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Articles avec #critique - histoire

OUBLIÉS ET MÉCONNUS DE LA CRITIQUE

5 Mai 2015, 23:55pm

Publié par Mister Arkadin

 

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Vient de paraître, dans la dernière Lettre du Syndicat français de la critique de cinéma (n°46, mai 2015, p.22-23), un premier inventaire des "oubliés et méconnus" de la critique : Allégret, Blin, Cayatte (et Lamour), Cloche, Daven, Decoin, Diamant-Berger (Henri et Maurice), Carlo-Rim, Spaak et Trenet. 

(André Daven)

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POUR LA CRÉATION D'"UNE CRITIQUE POSITIVE, STIMULANTE"

3 Mars 2015, 10:52am

Publié par Mister Arkadin

Un ouvrage sur les rapports entre Hollywood et le régime nazi durant les années 1930 a suscité un assez grand émoi : Collaboration, le pacte entre Hollywood et Hitler, de Ben Urwand, Éditions Bayard, 2014, 544 pages, 26 euros (presse : 1 - 2 - 3 - 4). On y découvre le soin avec lequel les dignitaires nazis examinaient la production américaine et à quel point ils savaient se montrer persuasifs pour obtenir qu'elle corresponde à leurs souhaits.

On ne s'étonnera pas que pour illustrer cet épisode de l'histoire du cinéma, je choisisse de reproduire un document relatif à la critique, document (Hebdo-Film, 9 décembre 1933, page 11) dans lequel ce n'est pas en direction des USA que les autorités du Reich pointaient leurs regards, mais en direction de leur voisin favori :

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CHRISTIAN, HOWARD, PIERRE ET FRÉDÉRIC

21 Octobre 2012, 23:02pm

Publié par Mister Arkadin

De L’Ami de mon père (Seuil, mai 2000, 224 p.), écrit par Frédéric Vitoux (ancien critique à Positif), peuvent être retenus par le cinéphile ses souvenirs du début des années 1960, où est très présent Christian de la Mazière (dont Vitoux garde en mémoire les propos sur Hollywood, et sur Kim Novak), un camarade de prison de son père, Pierre Vitoux (1), après la Libération, rendu célèbre par sa présence dans un documentaire fameux de Marcel Ophuls (confer compte rendu du livre de Pierre Laborie Le Chagrin et le venin).

Parmi les nombreux autres passages sur sa cinéphilie naissante, dont certains très savoureux (notamment celui où Vitoux dit être allé voir Hiroshima mon amour et Cléo de cinq à sept, et s’être persuadé qu’il avait aimé), je retiens plus encore celui de la page 180 : « j’empruntais les quais rive gauche vers la nouvelle cinémathèque de Chaillot pour une rétrospective Howard Hawks, deux à trois films par jour en moyenne » (juillet 1963). FV enchaîne sans transition par « Mon père avait renoncé à me convaincre de préparer l’École navale au lycée de Brest. » Il ne paraissait pas se douter que ce même père, né en 1908, avait vanté les mérites de HH dès 1932 ! Page 172, FV écrit qu’ « Impressions d’Allemagne », série d’articles publiée en 1932 dans Le Petit Parisien, marque les débuts de FV dans le journalisme. Or, parallèlement, Pierre Vitoux publia trois contributions fort intéressantes à la chronique « Le Cinéma » d’un mensuel parisien, La France active (« Organe de toutes les formes de l'activité nationale » dirigé par Gilles Normand), entre février et avril 1932. A redécouvrir grâce à Gallica, mine inépuisable !

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(1) Également évoqué dans un autre volume de souvenirs familiaux, Clarisse (Fayard, janvier 2008, 256 p.). Frédéric Vitoux a aussi livré quelques souvenirs sur son père dans une émission sur France Inter.

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JSP : CRÉMIEUX, VINNEUIL, GRÉMILLON, SIODMAK, BECKER, BRESSON, AURENCHE, ETC.

