Mister Arkadin

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IMAGES, MÉDIAS ET POLITIQUE : "L’ANGLAISE ET LE DUC" DE ROHMER

9 Novembre 2010, 00:45am

Publié par Mister Arkadin

Voici, ci-dessous, le sujet d’une communication que je dois prononcer le jeudi 18 novembre 2010 à l’INA, dans le cadre du colloque « Images, médias et politique », organisé par le CNRS, l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

http://somecamerunning.typepad.com/.a/6a00e5523026f588340120a5ba9ce9970c-800wi


L’Anglaise et le duc, la critique et l’histoire, l’esthétique et l’idéologie politique : coïncidence ou corrélation ?

En s’attaquant à l’Histoire dans L’Anglaise et le duc, et plus spécifiquement en « repei[gnant] la Révolution », comme le titrèrent à l’été 2001 les Cahiers du cinéma, Éric Rohmer prit le risque de susciter une sorte de remake en miniature des débats du Bicentenaire, tant 1789, et plus encore 1792, année centrale de son film, demeurent, avec l’Occupation, les événements qui génèrent le plus de passions en France. À cet égard, il n’est que de constater que son film suivant, Triple Agent, situé dans l’entre-deux guerres et que d’aucuns ont pu considérer comme une charge contre le Front Populaire, n’a pas provoqué autant de remous. Il a toutefois donné une nouvelle fois l’occasion à une partie de la critique (par exemple Libération) de réaffirmer le dogme selon lequel les options politiques du cinéaste importent peu pour appréhender une œuvre. Pourtant, l’examen de la réception de L’Anglaise et le duc, aussi bien dans la presse quotidienne que dans les revues cinématographiques ou "intellectuelles", ainsi que dans les autres médias, n’indique-t-il pas que le jugement esthétique porté sur les films est encore bien souvent corrélé au jugement idéologique ? La plupart de ceux qui ont apprécié le discours que tient à leurs yeux Rohmer dans son film n’ont-ils pas salué ses options esthétiques radicales tandis qu’inversement, ceux qui dénoncèrent les idées réactionnaires prêtées au cinéaste ne restèrent-ils pas insensibles à leur mise en scène ? Était-il impossible d’opérer une distinction entre l’esthétique et le politique ?

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PROJECTIONS PARTICULIERES

18 Janvier 2010, 00:02am

Publié par Mister Arkadin

J’apprends dans le libelle de Véronique Bouzou, que j’ai déjà signalé ici, qu’Être et avoir avait fait l’objet d’une projection privée à Matignon, à laquelle fut convié l’instituteur du film.Etre et avoir

Les projections particulières de films dans les lieux de pouvoir, aux hommes politiques, notamment à l’Assemblée nationale (Welcome, Home, Une vérité qui dérange, Katyn, etc.), au Sénat (le documentaire Décryptage, sur le conflit du Proche-Orient, de Philippe Bensoussan, sur un scénario de Jacques Tarnero (1)), au Président de la République (cf. Indigènes et Jacques Chirac, Home et Nicolas Sarkozy [2]) ou à la Maison Blanche (3),  semblent se multiplier. Mentionnons aussi Le Syndrome du Titanic, projeté, en présence de Nicolas Hulot, à la Cinémathèque de Copenhague, le 16 décembre à 20 heures, deux jours avant la fin de la conférence des Nations Unies sur le climat, des négociateurs ayant été invités à la projection (Le Monde, 27 novembre 2009, p.3).

Des films sont-ils aussi projetés en entreprise ? aux réunions du Medef ? au sein des syndicats ?

Qui organise ce genre de projections ? quels sont les buts poursuivis ? leur(s) influence(s) ? leurs effets (escomptés ? produits ?) ? La réalisation des films eux-mêmes prend-elle en compte ce genre de considérations ? Etc.

Autant de questions que j’aimerais bien voir un jour abordées de façon la plus exhaustive et rigoureuse possible par une étude universitaire d’ensemble. Car c’est uniquement quand me viennent des idées de ce genre que je regrette de ne pas être un professeur de fac pouvant inciter ses étudiants à choisir tel ou tel sujet de recherche !


Notes :

(1) D'après Paul-Éric Blanrue, Sarkozy, Israël et les juifs, Embourg (Belgique), Éditions Oser dire, 2009.

