Mister Arkadin

LO DUCA RETROUVÉ

2 Janvier 2008, 23:18pm

Publié par Mister Arkadin

undefinedRevue de presse : Magali Thomas, « Joseph-Marie Lo Duca 1910-2004 », Archives, n°100, novembre 2007, 24 p.

 

A l’occasion de la sortie du centième numéro de la précieuse revue de l’Institut-Vigo de Perpignan (http://www.inst-jeanvigo.asso.fr), Archives – un remarquable ensemble consacré à l’une des grandes figures de la critique et de l’édition cinématographique en France (étude minutieuse par une universitaire ayant rencontré Lo Duca, illustrations abondantes, riches annexes et bibliographies) –, nous reprenons deux textes nécrologiques mentionnés par Jean A. Gili dans sa préface (« Lo Duca, de Milan à Samois-sur-Seine »), le nôtre, précédé par celui qui l’avait suscité.

 
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  Nécrologie : Joseph Marie LO DUCA (191O-2OO4), par Lucien Logette, Jeune Cinéma, n°291, septembre / octobre 2004, p.98

 

 

  Pour ceux qui n'étaient pas encore majeurs au début des années 60, son nom était lié à ces ouvrages infeuilletables, les (peu nombreux) libraires qui les proposaient les gardant sous vitrine cadenassée : nous a-t-elle fait rêver, cette « Bibliothèque internationale d'érotologie », sous jaquette somptueusement illustrée, dirigée par Lo Duca chez Jean-Jacques Pauvert, et surtout cet Érotisme au cinéma, qu'il avait signé et dont nous espérions les plus extrêmes délices le jour où nous pourrions enfin y accéder. Le moment venu, plus que l'iconographie, pourtant assez décoiffante dans ces années gaulliennes, c'est l'humour et l'intelligence de l'auteur qui nous étonna. Sous l'érotomane perçait l'encyclopédiste, capable d'ouvrir des perspectives foisonnantes à partir d'un matériau (assez) répétitif. La dimension du personnage nous apparut peu à peu, au fil des découvertes dans les boîtes à livres (il fallait alors découvrir, tout n'était pas balisé par google) : s'il y avait un lien entre son Histoire du cinéma, datée 1942 (le premier « Que sais-je ? » sur le sujet), dépassée mais plaisante, le roman de science-fiction La Sphèrede platine (écrit en 1927 et préfacé par Marinetti), Le Dessin animé (quifaisait, en 1948, le tour de la question) et l'opuscule, publié chez Pauvert en 1966, L'Objet, il était à chercher du côté du dilettantisme érudit (ou de l'érudition dilettante), ce qui n'est pas seulement un oxymore, mais une manière de vivre. Et nous ne savions pas encore qu'il avait conçu, en 1951, la couverture du premier numéro des Cahiers du Cinéma, qu'il avait fondé avec Jacques Doniol-Valcroze (et non pas, comme l'écrit Le Monde du 11/08, avec André Bazin, qui n'apparaîtra qu'au n° 2). Claude Beylie, dans la notice qu'il lui a consacrée dans La Critique de cinéma en France, nous apprend que son poème Neige sur la Baltique, traduit par Valéry, fut la première publication clandestine de la Résistance. Claude Lafaye (merci pour les renseignements qu'il nous a adressés) précise qu'il était docteur es lettres et docteur en médecine (et éditeur des Œuvres complètes d'Hippocrate), fondateur, en Italie, du musée Canudo, directeur à Paris du Cinéma d'Essai entre 1949 et 1954, réalisateur de courts métrages (dont un sur le douanier Rousseau), et que l'âge n'avait pas freiné son activité passionnée : il avait publié cette année une Petite histoire du cinématographe, et annonçait un Pourquoi ?, aux mêmes éditions du Capucin. En tout cas, on espère bien dénicher un jour son pamphlet Et si nous parlions des crétins ?, vaste sujet qu'il avait sans doute abordé avec la même verve si bien exercée pendant quatre-vingt-treize ans. Il était né à Milan le 18 novembre 1910, il est mort à Fontainebleau le 6 août 2004. 

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LO DUCA (suite), Jeune Cinéma, n°293, décembre 2004, p.71.

 

La nécrologie de Lo Duca publiée dans notre récent n°291 a éveillé l’attention de quelques lecteurs érudits. Ainsi, Pascal Manuel Heu nous a écrit :

« J'ai été ravi que vous rendiez un hommage mérité à Lo Duca, sauvant en quelque sorte l'honneur des Cahiers du cinéma, ou plutôt soulignant ainsi leur déshonneur de ne consacrer qu'une maigre notule à l'un de leurs fondateurs. Cette ingratitude était attendue, mais tout de même.

Juste quelques compléments d’information. Que Lo Duca ait publié la "première publication clandestine de la Résistance" est bel et bon (quoique je demande à voir), mais sa Résistance ressemble un peu à celle de Sartre, c'est dire si elle fut glorieuse : publication dans Comœdia, comme Jean-Paul (avec notamment un article très laudateur sur le Jeune Hitlérien Quex) ; publication de deux "Que sais-je ?", dont une Histoire du cinéma dans laquelle Le Juif Süss est rangé parmi "les films allemands de classe" (devenus "typiques" en 1947 !) ; publication de Mécanisme de la défaite française - La guerre des 150 ans aux éditions Europa, dont l'extrait que Charles-Antoine Cardot donne dans son Guidargus du livre politique pendant l'Occupation n'incite guère à penser que ce livre était bien subversif...Juif-Suss.jpg

 
Bref, l'hommage au Résistant aurait pu être nuancé. Une étudiante devrait faire le point sur Lo Duca dans le D.E.A. qu'elle prépare sous la direction de Jean Gili. Mais, dans une revue de cinéma, c'est l'hommage au critique et historien du cinéma qui importait et vous le lui avez très bien rendu. »

 

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LES DÉFIS DE SYLVESTER STALLONE [À PROPOS DE SON DERNIER FILM, "ROCKY BALBOA" (ROCKY VI), ET DE SON PROJET "LES 40 JOURS DU MUSSA DAGH"]

2 Janvier 2008, 16:20pm

Publié par Mister Arkadin

Compte rendu paru dans Jeune cinéma, n°310/311, été 2007, p.94-97.