19 Août 2012, 19:15pm

Publié par Mister Arkadin

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Ce dimanche soir sur "Méridien Zéro", antenne française de Radio Bandera Nera (station de la dynamique Casapound Italia), est rediffusé l’entretien sur Je suis partout que lui a donné Philippe d’Hugues, en compagnie de Pierre Gillieth, éditeur d’une anthologie de l’hebdomadaire des années 1930-1944 (1).

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J’ai déjà dit tout l’intérêt de l’ouvrage (qui permettra aux honnêtes gens de se déprendre de la vulgate univoque sur ce journal symbolisant "l’infâme", pour autant qu’ils ne soient pas complètement prémunis contre les simplifications médiatiques (2)), sans taire l’une des menues réserves qu’il m’inspire :

POUR JUGER SUR PIECE

Les éditions Auda Isarn, émanation de la revue Réfléchir & Agir, ont publié en février 2012 Je suis Partout. Anthologie (1932-1944), préfacée par Philippe d’Hugues. Quatorze articles de Rebatet y sont reproduits (sur 86). Parmi les autres journalistes de l’hebdomadaire, quarante-quatre ont été retenus, dont Robert Brasillach (10 textes), Pierre-Antoine Cousteau (7), Jean de Baroncelli, Georges Blond, Céline, Lucien Combelle, Pierre Drieu La Rochelle, André Fraigneau, Pierre Gaxotte, Daniel Halévy, Claude Jeantet, Alain Laubreaux, Thierry Maulnier, Henri de Montherlant, Henri Poulain, Jacques Perret, sans oublier le caricaturiste Ralph Soupault (23 dessins). Peut être regrettée la faible représentation des premières années, moins orientées politiquement, ainsi que l’absence de Marcel Aymé, François-Charles Bauer (futur François Chalais, dont aurait par exemple pu être reproduit le compte rendu sur Guignol's band, paru le 14 avril 1944), Benjamin Crémieux, Gaston Derycke, Albert Paraz, Louis Védrine, Émile Vuillermoz, etc. Il fallait bien choisir parmi les sept cents collaborateurs de JSP qu’avait recensés Pierre-Marie Dioudonnat, l’ouvrage ne comptant "que" 652 pages : de quoi se faire un peu plus qu’une petite idée tout de même !

 

Une lecture attentive de ce qui précède aura également permis de déceler une autre réserve, dans la discordance entre les dates d’apparition et de disparition de JSP que j’ai données et celles qui figurent sur la couverture de l’anthologie, correspondant aux dates de publication des premier et dernier textes reproduits (dans l’ordre chronologique). Elle résulte de la sous représentation des premières années de JSP, puisque, sur 86 textes reproduits, 2 ont paru durant les années 1930-1935 (en 1932), 33 durant les années 1936-1939, 51 durant les années 1941-1944. L’accent a donc été mis sur la période d’engagement politique maximale du journal. Je ne puis à cet égard que répéter ce que j’ai écrit (et dit au micro du "Libre journal du cinéma") : « il fallait bien choisir ». L’expression de tout regret relatif aux lacunes d’une anthologie doit s’accompagner d’une lapalissade : si ces lacunes n’existaient pas, des choses y figurant n’auraient pu y trouver leur place, ce qui ferait donc regretter d’autres types de lacunes.

Apportons tout de même quelques petits compléments.

