Mister Arkadin

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DE LA MÉMOIRE AU "FILM-TRACT"

18 Novembre 2008, 23:42pm

Publié par Mister Arkadin

De la même façon que maints comiques perdent de leur alacrité et de leur capacité à mettre en mouvement nos zygomatiques quand ils se mettent en tête de délivrer des messages, certains documentaristes perdent de leur justesse lorsque l'intention de démontrer l'emporte, dans leur travail, sur celle de montrer.

Le parcours de Yamina Benguigui est à cet égard caractéristique. Après Mémoires d'immigrés, recueil de témoignages remarquable sur l'itinéraire et la condition des immigrés en France, elle a entrepris de démontrer que la société et l'État français seraient responsables, sinon coupables, de leur relégation et de leur discrimination. Il est certes louable de chercher des explications aux phénomènes que l'on décrit. Encore faut-il qu'elles ne finissent pas par primer sur la description et qu'elles ne peinent à convaincre à force d'être assénées du haut de certitudes pré-établies. Ce fut déjà en partie le cas du Plafond de verre, sur les obstacles rencontrés à l'embauche par les minorités que le sabir à la mode exige d'appeler "visibles". C'est plus manifeste encore dans 9/3 mémoire d'un territoire, comme le dénonce Annie Fourcaut, professeur d'histoire contemporaine en Sorbonne, dans « L'honneur perdu du 9-3 » (L'Histoire, n°336, novembre 2008, p.37) : « La réalisatrice avait un objectif : démontrer que le territoire de la Seine-Saint-Denis avait été l'objet, depuis deux cents ans, d'une ségrégation programmée. Tous les chercheurs qu'elle a interrogés (dont je suis) et qui n'allaient pas dans ce sens ont été impitoyablement censurés. Résultat : une histoire mythifiée, la confusion entretenue entre histoire et mémoire et une série de contrevérités. [...] Ecrasement des temporalités, décontextualisation des décisions, diabolisation des acteurs, sélection des images et des témoignages : de ce point de vue, ce film est exemplaire. Pourquoi une telle falsification délibérée qui conduit à la victimisation du 93 ? »

Peut-être Yamina Benguigui a-t-elle répondu à cette attaque, que l'on peut elle aussi suspecter d'être partisane. Cependant, l'intense battage médiatique autour de son film, qui lui a valu les honneurs d'une tournée étourdissante dans toutes les rédactions (de journaux, de tv et de radio), au moment de sa diffusion fin septembre sur Canal +, comme seul un BHL en bénéficie à la sortie de chacune de ses productions et dont même un Michael Moore, pour son 9/11 primé à Cannes (suivez du regard la proximité des titres), ou un Al Gore, pour cette Vérité qui dérange qui lui a valu le Nobel de la paix, seraient en droit d'être jaloux, m'incite à penser que les objections d'Annie Fourcaut doivent être en grande partie justifiées.


Lien complémentaire : "Un usage falsifié de l'histoire".

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"DAVANTAGE DE JUIFS À L’ÉCRAN"

15 Septembre 2008, 23:05pm

Publié par Mister Arkadin

J’ai souligné, ici, à quel point les discours sur la nécessité d’imposer une plus forte proportion de telle ou telle catégorie de population dans tel ou tel secteur d’activités pouvaient engendrer autant d’absurdités que les discours inverses (dont ils ne sont que les "doubles inversés", selon une expression qui faisait florès dans les années 1970).

« Quand Nicolas Sarkozy nomme Fadela Amara ou Rachida Dati, je trouve ça formidable, la gauche aurait dû le faire depuis longtemps. Mais encore faut-il leur laisser les moyens d’agir ! Je trouve cette visibilité indispensable, mais je trouve tout aussi indispensable qu’on ouvre les grandes écoles à ceux qui en ont besoin et qu’il y ait à l’écran davantage de rebeus, de renois, de juifs, de chinois… Et c’est d’ailleurs de plus en plus le cas au cinéma », a déclaré l’influent histrion Jamel Debbouze dans un entretien publié par Studio (n°249, septembre 2008, p.12).

Cela fait de nombreuses années que je ne cesse de lire et d’écouter des discours sur le cinéma ; c’est bien la première fois que je lis qu’il faudrait qu’il y ait davantage de juifs (acteurs et personnages ?) à l’écran (au cinéma et à la télévision ?).

Et pourtant ; je lis régulièrement L’Arche et Tribune juive, en particulier les comptes rendus d’Anne-Marie Baron sur les films ; je connais Le Royaume de leurs rêves, ouvrage de Neal Gabler (Calmann-Lévy, 2005) qui présente avec sympathie « la saga des juifs qui ont fondé Hollywood » (3) ; je connais les travaux universitaires de Claude Singer sur Le Cinéma en France pendant l’Occupation (1940-1944) et les Juifs (Mémoire de maîtrise d’Histoire du cinéma, dir. Claude Beylie / Jacques Goimard, Université de Paris I, juin 1980), de Pierre Sorlin sur la « Présence des Juifs dans le cinéma français à la veille de la Seconde Guerre mondiale » (Les Juifs dans l’histoire de France, dir. Myriam Yardeni, E.J. Brill, 1980, p.186-210) et de Raphaël Meltz sur Le Juif dans le cinéma français des années 1930. Productions et réceptions (mémoire de maîtrise, dir. Christophe Charle, Université de Paris I, U.F.R. d’Histoire, octobre 1998, 137 f.) ; je connais les dénonciations frénétiquement antisémites de la présence juive dans le cinéma, autant les anciennes, telles celles de Lucien Rebatet (Les Tribus du cinéma et du théâtre, Paris, Nouvelles Editions françaises, coll. « Les Juifs en France » (n°IV), avril 1941), que les récentes, par exemple celles d’un Hervé Ryssen, ce dernier les voyant notamment à l’œuvre dans la « La mafia du porno » (La Mafia juive) ; je connais l'étude de Michel Goreloff sur les  « films juifs », parue dans Cinémagazine le 17 février 1928 (7e année, n°7, p.282-284), celle de Philippe Haudiquet sur « Quelques images du peuple juif à l'écran » (Image et Son. La Revue du cinéma, n°179, décembre 1964, p.26-45) et le travail bibliographique de Claude Gauteur « Pour une histoire juive du cinéma » (Image et Son. La Revue du cinéma, n°203, mars 1967, p.50-51) ; je connais le supplément n°5 des Cahiers de la Cinémathèque (88 p.), qui présente la manifestation "Confrontation 8" (« Réflexions sur la question juive au cinéma », 26 mars - 2 avril 1972, Perpignan) ; je connais des publications juives sur la question (en particulier  l'étude de dix pages sur "l'apport des Juifs allemands au film allemand" publiée par Lotte Eisner (4) dans les Cahiers juifs en septembre 1933 et le numéro sur « Le vécu juif au cinéma » des Nouveaux cahiers de l’Alliance Isréalité Universelle) ; etc. ; etc.

Les rapports entre les Juifs et le cinéma sont suffisamment documentés pour que personne, jusqu’à l’ineffable Jamel Debbouze, ne prétende qu’ils seraient sous-représentés dans ce secteur d’activités.

Je m’interroge dès lors sur ce qui l’a incité à inclure les Juifs dans son énumération et ne puis que ranger sa motivation parmi les manifestations de judéomanie analysées par Jean Robin. Ce dernier, dans La judéomanie. Elle nuit aux Juifs. Elle nuit à la République (éditions Tatamis, 2006), montre qu’elle est souvent le fait, non de Juifs qui se plaindraient d’être maltraités, mais de personnes surenchérissant sur les revendications de la communauté juive, se précipitant pour dénoncer tout ce qui pourrait apparaître comme une manifestation d’antisémitisme et allant au devant de ce qu’elles pensent être le plus à même de montrer que la France n’est pas, n’est plus ou fait tout ce qu’elle peut pour ne plus être un pays antisémite, montrant d’abord surtout leur préoccupation qu’elles-mêmes ne puissent être suspectées le moins du monde.