  « Quel mauvais film que vous avez toutes les raisons de détester, voire de mépriser, ne pouvez-vous vous empêcher d’aimer quand même ? » Telle est la question que Jean-Pierre Bouyxou suggérait à la regrettée Françoise de Paepe d’ajouter au « Questionnaire cinéphilique » qu’elle avait concoctée (1). L’invoquer à propos du dernier film de Sylvester Stallone peut paraître désobligeant pour lui. Car autant les nombreuses suites de Rocky et de Rambo, et maints autres films d’action dans lesquels il a tourné sont, pour la plupart, d’une effarante médiocrité, autant le film qui le rendit célèbre, Rocky, un ami de trente ans (1976), a toujours bénéficié d’une relativement bonne cote auprès des cinéphiles. Oui, mais voilà, le Rocky Balboa sorti en France le 24 janvier dernier est le sixième du nom ; il survient après quatre autres opus dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne rivalisèrent pas par leur finesse (2). Pourtant, le dernier Rocky nous est arrivé précédé d’une réputation flatteuse, vite relayée par la presse populaire, le magazine Première notamment, sur l’air de : « Vous allez retrouver la saveur de l’original, l’expérience en plus ! » Surprise : la presse intellectuelle a suivi le mouvement, dans une moindre mesure bien sûr, mais quasi unanimement (Cahiers du cinéma, Charlie-hebdo, Libération, Le Figaro, etc.).Rocky-Balboa---Affiche.jpg

Comment expliquer cette faveur soudaine dont bénéficie à nouveau Rocky ? Par l’indulgence que l’on ne peut s’empêcher d’éprouver par un "has been" luttant désespérément pour sa survie ? Certes. Mais, plus fondamentalement, cette sympathie s’explique par la nostalgie, à la mode et à l’œuvre également dans le succès de La Môme, par exemple, certes favorisée par le retour d’un personnage que Stallone n’avait pas repris depuis 1990 (Rocky V), mais surtout décuplée par la redécouverte d’un cinéma américain qui semble d’un autre temps, celui des années 1970. En premier lieu d’un cinéma qui prenait encore son temps, justement. De ce fait, étonnement, le dernier combat de Rocky Balboa se fait attendre jusqu’au dernier quart du film. Quasiment pas un ring en vue, un échange de coups avant ce final, sinon pour montrer à quel point le champion du monde en titre, un vigoureux jeune homme que seul le plus-que-vétéran Rocky parviendra à tenir en respect, était dépourvu de challengers sérieux avant que Rocky ne se décide à s’entraîner à nouveau et à le défier. Le film prend d’abord le temps d’installer tranquillement la situation : un Rocky retiré depuis longtemps du ring, ne revivant plus ses exploits lointains qu’en les narrant aux clients du petit restaurant où il semble s’être retiré du monde. Il prend également le temps d’initier ou de revivifier, et surtout de développer ses rapports avec plusieurs personnages secondaires mais attachants : sa défunte femme, à qui il rend visite au cimetière, son fils, qui vit encombré par la légende qui entoure son nom, une nouvelle petite amie et le fils de celle-ci, son manager, lassé de voir Rocky ruminer sa mélancolie, ses fans, etc. Le plus remarquable est que, malgré le rythme indolent du film, délibérément tourné de façon très classique, presque "plan-plan", sans la moindre esbroufe, sa durée dépasse à peine une heure trente. Alors que la durée standard d’un film américain tourne désormais autour de deux heures quinze, voire deux heures trente, même chez des cinéastes "nerveux" (Scorsese notamment), cela nous rappelle opportunément que les classiques du cinéma américain excédaient rarement une heure trente, et n’en disaient pas moins long.

 

Pourquoi, malgré ses qualités indéniables, de mise en scène notamment, avoir parlé à son propos de « mauvais film » que l’on ne pourrait « s’empêcher d’aimer quand même » ? D’abord parce qu’il faut quelque courage pour se déprendre de préjugés que tout cinéphile a du mal à ne pas faire siens, dont le moindre n’est pas l’imbécillité de Stallone, à tout le moins de ses films depuis une vingtaine d’années. Ensuite parce que son petit dernier repose sur un postulat totalement absurde : que Rocky pourrait revenir à soixante ans et faire jeu égal avoir le champion en titre des lourds, de trente-cinq ans son cadet ! Comment croire à une telle histoire, viciée dès l’entame par ce que l’on sait qu’il arrivera inexorablement, à savoir qu’il est impossible que Stallone se prenne une dérouillée, alors que la simple vraisemblance l’exigerait ? Toutes sortes d’idées scénaristiques auraient pu être trouvées pour pousser Rocky à reprendre les gants : l’ennui d’une vie devenue routinière, la déchéance financière (à la Tyson), la volonté de se montrer à son fils sous son meilleur jour (tel Boris Becker remportant son dernier tournoi du grand chelem alors que son fils n’était pas né pour le précédent), etc. Or, ces motivations ne sont que très périphériquement évoquées par Stallone. Il en a choisi une autre comme moteur de l’histoire, bien plus audacieuse. Ce qui motive Rocky, c’est d’avoir vu une retransmission télévisée d’une sorte de jeu vidéo, une simulation de combat entre le boxeur qu’il fut jadis et le champion en titre. Qui gagnerait si deux champions pouvaient se combattre en abolissant la frontière temporelle, par delà leurs générations d’écart ? Tout l’enjeu du film est de nous convaincre, non seulement que Rocky pourrait croire être capable de faire coïncider la réalité avec cette simulation, que son entourage pourrait y croire aussi et l’y encourager, mais que cela pourrait advenir. Et surtout, que nous-mêmes pourrions en fin de compte y croire, ou le vouloir. Bref, que la réalité pourrait rattraper le virtuel au lieu de se laisser phagocyter par son expansion. Dans une mise en abyme à la fois simple et astucieuse, le film acquiert une dimension insoupçonnée en mettant en scène à l’intérieur même de son intrigue le conflit formel qu’il représente, entre un cinéma classique, en prise avec la réalité, et le nouvel univers des images, celui du "tout est possible" grâce aux avancées techniques, celui des jeux vidéo et des images de synthèse, celui qui distord la réalité en tous sens pour permettre, selon son bon vouloir, de « [mettre] Spencer Tracy dans Batman », pour reprendre un exemple de Martin Scorsese (3). « Est-il possible de créer des images digitales d’êtres humains et de faire, quand même, un film qui parle de gens ? », s’interroge ce dernier. Stallone lui répond en montrant qu’un Rocky vieilli pourrait, à force de volonté, de courage, sans se départir de son humanité, être l’égal du clone numérique du Rocky d’il y a trente ans, mécanique à boxer dépourvue de sentiments, entièrement mue par la technologie numérique. Le spectateur ne peut y croire, bien sûr, mais il le souhaite tellement qu’il finit par donner son assentiment, aussi absurde que le postulat du film puisse paraître. Stallone ne peut se résoudre à renoncer à son ambition de raconter des histoires d’être humains et non de machines à gagner, à abdiquer contre l’inéluctable victoire de la technique sur l’humain. Louable projet, quoique presque pathétique, qu’il a réussi à mener à bien en trouvant le moyen de mettre en forme la lutte d’influence qui oppose le nouveau cinéma et l’ancien. Mais pourrons-nous y croire encore longtemps ? 