La consultation des premiers mois d’existence de JSP permet de comprendre le titre qu’a choisi de se donner ce journal. On pourrait s’imaginer, vu sa légende, que ce titre ferait allusion à la capacité de ses journalistes à dénicher les informations dans tous les recoins secrets, afin de débusquer tous ses adversaires et de dénoncer leurs malversations, selon une vision complotiste où rien des menées souterraines et anti-françaises des Francs-Maçons et des Juifs n’échapperait à la vigilance et à l’investigation d’une équipe vigilante, cette affirmation ayant en quelque sorte valeur d’avertissement. Or, à l’origine, « je suis partout » doit se comprendre tout autrement, comme la prétention du journal à couvrir aussi exhaustivement que possible l’actualité internationale, une page étant consacrée à chaque continent, car le reportage était alors le genre journalistique ayant le vent en poupe (C1). JSP ne l’a d’ailleurs jamais totalement abandonné, comme en témoigne le fameux texte de Brasillach sur les massacres Katyn, que Gillieth reproduit.

Revenir aux premières années de JSP permet aussi de constater la grande diversité des signatures, le journal n’ayant alors rien du monolithe fasciste qu’il est réputé avoir représenté par la suite. Ainsi, pour s’en tenir au cinéma, François Vinneuil, alias Lucien Rebatet, n’a tenu la chronique « Sur les écrans » qu’à partir du 18 mars 1933, Benjamin Crémieux, le critique littéraire, entre autres à la NRF (mort en 1944 à Buchenwald), l’ayant précédé (à partir du 6 décembre 1930, ce que sa fiche Wikipedia omet de préciser).

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(Annuaire gén. de la presse, éd. 1933-34, section « Presse littéraire », p.335)

 

Autre exemple de petites surprises que réserve un dépouillement minutieux de JSP : Rebatet ne se pousse pas du col en écrivant dans ses mémoires qu’il n’avait rien d’un pestiféré à la sortie de ses Décombres et qu’il fréquentait alors les milieux parisiens les plus respectables, vu les noms des gens de cinéma qui donnèrent un entretien à l’abominable torchon, aussi bien en 1943 que dix ans plus tôt :

- « Le cinéma vu par ceux qui le font », enquête de Lucien Rebatet,  réponses de Julien Duvivier, René Pujol, Marcel L’Herbier, Robert Siodmak, Marc Allégret, Jean Grémillon, Georges Lacombe, Henri Chomette, Jacques Feyder, René Clair, Erich Pommer, JSP, n°143 à 151, 19 août - 14 octobre 1933 ;

http://www.bifi.fr/upload/bibliotheque/Image/%C3%A9ditions/becker.jpg- « Enquête sur le Cinéma français » (par Gérald Devries ; réponses de André des Fontaines, Claude Autant-Lara, Jacques Becker, Robert Bresson, Jean Delannoy, Raymond Rouleau, Jean Aurenche, Pierre Véry) [réponses de Becker et Bresson reproduites dans l’anthologie, p.540-548 (C2)], JSP, n°630 à 633 (« Destins du cinéma nouveau »), 3 - 24 septembre 1943.


  Notes :

(1) Pas de panique pour ceux qui auraient raté l’émission aussi bien lors de sa diffusion, le 19 mai dernier, que de sa rediffusion, elle peut être réécoutée sur Internet, par exemple ici. D’autres émissions radio ont présenté l’ouvrage, par exemple « Le Libre journal d’Emmanuel Ratier » (enregistrement ou : première et deuxième partie).

(2) Un exemple récent, parmi tant d’autres, qui présente l’intérêt de provenir d’un magazine qui se prétend à la fois cultivé et anticonformiste (prière de ne pas rire en voyant le nom du sociologue de haute volée qu’il a choisi d’interroger sur l’école), extrait d’un entretien paru dans Causeur (n°44, février 2012, p.41) :

- François Dubet : les inégalités scolaires sont sociales et pas seulement ethniques ; les statistiques sont cruelles à ce propos. Choquant, quand on sait que le racisme et la discrimination sont le quotidien de millions de Français qui ne sont ni assez blancs, ni assez "enracinés", ni assez riches pour être traités comme des égaux face à l’emploi, le logement, la police…

- Daoud Boughezala : Tout de même, nous ne sommes pas dans les années 1930 ! Nous sommes passés de Je suis partout à la Halde ! Pour lutter contre l’absentéisme et l’échec scolaire, le gouvernement propose de sanctionner les familles démissionnaires. Cela peut semble très injuste, mais que faire ?

