A l'occasion de la diffusion de Belles, blondes et bronzées, ce soir sur NRJ12 (20h45), dossier Max Pécas aujourd'hui sur notre site. Avec, pour commencer, la reprise d'un article publié dans Jeune cinéma (n°308/309, printemps 2007, p.48-51).
Suivront une bibliographie, une page de liens et une petite anthologie de textes sur Pécas.
Alors qu’ont enfin été édités l’année dernière en DVD « 5 chefs d’œuvre de Max Pécas », « prince de la comédie coquine », comme le proclame la réclame, il n’est que grand temps de lui rendre l’hommage qu’il mérite. Car sa mort, survenue en février 2003, fut l’occasion de constater que, décidément, les revues institutionnelles n’ont toujours pas pris le tournant de la véritable modernité cinéphilique. Une nouvelle preuve, s’il en était besoin, nous en fut donnée par les guillemets que Stéphane Goudet crut bon, dans Positif, d’accoler au mot « œuvre » pour désigner le corpus d’ « objets de cinéma » (1) réalisés par le regretté Max Pécas (2). Par cette trop brève évocation du « réalisateur de nanars », Positif réitérait le mépris qu’elle a toujours plus ou moins affiché à son égard. En refusant de modifier son point de vue sur un cinéaste qui, lui, justement, demeura fidèle à ses options esthétiques, thématiques et morales, Positif révélait une fois de plus son incapacité à appréhender les enjeux majeurs de la réflexion sur le cinéma. Dans cette dichotomie entre la persévérance exemplaire de l’artiste et l’aveuglement de ses sectateurs se joue tout le drame de l’auteur moderne. Or, justement, en considérant que « le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre consiste à citer quelques-unes » des productions pécasiennes, à en énumérer les titres comme des marques de fabrique, Positif n’était pas loin de comprendre, enfin, que peu importe la thématique de l’auteur, ou son style, en clair ce qu’il raconte, et sa façon de le faire, l’essentiel est qu’il s’y tienne tout en offrant à l’observateur averti de menues variations, que l’on n’hésitera pas à qualifier de jazzistiques. Il n’est d’ailleurs pas du tout exclu que Max Pécas, à l’instar des concepteurs du "Loft", soit bientôt considéré comme le génial précurseur de l’« observation participante » en matière de cinéma. Maître ès films de plage, n’a-t-il pas, par exemple, élaboré une remarquable « sociologie des seins nus », avec une précision et une sympathie envers ses personnages qui la rendent aussi digne d’intérêt que celle de Jean-Claude Kaufman (auteur de Corps de femmes, regards d’hommes : sociologie des seins nus, 1995) ? Dès lors, n’a-t-il pas devancé la pointe extrême de l’avant-garde formelle ? Dominique Païni ayant déclaré l’année dernière que son exposition la plus ambitieuse du Centre Georges-Pompidou s’apparenterait au "Loft" (3), l’espoir est grand d’y voir un jour une installation inspirée par l’auteur de Belles, Blondes et Bronzées. Des critiques moins bornés que ceux de Positif ont heureusement d’ores et déjà saisi l’importance symbolique de l’œuvre pécasienne, qui permet de reposer plus sereinement la question fondamentale : « qu’est-ce qu’un auteur ? » Ainsi la mort de Max Pécas a-t-elle été marquée par un signe incontestable de sa réhabilitation en cours : un long article (deux tiers de pages) dans Libération, signé Antoine de Baecque, c’est-à-dire par l’historien officiel de « l’âge d’or » de la cinéphilie, celle des Cahiers du cinéma, comme il nous l’a expliqué à nouveau en long, en large et en travers dans son avant-dernier opus. Antoine de Baecque ayant été un temps responsable du Musée du cinéma, gageons qu’une place de choix y sera réservée à MP s’il voit le jour un jour. Car, comme l’écrit Baecque (4), « quoi qu’on pense de son esthétique disparaît un indéniable "auteur", au sens cinéphile. Max Pécas écrivait ses histoires, les tournait, produisait souvent, homme à tout faire de la série Z française. » Et surtout, à travers les différents genres explorés (« polar coquin », « porno soft », « comique ado »), dont Pécas a parfois réalisé le « chef d’œuvre », sa patte est reconnaissable entre toutes.
