Mister Arkadin

COMME LES AUTRES

16 Mars 2009, 17:30pm

Publié par Mister Arkadin

Le film Comme les autres vient de sortir en DVD. Est reproduit ci-dessous le compte rendu que j'ai publié au moment de sa sortie en salle dans Jeune cinéma (n°319/320, automne 2008, p.106-109).


Le Premier jour du reste de ta vie et Comme les autres

Le Premier jour du reste de ta vie : film de Rémi Besançon, avec Jacques Gamblin, Zabou Breitman, Déborah François, Marc-André Grondin ; France, 1h54 ; sorti le 23 juillet 2008

Comme les autres : film de Vincent Garenq, avec Lambert Wilson, Pilar López de Ayala, Pascal Elbé et Anne Brochet ; France, 1h33 ; sorti le 3 septembre 2008

L'inconvénient d'un grand livre est que les points de vue qu'il développe s'imposent plus ou moins au lecteur et tendent ensuite durablement à s'interposer entre ce dernier et le sujet traité. Ainsi devient-il presque impossible, après lecture de Symptômes du cinéma français, livre dont il est question par ailleurs dans ce numéro (1), de voir la majeure partie des films français sans que reviennent à l'esprit les diagnostics de Daniel Serceau, tant ceux-ci s'avèrent pertinents pour décrire non seulement les films qu'il a analysés, mais aussi ceux qui sont sortis depuis. On voudrait pouvoir s'en déprendre et être capable d'élaborer ses propres outils conceptuels pour appréhender, par exemple, deux des rares succès français de l'été, les agréables Le Premier jour du reste de ta vie et Comme les autres. Peut-être n'est-ce hélas pas tant nous qui manquons d'intelligence pour leur rendre justice qu'eux qui manquent d'ambition, d'ampleur et d'originalité pour échapper aux grilles d'analyse de Daniel Serceau. Car quelques-unes de ses formules suffisent pour rendre compte des limites des deux films, que l'on peut dès lors considérer comme symptomatiques. Contentons-nous même d'une seule : « Un cinéma de la gentillesse », qui, « ne v[oulan]t pas croire à la duplicité humaine », évacue la conflictualité.

Ces deux films ont en commun de montrer une famille en crise. Famille "classique" dans Le Premier jour du reste de ta vie (père, mère, fille et garçons, grand-père) ; famille "moderne" dans Comme les autres (un couple de deux hommes, dont l'un veut un enfant, l'autre pas, et la femme que le premier "engage" pour être leur mère porteuse). Il ne saurait être question de reprocher à ces deux comédies, dramatiques - mais principalement comédies -, de se vouloir optimistes, d'être, dans un cas, une ode à la famille, affreux nœud de vipères dont on ne peut se passer, plus mauvais mode de vie en commun à l'exclusion de tous les autres, dans l'autre un "film tract" pour l'homoparentalité. Non, là où le bas blesse, c'est que, pour se faire, leurs auteurs semblent s'être torturés l'esprit pour que tout finisse comme dans le meilleur des mondes possible. Non seulement les conflits que l'on pourrait dire majeurs trouvent une résolution heureuse, mais les conflits mineurs qui s'y greffent sont également pris en charge par le scénario pour qu'aucun ne demeure irrésolu, pour qu'aucun des personnages ne reste sur le bord de la route, en détresse.