Sylvester-Stallone---r-alisateur.jpgUne nouvelle annoncée dernièrement par la presse d’outre Atlantique montre que Sylvester Stallone est décidément de nouveau l’un des hommes à suivre dans le cinéma américain. Il est devenu la cible des lobbys turcs car il rêverait de porter à l’écran le roman du romancier juif autrichien Franz Werfel, Les Quarante jours du Moussa Dagh (4). Paru en 1933 (inutile d’insister sur l’importance de cette date), ce roman traite de la résistance menée par une poignée d’hommes contre une autre forme d’anéantissement de l’humain, aussi bien physique que spirituelle celle-là, la tentative de Génocide dont furent victimes les Arméniens de l’Empire ottoman au début du XXème siècle. En cette Année de l’Arménie en France, une vitrine installée au Musée nationale de la Marine (Palais de Chaillot, Paris XVI°), parallèlement à l’exposition consacrée au peintre russe arménien Aïvazovski (jusqu’au 4 juin 2007), montre comment des navires français réussirent à sauver quelques Arméniens d’une mort quasi certaine. Des coupures de presse montrent également que, dès cette époque, l’opinion était informée du caractère systématique de cette persécution, qui prouve la volonté génocidaire (L’Illustration, n°3455, 15 mai 1909, « Les massacres d’Asie mineure », et n°3788, 9 octobre 1915, p.386, « L’extermination des Arméniens »). Une adaptation de ce roman a été réalisée dans les années 1980. Sans grand relief, elle passa à peu près inaperçu. Par contre, à la fin des années 1930, la Metro-Goldwyn-Meyer dut renoncer à une première adaptation face aux pressions de la Turquie. Après avoir réussi à se confronter au virtuel, Sylvester Stallone parviendra-t-il à relever ce défi, plus difficile encore à réaliser, un grand film populaire sur une réalité en proie aux dénégations d’Etat, le Génocide arménien (5) ? 


Notes : 

(1) Pour son admirable site Internet « Cinerivage.com », disparu avec elle. Mes réponses à ce questionnaire ont été reprises ici. 

(2) Le net déclin de la série est particulièrement flagrant en comparant les notes attribuées aux différents films par les usagers de l’Internet Movie Data Base (Imdb pour les intimes) : 7,9 (40.043 votes) pour le premier Rocky, 6,4 pour le II (16.619 votes), 5,8 pour le III (17.185), 5,4 pour le IV (19.910), 4,1 (13.681) pour le V (chiffres du 16 avril 2007, à 18 heures). La note de la VIème mouture – 7,4 (27.013 votes) – confirme le retour en grâce de Rocky auprès du public. 

(3) Scorsese s’inquiète de cette « digitalisation, qui déshumanise le cinéma » (Thomas Sotinel), dans un entretien donné au Monde (« Le cinéma de distraction me fait penser aux jeux du cirque », 27-28 novembre 2005, p.14). 

(4) http://stallone.forumactif.com/AUTRES-FUTURS-PROJETS-f3/sly-veut-adapter-Les-40-Jours-du-Moussa-Dagh-t1281.htm undefinedLe projet, plus ou moins abandonné par Stallone, aurait été repris par Mel Gibson, comme je m’en suis déjà réjouis ici.

 

(5) Film qui constituerait le pendant du chef d’œuvre d’Atom Egoyan, plus intellectuel, Ararat (film que l’on a pu revoir en mai-juin lors d’une grande rétrospective au centre Pompidou et au sein d’un coffret DVD, aucun Jamel arménien n’ayant hélas été invité à le montrer au président Chirac pour qu’il interrompe le processus d’adhésion de la Turquie à l’Europe).undefined

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MEL GIBSON, CINÉASTE ENGAGÉ

2 Janvier 2008, 15:32pm

Publié par Mister Arkadin

Revue de presse : « 4O Jours de Moussa Dagh : Nouvelles intimidations turques », Les Nouvelles d’Arménie Magazine, n°137, janvier 2008, p.15 (http://www.armenews.com/article.php3?id_article=36519)
(voir également :
http://www.gamkonline.com/detail.php?r=0&id=6243&l=fr)


Comme à la belle époque des années 1970 et des marches de protestation contre la guerre du Vietnam, maints journaux et revues cinématographiques ont célébré ces derniers mois le retour des cinéastes et acteurs américains "engagés". Combien de dossiers sur le si vertueux Clooney, ses critiques des positions de l’Amérique, au Proche Orient ou en Afrique ? Presque autant, mais en émettant plus de réserves, sur les combats de Michael Moore. Dans la majorité des cas, c’est l’engagement contre la politique de Georges W. Bush qui attire toute l’attention des médias français. Le souci écologique a également plutôt les faveurs de la presse française, que ce soit pour Une vérité qui dérange d’Al Gore ou pour l’ancien Barbare Arnold Schwarzenegger.