FD : D'abord, je préfère vivre sous la dictature de la Halde que sous celle de Je suis partout ! Par ailleurs, je refuse de participer à la vieille rhétorique qui consiste à blâmer les victimes en considérant que les plus pauvres, les moins qualifiés, les plus précaires et les plus stigmatisés sont coupables de ce qui leur arrive. Certes, le fait d’être victime ne justifie pas tout. Mais cette situation justifie encore moins la haine des dominants et des intégrés. Ceux que l’on appelait autrefois les "petit-bourgeois" ou les "vrais Français" enrobent la défense hargneuse de leur position sociale dans l’universalité supposée de leur culture et de leurs "mœurs". Quant aux années 1930, on sait comment elles ont fini. »

 

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Compléments :

C1) (9 octobre 2012) L'insistance sur cette dimension internationale de l'information délivrée par Je suis partout est soulignée dans la bonne présentation du journal qu'a donnée Guillaume Doizy à une riche publication peu suspecte de complaisance pour l'Infâme, un numéro sur les "revues satiriques françaises" publié par Ridiculosa (revue de l'Université de Brest). Doizy va jusqu'à comparer Je suis partout en ses débuts à Courrier international

(12 juin 2013) Pierre Assouline est pour sa part (étrangement ?) fort peu locace sur la question (« Robert Bresson, metteur en ordre », 30 mai 2013) :« Quand la palme d’or a été attribuée à La Vie d’Adèle, alors que l’élu se dirigeait vers la scène du Palais des festivals, j’ai pensé à Claude Berri, qui, le premier, crut en lui et le porta ; à Julie Maroh auteur de Le Bleu est une couleur chaude (Glénat), album sans lequel il n’y aurait pas eu de film ; à Maurice Pialat dont il a hérité d’une vision, d’une exigence et d’un caractère. Pourquoi alors me suis-je précipité vers Robert Bresson (1901-1999) qui venait de se poser sur ma table ? Allez savoir ! Peut-être parce que certains confèrent une sorte de noblesse à la variante journalistique de la conversation et qu’en fait partie Bresson par Bresson. Entretiens 1943-1983 (rassemblés par Mylène Bresson, et préfacés par Pascal Mérigeau, 337 pages, 23 euros, Flammarion) que le classement chronologique fait débuter par une interview sur Les Anges du pêché, dans le cadre d’une enquête sur le cinéma français, à Je suis partout du 10 septembre 1943…

Bresson tenait le festival de Cannes pour son ennemi. […] »

Que l’usage des « … » est pratique dans un cas de figure comme celui-ci !…

 

C2) (11 mai 2012) La réponse de Bresson est reproduite dans Bresson par Bresson. Entretiens 1943-1983 (réunis par Mylène Bresson et préfacés par Pascal Mérigeau, Éditions Flammarion, 2013, p.25-27), ce qui a inspiré ce commentaire à Serge Kaganski (Les Inrockuptibles, n°910, 8 mai 2013, « Bresson probablement », p.66) : « C'est le premier charme du livre : d'un côté, l'implacabilité de la parole de Bresson, et, de l'autre, l'histoire de la France sur quatre décennies, représentées par ses stars du journalisme et de la critique. L'histoire entre même immédiatement en force, puisque le premier de ses entretiens, accordé en 1943 à la sortie des Anges du péché, a été publié dans Je suis partout, le célèbre journal collaborationniste. C'est un geste assez fort de ne pas l'avoir dissimulé et une surprise de voir qu'en 1943, un cinéaste, pourtant pas du tout associé à l'imaginaire de la collaboration (Un condamné à mort s'est échappé, 1956, est même le plus beau film sur la Résistance), prenait néanmoins la parole dans un de ses plus célèbres organes. »

