Mister Arkadin

L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUÉ

9 Janvier 2008, 14:44pm

Publié par Mister Arkadin

Entre autres collections relatives au cinéma, je me constitue un recueil de placards publicitaires trouvés dans la presse, ceux d’hier (ainsi m’en étais-je servi pour illustrer mon livre "Le Temps" du cinéma) comme ceux d’aujourd’hui. Dans ces derniers, j’aime en particulier noter quels médias sont cités pour encourager tel ou tel film. Une étude statistique permettrait aisément de confirmer que, selon le public que l’on pense pouvoir inciter à voir tel genre de films, sont cités soit les médias réputés populaires, soit les médias réputés élitistes (encore que l’on puisse également supposer que les uns et les autres recommandent presque systématiquement tel ou tel genre de films). Ainsi en est-il des deux dernières coupures que je viens de prélever, l’une dans Le Monde 2 du 5 janvier (pour La Graine et le mulet), l’autre dans le 20 Minutes du 9 janvier (pour À la Croisée des Mondes – La Boussole d’or). Sont appelés à la rescousse de ces films Ciné Live, Direct soir, Les Inrockuptibles, Le Monde, Le Nouvel Obs, Le Parisien et Télérama, avec les formules idoines (« Impressionnant ! », « Quel talent ! », etc.). Je laisse le lecteur deviner quels journaux sont utilisés pour soutenir qui Kidman, qui Kechiche.

 

Les-Dents-de-la-mer.jpgSurprise dans le même 20 Minutes du jour (ainsi qu'en dernière page de L'Humanité) : voici une pleine page, non plus pour un film, mais pour un complexe cinématographique. Le placard parodie les Dents de la mer, avec un joli poisson rouge, tout petit et tout mignon, menacé par les crocs acérés et sanguinolents d’un énorme et horrible requin, suivi de près par un autre, un peu moins gros mais à la mâchoire tout aussi menaçante. « UGC & MK2 ATTAQUENT / LE CINÉMA DE MONTREUIL / LE MÉLIÈS », clame la réclame pour une pétition de protestation visant le recours en justice des deux circuits de salles contre l’expansion du cinéma municipal. Renvoyons donc bien volontiers au site de l'association des spectateurs du Méliès, sur lequel ladite pétition peut être signée. Je le fais d’autant plus volontiers qu’en plus d’être, comme tout le monde, très sensible au racolage, même le plus outrancier, tout mon parcours de cinéphile me prédestine à rejoindre ce combat « pour la diversité du cinéma », pour les petites salles contre les grosses, pour celles qui passent les films en VO plutôt qu’en VF, pour celles qui passent les films de l’ensemble du monde plutôt que les seules superproductions hollywoodiennes et grosses comédies françaises, etc. Lecteur assidu des revues les plus prestigieuses de la cinéphilie, lecteur de Télérama plutôt que de Télé 7 jours et habitué des salles du quartier latin depuis mon adolescence banlieusarde, m’étant pris de mémorables râteaux pour avoir invité des demoiselles voir Woody Allen plutôt que Bruce Willis, admirateur de Hou Hsia-Hsien plutôt que d’Ang Lee, ayant proposé mon premier texte aux Cahiers du cinéma plutôt qu’à Première (nouveau râteau, soit dit en passant…), etc., tout me porte à me reconnaître dans la Résistance de Stéphane Goudet, directeur du Méliès, et de ses supporters, pour le vrai cinéma contre le pop-corn. Et pourtant…

 

Pourtant, je ne signerai probablement pas cette pétition. J’ai beau regarder le brillant dossier établi par le Méliès – auquel, là aussi, je renvoie bien volontiers – et essayer d’appréhender toutes les arcanes de l’affaire, tant bien que mal (étant peu féru d’économie et peu au fait de toutes les données de l’exploitation cinématographique), je ne puis m’empêcher d’éprouver un certain malaise devant la tournure des événements. Je sais bien qu’il faut se garder des analogies historiques, de celles qui peuvent se résumer par la formule « L’histoire se répète ». Néanmoins, tout ceci me rappelle immanquablement la plus fameuse affaire ayant mobilisé toutes les puissances de la cinéphilie française, la si fameuse « affaire Langlois » de 1968. Même combat du petit (même si très corpulent !), dévoué corps et âme au cinéma, que son amour éperdu porte à servir plutôt qu’à s’en servir, contre les gros (hier l’État tentaculaire et castrateur, aujourd’hui le capital cosmopolite) ; même raffut dans toute la presse amie (quasiment la même – seuls les titres changent parfois – à trente ans d’écart…) ; même appel aux cinéastes du monde entier, toujours prompts à défendre les représentants autoproclamés du "pays du cinéma" ; mêmes "mutins de Panurge", pour reprendre l’heureuse formule de Philippe Murray. Mêmes méthodes de propagande surtout, toutes de manichéisme et de manipulation. Ainsi la revue de presse du Méliès est-elle soigneusement expurgée des comptes rendus offrant un aperçu plus nuancé sur l’affaire (comme par hasard, sur les trois articles de Télérama, si mes souvenirs sont bons, seul le moins défavorable aux complexes UGC et MK2 est-il « non disponible en ligne ») ; ainsi le point de vue de l’adversaire est-il soit caricaturé, soit passé sous silence. On constatera en outre que le petit, hier comme aujourd’hui, ne manque pas de moyens, que ce soit en termes médiatiques (un dossier complet de la revue Positif confié en septembre à son ancien rédacteur et désormais exploitant des salles de Montreuil) ou financiers (combien coûte une page de pub dans 20 Minutes ?).

 

Cessons d’être mauvaise langue et espérons nous tromper quandPierre-Barbin.jpg nous prétendons que la jolie fable qui nous est servie cache une réalité plus complexe (si l’on ose dire !). Car autant les ouvrages de Raymond Borde, puis de Pierre Barbin, et même de Laurent Mannoni, ont révélé à quel point « l’affaire Langlois » ne fut pas tant à l’honneur de la Cinémathèque française et des grandes figures de la cinéphilie qu’on le répète encore si souvent, autant je serais ravi qu’il n’en soit pas de même de la présente « affaire Méliès ».