 
Mel-Gibson.jpeg
 

En revanche, une autre star du cinéma hollywoodien n’a guère eu l’honneur de se voir qualifié de "cinéaste engagé", malgré la dimension éminemment politique de son cinéma. Tout au plus Mel Gibson a-t-il été l’objet de procès en sorcellerie, aussi bien en France qu’aux États-Unis. En plus d’avoir été suspecté d’antisémitisme, ce genre de suspicion valant condamnation quasi immédiate, des deux côtés de l’Atlantique, Gibson doit payer en France un succès par trop insolent pour y avoir bonne presse. Et voilà qu’il reprendrait, si l’on en croit Les Nouvelles d’Arménie Magazine, le projet de Sylvester Stallone d’adaptation des 40 Jours de Musa Dagh, publié dans les années 1930 par l’écrivain autrichien Franz Werfeld. Le thème de ce livre, qui raconte la rébellion d’un groupe d’Arméniens contre la tentative de Génocide dont ils ont été victimes sous l’Empire Ottoman, explique les multiples pressions qui auraient fait renoncer Stallone et qui s’abattent désormais sur Gibson. Espérons que ce dernier montrera autant de persévérance dans la réalisation de ce projet ô combien prometteur qu’il en eu pour mener à bien les deux précédents.

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Informations et liens complémentaires :

 

Le-Cin--ma-et-la-guerre.jpg- J’ai publié en 2005 une analyse du film ayant le premier contribué à établir la réputation d’acteur engagé de George Clooney : « Les Rois du désert : peut-on rire de la guerre en Irak ? », Le Cinéma et la guerre (dir. Hervé Coutau-Bégarie / Philippe d'Hugues, Paris, Commission Française d’Histoire Militaire / Institut de Stratégie Comparée / Economica, p.177-184).
- J'ai déjà évoqué le projet "Musa Dagh" de Stallone dans une analyse de son dernier Rocky Balboa : "Les défis de Sylvester Stallone", Jeune cinéma, n°310/311, été 2007, p.94-97 ; article repris ici.

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Sortie du jour : ALIENS VS PREDATOR

2 Janvier 2008, 10:56am

Publié par Mister Arkadin

Sort aujourd'hui sur les écrans français le blockbuster Aliens vs Predator -  Requiem.

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Il s’agit du deuxième épisode d’une "saga". Je n’avais pas vu le premier à sa sortie en France, le 27 octobre 2004.

Alien-vs-Predator.jpg

Bien entendu, cela ne m’empêcha point d’en parler, au "Libre journal du cinéma" de Philippe d’Hugues, le 4 novembre 2004. J’appliquai là le principe cardinal de la critique, à savoir qu’il n’est nullement nécessaire de connaître une œuvre pour discourir à son sujet. Plusieurs critiques de cinéma en ont joué avec virtuosité, tel Jean-Pierre Manchette ; Noël Godin, devenu célèbre depuis comme entartreur en chef (petite sélection de liens sur cette noble activité : 1 ; 2 ; 3), démontrant l’inutilité de l’existence même du film. En tout état de cause, la vision d’un film s’avère finalement pour eux, non seulement subsidiaire, mais presque superfétatoire.

N’ayant toujours pas vu Alien vs Predator, mon compte rendu de 2004 ne peut que garder toute sa pertinence et valoir tout aussi bien pour Aliens vs Predator -  Requiem. Le voici donc.

« Alien vs. Predator est le type même de film que que le « Libre journal du cinéma » se doit de signaler, tant il est rassurant de constater que l’industrie cinématographique renoue sans cesse avec certains de ses genres les plus traditionnels.

Or, il en est un qui est particulièrement cher au cœur des cinéphiles : l’orchestration de la rencontre entre grands monstres ou génies du mal. Rappelez-vous notamment l’inoubliable King Kong vs. Godzilla (1). Remarquez que le "versus" (contre) doit impérativement s’écrire "vs." : cela en jette, si je puis me permettre l’expression, cela en jette beaucoup plus sur l’affiche. C’était le cas également de "Kramer contre Kramer", Kramer vs. Kramer (2), dont les monstres étaient, reconnaissons-le, un peu moins distrayants.

On nous propose aujourd’hui un n’en doutons pas tout aussi mémorable Alien vs. Predator (3), après le Freddy vs. Jason (4) de l’année dernière. Sans doute nous proposera-t-on demain Terminator vs. Gremlins ou Dracula contre les dinosaures à Jurassic Park. On peut imaginer toutes sortes de combinaisons, de formules diverses et variées, même si elles risquent d’être assez vite quelque peu répétitives, de nous apparaître comme, littéralement, des formules.

