Mister Arkadin

ICART, "CINÉSCOPIE" ET LE "MÉDOC"

21 Octobre 2008, 00:12am

Publié par Mister Arkadin

Dans le dernier numéro de la « revue des amateurs de cinéma », Cinéscopie (n°11, septembre 2008), particulièrement riche (avec, entre autres, un portrait du peu connu Albert E. Christie, par Georges D'Acunto, et un reportage de Michel Gasqui à l’Institut Lumière de Lyon, ainsi que ma brève note de lecture sur Jean Brérault, que j’avais publiée au préalable ici), c’est le très bel hommage de Pierre Guérin à « l’ami Roger », le collectionneur, historien et archiviste du cinéma émérite Roger Icart, dont j’avais signalé le décès en juin dernier, qui a le plus retenu mon attention. D’autant que Pierre Guérin propose également une bibliographie qui confirme que l’œuvre d’Icart est loin de se limiter à l’exploration des films et de la vie d’Abel Gance.

Il est d’autant plus dommage que la collection de films et les archives de Roger Icart aient été éparpillées entre quelques bouquinistes et marchands toulousains, au lieu d’être recueillies par une institution patrimoniale. Aurait pu être créé un fonds Icart, particulièrement précieux pour les historiens du cinéma, en plus de contribuer à perpétuer la mémoire de son œuvre. La Cinémathèque de Toulouse aurait été le lieu idéal, vu les liens qu’avait entretenus Roger Icart avec celle-ci, vu aussi la richesse de son centre de documentation, à laquelle il n’était d’ailleurs pas étranger, et la qualité des conditions de conservation et de consultation qu’elle garantit. Ce n’est hélas pas la première fois, et sans doute pas la dernière, que les bibliothèque et vidéothèque, ainsi que les archives d’un grand cinéphile (ou d’un grand cinéaste, Abel Gance le premier !) se retrouvent dispersées dans la nature, voire disparaissent. Loin de moi l’idée d’incriminer tel ou tel, que ce soient les héritiers (dont ce ne peut être la préoccupation majeure au moment où le malheur les frappe), les conservateurs d’institutions cinématographiques (qui croulent sans doute sous le travail administratif que génèrent désormais ces grosses maisons, ce qui expliquerait leur manque de diligence) ou les bouquinistes (dont il serait malvenu d’assimiler l’opportunisme à de la cupidité, vu que c’est leur métier et que leur intervention permet parfois de sauver l’essentiel), voire les personnes qui sentent la mort venir, dont on peut aussi concevoir qu’elles n’aient plus alors le souci ou la force d’assurer la pérennité de leurs collections.

Je ne puis cependant que regretter de ne pas m’être montré quelque peu "charognard" en n'osant m'enquérir auprès de ses proches, dès l’annonce du décès de Roger Icart, de ce qu’allaient devenir ses archives. J’espérais, dans la nécrologie que j’ai publiée sur le présent site, que le manuscrit du dernier livre qu’écrivait Icart pourrait ressurgir un jour, au mieux sous forme de livre, ou au moins dans une série d’articles. Aurait été tout aussi indispensable la préservation des collections de publications anciennes, étrangères aussi bien que françaises, et pas seulement cinématographiques, mais aussi des notes et fiches que préparait Roger Icart pour la rédaction de ses ouvrages. Je me souviens par exemple avoir échangé des informations avec lui sur la critique de l’Occupation (lui pour son livre sur la période, moi pour l’anthologie que je prépare, déjà mentionnée ). Il m’avait, entre autres, donné copie de son inventaire des critiques cinématographiques publiées par Carlo Rim dans D.I. (Dimanche Illustrée, Marseille), hebdomadaire dont même la Bibliothèque nationale de France, si je ne me trompe, ne possède la collection. Combien d’autres inventaires, fiches d’information et revues de presse résultant d’une somme de travail et de connaissances considérable comprenaient les papiers de Roger Icart ? Quand on sait la richesse d’information et de documentation que contiennent certains fonds de critiques conservés à la Cinémathèque française ou au Département des Arts du Spectacle de la BnF, en particulier dans la collection théâtrale Rondel (je pense notamment au fonds Marcel-Lapierre), on ne peut que déplorer qu’un fonds Icart n’ait pu être constitué. Qu’en est-il des autres grands cinéphiles disparus cette année ? La mémoire de Lo Duca, de José Baldizzone, de Henri Agel (et de sa femme Geneviève, toujours bien vivante, si mes informations sont exactes) et de Claude Baignères, ainsi que l’histoire de la cinéphilie, ne mériteraient-elles pas que leurs archives puissent être consultées par leurs successeurs en cinéphilie et par les historiens de la culture ?

Francis Lacassin avait pour sa part pris soin de déposer une bonne partie de ses archives à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine. Sage précaution ! Les collections de l’Imec concernent essentiellement les « principales maisons d'édition », les « revues » et « différents acteurs de la vie du livre et de l’édition ». Ne serait-il pas plus que temps que les historiens, chercheurs en cinéma, amateurs éclairés et cinéphiles s’associent, par exemple sous l’égide de l’Association française de recherche en histoire du cinéma (Afrhc), pour créer un Institut similaire, une sorte d’institut "Mémoires de l’édition et de la documentation cinématographiques" ("Médoc") (1) ?



(1) Les professeurs Marc Cerisuelo et Hervé Joubert-Laurencin ont créé, au sein de l’Université de Paris VII, un groupe de recherche Documents et Ecrits de Cinéma : Littérature, Interprétation, Critique (DECLIC), qui, en plus de séminaires sur le sujet, se proposait de constituer des archives de la critique de cinéma. Je ne crois cependant pas qu’à part la gestion d’un fonds André-Bazin et des collections de l'association « L'Image et la Mémoire », ce groupe ait entrepris la collecte, aussi systématique que possible, de fonds d’archives cinéphiliques.