 

Une dernière précision pour être tout à fait honnête. Autant voir une partie de la presse se retourner contre Marin Karmitz, un très habile manipulateur de celle-ci lui aussi, me réjouit, autant UGC m’est devenu plus sympathique depuis l’ouverture, il y a deux ans, de son complexe de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui m’a redonné goût au cinéma en salles. Ceci est une autre histoire, sur laquelle je reviendrai un de ces jours.

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QUEL CINÉPHILE SUIS-JE ?

8 Janvier 2008, 15:44pm

Publié par Mister Arkadin

Ne figure pour l’instant sur ce blog aucune profession de foi, aucune note d’intention, aucune présentation générale. Il s’est pour l’instant construit sans plan préconçu, au gré de ma découverte de l’outil, au gré de ma fantaisie. Je pense qu’il en sera ainsi encore quelque temps.

Toutefois, peut-être est-il temps, puisqu’il s’agit d’un site essentiellement consacré au cinéma, et à mes publications dans ce domaine, de donner quelques indications sur mon rapport à la cinéphilie. Pour ce faire, j’ai ressorti de mes tiroirs les réponses à un questionnaire de Françoise De Paepe, que j’avais écrites entre le vendredi 18 octobre 2002, à 18 heures, et le vendredi 3 janvier 2003, à 17 heures. Paru dans le « feuilleton cinéphilique » de Cinérivage.com, l’un des plus beaux sites sur le cinéma qu’il m’ait jamais été donné de voir. Administré admirablement par Françoise De Paepe, il a disparu avec la mort tragique de sa responsable, en avril 2003.

Un petit autoportrait devait précéder les réponses au questionnaire. Voici celui que j’avais rédigé, avec quelques modifications de détail entre crochets : 

« Je suis né à Oullins (Rhône), en 1974, et j’habite en région parisienne. Je mène depuis quelques années des recherches en histoire, principalement sur le cinéma.

 » J’ai publié des articles dans les revues de cinéma 1895 et Les Cahiers de la cinémathèque. Le dernier doit paraître prochainement dans Cinémas [paru depuis et disponible ici] et j’en prépare actuellement plusieurs autres, dont l’un pour Archives [sur le pionnier de la critique Lucien Wahl ; non paru], et un autre pour les Études cinématographiques [sur L’Anglaise et le duc, d’Éric Rohmer ; non paru].

 » Je prépare également plusieurs ouvrages, dont au moins un paraîtra en 2003 [paru en octobre 2003] : Émile Vuillermoz, père de la critique. "Le Temps" du cinéma (Paris, L’Harmattan) ; ainsi qu’un inventaire des numéros, dossiers spéciaux et séries d’articles consacrés au cinéma par les publications périodiques francophones non spécialisées en cinéma (environ 800 références enregistrées, pour l’instant [mille de plus environ aujourd’hui]). »


1. Le premier film qui vous a marqué, enfant ?

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Le Roi et l’oiseau : vu dans une salle lyonnaise, traîné par ma grand-mère, sans doute en 1979 ; puis revu peu après, au début de l'école primaire, au centre socio-culturel de Bois d’Arcy (commune qui se dit la « Cité du Patrimoine cinématographique » car elle abrite le Service des Archives du Film du C.N.C.), seul lieu où les Arcyciens peuvent voir de temps en temps un film sur grand écran.

  La Strada, America America, Que Viva Mexico ! : un peu surpris tout de même quand j’ai découvert l’âge que nous avions lorsque ma mère nous amena voir ces films, le dernier étant sorti au Cosmos en 1980, alors que j’avais 6 ans ! Du coup, il figure dans ma réponse à la question 16.

 

2. Le film qui vous a fait le plus rire ?

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Les comédies de Howard Hawks : Bringing Up Baby, Monkey Business et Man’s Favorite Sport ?. 

 

Rabbi Jacob : grâce à l’émulation avec mon frère, qui rendit la chose particulièrement sympathique, au sens propre du terme ; pour cette raison même, et aussi parce que les bons souvenirs d’adolescence gagnent souvent à rester à l’état de souvenir, je doute que le film me ferait autant rire si je le revoyais aujourd’hui.

 

3. Une scène comique que vous appréciez spécialement ?

 

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Une scène qu’avait diffusée « Cinéma Cinémas », extraite de Sogni d’Oro. Afin de gagner une confrontation télévisée, Michele / Nanni insulte un autre réalisateur, ce qui donne notamment, en m’excusant pour une retranscription d’autant plus approximative que j’ignore l’italien : « Stronzo ! Fa me la pipa ! », etc.

 

Pour le plaisir de contredire Noël Godin, qui prétend que les films de Bresson sont « les plus rigoureusement dépourvus d’humour de l’histoire du cinéma » (Amis du film, n°162, novembre 1969 ; repris dans Godin par Godin, Yellow now, 2001, p.21), j’ajouterai l’une des séquences du début d’Au hasard Baltazar. Celle où l’âne semble s’amuser à dévaler à toute allure une pente alors que le conducteur de la carriole roupille. Me plaît tout particulièrement le moment où le petit bonhomme revient accompagné d’une troupe d’autres paysans et court en direction de l’animal tranquillement allongé dans l’herbe. Ce n’est certes pas de la franche rigolade, mais c’est assurément humoristique, tout en étant très émouvant, les vingt premières minutes de ce film faisant partie des plus merveilleuses que j’ai jamais vues.

 

4. Un film qui vous a durablement angoissé ?  

Vertigo.

5. Le film qui vous a fait le plus peur ?

   A dû m’effrayer énormément pour que j’en aie à ce point purgé ma mémoire.
 

6. Le premier émoi érotique au cinéma ? Le premier souvenir ?

 

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Probablement les pin-up de Tex Avery.