Mais peut-être justement faut-il seulement les imaginer, et c’est d’ailleurs ce que je me suis contenté de faire, puisque je ne suis pas allé voir Alien vs. Predator. Pour une raison principalement : l’élément primordial recherché dans ce genre de films, la terreur qu’inspirent les deux monstres mis en présence, tend en général à s’annihiler, au lieu d’être démultiplié, surtout parce que cette terreur ne s’exerce plus aux dépends des personnages humains, auxquels le spectateur peut s’identifier. Au lieu de s’allier, les deux bestioles finissent très vite par s’affronter, et se taper dessus. Or, c’est tout de même bien moins le rapport entre King Kong et Godzilla, ou n’importe lequel des ses confrères, qui nous passionnaient, que ses rapports avec les humains, surtout, bien sûr, quand l’humain en question était la ravissante Fay Wray, disparue il y a peu. »


 

 

Informations et liens complémentaires :

- Le livre de Noël Godin, dans lequel sont regroupées quelques-unes de ses critiques de films : Godin par Godin, Éditions Yellow Now, 2000

Godin.jpg
http://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl_Godin

- Celui de Jean-Pierre Manchette : Les Yeux de la momie : chroniques dManchette.jpge cinéma, Éditions Rivages, 1997


http://manchette.rayonpolar.com/

- Le "Libre journal du cinéma" de Philippe d’Hugues : scripts des émissions sur le blog de Radio Courtoisie (http://radio-courtoisie.over-blog.com/categorie-175154.html)

Notes :

(1) Ishirô Honda / Thomas Montgomery, 1962

(2) Robert Benton, 1979.

(3) Paul W.S. Anderson, 2004.

(4) Ronny Yu, 2003. Nota : le Jason en question est le monstre de Vendredi 13.

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VM : ARTE NE TIENT PAS SES PROMESSES

1 Janvier 2008, 23:32pm

Publié par Mister Arkadin

Belle programmation, le soir du Nouvel An, sur Arte : un John Huston suivi d’un Nicolas Ray. Les deux films sont annoncés en version multilingue (VM), merveilleux procédé permettant aux spectateurs, grâce à la retransmission en numérique (sur le câble ou par la TNT), de choisir leur langue de diffusion (ainsi qu’éventuellement les sous-titres) et de ne plus se voir imposer soit la VO (version originale), soit la VF, dite "version française", que l’on devrait plutôt appeler VD ("version doublée"), voire CF (pour "contrefaçon"). Dans un article récent sur l’histoire du doublage, repris ici, je m’étais félicité du passage d’Arte à la VM, malheureusement seulement pour les films, espérant sa généralisation à tous les programmes, non seulement d’Arte, mais de toutes les autres chaînes, même TF1 (y compris pour une série de base, telle "Les Feux de l’amour").

Je me suis donc confortablement installé dans mon fauteuil hier soir,the-roots-of-heaven-2-.jpg pour le film de 20h30 (désormais à 20h50, au plus tôt, même sur Arte), ai réglé la langue tout aussi bien que le format de l’image et me suis apprêté à déguster Roots of Heaven ("Les Racines du ciel"), l’un des rares Huston que je n’ai jamais vu.

Las, quelles que soient les touches de la télécommande sur lesquelles j’appuie, pas moyen d’échapper à une vulgaire VD ! Idem à 22h50 pour Wind across the Everglades ("La Forêt interdite"). Enfer et damnation ! Forfaiture ! Remboursez ! Plus jamais je n’écrirai au fisc de réserver ma redevance TV à Arte (je le faisais en pure perte, bien entendu, mais cela soulageait…).

J’ose croire qu’il ne s’agit que du résultat d’un problème technique, et non d’une renonciation délibérée à la VM par crainte des soi-disant diktats de l’Audimat. Sinon, ce serait une étape de plus dans la dégradation d’un des derniers joyaux de la culture française.

(avec la collaboration d’OA).


D’autres blogueurs se sont déjà étonnés, voire scandalisés, des choix linguistiques d’Arte, par exemple Pierre Assouline. Ceux des autres chaînes publiques sont pires encore (un exemple)...


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QUESTIONS AU DOUBLAGE

1 Janvier 2008, 23:31pm

Publié par Mister Arkadin

Note de lecture parue dans Jeune cinéma (n°312/313, automne 2007, p.134-137), à propos de Rencontres autour du doublage des films et des séries télé, dir.François Justamand, préface du comédien Roland Ménard, Nantes, Editions Objectif-Cinema, 2006, 218 p.

 

Doublage.jpg


Le doublage est une activité qui, d’ordinaire, semble destinée à rester dans l’ombre, l’ombre des studios d’enregistrement, l’ombre des génériques de films, qui les ignorent superbement la plupart du temps (mis à part ceux des films d’animation, quand quelques vedettes y ont participé), l’ombre d’un statut et de conditions de travail inconfortables (et ayant du reste tendance à empirer). Qui songerait à mettre en avant les "doubleurs" quand il s’agit d’évoquer les « gens de cinéma » ? Deux films récents ont mis sur le devant de la scène cette profession. Mathieu Amalric interprète dans Le Grand appartement de Pascal Thomas un "adaptateur", c’est-à-dire l’auteur des textes français que disent les comédiens doublant les acteurs de films étrangers.

Le-Grand-appartement.jpg

Comme de juste, cette activité n’est guère satisfaisante pour lui, obligé qu’il est de lutter contre la volonté de ses collaborateurs et commanditaires de traduire en français "d’aujourd’hui" les dialogues d’un western. « C’est clair », ponctue l’un de ses collègues. Il est surtout clair que cette activité n’est pour le personnage d’Amalric qu’un pis-aller, où le désir d’expression personnel est en butte à trop de contraintes pour pouvoir s’épanouir. Même dépréciation du travail des doubleurs dans La Vie d’artiste de Marc Fitoussi, de façon plus caricaturale encore. L’agent du personnage interprété par Sandrine Kiberlain, sollicité pour lui trouver de "vrais" rôles (où on la voit), lui reproche de s’être "grillée" comme actrice en faisant du doublage et d’avoir choisi l’argent facile et abondant qu’il procurerait aux dépens de sa réputation. Sans en avoir retirer le moindre plaisir qui plus est, tant elle semble s’ennuyer à mourir lors des scènes où elle double un dessin animé japonais. Le premier livre français sur le doublage – ou, du moins, sauf erreur, le premier destiné au "grand public" et non aux techniciens du cinéma – tord le cou à cette image d’un secteur négligeable de l’activité cinématographique, certes toléré, parce que nécessaire, mais qui ne fournirait du travail qu’à quelques professionnels en mal de contrats dans des secteurs plus nobles (comédiens devant la caméra, techniciens sur un plateau de tournage, auteurs de scénarios originaux, etc.). Toute une équipe a pour ce faire été mobilisée par François Justamand, celle de la « Gazette du doublage », qui anime le plus complet des sites Internet sur le sujet (www.lagazettedudoublage.com ; sont données page 178 les adresses de quatorze autres sites !). « La Gazette du doublage » dépendant elle-même de l’excellent "portail" « Objectif-cinema.com », ce livre est l’émanation de l’un des plus remarquables sites Internet francophones sur le cinéma. Espérons que les éditions « Objectif Cinéma » pourront continuer de permettre à ses remarquables productions disponibles sur Internet d’être ainsi représentées dans l’édition "traditionnelle", sur papier (un très bon Lynchland # 1, par Roland Kermarec, avait précédemment paru).