Mieux, depuis la reprise en main des pages cinéma du journal Le Monde par des équipes autrement dynamiques et au fait de la modernité que les précédentes, la rupture la plus nette a été opérée dans le supplément consacré à la télévision (5) ; elle concerne donc, entre autres, la « star des programmes de M6 » (6). Souvenons-nous que le grave Jacques Siclier, à la pondération certes respectable, mais de mauvais aloi en matière cinéphilique, ne consacrait jamais à Max Pécas que quelques mots condescendants tenant indistinctement lieu de commentaire : « cinéma de très bas étage » (29 juin 1992) ; « tellement nul qu’on croirait un film d’horreur » (18 janvier 1993) ; « vaudeville ringard » (3 mai 1993) ; « Une vague intrigue policière sert de prétexte à des scènes pseudo-érotiques. Nul » (18 juillet 1994) ; « Un vaudeville stupide » (22 août 1994) ; « Bête et vulgaire » (7 novembre 1994) ; « vaudeville "moderne" d’une effarante bêtise » (2 février 1995) ; « On peut s’attendre au pire, on n’est pas déçu. » (6 mars 1995) ; « Bête à pleurer » (14 juillet 1997). Jacques Siclier se permit même d’appeler au boycott d’ « un des grands pourvoyeurs de "comédies" bêtes et salaces » (21 février 1994) : « à laisser aux oubliettes » (4 octobre 1993) ; « L’idiotie française de la semaine. Etait-ce bien nécessaire ? » (28 mars 1994). Jean-François Rauger a heureusement rectifié le tir. Bien sûr, il émettait encore quelques réserves à l’occasion du grand cycle que la chaîne M6 diffusa en juillet 2001, Mieux vaut être riche et bien portant étant qualifié de « fade comédie touristique et adolescente » et On se calme et on boit frais à Saint-Tropez de « comédie estivale vaudevillesque et gentiment grivoise » d’un « intérêt très limité ». Mais Jean-François Rauger avait l’honnêteté, principale vertu d’un critique, de reconnaître que ce « burlesque grivois à la française » « garde un intérêt nostalgique ». Surtout, le film Deux enfoirés à Saint-Tropez était désigné comme une « comédie estivale dénudée typique de la dernière période de l’auteur » tandis que Les Branchés à Saint-Tropez apportait « une nouvelle preuve de la grande unité thématique de l’œuvre de Max Pécas ». De nouveau, le 12 juillet 2003, ce souci de périodisation était présent dans une notule consacrée au Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu (1980), l’un des premiers films de Victoria Abril : « Humour et filles dénudées. Le début de la dernière période de Max Pécas, roi du comique salace. » Ainsi, la principale caractéristique d’un auteur accompli était-elle mise en avant : l’unité thématique dans la diversité des différentes périodes de l’œuvre. Jean-François Rauger étant l’un des responsables de la programmation à la Cinémathèque française, tous les espoirs sont là aussi permis : une grande rétrospective Pécas s’y prépare sans doute déjà. Une telle consécration ne serait somme toute que justice. À ceux qui suspecteraient les présentes réflexions d’être ironiques, je rappellerai que Charles Chaplin lui-même fut longtemps considéré comme un pitre par de nombreux bons esprits de son temps (7). Il fallut toute l’abnégation des surréalistes, ainsi que des Arnoux, Delluc, Prévost, Wahl et autres grands noms de la critique des années vingt pour que son génie fût reconnu. Oui, de même qu’en 1929 et 1931, René Clair chanta les louanges de « Charles Chaplin, metteur en scène » (8) et d’ « un inconnu, Charlie Chaplin auteur », le temps est venu de le proclamer : Max Pécas, metteur en scène, est un auteur méconnu ! Que les portes de Beaubourg, de la Cinémathèque française et du Musée du cinéma lui soient dorénavant grandes ouvertes !
Pascal Manuel Heu pour Jeune cinéma. ---
NOTES :
(1) Puisque c’est ainsi qu’il faut désormais appeler un film (Jean-Michel Frodon, Le Monde, 28 novembre 2001).
(2) Positif, n°506, avril 2003, p.51.
(3) « Un projet poétique, autant que muséal et cinématographique, qui tiendra "du cours, de l’installation, de la production cinématographique et du Loft" », Jean-Michel Frodon, Le Monde, 8 avril 2003.
(4) Texte reproduit sur le site Internet suivant : http://maxpecasspirit.free.fr/maxnotdead.htm
(5) Un seul exemple suffit à montrer que Jean-François Rauger, qui signe la page récapitulative sur les films, représente indubitablement la pointe avancée de la critique : son hommage au « dernier Renoir », le formidable auteur du Testament du docteur Cordelier et du Caporal épinglé, film dont seuls quelques attardés n’ont pas encore compris qu’il est « beaucoup plus réussi, beaucoup plus intéressant » que La Grande Illusion (Jean-François Rauger au micro d’« Ouvrez l’œil et le bon », France Inter, 23 mars 2003).
(6) Pour reprendre l’expression de Stéphane Goudet, tout à fait exacte, mais non exempte de dédain sous sa plume, déplacé quand on sait l’importance des œuvres audiovisuelles de M6 pour la création contemporaine.
(7) Lire par exemple à ce sujet : Decaux (Emmanuel), « Art muet - La Ruée vers l’or », Entre-deux guerres. La création française. 1919-1939, dir. Olivier Barrot / Pascal Ory, François Bourin, 1990, p.229-251 ; Heu (Pascal Manuel), "Le Temps" du cinéma. Émile Vuillermoz, père de la critique cinématographique, Paris, L’Harmattan, octobre 2003, II-314 p. (voir en particulier « Charlot : personnage central des controverses sur le cinéma » dans le chapitre I de la quatrième partie).
(8) Pour vous, 3 janvier 1929, p.3 ; texte reproduit dans Positif, n°443, janvier 1998, p.49.