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LE DEMI-SOLDE DE LA CRITIQUE

31 Janvier 2011, 00:16am

Publié par Mister Arkadin

Jean Dutourd, le brillant romancier décédé récemment, avait pratiqué la critique cinématographique une dizaine d'années dans l'hebdomadaire Carrefour. Voici l'article "Pour saluer Truffaut" qu'il y fit paraître le 10 juin 1959, p.20 (cliquer sur l'article pour le découvrir en entier) :

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Complément : sur le rapport au cinéma de Jean Dutourd, lire la notice que lui consacre Philippe d'Hugues dans La Critique de cinéma en France. Histoire  Anthologie Dictionnaire (dir. Michel Ciment / Jacques Zimmer, Ramsay Cinéma, 1997, p.323).

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DES REGARDS A ÉCOUTER

18 Octobre 2010, 23:02pm

Publié par Mister Arkadin

En plus du renouvellement de la grille des programmes cinéma à la radio, je pense proposer prochainement un inventaire de programmes audiovisuels disponibles relatifs sur Internet : émissions de radio, mais aussi colloques, cours (de Deleuze par exemple), séminaires, conférences du Forum des Halles, rencontres à la cinémathèque, etc.

En avant-goût, voici les interventions à une journée d'études sur l'histoire de la critique (4 décembre 2009), mises en ligne sur le site de l'Université de Lausanne, dont une conférence, de trois quarts d'heure environ, que j'avais prononcée sur "Les débuts de la critique de cinéma dans la presse française: bilan et perspectives".

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IGNORANCE SATISFAITE - "GOUPI" ET LES CRITIQUES COLLABOS

27 Septembre 2010, 23:30pm

Publié par Mister Arkadin

Au "Masque et la plume" du 14 juin 2010 (aux alentours de la quarante-huitième minutes), Alain Riou, à propos de La Tête en friche, a prétendu que Goupi mains rouges, autre film tourné en Charente (et qui passe ces jours-ci sur la chaîne "Histoire"), fut aussi attaqué par la critique, en ces temps là des collabos qui l’avaient "flingué" (et pourquoi pas coupé à la hache, celle du journaliste de Je suis partout joué par Jean-Marc Rouve dans Monsieur Batignole ?). A quoi Jérôme Garcin a rétorqué que l’argument était un peu « vicieux », qu’en plus « il n’y avait pas de "Masque et la plume" à cette époque là ».

Une erreur partout, balle au centre. Goupi fut au contraire soutenu par la presse la plus collaborationniste, par exemple Lucien Rebatet dans l’article que je reproduis ci-dessous (repris de Quatre ans de cinéma) ; pas d’émission s’appelant "Le Masque et la plume" sous l’Occupation bien sûr (le titre n’aurait pas pu être repris, même les émissions dont la formule a été reprise quasi telle quelle ayant camouflé l’emprunt, par exemple l’émission de Roland-Manuel remplaçant « L’initiation à la musique » d’Émile Vuillermoz, cette dernière ayant apparemment marqué ses auditeurs, un certain Éric Rohmer en parlant dans la préface de son ouvrage De Mozart à Beethoven), mais un « Tribunal de l’Actualité cinématographique » (ou « Le débat sur les films qu’on projette », avec notamment… Rebatet et Vuillermoz !), dont j’ai déjà parlé ici, y ressemblant furieusement.

http://medias.fluctuat.net/films-posters/6/4/6421/goupi-mains-rouges/affiche-1.jpg

 


Paysans véridiques

(Madeleine : Goupi mains-rouge)

Les spectateurs français ont appris, l’été dernier, avec Dernier atout, le nom de Jacques Becker, l’ancien assistant de Jean Renoir. On a dit ici même les qualités et l’attrait de Dernier atout, où nous avons retrouvé avec infiniment de plaisir le brio, la sûreté d’un homme qui, à l’encontre de tant de pseudo-metteurs en scène, a fait un apprentissage complet de son métier, est arrivé à la maîtrise de sa technique.