   

Dans Le Prince et la danseuse, film vu quand j’avais une dizaine d’années, la scène d’introduction entre Laurence Olivier et Marilyn Monroe, cette dernière rattrapant de justesse la lanière de sa robe qui a craqué, menaçant de découvrir son sein. Quelle dommage qu’elle ne l’ai pas ratée, me suis-je dit ! Et quelle chance ont eue les personnes présentes sur le plateau s’il a fallu plusieurs prises pour qu’elle réussisse la scène !

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7. Plus récemment ?

 

En ce moment même, Shannon Elizabeth, dont je n’ai vu qu’American Pie, moins pour ce film d’ailleurs (ses talents de comédienne étant inversement proportionnelle à la beauté de son buste), bien que son strip-tease mérite sa réputation, que pour lesShannon-Elizabeth.jpg photographies parues dans Play Boy. J'ai cependant été déçu de constater, en voyant des photos des films qui ont précédé American Pie, qu'elle était passée sur la table d'opération. D'un autre côté, je me suis dit que cela n'enlaidissait pas forcément les femmes, contrairement à ce que je croyais auparavant. Reste à savoir ce qu'il adviendra de ces deux merveilles dans quelques années...

 
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Marianne Basler, par exemple dans Rosa la rose, fille publique, Outremer ou Vidange, vu récemment lors de son passage à la télévision, et y compris dans L’Amour propre ou Contrainte par corps, c’est dire.

 
 

8. S'il faut citer une musique ?

Au risque de donner du grain à moudre à ceux qui fustigent périodiquement le manque d’originalité des réponses que l’on trouve dans ce « feuilleton » : Vertigo, par Bernard Hermann.

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Neil Young pour Dead Man.

 

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« Bensonhurst Blues », d’Oscar Benton, qui ponctue le film d’Alain Delon Pour la peau d’un flic.

 

9. Une chanson ?

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La chanson finale d’Une partie de campagne ; « Put the blame on mame » ; « Le Tourbillon ».

10. Une affiche ? Une photo ?Mullholland-Drive.jpg

Dead Man ; Mulholand Drive.

   

11. Le cinéma, c'est une forêt de beaux visages. Alors, dans ce paysage, quel visage émerge, s'impose ? Masculin ? Féminin ? Quelle silhouette ? Quelle allure ?

 

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Lon Chaney ; Deborah Kerr et Ava Gardner dans la Nuit de l’iguane ; Silvana Mangano et Vittorio Gasman dans Riz amer ; Johnny Depp dans Dead Man ; l’acteur fétiche de Tsaï Ming-Liang (Lee Kang-Sheng je crois), plus particulièrement dans La Riviere, etc.La-Rivi--re---4.JPG

 

12. Si le cinéma était une voix ?

Orson Welles ; James Mason ; Charlie Chaplin ; les voix dans les films de Tex Avery.

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A ce propos, j’adore écouter des extraits de films à la radio (essentiellement sur France Culture) et suis partisan de l’édition des bandes sonores en CD, plutôt que les prétendues « bandes originales de films » : certaines passent formidablement bien (notamment quand elles proviennent des films de Jean-Luc Godard, Sacha Guitry et Orson Welles, ainsi que ceux de Jean Renoir et Alfred Hitchcock), d’autres beaucoup moins. À cet égard, l’éviction de Noël Simsolo de France Culture, de même que l’arrêt des « Mardis du cinéma » (puis de l’émission qui l’a remplacée, « Ciné-Club »), me consternent. Heureusement, Nicolas Saada, véritable bienfaiteur, « exemplaire » comme il le dit de sa réalisatrice, à laquelle il faut l’associer, sévit chaque semaine sur Nova. [Devenu réalisateur, Nicolas Saada a interrompu "Nova fait son cinéma"]

 

A contrario, les émissions de France Inter, dont les producteurs sont en général bien paresseux par rapport à ceux de France-Culture, proposent plus rarement des extraits de films, ce qui, seule petite consolation pour moi, me permet d’entendre un peu de la musique qui se joue aujourd’hui, puisqu’en guise de pauses, ce sont des morceaux n’ayant souvent rien à voir avec le cinéma qui sortent des robinets. Je pense surtout à l’émission de Frédéric Bonnaud et Rebecca Manzoni (« Ouvrez l’œil, et le bon »). L’émission du samedi 21 décembre 2002 fut à cet égard caricaturale. En une heure consacrée à John Ford, plutôt bonne au demeurant (grâce à l’invité, Patrick Brion), furent diffusés deux misérables extraits de La Chevauchée fantastique (en v.f.), un extrait relativement long du doubleur de John Wayne pour La Charge héroïque (c’est-à-dire : « en version française, pardon », comme le dit Rebecca Manzoni), plus la voix de John Ford, interrompue au bout de quelques secondes par une chanson n’ayant aucun rapport avec le cinéma.

 

[Nota : Une grande émission de cinéma a heureusement fait depuis son apparition sur France-Culture : « Rien à voir », par Hélène Frappat (dans le cadre de « Surpris par la nuit », un lundi par moi, à 22h40).].

 

13. Parfois le cinéma donne faim. Un souvenir gastronomique ?

 

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Aucun souvenir de ce type. En revanche, beaucoup de scènes de repas. Bertrand Tavernier est probablement le spécialiste en la matière. Deux scènes particulièrement savoureuses, quoique (ou parce que ?) assez cruelles, dans Coup de torchon (aux dépends de Stéphanie Audran) et La Passion Béatrice (le propre fils de Tavernier servant de souffre-douleur à Bernard-Pierre Donnadieu).

 

14. Quel film vous a indigné ? Révolté ?

Le Cercle des poètes disparus, qui me fit subitement, et pour un temps seulement sans doute, énormément apprécier mes professeurs, et que j’appelais alors (blague de potache j’en conviens, mais j’étais alors en seconde) : « Le cercle des poets-poets disparus ».

 

15. Un film pendant lequel vous vous êtes endormi ?

Val Abraham de Manoel de Oliveira. Je me souviens avoir dû lutter de toutes mes forces contre la fatigue et l’envie de fuir, victorieusement. Heureusement ou malheureusement ? Se reporter à la question 18.