Deux exemples dans Le Premier jour du reste de ta vie. Grosse colère de la fille envers une mère avec laquelle elle ne s'entend plus depuis longtemps et qui a eu l'indélicatesse de lire son journal intime. Portes qui claquent, départ en furie de la fille, qu'on pense ne plus revoir de sitôt. La mère fonce à ses trousses et, dans sa précipitation, est renversée par une voiture. Aussitôt, la fille se retourne et accourt, éperdue d'amour et de sollicitude. Tout est oublié, tout est pardonné, tout rentre dans l'ordre. Tant mieux si un accident permet de résoudre tous les conflits, mais la première réaction d'une fille qui verrait un malheur survenir à une mère détestée ne serait-il pas de s'en réjouir, même l'espace d'un instant, même pour s'en repentir à la seconde suivante et revenir presque tout de suite à de meilleurs sentiments ? Rien de tel ici, nulle duplicité, le personnage est tout d'un bloc, dans le rejet de sa mère d'abord (rejet qui cache un torrent d'amour, cela va de soi), dans la réconciliation ensuite. "Non réconciliés", tel était le mot d'ordre de Straub et Huillet. Tous toujours réconciliés, in fine, semble être celui du jeune cinéma français. Deuxième exemple. Le père en veut beaucoup au grand-père de ne jamais lui avoir manifesté le moindre amour, de n'avoir par exemple aucune photo de lui en exposition dans sa maison : « Tous les parents ont des photos de leurs enfants chez eux ; pas toi ! » Une demi-heure plus tard, incidemment, le personnage découvrira par hasard que son père avait bien des photos de lui, tout contre son cœur, dans son portefeuille.

Même volonté de résolution de tous les conflits, même secondaires, dans Comme les autres. Le titre, excellent, est suffisamment explicite, les auteurs jouent suffisamment franc jeu pour qu'il ne leur soit reproché d'avoir concocté un "film-pour-dossier-de-l'écran" faisant mine d'exposer les points de vue divergents sur la filiation homosexuelle pour imposer le leur, évidemment favorable. Il revendique d'emblée son militantisme puisque l'on sait d'avance qu'il nous sera démontré que deux hommes peuvent fonder une famille "comme les autres". Nous verrons que cela pose le même type de problèmes qu'à un couple hétérosexuel souffrant banalement d'infertilité, en vertu de l'axiome que Ben Gourion énonça au sujet d'Israël, qui serait « un État comme les autres quand il aura[it] ses voleurs et ses prostitués ». Celui des deux hommes qui ne voulaient pas d'enfant (Philippe) finira plus papa poule encore que l'autre (Manu), tous les obstacles pour en obtenir un ayant été vaincus. Tel était le programme minimum. Les auteurs vont plus loin, "sauvant" in extremis la mère porteuse, une immigrée clandestine qui, non seulement trouvera refuge en France à la faveur du mariage arrangé par Manu, mais finira par ne plus lui en vouloir de s'être d'une certaine façon servi d'elle et de l'avoir fait tomber amoureuse de lui. Comme si cela ne suffisait pas, la sœur de Manu, scandalisée lorsqu'elle apprit le stratagème imaginé par son frère pour avoir un enfant, finira par l'accepter avec joie et sa meilleure amie, une vieille fille un moment prise de jalousie en voyant ses deux amis "pédés" avoir un enfant alors qu'elle-même désespère, finira par trouver l'âme sœur.

Bref, un désir d'universelle concorde préside à la réalisation de ces films. Il n'est certes pas déplaisant d'être caressé dans le sens du poil. Il n'est en revanche pas sûr que l'on puisse se contenter d'un tel cinéma de réconfort quelque peu lénifiant, qui n'apporte guère d'éclairages pertinents et relativement dérangeants sur l'état du monde et de la société française.


Note :

(1) Jeune cinéma, n°319/320, automne 2008, p.13-15 ; compte rendu également publié sur "Objectif-cinéma".


Complément (22 mars 2009) : Cette revendication à être reconnu comme un « père comme les autres » (pour reprendre le titre d'un livre de Christophe Girard, l'adjoint au maire de Paris en charge de la culture, qui se félicite que la droite au pouvoir reprenne ses positions - cf. « face-à-face » avec le député UMP Jean-Marc Nesme, Le Figaro Magazine, 14 mars 2009, p.36-37) est loin de recueillir l'approbation de tous les homosexuels, comme le montre l'article « Vraiment comme les autres ? », publié par Didier Roth-Bettoni (auteur du monumental L'Homosexualité au cinéma, Éditions La Musardine, 2007, 752 p.) sur "Hétéroclite", « le magazine web gay mais pas que... ».