Dans le cas qui nous occupe, le comique Jamel Debbouze n’a-t-il pas saisi l’occasion d’afficher qu’il ne saurait être tenu pour antisémite, sans même se rendre compte qu’il faisait du zèle et que son propos n’avait guère de sens ? Ne s’est-il pas dit qu’il ne fallait surtout pas qu’il oublie les Juifs parmi ceux qui sont persécutés, d’une façon ou d’une autre, alors même qu’il évoquait un domaine où personne ne songe qu’ils puissent l’être ? Cela s’apparente à de la flatterie et laisse à penser que Djamel Debbouze voudrait se rendre agréable à la communauté juive, comme s’il lui prêtait une influence telle qu’il ne pourrait se la mettre à dos.

Comment, dès lors, ne pas se rappeler que, durant le sketch sur un religieux ultra-sioniste (1) qui a valu tant d’ennuis à Dieudonné (2), la personne, sur le plateau de Fogiel, qui s’esclaffait le plus de rire, sans aucune retenue et tout du long, était son copain Debbouze, dans les bras duquel Dieudonné est ensuite tombé ? Quelque temps après, la curée ayant commencé, Djamel Debbouze prit prétexte de l’un des passages d’un spectacle de Dieudonné pour se désolidariser complètement de lui.


Notes :

(1) http://www.wideo.fr/video/iLyROoaftMfo.html

Attention, certaines versions de ce sketch circulant sur le Net sont soit coupées, soit trafiquées et agrémentées de commentaires orientés : http://www.youtube.com/watch?v=QBFNKBV2Px4&feature=related ; http://www.youtube.com/watch?v=1MFllE3d31M&feature=related

(2) À propos de Dieudonné, je dirais l’inverse de ce qui est dit habituellement. Il aurait un grand talent d’humoriste, mais ferait preuve d’une grande confusion idéologique, sinon d’un antisémitisme forcené. Pour ma part, ses sketchs, assez maladroits (d’où les polémiques), ne m’ont que très rarement fait rire, mais le personnage me paraît assez censé dans ses discours, du moins quand il peut s’exprimer relativement longuement, sans que l’interlocuteur ait d’hostilité a priori à son égard (cf. une interview du Choc du mois, paru en mai 2006).

(3) (21 avril 2009) Une synthèse peut être lue dans Tribune juive de février 2009 («  L'invention du rêve américain », par Aaron Weiser, p.118-123). Notons également que trois des personnalités sur les neuf figurant sur les illustrations de l'article « Un "génie juif" ? Mythe ou réalité », paru en janvier 2009 (p.74-77), sont des acteurs et réalisateurs de cinéma (Groucho Marx, Woody Allen et Steven Spielberg).

(4) Le Dr L. H. Eisner avertit en note son lecteur : «  Nous ne saurions donner ici autre chose qu'un aperçu rapide de la question, à titre d'information. S'il fallait être complet, un volume ne suffirait pas. Nous parlerons d'ailleurs, surtout de l'activité artistique et non industrielle des Juifs au cinéma.  »


Compléments :

(18 septembre 2008) Une belle prestation de Dieudonné, dont on peut contester le fond, dont on ne peut nier le talent : "Palestine".

(23 et 25 septembre 2008) : Depuis l'écriture de ce billet, j'ai lu et entendu plusieurs autres entretiens avec Debbouze, ainsi qu'avec Bacri et Jaoui, qui se répandent un peu partout [pour la promo de leur production Parlez-moi de la pluie]. Je n'ai cependant pas eu le courage de relever toutes les autres âneries qu'ils débitent, Debbouze étant de loin le plus généreux en la matière. Iannis Roder s'en est chargé, en ce qui concerne une page du JDD particulièrement gratinée, sur le "salon de réflexions" d'Elisabeth Lévy. Excepté les précautionneuses louanges de l'acteur, on ne saurait mieux dire. Les commentaires des internautes valent aussi parfois le détour, par exemple celui d'un certain "Robert Marchenoir" (15 septembre, 18h29), mis à part la généralisation abusive à tous les musulmans, ou celui de "David" (15 septembre, 19h55). Un point de vue opposé : celui de "babeil" (17 septembre, 14h53).

Parmi tous les entretiens donnés par et au trio, on regardera particulièrement celui de "Ce soir ou jamais" (France 3, 15 septembre 2008), où il n'est pas une question posée à Jamel Debbouze que celui-ci ne rapporte à son propre cas (pour se présenter comme l'objet de toutes sortes de persécutions), à tel point que, à un moment, Jean-Pierre Bacri est obligé de demander à Frédéric Taddéi de lui répéter la question car la réponse à côté de la plaque, parce que complètement égocentrée, de Debbouze (alors que Taddéi l'interrogeait sur un autre sujet que sa petite personne) lui a fait perdre le fil de la discussion. 

(29 septembre 2008) : Dieudonné sur le revirement de son pote Jamel.

(6 octobre 2008) Une retranscription du "sketch" de Dieudonné a été proposée par le journal de Marc-Edouard Nabe, La Vérité (n°4, février 2004, p.4), accompagnée de points de vue sur le revirement de Jamel Debbouze («  Le voir tenir des propos antisémites, tu penses bien que je condamne ça »...), l'un de Dieudonné, l'autre d'Alain Soral («  Jamel, le futur Smaïn », également disponible sur le site de ce dernier).

(22 mars 2009) Alain Soral revient sur les rapport entre Dieudonné et Jamel dans un entretien récent (voir aussi).

(22 août 2010) Le grand écart entre Debbouze et Dieudonné se retrouve dans leur positionnement sur "l'Affaire Polanski" (coupure de presse ci-jointe en ce qui concerne le premier, tirée de Oops !, n°59, 4-17 juin 2010, p.36 ; vidéo "Polanski : la vérité", pour le second).

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(28 août 2010) On admirera, dans une émission d'"Arrêt sur images" sur le rire, comment le courageux Olivier Mongin, gêné par une question de Daniel Schneidermann sur le rire de Djamel durant le sketch de Dieudonné, botte en touche et dédouanne complètement son chouchou avant de bien charger son unique bête noire (un « fondamentaliste [ayant] opté pour un rire identitaire, qui renforce les fermetures, malsain, [pour une] politisation du rire qui fige l'identité du comique et bloque le message  »). Le plus amusant est que Mongin ne se rend pas compte que la définition du grand comique qu'il donne ensuite (celui qui joue sur la limite) correspond très exactement à ce qu'a fait Dieudonné dans son sketch  (la limite entre un Juif extrêmiste et un Nazi) : « Les comiques, c'est des funnambules. Buster Keaton, il a toujours un pied d'un côté et un pied de l'autre. Et faut que ça tienne. Un grand comique, faut faire tenir ensemble deux choses qui ne tiennent pas nécessairement ensemble, c'est-à-dire un flic arabe, la cité et le centre ville, Canal + et Trappes. C'est pas n'importe qui qui peut faire ça.  »

(11 février 2011) Du temps où Debbouze soutenait Dieudonné, il était venu le saluer sur scène en simulant qu'il se désolidarisait de lui pour éviter les ennuis, tout en clamant à peu près (je cite de mémoire) : « C'est pas toi qui dois te taper le passage chez Drucker, en compagnie d'Enrico Macias » Debbouze a achevé récemment son parcours vers Canossa, un passage du "Zapping" (Canal +, 17 janvier 2011) nous le montrant se vautrant dans le canapé de Drucker, sous le regard attendri de celui-ci, en "narguant" Marine Le Pen, peu après que Drucker a déclaré qu'il ne la recevrait jamais. A-t-on jamais vu plus obscène mise en scène de sa propre servilité ? Debbouze ayant déclaré à L'Express (n°3108, 26 janvier 2011, p.14) qu'il était « un jeune qui a[vait] soif de liberté et qui l'a[vait] assouvie », nul doute qu'il n'en a plus besoin, ayant déjà été comblé.

(24 juillet 2012) Polémique sur la représentation des Juifs à l'écran + "How Jewish is Hollywood ?".

(18 août 2012) « Hollywood et les Juifs : moteur, ça tourne », par Noémie Grynberg, Israël Magazine, 2008.