 

16. Un film-choc ? Pire encore, électrochoc ?Que-Viva-Mexico---2.jpg

 

Que Viva Mexico ! Particulièrement la scène où des cavaliers passent sur des paysans enterrés jusqu’à la tête.

 

17. Un mélodrame qui vous a fait pleurer ? Disons, qui vous a mis les larmes aux yeux ?

Paris Texas : bizarrement, c’est seulement après la séance, et non pendant, que je me suis rendu compte qu’il s’agissait en fin de compte d’un bon vieux mélo, ce qui n’a pas diminué mon admiration pour ce film.

L’Incompris ; The Kid.

 

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5 Soirées et Partition inachevée pour piano mécanique : l’air de Donizetti, opportunément à la fin du film, provoque un effet sans doute facile à obtenir, dont je ne me lasse pas cependant ; alors, pourquoi s’en priverions-nous ? Et pourquoi Mikhalkov s’en serait-il lui-même privé ?http://img.over-blog.com/200x283/1/56/09/56//Partition-inachev--e-pour-piano-m--canique.jpg

18. Dans le registre de l'insoutenable ?

La Chasse aux papillons, d’Iotar Iosseliani, vu à Lyon [film sorti le 4 novembre 1992], m’a procuré un ennui tellement pesant que je n’ai pu me retenir de partir, au bout de trois quarts d’heure (ce qui donne une idée de mes efforts pour supporter l’engourdissement). C’est de ce jour que je me suis promis de ne plus jamais me forcer à rester dans une salle, bien respectueusement pour les valeurs établies, quand bien même cela serait excessivement pénible.

 

19. Un film particulièrement astucieux ?

Stage Fright, dont on dit à tort que son intrigue reposerait sur un mensonge de mise en scène, puisqu’Alfred Hitchcock montre une scène mensongère : il la montre tout simplement telle que la raconte un personnage, ce que le spectateur oublie en cours de route. D’où le maintien du suspens tout au long du film et sa surprise finale, lorsque ce qui s’est réellement passé lui est révélé.

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Usual Suspects. [J’ai revu le film en DVD en janvier 2005 et l’ai beaucoup moins apprécié.]

 

20. Une anecdote ? Une histoire vécue, lue, vue ou entendue. Drôle ? Triste ? Les deux ?

Une histoire connue, racontée par Peter Bogdanovich. Un soir, sans doute dans les années 1970, il surprend Orson Welles qui ne peut s’empêcher d’avoir la larme à l’œil en regardant La Splendeur des Amberson à la télévision. « Tu es toujours aussi triste de voir la façon dont ton film a été massacré », remarque-t-il. Et Welles répond : « No. I’m sad because it’s past. »

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21. Une réplique-culte pour vous. Une phrase même anodine qui nous changera de "Tas de beaux yeux, tu sais" et autre "Atmosphère, atmosphère".

« He was somekind of a man », sentence finale prononcée par Marlène Dietrich dans Touch of Evil, d’Orson Welles.

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« This world is wild at heart and weird on top » (Lula dans Wild at Heart, de David Lynch ; Sailor et Lula en français).

 

22. Le film que vous avez l’impression d'avoir vu le plus souvent ?

Limelight : j’ai dû me résoudre à effacer la K7, car je la regardais tous les soirs en rentrant de l’école, et qu’il fallait bien que j’en fasse tout de même un minimum l’année du passage du bac. Le même cas de figure s’est reproduit avec Une Vie de chien. Mais au moins, celui-ci est-il un moyen métrage. Aussi l’ai-je conservé dans ma vidéothèque. 

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23. Une fausse valeur ? D'hier ? D'aujourd'hui ?

A propos de Limelight, André Bazin a écrit des pages que je trouve admirables et dont je prélève le passage suivant : « On a, bien sûr, le droit de faire des réserves sur les chefs-d’œuvre, de reprocher à Racine le récit de Théramène, à Molière ses dénouements, à Corneille la maladresse de ses rapports avec les règles. Et je ne dis point que ces critiques soient fausses ou stériles, mais j’observe qu’à partir d’une certaine qualité de la création artistique et, en tout cas, devant l’évidence du génie, le parti pris contraire est nécessairement plus fécond. Je veux dire qu’au lieu d’imaginer de retirer de l’œuvre ses prétendus défauts, il vaut mieux leur accorder le préjugé favorable et les traiter comme des qualités dont nous n’avons pas encore su percer le secret. Attitude critique absurde, j’en conviens, si l’on doute de son objet et qui suppose une manière de pari. »

J’essaie pour mon propre compte d’adapter ce que l’on pourrait appeler le pari bazinien aux cinéastes qui, bien que presque unanimement célébrés, me laissent de marbre. Je m’efforce tant bien que mal de comprendre l’engouement qu’ils peuvent susciter et ne puis me résoudre à décréter que tant de personnes souvent lucides et brillantes se trompent à ce point. Ainsi, je continue à essayer de reconsidérer l’œuvre de Luis Bunuel, dont pratiquement tous les films que j’ai vus me le feraient volontiers désigner comme une « fausse valeur », et à vrai dire comme l’imposteur en chef. Cela dit, pour quelqu’un qui a commis La Mort en ce jardin, Viridiana, La Voie lactée, Tristana, Belle de jour, Le Journal d’une femme de chambre et même L’Age d’or, je ne me déplacerai plus jamais en salle, car je tiens rarement plus d’une demi-heure (même confortablement installé chez moi).

Même en matière de comique, genre que l’on pourrait croire le moins propice au respect du pari bazinien, puisqu’il est difficile de se forcer à rire quand cela ne vient pas, j’en fais usage. Ainsi, je persiste à vouloir croire que Jacques Tati réussira à m’amuser, un jour peut-être, ne serait-ce qu’un tout petit peu.

