Le Cinéma et l'enfance. Thème archi rebattu depuis, que Vandromme fut alors l'un des premiers à traiter de manière sensible, originale et approfondie. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques les plus admirables de son œuvre : avoir été pionnier dans l'appréhension de sujets et d'auteurs ayant ensuite suscité de nombreuses études, qui n'ont cependant pas rendu caduques les siennes. Ainsi fut-il le premier à publier une monographie sur Hergé, Le Monde de Tintin, chez Gallimard (3), dont les exemplaires ne partent jamais à moins de quelques dizaines d'euros sur e-bay. Même antériorité en ce qui concerne deux critiques de cinéma plus connus pour leur engagement de journaliste dans la Collaboration, Robert Brasillach (4) et Lucien Rebatet (5), dont il sut étudier l'œuvre, quoiqu'il désapprouvât leur dérive politique, en faisant fi des critères moraux, la littérature et l'art n'ayant rien à voir avec ces derniers selon lui, principe qu'il appliqua également à l'égard de Céline. Alors qu'en ce qui concerne Rebatet, Vandromme s'attacha essentiellement à commenter le polémiste et le romancier, il sut faire ressortir pour Brasillach l'importance du 7ème art, là aussi lié à la jeunesse et même à la nostalgie, et de L'Histoire du cinéma, « la base même de notre existence », comme Brasillach l'écrivit de prison à Maurice Bardèche en novembre 1944.

Hergé, Brasillach, Rebatet, Pol Vandromme choisissait presque exclusivement des auteurs classés à droite, voire à l'extrême droite, puisque Aimé, Blondin, Déon, Marceau, Nimier figurent également parmi ses écrivains de prédilection, le mouvement des Hussards l'ayant profondément marqué, au point qu'il s'en fit le premier exégète dans La Droite buissonnière. Mais Vandromme savait reconnaître le talent d'où qu'il vienne, rendant aussi bien justice à Aragon qu'à Emmanuel Berl, aucun de ses écrits ne pouvant prêter le flanc à la police de la pensée, tant la passion n'y altère aucunement la rigueur, rehaussée par une érudition dépourvue de tout jargon. Et, pour en revenir au cinéma, si l'empathie était déclarée vertu première d'un critique, son Robert Le Vigan, compagnon et personnage de Céline, publié aux Éditions de la Revue Célinienne, puis dans Céline & Cie (L'Age d'Homme, 1996), serait institué en modèle des études biographiques.


P.S. : ma seule relation, extrêmement ténue, avec Pol Vandromme, est une référence que j'avais transmise à Alain de Benoist (auteur d'une monumentale bibliographie des intellectuels de droite) et qui figure dans la bibliographie, établie par Arina Istratova et Marc Laudelout, de son deuxième ouvrage sur Rebatet (Pardès, 2002, p.127) : Pons (Frédéric), Esthétique et politique. Les intellectuels fascistes français et le cinéma : Rebatet, Brasillach, Bardèche. 1930-1945, Mémoire de maîtrise d'histoire, dir. Jacques Droz, Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), 1977, 318 f.


Notes :

(1) Par exemple : Jaques (Pierre-Emmanuel), « La publication de Ciné et de Cinémaboulie, ou de quelques luttes dans le champ de la critique cinématographique genevoise (1926-1929) », Cinéma CH. Réception, esthétique, histoire, éd. Alain Boillat / Philipp Brunner / Barbara Flückiger, Marburg, Schüren, 2008, p.69-83.

(2) En particulier : Lemesre (Marion), Naissance de la critique cinématographique. Ses origines en France (1896-1921). Son passage en Belgique (1920-1930), dir. Gabriel Thovernon, Université Libre de Bruxelles, Section de Journalisme et Communications sociales, 1975-1976, 167 f.

(3) Ce livre a été réédité en 1994 à La Table Ronde, avec une préface de Roger Nimier, dont Hergé avait refusé la publication en 1959.

(4) Robert Brasillach. L'homme et l'œuvre, Paris, Plon, 1956, 256 p.

(5) Rebatet, Paris, Éditions Universitaires, coll. « Classiques du XXe siècle », 1968 ; Puiseaux, Pardès, 2002, 128 p.


Compléments :

- un texte de Pol Vandromme, « Il paraît que le journalisme s'enseigne... ».

- (25 août 2009) cette nécrologie vient d'être reprise dans le Bulletin célinien de septembre 2009 (n°211), dont voici le sommaire (et ci-contre la couverture) :

Marc Laudelout : « Bloc-notes »

Jacques Aboucaya : « Un spadassin des lettres »

Christian Dedet : « Le plus germanopratin des grands écrivains belges »

Jean-Baptiste Baronian : « Pol Vandromme : au bonheur des humeuristes »

Marc Laudelout : Entretien avec Pol Vandromme

Marc Hanrez : « Pol »

Bouquet d'hommages à Pol ( Jean Bourdier, François Cérésa, Christian Authier, Laurent Dandrieu, Michel Mourlet, Pascal Manuel Heu, Frédéric Saenen, Christopher Gérard )

Frédéric Vitoux : « Hommage à Pol Vandromme »
- (6 septembre 2009) Nécrologie de PV par PA (Pierre Assouline)