(20 août 2012) Des points de vue divergents sur la représentation des Juifs à l'écran sur "Enquête & Débat", mais pas de "débat", puisque l'auteur de la vidéo ne prend pas la peine de répondre aux multiples objections formulées de manière argumentée dans les commentaires d'internautes à son "enquête" (de même que le discours qu'il tient dans sa vidéo ne prend en compte que les infos et analyses allant dans son sens parmi celles qui lui avaient été préalablement communiquées, et non celles qui le contredisaient).

(20 septembre 2012) Prise de position d'un film français récent sur la question.

(28 février 2013) Le retournement de veste est décidément un sport que monsieur Debbouze pratique intensivement.

(27 octobre 2013) Un coïncidence rigolote à propos de l'humour de Dieudonné, dans Libération du 13 septembre 2013 :

- p.12 : « Les "quenelles" de Dieudonné laissent un sale goût »

- p.17 : « "L'humour est de plus en plus requis chez les cadres" »

(9 février 2014) Le meilleur sketch de Dieudonné est à mes yeux "Le cancer", d'une durée de près de 20 minutes, qui prouvent indubitablement que ses détracteurs ne daignent pas prendre la peine de l'écouter ou mentent délibérément quand ils affirment qu'il n'a plus un seul sujet de préoccupation, les Juifs, et qu'il n'est plus drôle depuis qu'il s'attaque au sionisme.

(21 juin 2014) L'Arche, n°648, mai 2014, "Les Visages de l'humour juif"

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(20 aout 2014) Toutes sortes de liste sur ce type de sujets, décidément : "Beautiful actresses- Jewish/partially Jewish, and Israeli"

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(parmi ces "beautiful actresses", Jennifer...)


Ci-dessous un article du Monde sur les aides à la "diversité ethnique" sur les écrans, dont a par exemple bénéficié Entre les murs, pour la modique somme de 100.000 euros.

« La diversité ethnique s'impose lentement au cinéma », par Nicole Vulser, Le Monde, 23 septembre 2008 

La Palme d'or du Festival de Cannes 2008, Entre les murs, de Laurent Cantet, qui sort mercredi 24 septembre, a été réalisée avec une classe d'un collège parisien. Les comédiens s'appellent Sandra, Khoumba, Driss ou Souleymane, de jeunes Français souvent d'origine arabe ou africaine. Passée dans les moeurs aux Etats-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne, l'apparition à l'écran d'acteurs de couleur reste encore rare en France. Au point que les pouvoirs publics s'en sont préoccupés avec la loi sur l'égalité des chances de 2006.

Cette loi a créé le fonds d'aide Images de la diversité, géré par le Centre national de la cinématographie (CNC) et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSÉ). Il a pour mission de donner de l'argent à la production, la distribution de films, documentaires ou téléfilms qui permettent "la connaissance des réalités et expressions" des populations immigrées ou issues de l'immigration et des départements d'outre-mer ou qui mettent en valeur "la mémoire, l'histoire, le patrimoine culturel de ces populations et de leurs liens avec la France".

Parmi les critères d'attribution de ces aides - 4,5 millions d'euros par an (le prix moyen d'un film français) - figurent aussi "la lutte contre la discrimination" ou "la visibilité de l'ensemble des populations qui composent la société française d'aujourd'hui". Sur 175 oeuvres aidées en 2007, le jury a sélectionné 77 documentaires et 34 longs métrages, dont Entre les murs, qui a reçu 100 000 euros, Welcome de Philippe Lioret, La Trahison de Philippe Faucon, Sexe, gombo & atieke de Mahamat-Saleh Haroun, Les Bureaux de Dieu de Claire Simon ou Bled Number One de Rabah Ameur-Zaïmeche...

Toute la difficulté, selon les animateurs du fonds, est de ne pas aider des films qui véhiculent trop de clichés ou qui tomberaient dans les excès du politiquement correct. "On reçoit beaucoup de documentaires qui font pleurer Margot. La grande majorité concernent la banlieue. Depuis janvier, on a reçu une dizaine de propositions de documentaires sur les prisons", explique Samia Meskaldji à l'ACSÉ. "La population maghrébine est très forte dans l'univers carcéral, mais ce n'est pas une raison pour ne donner à voir que ce type de documentaire", ajoute Blanche Guillemot, directrice générale adjointe de l'ACSÉ. "On n'aiderait pas non plus un film simplement parce qu'un acteur est noir. Ce n'est pas le casting qui fait la diversité", précise Samia Meskaldji.

Aux yeux d'Alexandre Michelin, qui préside le fonds, "Images de la diversité doit tenter de dénouer certaines rigidités du système français". Sur l'histoire encore trop méconnue de la France mais aussi sur la petite place des acteurs blacks ou beurs à l'écran. "Le cinéma est plus en avance dans ce domaine que la télévision, où la diversité, dans la fiction, arrive d'ailleurs, par le biais des séries américaines, ajoute M. Michelin. Si bien qu'en regardant les séries à la télévision, on connaît mieux les acteurs noirs américains que les français." Au point que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a créé en avril un Observatoire pour la diversité audiovisuelle.

Personne n'envisage pour autant d'imposer des quotas d'acteurs d'origine beur ou noire dans les films. D'autant que les choses vont dans le bon sens, selon Djourha, la première agente d'acteurs à Paris à s'être occupée de la carrière d'acteurs noirs, comme l'Ivoirien Isaach de Bankolé - parti aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années -, le Burkinabé Sotigui Kouyate, le Malien Habib Dembélé...

"Il y a vingt ans, raconte Djourha, on ne proposait aux comédiens maghrébins que des rôles de voyou, de dealer, de méchant. Dans un scénario, un avocat ou un médecin ne pouvait être qu'un Blanc, jamais une femme, ni une noire ni une arabe. Et l'Africain se devait d'être grand et beau." Les mentalités ont changé, surtout depuis que Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Roschdy Zem, Samy Naceri ou Gad Elmaleh sont devenus des acteurs qualifiés de "bankables" - des projets de films se bâtissent sur leur nom et des scénaristes leur écrivent des rôles sur mesure. Question de génération sans doute, Grégory Weill, l'agent de l'actrice Hafsia Herzi, 21 ans, révélée par La Graine et le Mulet d'Abdellatif Kechiche, se veut résolument optimiste : "Hafsia a reçu une multitude de propositions. Son statut de comédienne est reconnu au-delà de ses origines."

Djouhra aussi se veut confiante : "Il existe un potentiel d'excellents acteurs. On est sorti des clichés au cinéma." Mais Alexandre Michelin tempère : "La plupart du temps, il n'y a guère de rôles positifs, et ils restent plutôt marginaux. On ne sait pas encore vraiment comment représenter la diversité en France, on reste toujours sur un modèle jacobin. Le simple fait qu'on ait besoin d'une aide ad hoc témoigne que tout n'est pas réglé. Si Jamel Debbouze est considéré comme l'alibi parfait de la réussite des acteurs beurs au cinéma, c'est aussi l'arbre qui cache la forêt", rappelle-t-il.

Pour boucler la boucle, Images de la diversité devrait aider un documentaire sur la lutte qu'a menée Jenny Alpha, une des premières grandes comédienes martiniquaises, pour conquérir sa place dans les théâtres parisiens.

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LES PALIN, VOLONTAIRES POUR ÊTRE VICTIMES (ENTRE AUTRES DE JUNO)

14 Septembre 2008, 18:31pm

Publié par Mister Arkadin

À l’occasion de la polémique relative à la grossesse de la fille, mineure, de Sarah Palin, le gouverneur de l’Arkansas que John McCain a choisi comme candidate à la vice-présidence des U.S.A., il a de nouveau été question du "syndrome Juno" (« L’embarrassante colistière de John McCain », Le Figaro, 3 septembre 2008, p.2) ou "phénomène Juno" (« Grossesse gênante dans l’enceinte républicaine », Libération, 3 septembre 2008, p.8), dont j’ai parlé dans « D’une influence inattendue du cinéma ». Cette affaire ne fait plus guère de vagues dix jours après, le choix de la dynamique, pugnace et déterminée Palin ayant d’ailleurs apparemment permis à McCain de repasser en tête des sondages. Il a en tout cas suscité la publication d’une tribune (Le Figaro du 3 septembre, page 16) allant dans le sens d’une évolution sociale que j’ai évoquée le 26 mars dernier (ici).