Dans une moindre mesure, vu que ce cinéaste n’est pas aussi idolâtré que les deux précédents, une autre fausse valeur : Roman Polanski, ce qui m’a été confirmé par son dernier film [son dernier film d’alors, Oliver Twist m’ayant a contrario beaucoup plû]. J’hésite à employer ce mot, qui paraîtra probablement excessif, mais au diable les précautions oratoires : j’ai été rétrospectivement scandalisé par les remerciements de Roman Polanski lorsqu’il a reçu la Palme, bien que je ne puisse les croire hypocrites, adressés aux Polonais. Car ces derniers sont, à proprement parler, relégués au rang de figurants dans son film [Le Pianiste], puisque, pour des raisons de prosélytisme (qui rejoignent les raisons commerciales des autres films adoptant ce parti pris), on n’entend pas un mot de leur langue (1). On n’entend pas plus de yiddish d’ailleurs, ce qui est tout de même on ne peut plus dommageable, vu le sujet et les intentions affichées par le réalisateur. Le désir d’obtenir un succès international l’a manifestement emporté sur le souci maniaque d’authenticité qui aurait habité Polanski, selon ce que claironnèrent les publi-reportages sur le tournage du film : « Avec Roman, […] il fallait que le pain soit exactement celui qu’il trouvait dans le ghetto, que les allumettes soient les mêmes, que le moindre détail de couleur ou de textures soit conforme à son souvenir. Il a fallu travailler pendant des jours pour que la marmelade ressemble enfin à celle qu’il souhaitait. Et comme en plus il possède une mémoire extraordinaire… » (d’après un témoignage recueilli par Pascal Mérigeau, Le Nouvel Observateur, n°1976, 19 septembre 2002). Ainsi, un acteur qui semble tout droit sorti d’une série américaine ou d’un film d’action de série B (Ed Stoppard) a-t-il été engagé. Il me semble qu’on entend en revanche un peu d’allemand, ce qui permet au moins de distinguer les Nazis des autres personnages, au risque, du même coup, que l’allemand apparaisse assimilée à la langue des Nazis, lesquels s’expriment dans un anglais "petit nègre" quand ils s’adressent aux Polonais (qui eux, je le rappelle, parlent parfaitement l’anglais), ce qui est parfaitement ridicule. Quant aux Russes qui apparaissent à la fin, je me souviens que cela m’avait également gêné, je ne sais plus trop pourquoi, tant les choix de Polanski rendent tout confus au lieu de simplifier les choses (2). Songez à La Cité des douleurs pour comparer.

   Beaucoup de critiques ont dit s’être facilement accommodés de ce qu’ils ont jugé être un défaut mineur du film ; défaut majeur pour moi, qui fut rédhibitoire puisqu’il m’a empêché de rentrer dans un film peut-être pas si mauvais que cela (mais certainement pas un chef-d’œuvre en tout cas). Il y a quelque ironie à lire ensuite sous la plume de Claude Berri que Roman Polanski lui aurait un jour déclaré : « La réussite d’un film dépend de tout ce que l’on n’a pas cédé » (Autoportrait, Éditions Léo Scheer, 2003, p.131). A contrario, Ararat, auquel il était facile de l’opposer, ce que l’on ne s’est pas privé de faire, en défaveur du film d’Egoyan la plupart du temps (je pense notamment aux « Cahiers du cinéma », sous la plume de Charles Tesson, puis d’un des rédacteurs des petites notules de fin de numéro), présentait au moins l’avantage (il en présentait bien d’autres à mon goût, au point qu’il aurait à mes yeux amplement mérité d’obtenir la palme) de donner à entendre tous les personnages dans leur propre langue, voire dans plusieurs pour certains (ainsi Arsinée Khanjian parle-t-elle aussi bien l’anglais que l’arménien et le français, mais on entend également de l’allemand dans le film, et peut-être du turc, il faudrait vérifier).

 

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24. Un cinéma national (ou une thématique ou un réalisateur ou un acteur...) qui, actuellement, vous passionne ?

La nudité, le sexe, la porno (comme disent les Québécois).

A propos de cette dernière, comme beaucoup, j’ai beau vouloir faire mienne les thèses de Jean-Pierre Bouyxou, telles qu’il les expose par exemple dans Une encyclopédie du nu au cinéma (Yellow now, p.304 : « (…) je ne vois pas au nom de quelle schlingante éthique un film où l’on suce, où l’on branle et où l’on baise serait plus négligeable qu’un film où l’on tire au flingue, qu’un film où l’on cause métaphysique ou qu’un film où l’on nage le crawl, merde alors ! »), je n’ai jamais vu de films pornographiques vraiment satisfaisants. Bien sûr, j’ai encore beaucoup à apprendre, mes connaissances en la matière étant assurément moins encyclopédiques que les siennes. Ou plutôt : elles ne sont quasiment qu’encyclopédiques, je veux dire livresques. J’adore lire tout ce qui concerne ce genre, y compris les âneries du père Baudis ou de la mère Kriegel (je rappelle au passage qu’en ce qui concerne la violence et les contre-sens à propos du travelling de « Kapo », le responsable en est Olivier Mongin, directeur d’Esprit), similaires à celles de l’abbé Bethléem ou de Daniel Parker. Mais mes quelques expériences de spectateurs m’ont déçu, malgré mes bonnes dispositions. C’est pourquoi je serais ravi de pouvoir regarder les grands classiques du genre ou ce qui se fait de mieux aujourd’hui, sans pour autant passer à l’acte, si je puis dire.

J’ai par exemple acheté d’occasion il y a quelques semaines la K7 de Mes nuits avec Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard (Michel Barny, 1975), « un des meilleurs films français du genre » selon Jean-Pierre Bouyxou (Op.cit., p.307) et beaucoup d’autres spécialistes. Je n’en ai toujours pas regardé la moindre image, de peur de devoir me dire : « Ce n’était donc que cela ! ? ». De même n’ai-je jamais regardé L’Empire des sens, enregistré il y a quelques années sur Arte.