Cependant, Dernier Atout pouvait encore passer pour un brillant exercice sur le thème classique du gendarme et du voleur. Goupi Mains-Rouges, le nouveau film de Jacques Becker, porte bien davantage la marque d’une vraie personnalité. Il nous montre, d’après un roman de Pierre Véry, une famille de paysans charentais, dont la vie moderne n’a point estompé les caractères rudement dessinés, et qu’évoquent des surnoms expressifs : Goupi Mains-Rouges, le braconnier farouche et rusé ; Goupi-Tonkin, l’ancien marsouin qui a rapporté de la colonie les fièvres et la nostalgie d’un exotisme naïf ; Goupi-Mes Sous, le cabaretier riche et ladre ; Goupi-Cancan, son épouse ; Goupi-Dicton, le cousin qui a la manie des proverbes ; Goupi-L’Empereur, le centenaire qui a conservé le culte du Petit Tondu ; Goupi-La-Loi, le gendarme en retraite, auxquels s’ajoutent Goupi-Muguet, une gentille et sentimentale pucelette, et Goupi-Monsieur, le fils de Mes Sous, calicot à Paris, d’où il revient avec des cravates à la mode, une canne, des souliers fins et des cigarettes blondes.

Un drame éclate la nuit même ou Goupi-Monsieur débarque de la capitale. On découvre, assassinée, dans le bois, Goupi-Tisane, une vieille fille grondeuse et gorgée de médecine. L’Empereur a été également agressé, semble-t-il. On l’a relevé dans le cabaret, paralysé, la langue nouée, le crâne contusionné. Dix billets de mille francs ont disparu. Le magot légendaire, et jusqu’ici introuvable, du vieux paraît avoir subit le même sort. Les soupçons se portent sur Monsieur, que son père séquestre, puis sur un petit domestique simple d’esprit, Jean des Goupi. La famille entend régler l’affaire elle-même et se moque des gendarmes qui viennent tenter une enquête. La Loi lui-même fait chorus avec les autres Goupi contre ses anciens confrères. Enfin, Main-Rouges, par son astuce, démasquera le coupable, en même temps qu’il dénichera le fameux magot.

On reconnaît bien, dans Goupi Mains-Rouges, le talent de Pierre Véry, son imagination pleine de pittoresque, un peu nonchalante dans les péripéties. Cette nonchalance, savoureuse dans un livre, peut offrir quelques inconvénients au cinéma, pour lequel Pierre Véry avait déjà beaucoup travaillé. Il ne l’ignore point, et l’adaptation qu’il a faite de son roman pour l’écran, en compagnie de Jacques Becker, en tient adroitement compte. Il n’empêche que la trame de son récit ne demeure par endroits un peu lâche.

Becker et Véry, dans Goupi Mains-Rouges, ne s’intéressent pas continuellement à leur cadavre, à leurs innocents. Par instants, cette intrigue est plutôt, pour eux, un prétexte. Je le leur reproche un peu. Lorsque, dans un film, il y a meurtre, soupçons, enquête, c’est cela – pour mon goût du moins – qui doit retenir avant tout notre attention. Mais je me hâte d’ajouter qu’il y a, dans Goupi Mains-Rouges, beaucoup d’autres éléments d’intérêt, certainement plus originaux qu’une affaire policière conduite dans les règles.