J’écrivais alors : « Je suis pour ma part résolument contre la peine de mort. Mais cela m’horripile que l’opinion inverse n’ait dorénavant quasiment plus droit à l’expression, alors qu'elle était majoritaire il y a trente ans, et que ses partisans doivent être considérés comme des ennemis du genre humain, les journalistes bien-pensants rappelant opportunément de temps en temps l’avis de tel ou tel à ce sujet pour le pointer du doigt avec dégoût (par exemple Alain Delon). Gageons que, dans une vingtaine d'années, les adversaires de "l'ultime liberté" (comme dit Télérama à propos de l'euthanasie, n°3037, 26 mars 2008, p.7) seront aussi stigmatisés comme de dangereux intégristes que ne le sont aujourd'hui les opposants à l'avortement (1). »

L’auteur de la tribune « Élections américaines : le réveil de l'intolérance morale », Nicole Bacharan, en avance sur son temps (c’est sans doute pour cette raison qu’elle est systématiquement invitée par les médias dès qu’il est question des Etats-Unis), saute allègrement le pas. En premier lieu, la fille de Sarah Palin est désignée comme une « victime » de l’idéologie perverse et hypocrite de sa mère. La malheureuse va en effet avoir un enfant accueilli avec joie par une famille ayant largement les moyens de subvenir à ses besoins. Citons longuement cet autre admirable passage de la tribune de Nicole Bacharan : « Il ne s'agit pas ici de critiquer la décision d'une femme comme Sarah Palin, qui a voulu, en toute connaissance de cause, mettre au monde un enfant trisomique. Mais il y a de quoi s'alarmer de voir aux États-Unis, en 2008, une minorité active, très bien financée, qui cherche à imposer par la loi des choix privés. »

Passons sur la mauvaise foi qui consiste à reprocher à une femme politique de vouloir que la loi s’occupe de choix privés (2). « Choix privés » signifie manifestement pour Nicole Bacharan : « choix qui ne sont pas les miens et qui, de ce fait, ne devraient pas avoir droit de cité ». Car si l’on s’interdit de légiférer sur les choix privés, autant supprimer quasiment tout le droit de la famille, de la procréation et de la filiation (entre autres) ! Relisons en revanche attentivement la phrase précédente. « Une femme comme Sarah Palin » - Pouah, on sent la personne méprisable ! – « a voulu, en toute connaissance de cause, mettre au monde un enfant trisomique ». Non mais quelle irresponsable ! Elle était au courant et elle a tout de même mis ses actes en accord avec ses convictions en ne supprimant pas une erreur de la nature (3). Non mais quelle conne celle-là ! L’euthanasie et l’avortement ne devraient-ils pas non seulement être un droit, mais une obligation pour ce genre de dangereux individus, incapables de comprendre ce qui est bon pour leur famille et, plus généralement, pour la société ?

Passons enfin sur le procédé de notre libérale (au sens américain du terme), parfaitement sarkozyste en l’occurrence, consistant à faire semblant de poser des questions dont la réponse devrait être évidente : « Comment, en même temps, revendiquer le droit au port d'arme (position défendue par Sarah Palin) au nom de la liberté individuelle, et s'opposer au droit à l'avortement, c'est-à-dire à une autre liberté individuelle ? » Ce genre de rhétorique ne me semble guère justifier la publication de cette tribune dans une page « Débats ».

Le "nouvel enjeu" des élections américaines serait « la liberté des femmes ». Nul doute que Nicole Bacharan et Sarah Palin ne soient toutes deux très libres. Je ne suis en revanche pas sûr que l’une, malgré ses certitudes à ce sujet, soit plus en faveur de la liberté des autres femmes que l’autre. Elles ont juste une conception différente de la liberté. Celle de Bacharan ne fait pas moins froid dans le dos que celle de Palin.


Notes et compléments :

(1) Camille Galic cite dans son éditorial de Rivarol du 28 mars 2008 les propos très clairs à ce sujet du futurologue et conseiller favori des présidents français, de Mitterand à Sarkozy, le sieur Attali. On peut les retrouver ici.

(2) ..........

(3) (14 octobre 2008) L'inénarrable Philippe Val nous offre une variation sur ce thème dans son édito de Charlie Hebdo du 1er octobre 2008 (p.3) : « Sarah Palin vit dans une société où tout est possible. Les libertés individuelles y sont garanties. Une femme peut être parfaitement maîtresse de son corps, être homosexuelle, ne pas avoir d'enfants, interrompre une grossesse, mener la vie qu'elle veut. On peut militer contre la peine de mort, contre le racisme, pour la laïcité, pour l'épanouissement et la liberté des individus. On peut y regarder à deux fois avant de mettre au monde un enfant handicapé qui a toutes les chances de nous survivre et dont on ne sait pas ce qu'il deviendra lorsqu'on ne sera plus là pour s'en occuper. » Vu que le traitement des vieux dans les hospices est souvent loin, pour diverses raisons, d'être pleinement satisfaisant (comme un reportage diffusé par France 3 et  en partie tourné en caméra  caché l'a récemment rappelé), nul doute que Philippe Val se réjouira que l'on puisse vivre bientôt « dans une société où tout [sera] possible » à leur égard, en particulier de s'en débarrasser quand ils deviennent un peu trop encombrants.

(9 octobre 2008) : Sarah Palin ne m’est rendue sympathique que par la manière dont elle est traitée dans les médias dominants français. Les Inrockuptibles se sont à ce propos une nouvelle fois surpassés dans leur numéro 688 (23 septembre 2008). Alors qu’ils s’indignent à longueur de pages des atteintes aux libertés publiques de la dictature instaurée par Nicolas Sarkosy, en remettant dans ce numéro une couche sur le fichier Edvige, dispositif « profondément liberticide » (page 22, « Edvige bouge encore »), ils se délectent page 91 d’« une plongée dans les mails de Sarah Palin », en donnant l’adresse d’un site où l’on peut voir « des photos de famille ridicules, du spam et des mails chiants comme la neige » prélevés dans la messagerie de Sarah Palin par des pirates délicats et sans doute eux aussi pourfendeurs des atteintes à la vie privée, quand ce n’est pas celle de ses ennemis idéologiques.

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- « Élections américaines : le réveil de l'intolérance morale », par Nicole Bacharan, Le Figaro, 3 septembre, page 16, http://www.lefigaro.fr/debats/2008/09/03/01005-20080903ARTFIG00020-elections-americaines-le-reveil-de-l-intolerance-morale-.php :

Nicole Bacharan, spécialiste de la société américaine, historienne et politologue, réagit à la décision de John McCain de choisir Sarah Palin comme colistière sur son ticket républicain. Par ailleurs, elle publie cette semaine Le Petit livre des élections américaines et en octobre Les Noirs américains, des champs de coton à la Maison-Blanche (éd. du Panama).

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En choisissant Sarah Palin, gouverneur de l'Alaska, comme candidate à la vice-présidence, John McCain a soudain remis au cœur de la bataille électorale les fameuses valeurs morales qui, après huit ans d'Administration Bush, avaient cédé la place aux vraies priorités (récession, terrorisme, deux guerres, tensions grandissantes dans le monde). Jusque-là, John McCain, peu aimé dans son parti, cherchait plutôt à attirer les indépendants et les modérés. L'arrivée de Sarah Palin change radicalement ce schéma : elle polarise fortement l'élection et provoque l'irruption de l'intolérance morale dans la campagne.

Pourquoi John McCain, 72 ans, a-t-il désigné, pour lui succéder en cas de défaillance à la tête des États-Unis, au cas où il serait élu, cette nouvelle venue qui a peu d'expérience en politique intérieure et aucune en politique extérieure ? Bien sûr, Sarah Palin est femme (pied de nez à Hillary), jeune (pied de nez à Obama), susceptible d'apporter modernité et glamour au ticket républicain. Mais surtout et c'est pour lui l'essentiel Sarah Palin est une chrétienne ultraconservatrice, partisane de l'enseignement du créationnisme (qui réfute la théorie de l'évolution), militante antiavortement acharnée ; elle soutient les programmes qui prônent exclusivement l'abstinence auprès des adolescents et ignorent la contraception (hypocrisie dont sa fille se trouve aujourd'hui la première victime). Le rôle de cette Dame de glace est clair : rallier à John McCain l'ultra-droite chrétienne qui, jusque-là, avait tendance à le bouder.

