Mister Arkadin

LONGUE VIE À "JEUNE CINÉMA" !

30 Janvier 2008, 15:20pm

Publié par Mister Arkadin

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Avertissement (16 mai 2009) : suite à la réclamation d'une personne mentionnée dans ce billet, son nom a été retiré.


Réception hier de ma revue de cinéma préférée, l’une des plus anciennes encore en activité (elle a fêté récemment ses quarante ans), celle que je dévore avec le plus d’avidité dès que je la reçois : Jeune cinéma. Je rendrai sans doute compte régulièrement des huit numéros annuels de cette publication à laquelle il m’arrive de collaborer (plusieurs de mes textes publiés dans JC sont déjà disponibles sur ce site : à propos de Rocky Balboa, de Lo Duca, de Max Pécas). Je conseille le n°314 (décembre 2007) d’autant plus volontiers que je n’y ai pas participé. J’y ai en revanche retrouvé les plumes les plus habituelles de JC : son irréductible capitaine, Lucien Logette, aux éditoriaux toujours aussi stimulants ; Heike Hurst, qui continue de parcourir les festivals du monde entier en quête d’inédits (à Namur ce mois-ci) ; Philippe Roger et X, qui savent dénicher les perles, parmi la surabondante production de DVD (14 pages sur 76 pour ce numéro !) ; Vincent Dupré, le petit dernier (mais pas le moins suivi), l’un des rares critiques dont je lis systématiquement les comptes rendus même à propos de films que je n’ai pas (encore) vus ; Alain Virmaux, dont la connaissance de l’histoire du cinéma est si étourdissante qu’il parvient de nouveau à nous concocter du neuf sur des sujets qu’il a déjà parcourus en tous sens (cette fois-ci : Une partie de campagne, le groupe Octobre et Prévert, Jean Vigo, le cinéma expérimental) (1) ; le toujours si prolifique René Prédal ; sans oublier les fidèles Andrée Tournès (directrice de publication), Jacques Chevallier, Jean-Max Méjean, Bernard Nave, Philippe Rousseau, etc. Ne manque quasiment à l’appel que le trop parcimonieux Jean-Paul Combe.

Jeune cinéma est l’exact inverse de Première, dont j’ai fait hier un éloge mesuré. L’un est un magazine très professionnel (au bon et au mauvais sens du terme) que l’on trouve dans tous les kiosques, grand format et luxueusement illustré, parsemé de publicité et plus ou moins soumis aux diktats de l’actualité comme au soutien à l’industrie cinématographique française. L’autre est une petite revue en noir et blanc, confectionnée amoureusement par des bénévoles, sans la moindre publicité (pas un centimètre carré à jeter dans cette revue) ni le moindre tapage, que l’on trouve surtout dans les librairies spécialisées et en bibliothèques (nous conseillons donc l’abonnement). JC se caractérise surtout, on l’aura compris, par des sommaires délibérément à contre-courant des sentiers battus. Cela se remarque dès la couverture, qui affiche, au dos de son dernier numéro, Pierre Blanchar dans un film de Jean Delannoy (pour le centenaire de ce dernier), en une Hélène Noguera et François Marthouret dans une pièce de Daniel Benoin (pour annoncer un dossier sur les rapports entre le Théâtre et le Cinéma, sujet classique, plus particulièrement les adaptations théâtrales d’œuvres cinématographiques, sujet moins courant (2)). Peu de revues de cinéma pourraient proposer à ses lecteurs des ensembles aussi informés sur des sujets aussi variés que l’histoire du cinéma d’animation en France, Luigi Comencini, Jean Benoit-Lévy, etc. Et quand JC traite de sujets que l’actualité rend moins originaux ou ésotériques (Bod Dylan et le cinéma, à l’occasion de la sortie d’I’m not There), il le fait à sa manière, précise, érudite, décalée, constamment éclairante, à tel point que nombre de ses dossiers pourraient aisément être développés pour une publication en volume. Ainsi, quand Lucien Logette signale qu’il n’existe qu’un unique livre anglo-saxon sur Bod Dylan et le cinéma, datant qui plus est de 2000, sommes-nous enclins à attendre, voire à exiger de lui qu'il publie l’équivalent en français !I-am-not-There.jpg

À l’originalité et à l’érudition, cette revue a le bon goût d’ajouter le style, ce qui devient l’exception dans la presse cinématographique. J’ai parlé à dessein de "plumes" pour présenter les collaborateurs de JC. Chacun a la sienne. Mais tous sont "lisibles" (c’est bien le moins, me dira-t-on, mais cela devient hélas pas si fréquent…) et même agréables à lire ; aucun ne recourt au moindre jargon ou formules alambiquées et les bonheurs d’expression abondent. On chicanera bien telle ou telle formule un peu facile, la mort comme "épuisement vital" chez Lubitsch par exemple (p.40). Mais l’auteur, Philippe Roger en l’occurrence, s’empresse d’en inventer d’autres très pertinentes, comme son opposition entre la « manipulation active » du documentariste Ophuls et la « manipulation passive » de Philibert et Mordillat (p.44 ; sur le modèle de Pierre Dumayet dans "Lecture pour tous" - voyez par exemple ce qu’il réussit à "extorquer" de Céline sans le "cuisiner" le moins du monde). De même, si d’aucuns hausseront les sourcils à la lecture d’une affirmation de formalisme absolu délibérément cavalière (« le discours, notre règle est d’ailleurs de s’en foutre royalement », page 51), dans laquelle la critique se complait parfois, X est immédiatement pardonné puisqu’elle s’accompagne à la fois de propos favorables sur Mel Gibson, une fois n’est pas coutume, la comparaison Apocalypto---Mel-Gibson.gifd’Apocalypto avec Le Nouveau Monde me paraissant notamment bienvenue, sur le génial Black Book, et de propos impertinents sur Kubrick (2001 étant dit « lourdingue thématiquement ») et Visconti (pour ses « pâtisseries indigestes »).

En résumé, nous n’échangerions aucun numéro de Jeune cinéma contre l’année complète des Cahiers du cinéma ou de Première. Et s’il est une revue qui ne risque pas de pâtir de la comparaison avec les ressources d’Internet, pourtant prodigieuses, c’est assurément Jeune cinéma !Le-Nouveau-Monde.jpg

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Notes, liens et informations complémentaires :

(1) Le samedi 9 février, au Studio des Ursulines, est présenté en première partie d’un Ciné-concert la Coquille et le clergyman (film de Germaine Dulac, sur un scénario d'antonin Artaud, mis en musique par François Hadji-Lazaro) Tumultes aux Ursulines, vidéo-récit d'Alain Virmaux (conception et entretien de Prosper Hillairet ; réalisation de Alexandre Deschamps, Nicolas Droin, Laurent Navarri). Réservation recommandée à partir du 6 février (01 56 81 15 20).

(2) Le sujet aurait pu être traité sous un autre angle, évoqué par René Prédal en introduction de son étude, en examinant les nombreux rôles de théâtre interprétés en ce moment par des comédiens plus connus comme acteurs de cinéma. Cela nous vaut quelques perles cinéphobiques, dont je livre la plus culottée. La rédactrice en chef de Télérama, Fabienne Pascaud, conclut sa chronique théâtrale de cette semaine (n°3029, 30 janvier 2008, p.59), consacrée à l’École des femmes mise en scène par Jean-Pierre Vincent, avec Daniel Auteuil, par un éloge de Lyn Thibault, « une Agnès exceptionnelle » : « Plus belle à mesure que la pièce avance… Heureusement, elle n’a pas encore fait trop de cinéma. »