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Mais peut-être ce type de rapport aux films pornographiques n’est-il en fin de compte pas si décevant ? ou plutôt, la déception ne peut-elle pas faire d’une certaine façon partie du plaisir ? ne peut-elle y participer ou le susciter ? De même en ce qui concerne les soi-disant films érotiques que M6 diffuse le dimanche soir. Comme toi aussi sans doute, ami lecteur, il m’est arrivé de zapper dessus en attendant que Christine Ockrent en ait fini avec son émission pour pouvoir démarrer l’enregistrement du « Cinéma de minuit ». J’ai été frappé par leur nullité, comme toi encore lecteur, à tel point que je me suis demandé si elle n’était pas fait exprès pour que le spectateur soit obligé de détourner le regard et d’imaginer autre chose que les misérables ébats qui se déroulent sur l’écran s’il veut s’exciter un peu, de la même façon que les titres de la presse de cul (Sextravagantes, Pur amateur, Satisfaction, Invitations, Cuir et Châtiment, Charnelles, Fresh Men, Bad Boys Videos, etc., l’un d’entre eux renvoyant d’ailleurs peut-être implicitement à cette problématique : La poudre aux rêves) sont bien plus émoustillants ou rigolos que leur contenu (ainsi que les titres des films pornos ou le résumé de leur intrigue, que, bizarrement, on ne trouve hélas pas dans Télérama).

Quoi qu’il en soit, je persiste à penser qu’il y a encore beaucoup à dire sur l’effet de sidération produit par le spectacle pornographique, pour expliquer aussi bien la prodigieuse attraction que la non moins intrigante répulsion (plus grand hommage rendu à sa puissance, soit dit en passant) qu’il provoque, envers et revers d’une même fascination.

  À mon sens, la meilleure description du phénomène demeure littéraire. L’auteur en est Annie Ernaux, au tout début d’Une passion simple (note à l’éditrice : je n’ai pas le cœur de couper une page de littérature ; aussi, si vous le jugez nécessaire pour des raisons de place, ne reproduire ce passage qu’à partir de « On s’habitue certainement à cette vision… ») :
  « Cet été, j’ai regardé pour la première fois un film classé X à la télévision, sur Canal +. Mon poste n’a pas de décodeur, les images sur l’écran étaient floues, les paroles remplacées par un bruitage étrange, grésillements, clapotis, une sorte d’autre langage, doux et ininterrompu. On distinguait une silhouette de femme en guêpière, avec des bas, un homme. L’histoire était incompréhensible et on ne pouvait prévoir quoi que ce soit, des gestes ou des actions. L’homme s’est approché de la femme. Il a eu un gros plan, le sexe de la femme est apparu, bien visible dans les scintillements de l’écran, puis le sexe de l’homme, en érection, qui s’est glissé dans celui de la femme. Pendant un temps très long, le va-et-vient des deux sexes a été montré sous plusieurs angles. La queue est réapparue, entre la main de l’homme, et le sperme s’est répandu sur le ventre de la femme. On s’habitue certainement à cette vision, la première fois est bouleversante. Des siècles et des siècles, des centaines de génération et c’est maintenant, seulement, qu’on peut voir cela, un sexe de femme et un sexe d’homme s’unissant, le sperme – ce qu’on ne pouvait regarder sans presque mourir est devenu aussi facile à voir qu’un serrement de mains.
  » Il m’a semblé que l’écriture devrait tendre à cela, cette impression que provoque la scène de l’acte sexuel, cette angoisse et cette stupeur, une suspension du jugement moral. »

 

25. Un réalisateur préféré ? Et dans son œuvre, un film favori ? Et dans ce film, une scène ?

Alfred Hitchcock ; Vertigo ; la scène finale.

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26. Un livre écrit par un réalisateur, un acteur, un technicien, un historien du cinéma, un critique ? Étude ? Essai ? Compilation ?

Tout d’abord deux livres que j’aurais mentionnés même si l’opportunité ne s’en faisait pas autant sentir en ce moment [i.e. la croisade Dominique Baudis, alors Président du Conseil supérieur de la télévision, contre la diffusion de films pornographiques] :

- Éloge de la pornographie, d’Olivier Smolders, que l’on trouve, ô ironie, à la bibliothèque municipale de Versailles, dont je précise, pour montrer son orientation ou son ouverture d’esprit (comme on voudra dire), qu’elle reste abonnée à L’Action Française et à Présent, au grand dam de beaucoup de lecteurs qui expriment régulièrement leur indignation dans les cahiers de doléances de la bibliothèque (ce qui me ravit au plus haut point) ;

- Une encyclopédie du nu au cinéma.

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Le Hitchcock / Truffaut : désolé pour les férus d’originalité.

Enfin, le recueil des textes du fondateur de la critique de cinéma en France (1916), le critique d’art Émile Vuillermoz, que j’ai préparé cette année et qui paraîtra quand j’aurai trouvé un éditeur motivé [à paraître en 2008 dans la collection « Les Temps de l’image », dirigée par Pierre Lherminier, chez L’Harmattan].

 

27. Vous vous souvenez d'applaudissements spontanés entendus au cinéma à l'issue d'un film ? Lequel ?

Chantons sous la pluie. Pendant le cours même du film, au Racine Odéon, les spectateurs se levaient pour applaudir, chaque scène faisant office de clou du spectacle.

Non, ou la vaine gloire de commander. J’ai vu ce film au MK2 Vavin, près de Montparnasse, dans une salle remplie de Portugais. Ils ne cessaient de rire et d’applaudir aux malheurs des figures historiques de leur pays et aux événements tragiques qu’il a connus, tandis que je restais imperméable à l’humour du film en raison de mes trop faibles connaissances de la langue, de la culture, de l’histoire portugaises. Aussi cette séance reste-t-elle un grand souvenir bien que je n’aie pu apprécier le film faute d’une compréhension réelle (bien que je pense avoir compris le projet). On rêverait bien sûr d’un tel film pour la France, qui parcourrait son histoire d’Alésia à Diên Biên Phu, en passant par Waterloo.