Cette stratégie a été concoctée par les conseillers qui, tirant les leçons de la défaite de George Bush père (face à Bill Clinton en 1992), avaient fondé l'ascension politique de son fils W. sur ce principe : pour l'emporter, le candidat républicain doit absolument obtenir les voix des chrétiens conservateurs. Pour les convaincre d'aller aux urnes, il faut leur donner des gages sur les sujets «moraux » les plus passionnels : l'avortement, le mariage gay, la recherche sur les cellules souches. Cette radicalisation est donc désormais aussi celle de McCain.

Il ne s'agit pas ici de critiquer la décision d'une femme comme Sarah Palin, qui a voulu, en toute connaissance de cause, mettre au monde un enfant trisomique. Mais il y a de quoi s'alarmer de voir aux États-Unis, en 2008, une minorité active, très bien financée, qui cherche à imposer par la loi des choix privés. Et il y a de quoi protester contre cette équation qui voudrait qu'un groupe particulier — la droite chrétienne — possède le monopole de la morale tandis que tous les autres vivraient dans la débauche. Quel paradoxe pour le Parti républicain, toujours hostile aux empiétements de l'État, d'être devenu le chantre des valeurs religieuses imposées par la force publique ! Comment, en même temps, revendiquer le droit au port d'arme (position défendue par Sarah Palin) au nom de la liberté individuelle, et s'opposer au droit à l'avortement, c'est-à-dire à une autre liberté individuelle ?

Au fil des nombreuses années passées à ausculter la société américaine, j'ai acquis le sentiment que George W. Bush a mené une politique beaucoup plus à droite que la plupart des citoyens ne le souhaitaient. En 2004, j'estimais que si une majorité d'Américains, traumatisés par le 11 Septembre, préféraient confier leur sécurité à George W. Bush plutôt qu'à John Kerry, peu convaincant, ils ne souhaitaient pas pour autant mettre la religion au pouvoir. J'ai rencontré des chrétiens qui protestaient contre l'utilisation politique de leur foi ; des jeunes (républicains ou démocrates) qui cohabitaient sans se marier ; des citoyens qui refusaient les discriminations envers les homosexuels… J'ai vu une population dont les modes de vie — Est, Ouest, Nord, Sud, villes et campagnes — se mêlent de plus en plus grâce à l'Internet, l'arrivée d'immigrants du monde entier, et la grande mobilité à l'intérieur du pays. Bref, j'ai vu une Amérique plutôt raisonnable, moins bigote et moins belliciste que sa caricature…

Est-ce encore le cas ? Si Sarah Palin est élue en dépit de ses insuffisances politiques, alors cette image n'est peut-être plus la bonne. En choisissant cette colistière, John McCain prend le risque de diviser à nouveau le pays selon les clivages moraux et religieux qui lui ont fait tant de mal. Depuis cette annonce, les fondamentalistes sont (aux dires de Ralph Reed, ancien chef de la «coalition chrétienne »), «au-delà de l'extase». Ils se lancent à fond dans la bataille. L'électorat démocrate est tout autant motivé. Événement déjà historique (avec le premier candidat noir), l'élection de 2008 est donc également devenue un test in vivo de l'état réel de la société américaine. Avec pour nouvel enjeu, la liberté des femmes.

 

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TRIBUNES LIBRES

22 Août 2008, 23:03pm

Publié par Mister Arkadin

Le décryptage des blockbusters us semble devenu une spécialité française. Cela ne date bien sûr pas d’hier, l’émission de radio dans laquelle Serge Daney se livra, en compagnie d’Elisabeth Roudinesco, à un démontage psychanalytique du premier Batman demeurant mon plus vif souvenir de "Microfilms" (l’émission d’entretiens sur le cinéma qui a précédé la "Projection privée" de Michel Ciment). M’y risquant moi-même de temps à autre (comme ici, à propos de Hancock) ou signalant des travaux universitaires dans ce domaine (, à propos du "cinéma reaganien"), il serait mesquin de ma part de me moquer des interprétations géopolitiques confuses que tel film peut engendrer, par exemple celle à laquelle Nicolas Bonnal se livre sur le dernier Batman (« …et les démons de la mondialisation », diantre !). Je l’ai trouvée par hasard sur un site où je suis allé fureter après avoir reçu une excellente tribune libre sur la mort de soldats français en Afghanistan. Philippe Randa y dit noir sur blanc ce que beaucoup n’osent sans doute pas exprimer trop haut.

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"L'UN CONTRE L'AUTRE"... ET VICE-VERSA !

8 Juillet 2008, 21:49pm

Publié par Mister Arkadin

Un rapport sur les violences conjugales venant d’être rendu public, les journaux d’informations de France Culture (au moins celui de 8 heures) ont traité en priorité ce sujet, reportage à l’appui. Ce fut l’occasion de constater que le traitement journalistique de cette question demeure inchangé, seuls les témoignages de victimes féminines étant recueillis. A aucun moment il n’était envisagé que des hommes pouvaient être victimes de violences similaires de la part de leur conjointe (1). Or, l’une des évolutions récentes des enquêtes sociologiques sur le sujet est la prise en compte de la violence qui s’exerce aussi contre des hommes, en nombre sans doute beaucoup moins important que celle qui touche les femmes, mais non négligeable pour autant. « Parler d’hommes battus est encore tabou en France », est-il écrit dans la présentation de « Détruire, disent-elles », émission passée le 13 novembre dernier sur... France Culture (dans le cadre de « Surpris par la nuit »). « Détruire, dit-elle », ce pourrait le titre d’un film remarquable, non de Duras, mais du cinéaste allemand Jan Bonny. Sorti en France le 30 avril dernier, L’un contre l’autre ferait presque regretter que n’existent plus les « Dossiers de l’écran ». Un "film pour Dossier de l’écran" : l’expression a toujours été assez péjorative. Preuve de la déculturation générale, il faudrait peut-être lui substituer l’expression : "film à montrer aux journalistes de France Culture"... 


  Lien complémentaire :

- un petit documentaire sur les hommes battus.


Note :

(1) (26 février 2010) : le dernier dossier du Parisien sur la question, ce jour, ne fait pas exeption : « Violences conjugales : la tragédie quotidienne », est-il titré en une, et « De nouvelles mesures pour lutter contre les hommes violents » en pages 2 et 3... Même constat dans Le Monde, qui, subrepticement, évoque les « violences conjugales », mais ne parle que des « violences faites aux femmes » (au moins trois occurrences dans l'édito de son édition du 26 février 2010). Ceci dit, les journaux ne font en l'occurrence que reprendre les termes de la proposition de loi enregistrée voici peu à l'Assemblée nationale.

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MARTYRS DÉCLASSIFIÉS

3 Juillet 2008, 10:34am

Publié par Mister Arkadin

Ouf ! L'honneur de la commission de classification des films est sauf et Philippe Rouyer pourra continuer de prétendre que, si elle redevenait une commission de censure, il la quitterait illico. Par 14 voix contre 12, elle vient de revenir, à la demande du ministre  de la culture Christine Albanel (1), sur sa décision d'interdire au moins de 18 ans le film Martyrs. Moyennant un avertissement, le film va pouvoir être vu par tout public à partir de 16 ans. Gageons que le service après-vente sera gaillardement assuré par la critique et souhaitons à ces Martyrs un franc succès. Voilà en tout cas une mesure qui renforce la "distinction du porno", qui demeure bel et bien le "mauvais genre" par excellence du cinéma.

(1) Cette demande de ré-examen par le pouvoir et l'obéissance de la commission, dont les avis sont certes consultatifs, mais d'ordinaire suivis par le ministre, choqueront-t-ils tous les bons esprits qui s'insurgent contre la main-mise sur les médias de la dictature sarkosyste (et notamment contre sa volonté de pouvoir nommer le Président de France Télévision, en ne se contentant plus de le faire par l'intermédiaire du CSA) ?