(2) « Lorsqu'on a projeté le film à l'Elysée, en avant-première, j'étais assis à côté de Nicolas Sarkozy, et je vous garantis que, pendant deux heures, il n'a pris ni coup de fil ni texto » (Yann Arthus-Bertrand, L'Express, 25 juin 2009). Dans L'Express du 13 octobre 2010 (p.90-91), Xavier Beauvois a vanté de façon similaire l'attention d'un Président qui a « tout compris à [m]on cinéma » lorsque le film lui a été projeté à l'Elysée « il y a dix jours » (soit bien après la sortie en salles du film). Xavier Beauvois a raconté plus en détails cette épisode dans Les Inrockuptibles (n°786-787, 22 décembre 2010, p.55, entretien intitulé "j'ai jamais fait la pute") :

« Le président a demandé un DVD du film. Il n'en existe pas, donc c'était projo à l'Elysée et dîner. En tant que cinéaste, je doistout voir, tout vivre, même si je ne suis pas d'accord avec les idées de Sarkozy. Un jour, je peux me retrouver à jouer ou mettre en scène un ministre ou un président. Il faut rester curieux, ouvert. En plus, je portais un film où il est question de liberté, d'égalité et de fraternité.

Faut admettre qu'en privé, Sarkozy est très sympa. Il a bien regardé le film, après on en a parlé pendant plus d'une heure, il connaissait bien l'histoire des moines. Je lui ai filé Le Petit Lieutenant en lui disant que c'était un film aimé des flics. Il a apprécié que j'utilise le mot "flic" devant lui. Trois jours plus tard, mon portable sonne, c'était l'Elysée. Petite musique d'attente puis : "Allô, c'est Nicolas, on a vu Le Petit Lieutenant avec Carla." Il a adoré. Ce coup de film m'a plus impressionné que la soirée à l'Elysée. »

(3) Une projection privée d'Avatar a été organisée pour Barack Obama (cf. Première, février 2010, p.32, entretien avec James Cameron). Pour sa part, Nicolas Sarkozy aurait regardé La Rafle un peu avant sa sortie, le 10 mars 2010, grâce à un DVD transmis par Jean Reno (d'après L'Express, 18 mars 2010, p.26). Quant au Ministre de l'Éducation, Luc Chatel, qui préconise la mise à disposition du film sur un plate-forme numérique à destination des écoliers (cf. entretien sur RTL le 17 février 2010), il s'était déplacé à l'avant-première organisée le 14 février 2010 au Gaumont Marignan, ainsi que Jacques Chirac, Jean-Paul Huchon et Éric Besson.


Compléments :

(3 octobre 2010) Ce "lobbying cinéphilique" ne date pas d'hier, comme en témoigne, par exemple, cet extrait d'un article paru dans Le Cri du peuple du 30 mai 1922 (p.3, « Le cinéma ») : « Le cinéma vient même de faire son entrée au Sénat. Non pas qu'on veuille émotionner les sénateurs avec des aventures scherlockholmesiennes, ou les divertir avec les clowneries et les facéties de Charlot, mais leur présenter des films éclairant leur religion sur des sujets dont ils ne peuvent se rendre compte de visu. Il s'agira d'abord de faire défiler sur la toile les merveilles et les richesses de nos colonies, ce qu'on peut tirer de ces dernières, les trésors qu'elles renferment et, surtout, le moyen d'extraire et de travailler ces trésors. »

(17 juillet 2012) La revue Sofilm consacre une chronique à ces lieux et publics atypiques de films choisis, à l’Elysée dans son numéro 1 (juin 2012) et au Vatican dans son numéro 2 (juillet-août 2012).


Autres "projections particulières" :

- Aghet, documentaire d'Éric Friedler sur le Génocide arménien, « a été projeté aux députés du congrès à Washington en juillet 2010 » (Nouvelles d'Arménie Magazine n°173, avril 2011, p.60) ; 

http://24.media.tumblr.com/tumblr_m9xybvykRP1qa6obyo1_1280.jpg

- Lincoln, film de Steven Spielberg, a été projeté à la Maison Blanche, sous Barack Obama, comme l'avait été Naissance d'une nation, sous Woodrow Wilson (Le Monde, 9 février 2013, p.8) ; le film a aussi été projeté au Congrès (cf. Le Monde, 26 janvier 2013, p.7) ;

- parmi la « série de mesures plus ou moins symboliques spécifiques en direction des immigrés à une ou deux générations (l'électorat musulman a voté à 92 % pour la gauche aux élections de 2012) » : « célébration en grande pompe en novembre des trente ans de "la marche des beurs" (le 20 octobre, François Hollande s'est fait projeter en avant-première le film éponyme de Nabil Ben Yadir, La Marche, qui sortira le 27 novembre en salles) » (Faits & Documents, n°365, 1-15 novembre 2013, p.7).