Le titre du livre correspond à l’option choisie pour rendre compte du phénomène étudié, à la fois comme pratique, comme technique et comme industrie. Ces Rencontres autour du doublage donnent bien sûr la part belle aux comédiens, de Jean Davy, voix française de Gary Cooper et d’Orson Welles, à Benoit Rousseau, voix québécoise de Mike Myers et de Nicolas Cage. La spécificité de ce difficile travail y est soulignée à loisir, même si la modestie prévaut dans un milieu où, d’une certaine manière, on s’efface derrière l’image d’un autre. Au détour des entretiens, il est toutefois rappelé que de nombreux acteurs reconnus n’ont pas dédaigné s’y adonner (tels Pierre Arditi, Pierre Vaneck, Robert Dalban, Marcel Bozzufi, Jacques Dufilho et Louis de Funès) ou y ont débuté (tel Patrick Dewaere, enfant). Divers représentants des autres métiers du doublage (détecteur, traducteur & adaptateur, calligraphe, superviseur, ingénieur du son, etc.) sont également interrogés. Un panorama de tous les métiers et de toutes les étapes du doublage achève d’en donner une vision d’ensemble, complétée par plusieurs aperçus originaux (« Doublage et francophonie », « Comment faire ses débuts… », « Dans la pénombre des studios »).

Un petit regret cependant : que la partie historique ne soit pas plus importante, la naissance du doublage avec l’apparition du cinéma parlant, le rôle du scientifique Charles Delacommune dans son invention, son essor dans les années 1930-1940 et ses transformations au gré du développement de la télévision étant très rapidement évoqués. Or, une histoire du doublage offrirait un autre éclairage sur quelques épisodes cruciaux de l’histoire du cinéma, notamment en France, tant du point de vue de la production et de la distribution que de sa réception. Francis Courtade a écrit à la fin des années 1970 une histoire du cinéma français à travers ses crises, Les Malédictions du cinéma français. De façon assez similaire, une histoire des relations entre cinématographies française et américaine pourrait s’écrire à la lumière des paragraphes sur le doublage que comportent la plupart des accords commerciaux franco-américains, qui jalonnent l’histoire du cinéma français depuis 1929 (1931, 1936, etc.). Les fameux accords dits "Blum-Byrns", qui firent couler tant d’encre et marcher tant de manifestants, n’échappèrent pas à la règle en revenant sur le protocole de l’accord commercial de Washington du 6 juin 1931 qui fixait le nombre de films doublés pouvant être diffusés en France. De même, les grands moments de polémique autour du doublage mériteraient des analyses détaillées. La presse de 1932 ou de 1945 regorge de débats « Pour ou contre le doublage », dont les arguments se retrouvent dans les controverses qu’il suscite encore aujourd’hui. De grands metteurs en scène y ont pris part. Claude Autant-Lara par exemple, ou Jean Renoir, qui mit en garde le cinéma français renaissant de 1945 contre l’importation de films doublés : « […] rien n’est dangereux pour une nation en convalescence comme de se laisser aller à s’habituer à ce sous-produit qu’est le film doublé. […] Je crois que le devoir des dirigeants actuels du cinéma français est de déshabituer notre public du doublage. […] pour l’amour de Dieu, en un moment où ce monde est perdu s’il retourne aux mensonges commerciaux d’avant-guerre, ne nous laissons pas aveugler par les apparents avantages pécuniaires d’une combinaison parfaitement dégoûtante tant du point de vue humain que du point de vue artistique » (lettre à Pierre Blanchar, 31 décembre 1944 ; Lettres d’Amérique, Paris, Presses de la Renaissance, 1984, p.163-165). Dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale, les comptes rendus des films américains, qui sortirent bien souvent dans une seule version (française ou américaine), étaient de fait parsemés de notations sur le sujet, leur réception en dépendant grandement. Un seul exemple, tiré du Film français (n°79, 7 juin 1946, p.16) : « Soupçons (Suspicion) – Version doublée. […] La mise en scène d’Alfred Hitchcock, et les talents conjoints de Gary Grant et de Joan Fontaine font de ce film une série d’images qui restent dans l’esprit du spectateur ; mais d’où vient que le son soit si mauvais ? Est-ce la faute du doublage, de la copie, ou de la salle de projection ? »