Complément : une série de propos sur la classification de ce film, enregistrés le 13 juin 2008 et montés dans un "documentaire" intitulé "Martyrs contre la censure", peut etre regardée sur le site du réalisateur Frédéric Ambroisine.

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D'UNE INFLUENCE INATTENDUE DU CINÉMA

2 Juillet 2008, 15:12pm

Publié par Mister Arkadin

L'une des questions les plus récurrentes des débats sur le cinéma depuis ses origines est celle de son influence, à tel point que l'on pourrait aisément construire tout un essai à partir de la façon dont cette question a été appréhendée au cours de son histoire. Elle prend un tour inattendue à l'occasion d'une mystérieuse épidémie de grossesses dans un lycée du Masschussets. Une enquête parue dans Libération aujourd'hui rapporte les récriminations d'un certain "centre national de prévention des grossesses adolescentes" contre Juno. Ce ravissant petit film aurait contribué à leur "glamourisation". Montrer une jeune fille qui préfère placer son enfant dans une famille adoptive plutôt que d'avorter aurait suscité des vocations de parents parmi les lycéennes américaines. Je me souviens avoir noté à la sortie du film  en France qu'il passait aux yeux de critiques vigilants pour une propagande sournoise et réactionnaire des milieux pro-vie. Qui sait ? Peut-être ces lycéennes américaines avaient-elles tout simplement lu des rapports médicaux préconisant les grossesses précoces comme meilleur moyen de se prémunir contre le cancer du sein (cf. Écrits de Paris, n°709, mai 2008) ?

Baby boom au lycée

A Gloucester, l’année scolaire se clôt sur une énigme : 18 lycéennes se sont retrouvées enceintes. Effet «Juno» ou ennui ? Les ados se sont-elles concertées ? Le port de pêche américain garde son secret.

Envoyée spéciale à Gloucester MARIA PIA MASCARO

Libération, mercredi 2 juillet 2008

 

Une tempête vient de s’abattre sur Gloucester, ville de pêcheurs du Massachusetts à 60 kilomètres au nord de Boston. Il y a dix jours, un article du magazine Time a révélé l’existence d’un «pacte» entre plusieurs adolescentes du lycée de la ville : elles auraient décidé d’être enceintes au même moment et d’élever leurs enfants ensemble.

Au cours de l’année scolaire écoulée, dix-huit jeunes filles de moins de 17 ans sont tombées enceintes et plusieurs d’entre elles ont déjà accouché. Or, ces dernières années, il n’y avait pas plus de trois grossesses par an au lycée.Six fois moins. Il s’est bien passé quelque chose, mais quoi ? Personne n’est d’accord sur la réponse à apporter.

Ce week-end, la ville célébrait la fête de San Pietro, le saint patron des pêcheurs, honoré par les centaines de familles descendantes d’immigrés siciliens et portugais. Une partie de la foule est rassemblée sur la plage pour une compétition de natation et les adolescents se pressent par grappes autour des attractions foraines. Les conversations portent évidemment sur l’«affaire». «Il y en a trois qui ont couché avec le même mec, un sans-abri de 24 ans», affirme, sûre d’elle, Christina Johnsen, 15 ans. Elle dit connaître plusieurs des filles enceintes. «Le pire c’est qu’elles en sont fières. Elles veulent juste un jouet.»

Oubli de pilule

Du haut de ses 12 ans, alors qu’elle en paraît 16, Britney Burke a son explication : «C’est mortel d’ennui ici», dit-elle, en pointant du regard le crooner gominé, fagoté dans un costard démodé au liséré argenté qui s’agite sur une scène vide ornée de drapeaux aux couleurs transalpines. Britney secoue la tête. Son amie Tasha Marshall, 13 ans, dit aussi connaître une des filles enceintes, Kyle. «Elle a payé un mec de 29 ans pour qu’il la mette en cloque. Elle l’a fait pour être cool», lâche-t-elle, méprisante.

Si tout le monde en ville a son avis sur la question, chacun semble aussi s’être donné le mot pour protéger l’identité des jeunes filles. Quelques-unes ont pourtant fini par parler publiquement. Lindsey Oliver, 17 ans, a, par exemple, signé un contrat exclusif avec la chaîne ABC. «Il n’y a pas eu de pacte [entre nous]», a-t-elle assuré. Pour elle, qui prenait la pilule, c’était un accident. Son copain, Andrew Psalidas, était à ses côtés pendant l’émission Good morning America. Brianne Mackey, 17 ans, qui a donné naissance à une petite fille le 7 juin, s’est confiée au journal local, le Gloucester Times, et s’en tient à la version de Lindsey : il n’y a pas eu de pacte, c’est un accident de contraception. Elle vit désormais entre le domicile des parents de son petit ami, Michael Mittchell, et celui de ses parents, en périphérie, à l’orée d’un bois. Sa mère Kim fait barrage. «Nous avons déjà parlé au journal local, c’est une vieille histoire», lance-t-elle de son porche. Elle demande quand même si nous serions prêts à payer pour parler à sa fille. Devant la réponse négative, elle précise, pour clore la conversation, que «de toute façon, Brianne et le bébé dorment».

En ville, les autorités aimeraient pouvoir passer à autre chose, mais rien n’y fait. «Il y a trop de questions en suspens,Gloucester Times.En mars, lors d’une réunion de la commission scolaire, la responsable de la crèche du lycée s’inquiétait du manque de places pour l’année 2008-2009. Il y avait déjà dix grossesses recensées et la crèche ne compte que sept places.» «Dix grossesses, chez des gamines de 16 ans !» s’était étonné le directeur du journal, Raymond Lamont. estime le

Fin mai, les langues se sont déliées, lorsque le pédiatre et l’infirmière de l’établissement ont démissionné avec fracas. Brian Orr et Kim Daly dénoncent alors la politique du lycée qui refuse de distribuer des contraceptifs et des préservatifs aux jeunes sans le consentement de leurs parents. «Nous avons eu deux grossesses, puis dix, puis quinze, il fallait mettre un terme à ça», explique le docteur Brian Orr au Gloucester Times.

Blocus médiatique

C’est alors que Time a eu vent de l’histoire. Dans les colonnes du prestigieux hebdomadaire, le directeur du lycée, Joseph Sullivan, évoque alors la possibilité d’un «pacte» entre les jeunes filles. Il affirme que plusieurs grossesses sont intentionnelles. Certaines adolescentes sont venues passer des tests de grossesse à plusieurs reprises et elles semblaient ravies lorsqu’elles recevaient des résultats positifs. A l’inverse, plusieurs ont paru déçues face à des résultats négatifs.

La maire de la ville, Carolyn Kirk, rejette l’idée du pacte, tout en admettant que ni elle, ni aucun membre de la commission scolaire n’ont parlé aux filles ou à leurs parents. Le directeur de l’école est curieusement absent du point de presse. «Sa mémoire est embrouillée», justifie l’élue. Dans la foulée, Brian Orr, le pédiatre démissionnaire, et Sue Todd, la directrice de la crèche scolaire, nient avoir eu vent d’un arrangement entre les jeunes filles. Christopher Farmer, le directeur du département des écoles, revient sur ses premiers propos, et hasarde que le pacte a pu être conclu après coup : «Une fois enceintes, elles ont décidé de se soutenir mutuellement.»

Pour tenter de calmer le jeu, la maire impose un blocus médiatique, mais le mal est fait. «Nous sommes passés de la ville des pêcheurs à la capitale des grossesses adolescentes», ironise le journaliste Raymond Lamont. Gloucester, fière d’être le plus vieux port des Etats-Unis, fondé en 1623, se vantait jusqu’ici d’avoir servi de décor au film Capitaine courageux de Victor Fleming et, plus récemment, En pleine tempête, de Wolfgang Petersen, avec George Clooney. L’absence de déclarations officielles n’a fait qu’enflammer la rumeur. Après avoir été sommé de se taire par le maire, le directeur du lycée a reconfirmé, par un communiqué, sa version des faits. Il tient ses informations de l’infirmière scolaire, écrit-il, et de plusieurs conversations avec des élèves et des enseignants. Et toc pour «sa mémoire embrouillée» !

