Mister Arkadin

LE CINOCHE DE BOUDARD

7 Mars 2012, 12:50pm

Publié par Mister Arkadin

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Aussi bien dans l’entretien qu’il a donné au "Libre journal du cinéma" (le 1er décembre 2011) que dans son récent essai La France d’Alphonse Boudard, Pierre Gillieth a reconnu sans détour que la contribution de Boudard au cinéma, que ce soit par le biais d’adaptations de ses romans, notamment La Métamorphose des cloportes (où les références au cinéma sont pourtant légion), que par sa collaboration à des scénarios originaux ou inspirés d’œuvres d’autres auteurs, n’avait guère produit de films mémorables. Dans son livre de souvenirs recueillis par Lucien d’Azay (Contre-enquête, publié en 1998 chez Robert Laffont), Boudard parle de « films "casse-croûte" » : « Je faisais le mieux possible, certes, mais il fallait aussi que je gagne ma vie » (page 173). Aussi bien n’est-ce pas par pure modestie qu’il émet un diagnostic pertinent à ce sujet : « pour moi, le cinéma était quelque chose de tout à fait secondaire, puisque je ne pouvais pas être le maître… » (page 174).

Par conséquent, ce que les rapports de Boudard au cinéma ont engendré de meilleur est sans doute son roman Cinoche, dans lequel il livre une savoureuse satire des « us et coutumes cinochières » (Éditions La Table ronde, 1974 ; collection « Folio », 1975, page 75). Gillieth indique qui se cachent derrière les personnages croqués malicieusement par Boudard : l’inénarrable couple Marc Simenon – Mylène Demongeot (Luc Galano et Gloria Sylvène, tout du long du récit, avec au passage un portrait du père Ralph Galano, un Georges Simenon qui aurait été peintre à succès, mais artiste aux manies similaires…), les cinéastes Henri-Georges Clouzot et Denys de La Patellière (le sadique Satanas et le médiocre Glapaudière, page 50), Pascal Jardin (l’opportuniste Blaise Potager, page 88), Michel Audiard (le pétillant Loulou Masardin, page 80). En revanche, autant un autre pseudonyme est transparent (« le génial Asmachin », prophète de la caméra stylo, page 127), autant quelques autres sont moins évidents aujourd’hui (le producteur Slimane Chilbik, page 67, Anatole Vasinat, page 85, Marius Gonfalon, page 121, Kurt Zolbelblatt et Virgil Korluche, Léon et Marilyn Busard, directeur de production et attachée de presse, page 266).

Boudard est encore moins explicite que Gillieth, car il prétend s’être « servi de certains traits de personnes que j’ai rencontrées dans ce métier, mais je les ai mélangés. […] En fait, Cinoche n’est pas un livre à clefs, c’est un livre à fausses clefs… Et puis ce n’étaient pas de très grosses vedettes : si j’ai choisi cette affaire-là en particulier, c’est parce qu’elle était un peu minable. »

L’affaire en question, c’est la rocambolesque préparation du Champignon de Marc Simenon, film n’ayant en effet pas laissé un souvenir impérissable dans la mémoire des cinéphiles – ci-dessous deux affiches, dont l’une à l’opportunisme tout à fait dans le ton du livre de Boudard :

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Au moins ce Champignon aura-t-il été le prétexte à l’écriture d’un des romans les distrayants et instructifs sur les milieux du cinéma. Tropisme personnel oblige, j’ai sélectionné en guise d’échantillon un passage où Boudard épingle la critique (pages 33-34 ; notons qu’il vise plus explicitement encore page 85 « les dévots des Cahiers du cinéma », et qu’il épingle sans ménagement les clans de la Nouvelle Vague et de Libé dans Contre-enquête) :

« Hyde Park, les explications mortelles au surin… tous les ruffians à melon gris perle… Jo le Havrais, Alex le Juif… les rues du Soho avant 14, ça me faisait rêver la plume ! Un sujet fort et coloré à lui tout seul… l’ambiance Mac Orlan. Mais déjà, hop ! le Milo me plongeait dans une autre période… l’après-guerre en Argentine… le gang des Parisiens… la maison gigolette à Buenos-Aires. Là, il s’est bourré, le vecchio… esbigné à temps avant que ça se termine pour les voyous retardataires sur les pontons du Rio de la Plata. L’autre, il voulait fourrer tout ça dans un seul film d’une heure et demie, ça me paraissait bien glandilleux… je respirais le naveton à l’avance… encore une occase de se faire étriller par tous les roquets de la critique. Surtout avec le blase qu’il arborait… Galano… ils allaient par lui faire de fleurs… la moindre connerie, on lui servirait tout chaud son papa si génial, si fantastique dans sa spécialité, son Art… Tel père pas tel fils… je lisais déjà leurs gentillesses à ces messieurs. Ils ont leurs tronches… celui-ci au moindre pet… sublime, révolutionnaire, transfigurateur esthète !... celui-là toujours traîné au fond des chiottes, glavioté, piétiné féroce, soupçonné des pires intentions réactionnaires, fascistes, racistes, bourgeoises bien pensantes. Ils se veulent presque tous à présent, nos critiques, moralistes… métaphysiciens, moines ligueurs vigilants d’une religion cinématographique bien difficile à cerner dans son évangile. L’état de grâce, ils le décrètent sans qu’on sache au juste pourquoi… s’ils vous prennent dans leur collimateur haineux, on peut se prévoir l’autocritique douloureuse les grands soirs de révolution culturelle. Le môme Galano, probable que les milliards de son dab barbouilleur, ça jouerait plutôt contre lui… ce que je gambergeais. Il avait pas l’air tellement de prévoir les seaux de merde qui se déversent soudain ! Il me semblait d’un naturel par trop optimiste. »


Complément :

(11 février 2013) Un lecteur me signale que le film dont il serait question dans Cinoche ne serait pas Le Champignon, mais L'Explosion, dont le sujet serait « quand même plus proche de ce que raconte Boudard dans son livre ». N'étant guère familier de l'œuvre de ce Simenon là, je le crois sur parole. Dont acte.

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