- 24 Jours, film sur l’affaire du « gang des barbares » et d’Ilan Halimi projeté à l’Elysée : « une manière, pour le président de la République, de donner une caution morale à ce film », selon son réalisateur Alexandre Arcady (Corse-Matin, cité par Libération, 30 avril 2014, p.IV).

- d'après Faits & Documents, n°432, 1-15 avril 2017, p.3

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UN "BON" CINÉMA COMPLICE D’UNE « POLITIQUE RACISTE ET FASCISTE » ?

2 Novembre 2009, 00:05am

Publié par Mister Arkadin

Dans le bref éloge de Valse avec Bachir que j’ai rédigé l’année dernière (« Valse avec l’avocat de la terreur »), je me suis démarqué des critiques dont a fait l’objet ce film, les qualifiant de « mauvais procès ». J’aurais dû concéder, de façon bien plus explicite, que je n’y étais cependant pas insensible, notamment en renvoyant aux deux attaques très virulentes que Michel Collon a reproduites sur son site : « Valse avec Bachir: la compassion pour les bourreaux, l'oubli pour les victimes », par Naira Antoun, et « "Valse avec Bachir", médaille du déshonneur », par Gideon Lévy. C’est une lettre adressée par le cinéaste Eyal Sivan aux organisateurs d’un festival du film israélien au Forum des Images, également reproduite par Michel Collon (« Pourquoi je ne participerai pas
au festival de films israëliens »
), qui m’amène à le faire aujourd’hui. Eyal Sivan y expose avec clarté et fermeté son opposition à la fois à « la politique raciste et fasciste du gouvernement israélien » et à l’ « l’opportunisme », voire au « cynisme », dont feraient preuve ses « collègues » israéliens en utilisant « le conflit et l’occupation comme décor de leurs travaux cinématographiques, et comme représentation néo-exotique de notre pays – pratiques qui peuvent expliquer leur succès en Occident, et particulièrement en France » (4).


Compléments :

(1) Le communiqué de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP) en soutien aux cinéastes refusant de présenter leurs films à ce festival ;

(2) A lire aussi sur la question du boycott du cinéma israélien : « Ken Loach vs le cinéma israélien », par Ariel Schweitzer, dans les Cahiers du cinéma (novembre 2009, p.63). Rappelons que Loach a également suscité la controverse dernièrement pour ses propos sur l'antisémitisme. 

(3) (7 avril 2010) A lire sur le sujet, dans le numéro 620 de L'Arche (janvier 2010, p.86-89), « Le rôle controversé des films de guerre dans le nouveau cinéma israélien », ensemble d'entretiens très documentés et argumentés avec Ariel Schweitzer et Yvonne Kozlovsky-Golan et Dover Kosashvili.

(4) (19 août 2010) Points de vue de Simone Bitton et d'Eyal Sivan à propos de la "Polémique autour des cinémas Utopia"

(4) Une vive critique de l'initiative d'Eyal Sivan a paru dans L'Arche (« Le double langage d'un cinéaste », n°625, juin 2010, p.48-51).