De son côté, Astrid af Klinteberg, ancienne conseillère municipale, en campagne pour un siège à l’assemblée législative de l’Etat du Massachusetts, dénonce les restrictions budgétaires. Elle critique en particulier le programme «No child left behind» de l’administration Bush, qui coupe les fonds des écoles publiques lorsque celles-ci n’atteignent pas un certain quota de réussite aux tests d’anglais et de maths. «Les écoles concentrent leurs ressources sur la préparation des examens et taillent dans le reste. Cela fait cinq ans que le lycée ne dispense plus d’éducation sexuelle digne de ce nom. Sans compter qu’ils insistent trop sur l’abstinence», pointe-t-elle. Astrid af Klinteberg réclame la distribution de contraceptifs, même contre l’avis des parents. Les autorités scolaires s’y opposent par peur de se mettre à dos une population, certes démocrate, mais majoritairement catholique et conservatrice sur les questions morales.

Pour le directeur du lycée, il s’agit d’un faux débat puisque les jeunes filles voulaient être enceintes. Certains parents ont, par ailleurs, été prompts à critiquer l’existence d’une crèche dans le lycée, qui inciterait les adolescentes à avoir des enfants. Des garderies gratuites assez répandues aux Etats-Unis. «Nous n’allons pas en plus punir ces jeunes mères en les privant d’une éducation qui les aidera ensuite à élever leurs enfants», enrage l’élu local Jason Grow, prêt à manifester si la crèche est menacée. Astrid af Klinteberg propose quand même de l’installer hors les murs scolaires, pour la rendre moins «visible».

 

Films, séries et célébrités

D’autres mettent en cause les médias et Hollywood en particulier. Le Centre national de prévention des grossesses adolescentes regrette ainsi la banalisation de ces grossesses, voire leur «glamourisation». Il cite le film Juno, consacré aux tribulations d’une lycéenne de 16 ans qui décide de mener sa grossesse à terme et place finalement son enfant dans une famille adoptive. Carol Weston, chroniqueuse au magazine pour ados GL, dit avoir reçu un important courrier d’adolescentes souhaitant être enceintes après avoir vu Juno.

Le Centre national de prévention estime que la presse people et les magazines pour ados ont tort d’encenser les célébrités enceintes, à l’instar de Jamie Lynn Spears, la sœur de Britney Spears, star d’une émission télévisée pour enfants, qui vient d’accoucher, à 17 ans. La chaîne ABC vient, elle, de lancer une nouvelle série sur un groupe de lycéens, dont l’une des héroïnes est enceinte.

Le filon a l’air de marcher, mais aucune étude ne corrobore le lien entre cette exposition médiatique et l’augmentation des grossesses adolescentes. Les experts notent seulement qu’après quinze ans de baisse ininterrompue, de 1991 à 2005, leur nombre a augmenté de 3 % à l’échelle du pays, en 2006. Chez les jeunes filles de 15 à 19 ans, le nombre de grossesses était de 72 pour 1 000 en 2004, contre 117 pour 1 000 en 1990, selon l’Institut Guttmacher de New York. Seulement 10 à 15 % de ces grossesses seraient désirées. Et deux fois plus d’adolescentes tombent enceintes dans la population noire et hispanique, que chez les Blancs (1).

S’i l est vrai que les grossesses adolescentes touchent davantage les milieux défavorisés, «à Gloucester, nuanceAstrid af Klinteberg, il y a aussi des filles issues de milieux aisés, dont les deux parents sont à la maison». Pour Bill, architecte, le coupable, c’est l’économie. «Quand les parents doivent trimer avec deux ou trois emplois pour finir leur mois, comment voulez-vous qu’ils soient présents pour leurs enfants ?»

(1) Ces chiffres tiennent compte des grossesses menées à terme ou interrompues par un avortement ou une fausse-couche.

http://www.liberation.fr/transversales/grandsangles/336218.FR.php

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D’UN ZUCCA L’AUTRE

20 Juin 2008, 23:33pm

Publié par Mister Arkadin

Alouette, je te plumerai (1987) est diffusé en ce moment sur les chaînes du bouquet Cinécinéma Star. Ce film a été réalisé en 1987 par Pierre Zucca, cinéaste auquel Éric Rohmer a récemment rendu hommage en menant à bien une adaptation de l’Astrée d’Honoré d’Urfé que Zucca avait dû abandonner.

C’est l’occasion de revenir rapidement sur l’exposition de la Mairie de Paris qui a fait tant scandale, parce qu’elle aurait « perpétué la propagande nazie ». Le fauteur de trouble n’est autre que le père de Pierre Zucca, André Zucca, dont les photos en couleurs prises à Paris sous l’Occupation auraient dû, selon les contempteurs de l’expo, être plus explicitement dénoncées dans les panneaux explicatifs les accompagnant.

Moult arguments ont été échangés de part et d’autre, et les organisateurs de l’exposition ont dû revoir leur copie pour apaiser quelque peu la fureur des autorités municipales. Il a notamment été jugé naïf par les spécialistes de la photo de considérer que des images parlaient par elles-mêmes et qu’une contextualisation rigoureuse n’était pas indispensable. Sans doute. Deux remarques cependant :

- la photo que je reproduis ci-contre, par exemple, ne fait-elle déjà pas suffisamment froid dans le dos à elle seule, sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter par un commentaire redondant ?

- il est surprenant de constater à quel point plus les enfants de France accèdent de plus en plus aisément et en plus grand nombre à l’enseignement supérieur, plus l’éducation pour tous est prolongée indéfiniment, plus il est jugé indispensable de nous abreuver d’explications en tous genres (Renaud Camus remarque ainsi qu’aucun nom ne peut quasiment être cité dans la presse sans que soit précisé de qui il s’agit), plus l’ignorance est supposée, plutôt que la connaissance, de même que les ouvrages de sciences humaines se vendent infiniment moins que dans les années 1970, avant la massification de l’éducation.


Information et liens complémentaires :

- La revue Vertigo publie un dossier sur Pierre Zucca dans son dernier numéro.

- L'émission "Arrêt sur images" sur cette exposition.

- http://www.ericrohmer.com/cine/astree-fr.shtml

 


Complément (25 août 2009) : Daniel Cordier a été interrogé sur cette exposition dans l'entretien qu'il a accordé récemment à l'émission "Arrêt sur images". Il s'est dit pas du tout choqué, y reconnaissant très bien Paris tel qu'on pouvait la voir à l'époque. Pour ceux qui ne seraient pas abonnés à ASI, voici un extrait de ses propos (tels que retranscrits sur le site d'ASI) : « Avant 1943, je n'ai jamais vu une arrestation ! On ne voyait rien. La vie était normale : les Champs-Élysées, Opéra, la Madeleine étaient des quartiers riches, où les gens étaient aux terrasses des cafés et dépensaient beaucoup d'argent. [...] Ces photos m'ont remis en mémoires des choses qui étaient très vivantes : Paris était comme ça. Les gens vivaient... »

 

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LE PEN DÉMAGOGUE ?

30 Avril 2008, 08:52am

Publié par Mister Arkadin

Le président du Front national et député européen Jean-Marie Le Pen a prétendu ce matin sur France Inter (le « sept dix ») que son échec à la dernière présidentielle était dû à son choix de dire la vérité aux Français plutôt que de les caresser dans le sens du poil, comme l’auraient fait les autres candidats, en particulier celui qui a finalement été élu.

Un site sur le cinéma n’est pas le lieu pour attribuer des bons ou des mauvais points à quelque homme politique que ce soit, au moins en matière de conduite du pays, de campagne électorale ou d'instrumentalisation du passé, au sujet de ses prises de positions en matière d’économie, de politique étrangère, de plus ou moins grande ouverture des frontières (aux hommes ou aux capitaux), etc.