 

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Une troisième forme de manifestation du public que je n’oublierai pas de sitôt : le grand soupir d’admiration provoqué par la scène du Bossu où Marie Gillain laisse glisser ses vêtements et plonge dans une rivière. J’ai regardé derrière moi et ai pu vérifier que les spectateurs les plus ébahis par ce somptueux postérieur n’étaient pas de jeunes vicieux (sans doute dois-je me ranger dans cette catégorie) ou des vieillards libidineux, mais des dames tout ce qu’il y a de plus comme il faut.Marie-Gillain---Le-Bossu---4.jpg

 

 

28. Un dernier plan inoubliable ?

Stalker.

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29. Une devise cinématographique, un titre par exemple, ou mieux encore, un titre détourné ?

Une devise qui ne provient pas d’un film, mais de Montaigne : « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »

 

30. Y a-t-il une question que vous auriez aimé que l'on vous pose ?

Il y en beaucoup que je n’aurais pas aimé que l’on me pose ; je ne vous dirai pas lesquelles.

________________________

Compléments :

(1) (14 décembre 2011) : Dans un article du New-York Times traduit et reproduit dans Le Figaro du 9 décembre 2011 (supplément, p.7, « Cinéma : un conte de l'héroïsme ordinaire, en plein Holocauste »), Larry Rohter écrit que l'une des raisons pour lesquelles s'est dissipée la réticence d'Agnieszka Holland à réaliser un troisième film sur l'Holocauste (In Darkness, sorti aux USA le 8 décembre, sur les écrans européens début 2012), après Amère récolte et Europa Europa, est qu'elle a « voulu fournir une correction à ce qu'elle décrit comme "plusieurs films sur l'Holocauste que j'ai regardés ces dernières années et que j'ai trouvé très faux, que ce soit du point de vue artistique ou humain". Elle n'a pas souhaité les nommer mais, d'une façon générale, elle affirme que lorsque les acteurs parlent anglais, par exemple, "à certains égards, cela devient conventionnel : ce n'est pas réel, nous jouons, c'est tout". »

(2) (24 septembre 2010) : Lu dans Le Monde du 15 septembre 2010 (p.22), à propos du Miral de Julian Schnabel : « Il n'est pas un piège de la reconstitution historique dans lequel ce pensum ne tombe pas. Saviez-vous par exemple qu'entre la Méditerranée et le Jourdain tout le monde parle la même langue, l'anglais ? » Comme l'a écrit Alain Soral (Jusqu'où va-t-on descendre ?, 2002, p.209), à propos de déclarations antisémites de Jean Renoir exhumées par Henri Jeanson (Jeanson par Jeanson 2000, p.460) : « Pourquoi à certains est-il toujours tout pardonné ? » Idem à propos du Cheval de guerre de Spielberg, auquel le même genre de reproches ont été faits (par Danièle Heyman, si mes souvenirs sont bons, au "Masque et la Plume" du 4 mars 2012 ; par Serge Kaganski dans Les Inrockuptibles ; par Pascal Mérigeau, sur un mode ironique, dans le n°2468 du Nouvel Observateur, 23 février 2012, p.110 : « Les mieux disposés à son égard admettront peut-être cependant qu'un cheval, aussi attachant soit-il, si aimé des personnages que pour lui ils poussent la complaisance jusqu'à renoncer à l'allemand, au français, pour ne parler que l'anglais, ne peut susciter en eux l'émotion que seules à l'écran les destinées humaines font naître. »).

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DES LIVRES DANS LES CAHIERS ?

7 Janvier 2008, 14:58pm

Publié par Mister Arkadin

Au rayon « petit événement risquant de passer inaperçu et pourtant révélateur (mais de quoi ?) », notons la résurgence, dans le dernier numéro des Cahiers du cinéma (janvier 2008), sur une moitié de la page 58, d’une rubrique « Livres ». 

Depuis combien de temps les livres ne faisaient plus l’objet de comptes rendus, et encore moins d’une rubrique spécifique, dans cette revue, jadis prestigieuse et aujourd’hui fardeau du Monde, qui doit l’essentiel de sa notoriété à une génération de critiques, celle des années 1950, pétris de littérature et amoureux des livres (y compris de cinéma) ? Ô, certes, il n’est pas exclu qu’une critique de livres m’est échappée, depuis le temps que je n’ai plus le courage de lire régulièrement les Cahiers – que je me contente de feuilleter, systématiquement toutefois. Je n’ignore pas non plus que de longs articles de réflexion s’appuient parfois sur tel ou tel ouvrage, théorique en général. Mais, tout de même, il était quelque peu surprenant que l’édition de livres sur le cinéma (ne parlons pas des revues concurrentes…) ne retînt quasiment plus l’attention des Cahiers ; et ce, surtout depuis la prise en main du magazine par Jean-Michel Frodon, alors que lui-même (paradoxalement ?) ne dédaigne pas de consigner en volume le fruit de sa pensée. De fait, les seules informations sur l’édition cinématographique étaient fournies par les pages de publicité pour les Éditions des Cahiers du cinéma, auxquelles nous aurions pu penser qu’il convenait de ne point faire trop d’ombre si les colonnes du magazine ne s’étaient montrées autrement accueillantes pour annoncer, non seulement les programmations du câble, mais aussi les parutions de DVD, secteur où les Cahiers sont également présent. 

Bref, le mépris dans lequel l’édition de livres sur le cinéma est tenue par Les Cahiers depuis quelques années demeure un mystère. Espérons que la demie page de janvier s’étoffera dans les numéros suivants, tant les écrits sur le cinéma sont constitutifs de la cinéphilie française.


Complément :

(16 juillet 2012) D'une demie-page, la rubrique « Livres » est passée à une page entière, quatre livres, un par colonne, faisant désormais l'objet d'un compte rendu. Toutefois, elle demeure peu "valorisée" par les Cahiers (les éditeurs de livre auraient-ils un budget publicitaire moins élevé que les éditeurs de DVD et les distributeurs ?) puisqu'elle n'est pas annoncée au sommaire, contrairement aux rubriques « Séries » et « DVD », voire même « Foot » dans le « Journal » du numéro 680 (juillet-août 2012).