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LES BOTTES DE BRASILLACH ET LES GROS SABOTS DE MOIX

15 Octobre 2009, 14:27pm

Publié par Mister Arkadin

Je me souviens que l’un des premiers films dont j’ai dit du bien, au micro du "Libre journal du cinéma", fut Podium (1). C’est pourquoi je lis depuis les chroniques littéraires que Yann Moix publie dans Le Figaro. Lire est un bien grand mot. Je ne fais plus que les parcourir et finirai par les ignorer un de ces jours tant elles ne me semblent guère inspirées. J’ai lu cependant avec plus d’attention une tribune qu’il a donnée à la page « Opinions » du Figaro, le 18 août 2009 (p.19, « Une "utopie" pourrie »), car il y est question du remarquable réseau de salles Utopia. Yann Moix dénonce (le mot n’est pas trop fort) la présentation que la plaquette de programmes du cinéma Utopia d’Avignon fait du splendide Temps qu’il reste. C’est un admirable festival d’amalgame, de manichéisme, de police de la pensée que Yann Moix a produit là ! « Police juive de la pensée », avait écrit Annie Kriegel dans les mêmes colonnes (Le Figaro, 3 avril 1990), à propos de la loi Gayssot, si mes souvenirs sont bons. À coup sûr, Yann Moix la clouerait au pilori, puisqu’il n’accepte pas que l’on puisse parler de « milices juives », y compris à propos de celles qui s’occupèrent de l’expulsion de Palestiniens de leur terre en 1948, que montre Elia Suleiman dans son dernier film. Il s’agit à ses yeux d’un oxymore honteux, nécessitant comme il se doit l’emploi d’une jolie reductio ad hitlerum. Des juifs ayant été des victimes, ils ne pourraient y avoir de bourreaux juifs ? Mais a-t-on seulement le droit d’accoler les deux termes ? La suite, qui s’efforce d’assimiler l’antisionisme à de l’antisémitisme, selon une stratégie éculée mais de plus en plus utilisée et que d’aucuns essaient d’imposer par la loi, montre que Yann Moix veille pour que tout terme péjoratif à ses yeux ne puisse plus être accolé au mot juif.

Cela m’a rappelé que, parallèlement, la pensée correcte exige aussi qu’aucun terme jugé valorisant ne puisse jamais plus être utilisé à propos des "salauds", comme Yann Moix désigne les réprouvés de l’histoire. Quel terme plus valorisant que "victime" de nos jours ? Et quel "salaud" plus emblématique que Robert Brasillach ? Aussi, voici quelques années, un érudit du Sud-Ouest ayant osé écrire, dans une encyclopédie régionale, que Robert Brasillach, suite à ses errements idéologiques, fut l’une des « victimes » de l’Épuration avait-il provoqué une indignation quasi nationale… Au demeurant, Yann Moix choisit comme repoussoir Robert Brasillach – voyez comme le Monsieur est original. Le personnage est suffisamment honni pour qu’il ne soit pas nécessaire d’éprouver le moindre scrupule à écrire n’importe quoi à son sujet. Rapportant des propos d’Utopia scandaleux à ses yeux, Yann Moix écrit : « Ce n’est pas Robert Brasillach [qui a écrit cela], ou plutôt si : ce sont les Brasillach d’aujourd’hui. Ils ne se déguisent plus en officiers allemands, avec des bottes et des insignes ; ils portent des sandalettes et se parfument au patchouli, aiment la poterie et les bougies bio. » Habile moyen, sous couvert de métaphore, de reconduire la légende d’un Brasillach ayant revêtu l’uniforme allemand. Yann Moix aurait souhaité confirmer l’adage selon lequel « les clichés ont la vie dure » qu’il ne pourrait s’y prendre mieux !

 


Note :

(1) Film que je m’abstiens de revoir depuis de peur de comprendre l’étonnement que mes propos provoquèrent chez mes amis cinéphiles !

 


Compléments : (1) (22 janvier 2010) :

Le différend entre Moix et Utopia se réglera, comme il se doit, par juges interposés, ainsi que le réseau l'expose sur son site.

http://www.cinemas-utopia.org/U-blog/avignon/public/Moix-Figaro-2009.jpg

(2) (31 octobre 2010) : « L'écrivain Yann Moix condamné pour avoir injurier les cinémas Utopia » (AFP, 26 octobre 2010). Pour une présentation de l'affaire entièrement favorable audit écrivain, voir le site de la revue La Règle du jeu, à laquelle collabore Yann Moix.