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Plus généralement encore, une histoire du rapport aux langues étrangères entretenues par les différentes nations, et donc de leur rapport à l’Autre (si l’on nous permet une certaine grandiloquence), gagnerait à ne pas ignorer la façon dont le doublage est perçu, traité et diffusé dans chaque pays. Ainsi, le niveau élevé en langue, surtout anglaise, des populations du nord de l’Europe est-il en partie dû au sous-titrage des programmes de télévision. A contrario, tant que les films et séries américains seront diffusés par nos chaînes de télévision dans la langue de Molière, les petits Français auront d’autant moins de chances de maîtriser celle de Shakespeare (1). Et les étrangers continueront à se moquer de notre accent déplorable, comme dans l’une des scènes les plus drôles de The Bubble, film israélien récemment sorti en France. On rejoint là le paradoxe constitutif du doublage. Les comédiens "prêtent" leurs voix aux acteurs étrangers, tout en se substituant aux leurs : elles nous les font donc méconnaître alors même qu’il s’agirait de les rendre plus proches de nous ! Il y a quelques années, au cours d’une manifestation pour l’obtention du statut d’artiste-interprète, dans le cadre d’une grève qui paralysa un temps une profession en manque de reconnaissance (« grève du doublage » à laquelle Rencontres autour du doublage consacre un chapitre), un "doubleur" de Woody Allen arborera fièrement un portrait de l’acteur américain avec une grande croix sur sa bouche. Arme à double tranchant. Le comédien français entendait montrer que, sans lui, nous ne pourrions pas entendre Woody Allen. Or, bien sûr, cela n’est vrai que pour ceux qui regardent les films dans les versions sur lesquelles le "doubleur" a accompli son œuvre… Débat sans fin, qui n’aura peut-être bientôt plus lieu d’être, si le passage au tout numérique favorise la généralisation des versions dites "multiples" (C1). Grâce à ce procédé, la télécommande permet de choisir sa langue, ainsi que ses sous-titres éventuels. Plusieurs chaînes du câble le proposent depuis quelque temps pour une partie de leur programme (Canal Jimmy par exemple). Arte s’y est mise depuis peu (C2), comme l’explique son directeur de la programmation (Emmanuel Suard), dans « Goût français, goût allemand », passionnant entretien donné à la revue Allemagne d’aujourd’hui pour son numéro spécial « Cinéma allemand : les jalons d'un renouveau » (n°176, avril-juin 2006, p.11).

Et voici que même TF1, à la faveur de la TNT, promet de s’y convertir progressivement, la saison 3 de la série Grey’s Anatomy ayant été la première à en bénéficier à partir de mai 2007. Heureuses nouvelles, qui n’entraîneront bien sûr pas la disparition du doublage et des études le concernant, en particulier sur son histoire et ses techniques. Nous n’avons esquissé ici que quelques pistes de réflexion. Gageons que la « Gazette du cinéma » continuera d’en suggérer bien d’autres, que ce soit sur son site ou dans une prochaine publication.


Note:

(1) (5 septembre 2008) : Le Figaro a publié dans son édition du 3 septembre une page bien documentée sur l’enseignement des langues à l’école. Parmi les facteurs expliquant l’avance des Européens du Nord sur ceux du Sud figure la « stimulation continuelle des connaissances des enfants », ceux de Finlande étant 93 % à affirmer « regarder tous leurs films en version originale ». Claude Hagège donne également d’autres explications dans l’entretien que je repique ci-dessous.


Hagège : «Les Français ont moins de facilité»

Propos recueillis par M.-E. P.

03/09/2008.

INTERVIEW - Pour le linguiste Claude Hagège, des raisons avant tout historiques et linguistiques expliquent les performances moyennes des Français.

Claude Hagège, linguiste français, polyglotte, est directeur d'études en linguistique structurale à l'École pratique des hautes études, il est titulaire de la chaire de théorie linguistique au Collège de France.

LE FIGARO.  Pourquoi les Scandinaves ou les Allemands paraissent-ils avoir de telles facilités à apprendre l'anglais par rapport aux Français ?

Claude HAGÈGE.  Deux raisons, linguistique et historique, expliquent cet état de fait. Les enfants de ces pays apprennent mieux l'anglais parce que le vocabulaire et la structure linguistique de ces langues dites anglo-saxonnes ou scandinaves sont très proches de l'anglais. Même s'il n'y a parfois aucune ressemblance phonétique. Des pays comme la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, le Danemark apprennent par ailleurs l'anglais de façon plus précoce et plus intense que les pays de langue romane pour une raison purement historique : si l'anglais est aussi présent dans leur scolarité et dans leur quotidien, à la télévision par exemple, c'est parce que leur langue maternelle n'est connue nulle part ailleurs que dans leur propre pays !

Les Français sont-ils si mauvais que cela en anglais ?

Ils partagent une certaine difficulté à apprendre l'anglais avec les autres Européens de langue romane comme les Italiens et les Espagnols, dont le lien est beaucoup plus lâche avec l'anglais que les pays scandinaves. A fortiori, les pays éloignés géographiquement de la zone d'influence anglaise comme les Russes, les Japonais, les Chinois sont encore plus loin d'être «naturellement» doués en anglais. Ils éprouvent même plus de difficultés que nous, les tests internationaux le démontrent. Enfin, les Français comme les Espagnols, dont les langues sont répandues bien au-delà de la seule Europe, éprouvent beaucoup moins  l'«urgence» et la nécessité d'apprendre l'anglais qu'un petit pays comme le Danemark dont la langue maternelle n'est parlée… qu'au Danemark.

La France ne souffre-t-elle tout de même pas d'un mode d'enseignement très académique, fortement axé sur l'écrit au détriment de l'oral ?

Les pratiques d'enseignement peuvent certainement être améliorées en France. Mais les préjugés selon lesquels l'enseignement en langues serait mauvais sont tout à fait exagérés, même s'ils sont tenaces. Je fréquente beaucoup de professeurs et d'étudiants en anglais et je peux vous assurer que la conversation orale tient une part importante dans l'apprentissage. La source principale des difficultés des Français est ailleurs, c'est la structure même de notre langue qui est en cause.


Complément (6 janvier 2009) : A l'occasion de la réforme de l'audiovisuel en cours, dont la mesure la plus spectaculaire est la suppression de la publicité à certaines heures sur les chaînes de télévision publiques, le pape de la pédagogie, Philippe Meirieu, prône l'instauration d'un cahier des charges plus contraignant ("rigoureux", écrit-il) pour toutes les chaînes, aussi bien publiques que privées. Parmi les six mesures phares de son manifeste "Pour un télé responsable", paru hier dans Le Monde, la cinquième est la plus digne de retenir notre attention :

"Afin de lutter contre l'incompétence notoire des petits Français en matière de langues étrangères, toutes les chaînes, sans exception, devraient être contraintes de diffuser les émissions, feuilletons et films étrangers en version originale sous-titrée, et cela aux heures de grande écoute."


