Mister Arkadin

STALLONE, LA CRITIQUE ET LE "CINÉMA DES ANNÉES REAGAN/BUSH"

20 Mars 2008, 01:48am

Publié par Mister Arkadin

Contrairement à ce que j’annonçais dans mon article du 4 février, « Stallone et John Rambo », le dernier Stallone n’a pas fait l’objet d’une lecture idéologique aussi marquée que ses films des années 1980, volontiers considérés comme les représentants d’un "cinéma reaganien", revanchard, "sûr de lui et dominateur". John Rambo n’a guère été désigné comme l’équivalent pour les années 2000 (un "cinéma bushien" en quelque sorte), sinon par Antoine de Baecque, selon lequel il s’agirait de « jou[er] du muscle pour faire croire à la puissance américaine reconquise » (L’Histoire, n°328, février 2008, p.23), et par Clara Dupont-Monod (« "Pour Rambo, les choses se résument à une lutte du bien et du mal." On dirait du Bush ! », Marianne). À la dénonciation rituelle de l’anti-communisme primaire n’aura ainsi que marginalement succédé un anti-américanisme non moins réducteur. Selon une tradition bien établie de la critique française, c’est essentiellement la forme qui a retenu l’attention, notamment la radicalité dans la représentation de la violence, soit pour s’en plaindre (« Rambo vire au gore », d’après Marion Sauvion, Le Parisien, 6 février 2008, p.30), soit pour louer « un tel traitement de l’action, loin de toute aseptisation », notamment par le numérique, qui serait plus acceptable pour Hollywood (d'après Jean-François Rauger, Le Monde, 6 février 2008, p.24). Au moins le film n’a-t-il pas été traité par le mépris, ce qui confirme, toutes proportions gardées, que l’évolution de la réception en France de l’œuvre de Stallone ressemble de plus en plus à celle d’Eastwood, du dédain, voire du mépris, à la considération, voire à l’admiration (« Le genre de film qui se bonifie avec le temps », est-il significativement écrit, dans Télérama, pour le passage de Rambo à la télévision dimanche dernier).

Le-Cin-ma-des-ann-es-Reagan.jpgAyant moi-même participé à ce mouvement, par mon article sur « Les défis de Sylvester Stallone » (Jeune cinéma, n°310/311, été 2007, p.94-97), je ne puis que m’en féliciter, d’autant que John Rambo m’a paru un film presque aussi digne d’intérêt que Rocky Balboa, même si je ne saurais vraiment expliciter pourquoi. Mieux encore, j’ai eu le plaisir de découvrir depuis un fort sérieux et universitaire ouvrage collectif arborant Rocky en couverture (Le Cinéma des années Reagan. Un modèle hollywoodien ?, dir. Frédéric Gimello-Mesplomb, Paris, Nouveau Monde Éditions, janvier 2007, 366 p.). Plusieurs études y sont consacrées à Rambo et à Rocky, d’une manière assez proche de la mienne, puisque sont en particulier analysées « la mise en scène de l’action à travers le prisme de la télévision » dans « la série des Rocky » et « la réception française de Rambo II et Rocky IV ». Entres autres aspects très éclairants, Laurent Kasprowicz y décortique l’influence de l’esthétique du clip sur la mise en scène des Rocky (cf. un tableau comparatif des scènes de combats finaux, où la durée moyenne d’un plan diminue progressivement de 3,34 à 1,35 secondes !) et y démontre subtilement que les Rambo ne seraient pas nécessairement les films de propagande vilipendés à l’époque, en tout cas pas des films exempts de toute critique à l’égard de la politique reaganienne. Le livre regorge d’études tout aussi passionnantes et extrêmement documentées (les nombreuses sources et références étant aussi bien françaises qu’anglo-saxonnes, aussi bien livresques qu’issues d’Internet) sur Dirty Harry et le western urbain, sur La Fièvre au corps et le "thriller érotique" ou sur Terminator et « les craintes de l’information de la société », etc. Les esprits forts auraient tort de ricaner en voyant tant de science dépensée à propos de si vils "objets de cinéma". Au moins depuis Kracauer, nul n’est en effet censé ignorer que l’analyse des films à succès d’une époque n’est pas moins légitime que celle de ses chef-d’œuvres les plus consensuels.


Complément : une version remaniée du texte de Laurent Kasprowicz sur les Rocky (« Mise en scène de l'action et mise en abîme du spectateur dans Rocky (1976-2006) ») a paru sur Objectif-cinema.com.