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DE LA BURQA AU CINÉMA

30 Août 2009, 23:05pm

Publié par Mister Arkadin

La burqa faisant polémique le printemps dernier, le législateur s’en est emparé à la demande expresse de l’exécutif, sans que puisse être clairement déterminé si la polémique a engendré la préoccupation du pouvoir ou si c’est cette dernière qui avait engendré la polémique. En tout état de cause, sur ce sujet comme sur bien d’autres touchant la société française, le cinéma a accompagné, sinon précédé le mouvement. Car, parmi les arguments expliquant la méfiance qu’inspire ce vêtement figure, de manière plus ou moins explicite et plus ou moins fantasmagorique, le paravent qu’il pourrait fournir à des terroristes ou à des trafiquants pour camoufler des explosifs ou des stupéfiants. Or, dans le film d’Éric Rochant, L’École pour tous, sorti le 18 octobre 2006 et désormais disponible en DVD, Arié Elmaleh interprète Jahwad, un grand dadais de banlieue magouilleur qui dérobe une burqa pour se camoufler et échapper à la police. Le film se voulant humoristique (« une comédie d’imposture », selon Rochant), nous sommes priés de ne voir là qu’une plaisanterie et non une forme de stigmatisation de la population musulmane. Ne voyons aucune malice à ce qu’un acteur juif interprète ce petit loubard maghrébin, pas plus qu’il ne faut trouver étrange qu’un autre interprète juif, l’Israélien Tomer Sisley (devenu depuis célèbre pour son premier rôle dans Largo Winch, un "blockbuster" à la française célébrant le cosmopolitisme), ait été choisi par Frédéric Schoendoerffer pour interpréter, dans Truands, Larbi, un malfrat musulman sans loi mais avec foi qui déclare avec un sourire : « l’Islam n’est pas incompatible avec les affaires… » (je cite de mémoire). Après tout, selon le vœu formulé par Djamel Debbouze dans un entretien publié par Studio en septembre 2008, il faudrait davantage de juifs à l’écran (ainsi que plus de "rebeus", "renois" et "chinois"). Y compris pour jouer des rôles de musulmans malhonnêtes, donc, sans qu’il faille penser que cela puisse contribuer à jeter de l’huile sur le feu. Son pote Tomer Sisley, dont Debbouze encouragea la carrière dans le stand-up, n’était-il pas tout désigné pour ce rôle, lui qui signa un sketch dans lequel son personnage se déclarait « mi-juif, mi-arabe » (1), ce qui lui valait d’être écartelé entre les parties arabe et juive de sa famille ? Voici l’une des blagues que cette situation engendrait : « Je suis juif et arabe ; je ne sais pas si vous imaginez le nombre d’ennemis que je peux avoir sur terre. 50 % arabe, pour un Juif, c’est de toute façon déjà trop. Et 1 % juif, pour un Arabe, c’est juste impensable ! » Il n’est pas expliqué pourquoi est subrepticement rompue la symétrie du sketch, qui se présente comme antiraciste. Gageons que Steven Spielberg, s’il devait réaliser un film sur les aventures de son ancien ami Bernard Madoff, ne manquerait pas de choisir Saïd Taghmaoui pour l’interpréter. Quelqu’un y trouverait-il à redire s’il lui faisait en outre déclarer que « le judaïsme n’est pas incompatible avec l’escroquerie » ?

http://www.pathefilms.ch/libraries.files/Truands01.jpg

(1) Ce sketch, qui peut être vu sur Dailymotion, a suscité l’article « Tomer Sisley's tour de force » dans le journal israélien Haaretz (25 mars 2004).


Liens complémentaires :

- Tomer Sisley sur son sketch ;

- Article et dossier sur le site d’"Arrêt sur images" ;

- Point de vue d’Elisabeth Lévy sur "Causeur" ;

- Entretien avec Agnès De Féo sur "Cinématique" ;

- Entretien avec l'actrice Sophie Guillemin sur sa décision de porter le voile, sur France Info ;

- braquage en burqua.

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PRIS AU PIEGE

12 Août 2009, 23:05pm

Publié par Mister Arkadin

Il a été reproché à l'avocat général ayant requis contre le meurtrier d'Ilan Halimi et contre ses complices d'avoir sous-estimé leur antisémitisme. Un blog de cinéma n'est pas le lieu pour se prononcer sur la question, pour commenter les implications de cette affaire, les conséquences de ses suites ou pour l'interpréter dans toutes ses dimensions. On peut néanmoins regretter que la focalisation sur l'antisémitisme ait occulté ce qui fait pourtant souvent débat dans les faits divers violents, essentiellement quand sont impliqués de jeunes gens, à savoir l'influence que pourrait avoir eue tel ou tel film sur eux. Ainsi la presse n'a-t-elle que peu fait de rapprochement entre la façon d'opérer de Fofana et le roman de Morgan Sportès porté à l'écran par Bertrand Tavernier, L'Appât - nul doute, de plus, que ceux qui l'ont fait, en particulier Éric Delcroix dans Rivarol (n°2915, 24 juillet 2009, p.2, "Justice tribale"), ne soient suspectés de visées maléfiques. Or, Bertrand Tavernier avait introduit dans son film des séquences télévisées, incluant des images de Bernard Tapie, de jeux où l'on gagne de l'argent à foison et du film de De Palma Scarface, afin de dénoncer leur influence délétère sur les esprits faibles. Fofana aurait-il fait jouer L'arroseur arrosé à ce bon Lyonnais de Tavernier ?

