Mister Arkadin

LIVR'ARBITRES : CINÉMA ET "ENGAGEMENT"

4 Juin 2013, 15:18pm

Publié par Mister Arkadin

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A l'occasion de la parution de son numéro 11, en partie consacré au journaliste et écrivain François Sentein, la revue littéraire Livr'Arbitres propose une soirée de rencontres, dédicaces et ventes de livres neufs et d'occasion :

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J'ai participé à ce numéro en rendant compte succinctement de deux livres et en proposant l'article suivant pour le dossier « Les écrivains [les cinéastes en l'occurrence] dans la cité » :

 

DE DEUX SORTES DE "FILMS À MESSAGE",
ET DE LA MANIÈRE DE LES APPRÉHENDER

 

 « Le hasard a voulu qu’au moment où le débat sur l’euthanasie ressurgit deux films abordant la question de la fin de vie aient les honneurs des Césars » (1). Il faut toute la naïveté ou l’aplomb d’une "chroniqueuse" du journal officiel de la France "pensante" pour croire ou prétendre faire accroire que ce serait « sans propagande ni militantisme » qu’Amour et Quelques heures de printemps ont surgi et ont été promus fort à propos, comme par hasard dans le sens voulu par l’Oligarchie, pour préparer les esprits sur une matière dont est saisi le Législateur, de la même manière que Mar Adentro l’a fait en Espagne ou La Belle Endormie en Italie.

Peut-on réduire ces films, indéniablement réalisés par des cinéastes talentueux, à leur thématique ? N’est-ce pas l’honneur de la critique française d’avoir depuis longtemps su faire le départ entre le sujet des films et leur mise en forme, la mise en scène devant primer dans le jugement de goût ? Certes. Tout critique parisien digne de ce nom trouverait ringard de s’appesantir sur le fond des "films d’auteurs", même ceux qui sont dotés d’un contenu politique – ainsi serait-il du dernier vulgaire d’examiner principalement ce que The Master aurait à nous dire sur le phénomène sectaire (et l’église de Scientologie en particulier) ou Django Unchained sur l’histoire de l’esclavage. Notons qu’a contrario, quand le "message" d’un film ne va pas dans le sens "progressiste" (par exemple Juno, dans lequel l’héroïne choisit de ne pas avorter, malgré sa jeunesse et le caractère accidentel de sa grossesse), les médias dominants ne se sentent nullement déchoir en focalisant la réception sur la question de "fond", pour l’y réduire et pour dénoncer la façon rétrograde dont elle est envisagée.

http://www.morbleu.com/wp-content/uploads/2009/05/image.jpgAu demeurant, peuvent être distinguées deux sortes de films militants ou "à message" : ceux qui s’avancent masqués, qui prétendent se démarquer des films-pour-"Dossiers de l’écran" par la subtilité de leur traitement, par le fait que leur thème principal (le métissage, l’échangisme, la Tolérance, la menace que représenterait pour la Paix mondiale le régime iranien, etc.) ne serait pas l’essentiel de leur propos et de ce qui devrait donc être retenu principalement pour leur analyse ; et ceux qui sont ouvertement partisans (du type The Promised Land, contre l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique, ou les films de Ken Loach). Pour déjouer les stratagèmes de la Propagande par Septième art interposé, ne devrait-il pas être opéré un renversement de l’appréhension critique des films à contenu politique ? Ceux qui travaillent subrepticement le spectateur dans le sens du courant idéologique dominant tout en faisant mine d’être avant tout des « propositions de cinéma » seraient traités en examinant prioritairement le discours qu’ils véhiculent, et leur manière de le faire "passer en douce" ; à l’inverse, les seconds seraient examinés plus particulièrement sur un plan cinématographique, du point de vue formel plutôt qu’en fonction de leur "discours" ; en ayant à tout le moins pour les films annonçant frontalement la couleur une certaine bienveillance, même s’ils participent bien sûr de l’endoctrinement général, tel Comme les autres, dont le titre même ne dissimule pas qu’il se positionnait en faveur de l’"homoparentalité", ou l’outrancièrement immigrationniste et néanmoins réjouissant Travaux… on sait quand ça commence ! (dans lequel il est affirmé qu’ « un immigré, c’est sacré ! ») – de la même manière que Charlie Chaplin affichait son "engagement" en fustigeant Le Dictateur ou que Leni Riefenstahl, malgré ses dénégations ultérieures, glorifiait le régime au service duquel elle s’était mise en magnifiant Le Triomphe de la volonté. En gros, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, il conviendrait de « parler cinéma » en priorité pour les films ouvertement militants et de parler politique ou « fait de société » à propos de ceux qui prétendent être surtout « du cinéma ».

Quant au fameux Argo, sur fond d’exfiltration de diplomates américains hors d’Iran, son habileté suprême fut de faire du cinéma lui-même le centre d’intérêt principal du film, soit le piège ultime et particulièrement retors de la propagande véhiculée par l’industrie cinématographique : aller au-devant de la nécessité qu’il y aurait à apprécier les films principalement en fonction de leur intérêt « cinématographique » plus que de leur contenu en focalisant l’attention sur les pouvoirs de suggestion de la machinerie hollywoodienne. Pour ce genre de films, pas de quartier : dénoncer l’imposture s’impose ! À moins de considérer qu’Argo vend la mèche, en montrant implicitement que la puissance de l’Empire repose désormais presque exclusivement sur sa capacité à entretenir le consentement par la fabrication d’illusions…

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Note :

(1) Blanchard (Sandrine), « Inoubliables fins de vie », Le Monde, 21.II.2013, p.21, chronique « Vie moderne ».

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Compléments :

- Le cas du film Juno, ici et ;

- Critique du film Comme les autres.

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