Ce film a le mérite, avant tout autre, d’être le premier, depuis des années, qui nous montre des paysans français véridiques. Becker a cette vertu exceptionnelle chez nos cinéastes : c’est un observateur, il tient à rendre fidèlement ce qu’il a vu. Il sait que les paysans du vingtième siècle ne sont pas ces espèces de bâtards de Petit-Jean et de Toinon que mélos, vaudevilles et films moralisateurs s’obstinent à aller dénicher dans les recoins les plus poussiéreux de l’Odéon et de l’Opéra-Comique. Il sait également que, s’il y a des casques à indéfrisables dans les trois-quarts des communes françaises, les petites villageoises qui vont maintenant chez les coiffeuses n’en gardent pas moins leur physionomie propre et ne sauraient être confondues avec les demoiselles manucurées arrivées en droite ligne de Saint-Germain-des-Prés et du Fouquet’s, effleurant avec effroi de leurs ongles carminés le pis des vaches, et dont les cinéastes prétendent peupler nos champs.

Jacques Becker s’est refusé avec énergie au patoisement qui, les trois quarts du temps, est une convention insupportable. Il a voulu donner à ses paysans une ressemblance plus profonde, une ressemblance morale, qui se traduit par un geste, une attitude, la démarche d’une idée, le pli d’un vêtement.

Pour y parvenir, il a eu certainement bien du mal à combattre le penchant irrésistible des comédiens qui, lorsqu’on leur demande une composition rustique, vont chercher aussitôt cela dans leur armoire, comme les cabotins parodiques de Jean Anouilh, tirant de leur poche, à volonté, le postiche du père noble ou du brigand calabrais. Les acteurs sont d’autant plus excusables que, neuf fois sur dix, les metteurs en scène ne demandent rien d’autre et les inciteront même à outrer le « j’avions » et le « pèr’ Maglouère ». Que Jacques Becker ait su imposer ses desseins avec tant de précision et d’autorité à ses interprètes, c’est le signe d’un véritable auteur de cinéma. Il possède le don de conduire, de modeler les comédiens, qui est primordial dans son art.

Aussi peut-on dire que Goupi Mains-Rouges, bien qu’il ne comprenne pas des vedettes de premier plan, est un des films les mieux joués de cette saison. Becker a obtenu de Ledoux une variété d’expression assez inattendue chez cet acteur robuste mais monocorde. Les tics souvent irritants de Le Vigan sont, cette fois, bien adaptés à son personnage. Blanchette Brunoy est une vraie petite Muguet, très simple, n’ayant pas une seule fausse note. Après quelques exagérations dans les scènes de frayeur du début, Georges Rollin a bien attrapé le ton de son personnage, « Monsieur ». Maurice Schutz est un étonnant « Empereur ». Arthur Devère, Guy Favières, Marcelle Hainia, Germaine Kerjean, Line Noro sont excellents. Je ne parle pas du bon Génin, dont toutes les compositions valent par le même naturel. Il n’est pas jusqu’à Pérès qui ne fasse un gendarme authentique, embêté de sa mission comme tous les brigadiers de bourgade qui ont à enquêter chez des voisins bien connus, se haussant pour reprendre sa dignité au vocabulaire courtelinesque de la maréchaussée, sans que rien de tout cela ne soit poussé à la caricature. Enfin, il faut signaler un nouveau venu, Rémy, qui arrive, je crois, du cirque, et qui est parfait en innocent moustachu et craintif, vêtu d’un gros tricot ravaudé.

Goupi Mains-Rouges apparaît ainsi comme un film de mœurs paysannes, d’une veine proche des récits de notre ami Marcel Aymé, qui n’est pas seulement l’auteur de Travelingue[1] et de tant de contes d’une cocasserie délicieuse, mais le seul de nos écrivains régionalistes – dans l’admirable Table aux crevés, par exemple – qui ne soit pas tombé dans aucun des poncifs du genre.

Ce n’est pas un mince éloge que l’on fait ainsi à un ouvrage de cinéma. Des scènes comme le retour de l’enterrement, la promenade burlesque et impitoyable de l’Empereur, trimballé dans un fauteuil, de la cave au grenier, à la recherche du magot, ont une densité, un accent assez rares sur notre écran. Le décor, bistrot, cour de ferme, cuisine, est peint avec le même réalisme vigoureux, mais jamais trop appuyé.