Complément (20 août 2009) : En accompagnement d'une page sur Valérie Subra, "l'appât mortel", dans le cadre d'une série sur "les femmes criminelles", Le Parisien d'aujourd'hui publie un papier intitulé « Le "gang des barbares" utilisait aussi des rabatteuses ».

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CENSURE DU REGARD

7 Juin 2009, 23:10pm

Publié par Mister Arkadin

L'un des points de ralliement les plus constants de la critique de cinéma en France, depuis les années 1920, est le combat contre la censure. Aussi, à l'instar de mon confrère Albert Montagne, expert en la matière, me serais-je volontiers fait l'écho de cette tradition en signalant dès mercredi dernier le chantage aux subventions que la mairie de Paris a fait peser sur l'Entrepôt afin que soit annulée la projection de Sans forme de politesse. Regard sur la mouvance Dieudonné, film de Béatrice Pignède et Francesco Condemi. Pour préserver la dominante cinéphilique de ce mini-site et ne pas jouer un rôle trop majeur dans les résultats des élections européennes d'hier, dimanche, vu l'influence que ce billet n'aurait pas manqué d'avoir sur mes dizaines de millions de fidèles lecteurs partout en Europe, je ne le fais qu'aujourd'hui, pour le principe, que le film, que je n'ai pas vu au moment où j'écris, en vaille la peine ou non. L'avantage, avec Internet, c'est que nous avons désormais des moyens de contourner les diktats des tolérants, en l'occurrence ici, pour se faire une idée par nos propres yeux et en exerçant notre propre entendement. Nul doute en tout cas que notre très chère Caroline Fourest,  infatigable prêtresse de la liberté et de la lutte contre l'intolérance, si prompte à dénoncer les ingérences dans la programmation des salles (cf. mon billet du 2 février dernier), organisera dans Charlie Hebdo une pétition pour que ce film puisse être diffusé le plus largement possible : « Étonne-moi ! », comme aurait dit Cocteau !


Complément (24 décembre 2009) : une sortie en salle(s) de ce film a été annoncée pour le 16 décembre 2009, la bande annonce ayant été diffusée sur les sites donnant les programmes de cinéma (par exemple celui du Figaroscope) et Le Monde lui ayant consacré une notule critique sous la plume de Thomas Sotinel, tandis que Marianne lui réglait son compte sous le titre « La mouvance rance » (par Alexis Lacroix, 12-18 décembre 2009, p.72, rubrique « Culture : le meilleur de la semaine » [!?!]). Pourtant, le film n'est toujours visible que sur le Net, pour des raisons que j'ignore.

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IMPERTINENCE

10 Mars 2009, 12:10pm

Publié par Mister Arkadin

L'humoriste Stéphane Guillon, qui officie dans la chronique « L'humeur de » sur France Inter (1), s'est taillé une solide aura d'impertinent incontrôlable en se moquant des frasques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn (« Visite de DSK à France Inter : tous aux abris ») (2). Ce dernier a largement contribué à entretenir cette flatteuse réputation en acceptant mal que l'on puisse sous-entendre qu'il serait incapable de ne pas harceler toute personne portant jupon et passant à moins d'un kilomètre à la ronde. On a connu DSK plus malin, quand il disait trouver sa marionnette des Guignols pas du tout ressemblante, mais qu'il était pris d'un doute quand il constatait que toutes les autres étaient en revanche très pertinentes. D'autres politiques se montrent également tantôt magnanimes, tantôt d'une susceptibilité exacerbée, et qui les dessert, vis-à-vis des amuseurs publics. Je me souviens en particulier de la réaction, ou plutôt de l'absence de réaction, de Jean-Pierre Chevènement, quand Daniel Schneidermann lui fit découvrir à « Arrêt sur images » une sélection de sketchs des Guignols le présentant comme un débile suite au coma dont il avait été victime. JPC n'avait pas fait preuve du même "self-control" à l'égard de Noël Godin quand celui-ci le fit entartrer, lui intentant un procès pour atteinte à l'image publique, considérée comme le principal "capital" d'un homme politique.