En revanche, il n’est pas inintéressant de relever de temps en temps ce que les hommes politiques déclarent quand ils sont interrogés sur tel ou tel film. Non que leur manière d’aborder le cinéma soit forcément révélatrice, mais cela donne tout de même quelques indices précieux. Ainsi Jean-Marie Le Pen, interrogé sur la bannière sur les Ch’tis qui a valu au PSG l’opprobre nationale, a-t-il considéré que, pour idiote qu’elle fût, cette bannière ne l’était pas plus que bien d’autres et que le scandale qu’elle a provoquée avait en grande partie été gonflé par une campagne médiatique quelque peu suspecte (1). D’autant qu’elle était surtout due à l’engouement pour un mauvais film à ses yeux, donnant une image caricaturale des gens du Nord. Jean-Marie Le Pen a ajouté que l’immense succès de Bienvenue chez les Ch’tis était hélas un signe de plus de la décadence orchestrée de la culture et du peuple français.

Ces propos peuvent être jugés stupides, insultants, inappropriés ; ils peuvent être condamnés de quelque manière que l’on veut. N’ayant toujours pas vu le film en question, je ne puis pour ma part me prononcer. Mais, à tout le moins, on ne peut leur reprocher d’être démagogiques, car, si Jean-Marie Le Pen voulait se réconcilier avec les électeurs qui l’ont lâché et en gagner d’autres à faible coût, il devrait assurément s’abstenir de tels propos, qui ne flattent pas l’électorat populaire qu’on lui prête, c’est le moins qu’on puisse dire ! Dès lors, force est de constater que Le Pen, au moins sur ce sujet, dit vrai quand il prétend préférer dire aux Français la vérité (la sienne en tout cas), plutôt que de les flatter et de brider sa liberté d’expression.

Encore une fois, on peut fort bien ne pas partager les opinions de quelqu’un, voire les condamner fermement, sans lui faire des reproches qu’il ne mérite pas. Ainsi Jean-Marie Le Pen peut-il éventuellement être taxé de xénophobie (puisqu’il souhaite étendre la préférence nationale, qui existe déjà dans la fonction publique et dans le système protectionniste dont  bénéficient les cinéastes français, majoritairement immigrationnistes, par l'intermédiaire du fonds de soutien), mais pas de racisme (puisqu’il s’oppose à la discrimination positive que prônent ses adversaires politiques, et voudrait que tous les Français, quelles que soient leur race, leur religion, leur origine sociale, soit traités de la même façon). Ainsi, autant peut-il éventuellement être taxé de stupidité, de cinéphobie ou d’aveuglement en matière de cinéma, autant ne peut-il pas être taxé de démagogie dans l’expression de ses goûts cinématographiques.


Note et lien complémentaire :

(1) L'extrait peut être écouté sur le site que La Voix du Nord consacre au film.

- Intéressante chronique de Cyril Lemieux sur cette affaire, dans le cadre de l'émission « La Suite dans les idées » (sur France Culture, le 20 mai 2008).

(2) (23 septembre 2008) J’utilise abondamment, et sans doute excessivement, adverbes, locutions adverbiales et adjectifs, bien que je n’ignore pas que maints stylistes en déconseillent l’usage ou conseillent de ne les utiliser qu’avec la plus extrême parcimonie. Il en est cependant quelques-uns dont je méfie : évidemment, bien entendu, bien sûr ; tous ceux qui s’apparentent au « c’est-vrai-qu’isme » analysé par Renaud Camus. Résumons grossièrement : ce souci de souligner l’évidence et la vérité de ce que l’on énonce n’est-il pas le signe que l’on en doute, que le statut même de la vérité devient incertain ? Ce que je me permets d’appeler, en m’inspirant de Camus, l’ « évidemmentisme » peut aussi être une manière de se couvrir en assénant comme une vérité indiscutable un lieu commun dont tout indique par ailleurs que l’on en doute ou que l’on devrait en douter, ce que l’on ne pourrait se permettre de faire car cela ne siérait pas au "politiquement correct". Un cas flagrant dans l’entretien, assez intéressant au demeurant, que Louis-Georges Tin, porte-parole du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), a donné au Monde (21-22 septembre 2008, p.14) : « Les [mouvements racistes] ne parlent guère de la question noire ; ce qui est fondamental à leurs yeux, c’est la question nationale : le Front national est national. Il invoque "la préférence nationale", pas la suprématie blanche. Il s’intéresse à l’identité nationale et aux immigrés, qui sont souvent noirs, mais ce n’est pas en tant que tel qu’il s’intéresse à eux (ce qui ne veut pas dire que le FN ne soit pas raciste, évidemment). Or les antiracistes ne parlent pas davantage de la question noire, puisque, comme ils le disent, il n’y a pas de race noire. Donc pour des raisons tout à fait différentes, cette question a été délaissée en France à la fois par les mouvements racistes et les mouvements antiracistes. » C’est moi qui souligne cet étrange « évidemment », qui s’applique à une affirmation que le reste de la démonstration de Louis-Georges Tin vient de contredire (puisque, tout au plus, les points de vue du Front national qu’il synthétise devraient l’amener à parler d’un « mouvement xénophobe ») !

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LES HISTORIENS EXPERTS DU CINÉMA

6 Mars 2008, 17:57pm

Publié par Mister Arkadin

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« Depuis sa sortie, Histoires à ne pas dire suscite la polémique. Ce film concentre les critiques d’historiens de la guerre d’Algérie. » Ainsi commence l’article sur le film de Jean-Pierre Lledo, en page 12 du numéro de Télérama paru hier. De fait, l’article est au deux tiers constitué par quatre longues citations, Thierry Leclère ne faisant qu’en reprendre, dans le reste de l’article, les arguments et termes (comme le titre de l’article, « La guerre des mémoires », repris de la dernière citation), de sorte qu’il aurait tout aussi bien pu publier son papier sous forme d’un entretien avec les historiens rencontrés. Les historiens ? Ceux qui auraient donc concentré leurs critiques sur Histoires à ne pas dire. À y regarder de plus près, on se rend vite compte que, si concentration il y a, c'est parce que les historiens en question se réduisent au seul Benjamin Stora, Monsieur-Guerre-d’Algérie en France, presque systématiquement interrogé sur la question. De là à ce qu’il devienne les « historiens », il y avait un pas que les médias dominants n’avaient pas tout à fait encore franchi. Je ne nie pas que Benjamin Stora puisse être un universitaire ayant un avis digne d’intérêt, mais qu’il ait fini par être érigé en arbitre suprême, en autorité officielle chargée de dire la vérité historique m’inquiète quelque peu, d’autant qu’il ne manque pas d’historiens pour avoir des avis différents des siens, contrairement à ce que l’on semble chercher à nous faire accroire.

 

Il faudrait étudier un jour plus en détails la façon dont les historiens sont convoqués par les médias pour commenter les films, comment, la plupart du temps, ils sont choisis en fonction de l’avis préalable que le journal se fait du film en question, sur des critères au moins autant idéologiques que scientifiques. Ce fut particulièrement flagrant lors de la sortie du film de Tavernier Laissez-passer. Mais l’intervention des historiens (et plus largement des "savants", universitaires ou "experts") dans la réception critique des films mériterait d’être analysée en ce qui concerne bien d’autres, d’Amen à La Passion du Christ, de L’Anglaise et le duc à La Chute. Ce sera l’objet d’un prochain ouvrage, comme aurait dit Jean-Paul.

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Complément (15 juillet 2015) : Extrait du bulletin de ré-information de Radio Courtoisie du 23 avril 2015 (« Le bobard historique du jour ») :

« Le 17 avril dernier sur Europe 1, dans un débat sur les massacres d’Algériens à Sétif, le 8 mai 1945, le journaliste Serge July a évoqué la responsabilité « des fascistes et de Vichy », oubliant que le régime de Vichy n’existait plus depuis 9 mois et que le chef du gouvernement était alors le général de Gaulle.

Persistant dans son ignorance, Serge July parle de « dizaines de milliers de morts » alors que la plupart des estimations ne dépassent pas plusieurs milliers. 

Présent à cette émission, Benjamin Stora, historien pourtant spécialiste de cette période, n’a pas relevé la libre multiplication par dix du nombre de répressions françaises. Tout comme on parle de 6 000 morts, en 1946, à Haiphong alors qu’il y en a eu 600.historiens »

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