Le déroulement du film est assez lent, dans la première partie surtout. C’est la « cadence française », souvent héritée par nos meilleurs ouvrages des bandes muettes de 1920-1925. C’est le style français, où l’auteur s’attarde quelquefois un peu trop à composer un tableau, à nous en faire savourer la lumière ou le sens. Mes prédilections iront toujours à un rythme plus nerveux. Mais il faut reconnaître que l’allure du récit est ici commandée par le sujet, et que Goupi, film plutôt lent, est sans longueurs, parce qu’il est plein. Sa réussite technique, d’un tout autre ordre que dans Dernier Atout, est certainement plus méritoire, avec les nombreux personnages qu’il s’agissait de présenter, de faire vivre, le scénario relativement complexe qu’il fallait débrouiller.

(23 avril 1943).


[1] Roman publié en feuilleton dans Je suis partout du 20 septembre 1941 au 17 janvier 1942.

 

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GIROUD CRITIQUE DE CINÉMA

22 Septembre 2010, 07:50am

Publié par Mister Arkadin

Je ne légende pas les illustrations sur ce blog, n’ayant pas pris la peine de regarder comment il fallait procéder. Je compense parfois ma paresse technique en explicitant dans le corps du texte mes choix de photographies. Il m’arrive cependant de délibérément m’en dispenser. Je l’ai fait par exemple pour glisser un photomaton d’une personne qui m’est chère (bonne chance au curieux qui voudrait le retrouver dans les sept cent billets et pages déjà publiés sur ce blog…). Je l’ai aussi fait dans un billet sur la critique de cinéma sous l’Occupation afin de laisser deviner l’identité d’une ravissante journaliste de Paris-Midi. La photo a paru dans Ciné-Mondial (n°112, 22 octobre 1943) à propos d’un vote des critiques pour le meilleur film de l’année (Les Visiteurs du soir l’avait emporté). La parution d’un extrait du livre de Frédéric Rouvillois Le Collectionneur d’impostures (Flammarion), paru dans le Figaro Magazine du 30 avril 2010 (p.83, « Le permis de conduire de Madame Giroud ») et dans lequel est rappelé comment une candidate à Paris aux élections municipales tenta en 1977 d’usurper la qualité de médaillée de la Résistance, me donne l’occasion d’indiquer que Françoise Holbane était un pseudonyme de Françoise Giroud (1). Cela ne constitue en rien une révélation puisqu’il suffisait de lire la biographie signée Christine Ockrent pour le savoir (cf. Françoise Giroud. Une ambition française, Fayard, 2003 ; Le Livre de poche, 2004, p.57). Comme dans le cas de François Mitterrand, les activités de Françoise Giroud avaient du reste déjà largement été évoquées dans la presse infâme (i.e. d’extrême-droite), en particulier sa nouvelle Jalouse, parue dans Le Pont (n°9, 28 février 1943), « Hebdomadaire de l’amicale des travailleurs français en Allemagne » créé à Berlin en 1941 (cf. Jean Montaldo, Jean-Louis Remilleux, « Quand la Giroud écrivait pour les Nazis », L’Idiot international, 17 mai 1989, p.5 ; Le Crapouillot, « La gauche dans la Collaboration », nvl.série, n°110, septembre-octobre 1992, p.59). Mais, après tout, François-Charles Bauer ne fut-il pas un remarquable critique de cinéma dans maintes publications de Paris et de Vichy, jusqu’en juillet 1944, uniquement pour jouer double jeu et camoufler ses hauts faits de Résistance ? Cela vaudrait la peine d’aller regarder un de ces jours si Giroud-Holbane fut une aussi bonne critique de cinéma dans Paris-Midi.


Note :

(1) En revanche, elle signait Françoise Giroud dans Paris-Soir (édition de Lyon) au début de la période.

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