Cette réputation d'impertinence de Stéphane Guillon n'est-elle pas parfaitement méritée, lui qui ne manque par exemple jamais une occasion de stigmatiser les sympathies coupables de Pie XII pour le nazisme (« Benoit XVI et les intégristes »), avec une rigueur et un souci de se démarquer du "politiquement correct" pas moindres que ceux de Costa Gavras dans Amen ? C'est justement à propos d'un film qu'il a une nouvelle fois montré aujourd'hui son indépendance d'esprit, l'imprévisibilité de ses indignations, le contre-pied qu'il prend vis-à-vis des opinions toutes faites et de la bien-pensance, bref, qu'il a montré à quel point ses chroniques, de même que celles de ses confrères de « L'humeur de », font honneur à la démocratie, à l'humanisme, à la liberté d'expression, au rôle salutaire de médias libres, aux Droits de l'Homme, à la Résistance, à la modernité d'une société se débarrassant peu à peu des archaïsmes et résidus fascistes, si puissants encore dans notre "France moisie" ! Guillon s'est en effet fait l'écho du différend entre, d'un côté Philippe Lioret et Vincent Lindon, réalisateur et acteur du film Welcome, de l'autre le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Éric Besson (« Éric Besson contre le cinéma hors la loi »). Celui-ci a été conspué avec toute la vigueur nécessaire pour avoir osé s'offusquer que l'on assimile les immigrés clandestins aux Juifs pourchassés sous l'Occupation (cf. brève de France Info et article d'Albert Montagne, dont les liens sont très précieux (3)). Nul doute que toute la critique sera demain à l'unisson pour célébrer comme il se doit ce film-citoyen, qui devrait être classé de salubrité publique.


Notes :

(1) Voici le texte de présentation de l'émission sur le site Internet de la chaîne : « Souriez du bon pied, chaque matin, à 7h55 ! Stéphane Guillon (du lundi au mercredi), Didier Porte (le jeudi) et Philippe Val (le vendredi) mettent de l'acidité, du piquant, de l'impertinence, de l'humour et de l'humeur dans la matinale d'Inter. » Il n'est pas précisé s'il faut sourire en raison de l'association du nom de Philippe Val aux notions d'impertinence et d'humour.

(2) À voir : l'émission qu' « Arrêt sur images » a consacrée à "l'affaire".

(3) On lira notamment l'entretien de Vincent Lindon au Parisien (« Je suis un homme en colère »), dans lequel ce comédien on ne peut plus sympathique et sincère, démontre à quel point la conscience politique des artistes du cinéma français est éveillée, aiguë et leur permet d'être les fers de lance de la résistance à l'oppression dont on souffre en France. Par solidarité pour les victimes et les miséreux, Lindon pousse même le sacrifice jusqu'à ne plus fréquenter les restaurants de luxe. Il est en outre admirable que la profondeur de sa réflexion s'accorde à un instinct très sûr, nullement dépendant du patient façonnage de l'opinion par le système idéologico-médiatique : « En matière de politique, je fonctionne à l'instinct. Bayrou, des trois candidats, c'était le seul qui avait un terroir » (c'est moi qui souligne).


Compléments :

- Cette "affaire" a donné lieu à un intéressant débat sur le site du magistrat Philippe Bilger (voir en particulier les commentaires de Laurent Dingli).

- Une « lettre ouverte » de Philippe Lioret, en réponse à Éric Besson, a paru dans Le Monde du 11 mars 2009 (p.18).

- L'avis de Jérôme Garcin, du Nouvel Observateur.

- Les producteurs de certaines émissions auxquelles a participé Philippe Lioret, tels Vincent Josse (« Esprit critique », le mercredi 11 mars, sur France Inter) et Daniel Schneidermann (« Arrêt sur images », le 13 mars 2009) , lui ont adjoint Jean-Pierre Lenoir, membre fondateur et vice-président de l'association Salam d'aide aux migrants, pour commenter son film et en assurer la véracité. « Ce que montre le film est la triste vérité », tel est le titre qu'a choisi Le Monde pour l'entretien avec le même Jean-Pierre Lenoir qu'il a publié avec en complément de sa critique du film. Cela m'incite à élargir le projet que j'ai annoncé dans « Les historiens experts du cinéma » à tous les experts auxquels ont appel les médias pour commenter les films : « Il faudrait étudier un jour plus en détails la façon dont les historiens sont convoqués par les médias pour commenter les films, comment, la plupart du temps, ils sont choisis en fonction de l'avis préalable que le journal se fait du film en question, sur des critères au moins autant idéologiques que scientifiques. Ce fut particulièrement flagrant lors de la sortie du film de Tavernier Laissez-passer. Mais l'intervention des historiens (et plus largement des "savants", universitaires ou "experts") dans la réception critique des films mériterait d'être analysée en ce qui concerne bien d'autres, d'Amen à La Passion du Christ, de L'Anglaise et le duc à La Chute. Ce sera l'objet d'un prochain ouvrage, comme aurait dit Jean-Paul. »