Voici le texte complet de Meirieu :

L'enjeu de la réforme de l'audiovisuel est clair : ou bien l'Etat garantira au service public les moyens de son indépendance et de sa qualité, ou bien ce dernier s'étiolera et, à court terme, sera marginalisé ou privatisé.

Mais tout se passe aujourd'hui comme si cette question pouvait être isolée de celle des droits et obligations des chaînes privées. Or sans une réflexion globale sur la fonction de la télévision dans notre société, sans une réinterrogation citoyenne de l'ensemble du fonctionnement de l'audiovisuel, les chaînes publiques seront amenées soit à basculer dans une télévision "officielle", politiquement et culturellement correcte, soit à singer les chaînes privées, mais avec moins de moyens.

La question est d'autant plus décisive que l'arrivée massive de nouveaux canaux de distribution, sur le Web ou sur nos téléphones, ne banalise pas la télévision, tout au contraire. Face à l'afflux d'images qui se télescopent et nous assaillent de toutes parts, face à une consommation effrénée de clips de toutes sortes, les grandes chaînes de télévision restent, symboliquement et concrètement, les seules références communes. Quand YouTube met en ligne un million et demi de nouvelles vidéos chaque jour, quand des centaines de millions d'images fixes et animées circulent en permanence entre les particuliers, la télévision reste le seul média qui conçoit, organise et présente des "programmes".

On n'empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d'images par l'intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs. Mais c'est justement pour cela qu'il faut renforcer les chaînes de référence qui ont la responsabilité de présenter une vision du monde moins chaotique et plus saisissable. A côté du déferlement et de la surenchère d'images hypnotiques, nous avons besoin de chaînes qui ne misent pas systématiquement sur la sidération pour scotcher les téléspectateurs à l'écran. Nous avons besoin que de grandes chaînes de référence suscitent la réflexion et introduisent à la culture.

C'est pourquoi il est absolument nécessaire que l'ensemble des chaînes généralistes, publiques et privées, qui bénéficient d'une large diffusion soit soumis à un cahier des charges rigoureux. Le droit d'émettre, d'entrer dans tous les foyers et dans les chambres des enfants (54 % des élèves français ont la télévision dans leur chambre), ne peut se concevoir sans des devoirs.

Du point de vue éducatif, quelques décisions immédiates s'imposent.

- En même temps que la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, il faut interdire toute publicité, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, dix minutes avant et dix minutes après les émissions à destination du jeune public. Exactement le contraire de ce qui se passe aujourd'hui quand on supprime systématiquement les génériques de fin et qu'on utilise les mêmes codes graphiques pour les dessins animés et la publicité qui leur succède.

- On doit imposer à toutes les chaînes qui diffusent des journaux télévisés et des magazines à destination des adultes de présenter des émissions de décryptage de l'information à destination des enfants et adolescents. C'est bien le moins que nous puissions faire, en effet, nous qui ne cessons de nous gargariser avec "la formation à la citoyenneté" et livrons nos enfants à un bombardement permanent d'informations indéchiffrables.

- Les émissions pour la jeunesse devraient toujours faire l'objet d'appels d'offres transparents avec, chaque fois, un cahier des charges précis et l'obligation, pour chaque chaîne, de mettre en place un comité consultatif, composé de parents, d'experts et de jeunes, chargé de transmettre un avis circonstancié sur toutes les propositions.

- Afin de lutter contre l'incompétence notoire des petits Français en matière de langues étrangères, toutes les chaînes, sans exception, devraient être contraintes de diffuser les émissions, feuilletons et films étrangers en version originale sous-titrée, et cela aux heures de grande écoute.

- Pour compléter la signalétique qui existe aujourd'hui et déconseille certaines émissions aux enfants de moins de 10, 12 ou 16 ans, toutes les chaînes devraient être astreintes, sur chaque émission qu'elles signalent, à ouvrir un forum Internet avec des conseils aux parents et la possibilité d'un dialogue régulé avec eux. Systématiquement, les chaînes devraient rappeler aux familles la règle d'or du bon usage de la télévision pour les enfants : "Choisir avant. Regarder avec. Parler après."

Bien d'autres choses seraient nécessaires, en particulier en matière d'information citoyenne, d'ouverture à la création artistique et culturelle, de retours automatiques sur les émissions avec des débats ouverts à tous. Si l'on veut définitivement écarter le risque de télévisions aux ordres (du gouvernement ou de leurs actionnaires), chaque chaîne devrait être contrainte de diffuser une émission hebdomadaire indépendante d'analyse de ses propres programmes. Pas de véritable démocratie, en effet, sans un minimum de contrepoison à toutes les tentations totalisantes et totalitaires. Car l'enjeu est de taille : donner à la France la fierté de sa télévision et stimuler l'émulation des intelligences au lieu de laisser nos médias s'enfermer dans une oscillation mortifère entre crétinisme et élitisme.

Philippe Meirieu (professeur à l'université Lumière-Lyon-II, est directeur de la chaîne de télévision Cap Canal)

Ce texte est soutenu par la FCPE, la PEEP, la Ligue de l'enseignement, Education & Devenir, les centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (Ceméa) et le SGEN-CFDT.


Compléments :

C1) Un état des lieux de la VM sur les chaînes françaises est proposé par Télérama dans son numéro du 12 janvier 2011 (p.29).

C2) Hélas, bien souvent, un film est annoncé en VM puis passe en VF, par exemple The Game, le 23 janvier 2011.

C3) (13 décembre 2011) Un nouveau film, Hollywoo, met en scène un acteur de doublage, dont la profession est bien sûr tournée en dérision.

http://www.bienpublic.com/fr/images/A155FC40-4354-41B8-A238-3E9E4B732AD9/LBP_03/hollywoo-jeanne-est-la-doubleuse-francaise-d-une-actrice-americaine-qui-joue-dans-une-serie-tele-a.jpg

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