- (4 avril 2009) Dans un long entretien donné à L'Express (2 avril 2009, p.12-15), Stéphane Guillon relativise injustement son si considérable courage : « Dans votre spectacle, vous dites pratiquer "un humour très noir, mais légèrement couille molle". Vous auto-censurez-vous ? - J'explique qu'il est plus facile de traiter le pape de gros enculé que de dézinguer les barbus. Je me moque aussi de mes propres lâchetés. Je ne suis pas kamikaze ! »


Le texte de Philippe Lioret mentionné ci-dessus :

Monsieur Besson,

Je prends connaissance de votre intervention, ce matin sur Europe 1, où vous m'accusez, suite à mon film Welcome, de franchir "la ligne jaune dans un but promotionnel" quand, dans une interview, je mets en parallèle la situation des migrants et des bénévoles, aujourd'hui à Calais, avec celle des juifs et des Justes qui leur venaient en aide durant l'Occupation. Vous trouvez cela "inacceptable, désagréable, insupportable".

Sachez que mon travail d'auteur et de réalisateur est de m'intéresser aux événements qui se passent aujourd'hui, chez nous, et à leurs prolongements et conséquences sur l'âme humaine, en essayant de ne pas être manichéen. Dans toute société en situation de crise, face à l'injustice, chaque citoyen se trouve un jour placé devant ses responsabilités. Georges Brassens a parfaitement illustré le choix de cet engagement dans sa Chanson pour l'Auvergnat. A mon époque, la nôtre, je fais de même avec mon film. Sachez qu'en l'occurrence, je ne mets pas en parallèle la traque des juifs et la Shoah, avec les persécutions dont sont victimes les migrants du Calaisis et les bénévoles qui tentent de leur venir en aide, mais les mécanismes répressifs qui y ressemblent étrangement ainsi que les comportements d'hommes et de femmes face à cette répression.

Par ailleurs, vous avancez que Welcome serait "truffé d'invraisemblances". Sachez aussi que, bien que ce film se revendique comme étant une fiction cinématographique et pas du tout un documentaire, nous avons, Emmanuel Courcol, mon coscénariste et moi-même, mis un point d'honneur à ce qu'il soit très scrupuleusement documenté et à ce qu'il évoque toujours des faits ayant ou ayant eu lieu, comme ont pu en attester les nombreux bénévoles qui ont vu le film en avant-première.

Il y a quelques jours encore, près de Béthune, une femme a été mise en garde à vue pour avoir simplement rechargé des téléphones portables de migrants. Welcome ne fait qu'illustrer ce genre de fait divers.

La réalité, dit-on, dépasse souvent la fiction. Votre réalité, Monsieur Besson, se contente de l'égaler et c'est déjà suffisant pour être affligeant, pour confirmer qu'aujourd'hui, dans notre pays, de simples valeurs humaines ne sont pas respectées. C'est cela que vous devriez trouver "inacceptable."

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USAGES POLITIQUES ET MÉDIATIQUES DES FILMS

4 Janvier 2009, 10:05am

Publié par Mister Arkadin

L'un des courants les plus en vogue de la recherche historique prend pour objet les « usages politiques et sociaux de l'histoire », sous-titre de l'excellente émission d'Emmanuel Laurentin sur France Culture, « La fabrique de l'histoire ». Un colloque leur a été consacré à Censier en 2003 et un Comité de vigilance face aux usages publics du passé veille à ce que la doxa universitaire et "progressiste" soit dûment respectée.

Les usages politiques et sociaux du cinéma pourraient eux aussi faire l'objet d'un examen systématique, les médias, en particulier, aimant illustrer leurs propos avec des références cinématographiques. Relevons, dans Libération du 23 décembre 2008 (p.2), le petit exemple ci-contre, sur l'obstruction parlementaire.

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