 

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UNE NOTE DE LECTURE PEUT-ELLE AVOIR UNE INFLUENCE ? À PROPOS DE LA TROISIÈME ÉDITION DU "GUIDE DU CINÉMA CHEZ SOI" DE TÉLÉRAMA

6 Janvier 2008, 15:15pm

Publié par Mister Arkadin

Télérama annonce la parution prochaine de la troisième édition de son Guide du cinéma chez soi, gros ouvrage collectif dirigé par Pierre Murat, qui reprend, en les condensant, les fiches sur les films paraissant dans l’hebdomadaire du mercredi.

J’avais exprimé quelques réserves sur la seconde édition, en 2004, dans une note de lecture publiée par le site Objectif-cinema.com (une version condensée a également paru dans la rubrique « Livres » de la revue CinémAction, n°115, mars 2005, p.276-277). La nouvelle réédition prendra-t-elle en compte mes quelques remarques ? Je ne nierais pas le narcissisme de cette question. Qui suis-je pour penser ainsi que les auteurs d’un ouvrage publié par une institution telle que Télérama devraient se préoccuper de l’avis du moindre cinéphile ou chercheur en cinéma ? Je ne puis cependant m’empêcher de croire qu’il est important que les comptes rendus indépendants, constructifs bien que critiques – constructifs parce que critiques, oserais-je écrire –, soient lus et pris en considération, c’est-à-dire considérés comme des contributions au débat sur l’édition, cinématographique en l’occurrence, et sur la manière de parler des films. Les auteurs d’ouvrages sur le cinéma ne peuvent seulement viser le succès commercial ; il se publie trop de livres insatisfaisants pour que la reconnaissance du travail bien fait soit méprisée, pour que l’examen critique des publications soit complètement balayé par les "publi-critiques" et autres comptes rendus de complaisance.

 

Je n’avais pas publié ma note de lecture sur Guide du cinéma chez soi pour "descendre" ce volume, pour dénigrer ses auteurs ou me "faire mousser" à leurs dépens. Il me semblait que leur travail présentait quelques insuffisances et j’espère, naïvement sans doute, qu’en les pointant du doigt, vigoureusement, mais aussi rigoureusement que possible, j’avais réussi à attirer leur attention sur certains points qu’ils devraient revoir pour une prochaine édition. Ai-je été lu ? Mes observations ont-elles été jugées assez pertinentes pour orienter, ne serait-ce qu’un tout petit peu, le travail effectué en vue de la réédition ? Ou n’ont-elles aucunement retenu l’attention de Pierre Murat et de son équipe ?

 

Je m’illusionne très certainement sur l’influence que pourraient avoir les comptes rendus que je publie depuis quelques années. L’occasion m’est donnée de voir jusqu’à quel point. Rendez-vous dans quelques semaines…

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LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS

4 Janvier 2008, 13:38pm

Publié par Mister Arkadin

Le-Secret-des-poignards-volants-copie-1.jpgLe Secret des poignards volants a été diffusé fin 2007 sur la chaîne du câble TF6. L’occasion de revenir sur ce film, sorti dans les salles françaises le 17 novembre 2004 et disponible depuis en DVD.

 

Contrairement aux deux grands succès précédents du genre – le film de sabre chinois (ou film d’action en costumes situé à l’époque médiévale, un peu l’équivalent asiatique de notre film de cape et d’épée) –, le film de Zhang Zimou peut paraître un pur film d’action, au scénario minimaliste (c’est du moins ce qui lui a été reproché). Il ne s’embarrasse en effet d’aucun discours explicitement philosophico-oriental (particulièrement tarte dans le cas du film d’Ang Lee, Tigre et dragon ; que cette philosophie soit authentique ou non, elle plombait rapidement le film) ou implicitement politique (la réflexion sur le devenir de la Chine, qui serait le sous bassement du précédent film de Zhang Yimou, Hero).

 

Pour autant, l’histoire est moins simpliste qu’il n’y paraît, puisqu’elle mêle deux thèmes très familiers des cinéphiles. Inutile de préciser la référence fameuse du premier d’entre eux : deux personnages appartement à des clans opposés peuvent-ils s’aimer ? Quant au second, c’est tout simplement celui des Enchaînés d’Alfred Hitchcock : un personnage peut-il, par devoir, par fidélité à son clan, pousser la personne qu’il aime à séduire une tierce personne ? Peut-il prendre le risque de perdre la personne qu’il aime en suivant les ordres qu’il a reçus ?

 

L’enjeu n’est donc pas si mince : le conflit entre devoir et sentiments. Que privilégier ? Que faire face à ce dilemme qui fait que, quel que soit notre choix, on ressort vaincu ?

 

Quant à la forme, elle est étourdissante. Zhang Yimou ne s’embarrassant pas de "message", il se concentre sur quelques personnages et les combats, tous plus spectaculaires les uns que les autres.

 

Il est même assez émouvant que Zimou ait pris le risque de saboter son film par un pur délire visuel dans la scène finale. Ce cinéaste que l’on dit calculateur, soucieux de plaire au vaste public international, perd toute sagesse, « se lâche », comme disent les adolescents, et nous offre une scène finale où l’invraisemblance fait fi de toute logique, où un combat dure sur plusieurs saisons (passage d’un plan à un autre du printemps à l’hiver et la neige), où les morts reprennent vie le temps de quelques escarmouches de plus.

 
Les détracteurs du film ne manquent dès lors pas de le trouver très artificiel ; à quoi l’on peut répondre ce que Luc Moullet, pour une fois très intelligent, rétorquait aux détracteurs d’Alfred Hitchcock : « Où va-t-on si l’on interdit l’artifice en art ? »


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LE MARTYRE DE L’OBÈSE FATTY

4 Janvier 2008, 10:00am

Publié par Mister Arkadin

 

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Arte diffuse aujourd’hui (pas de rediffusion annoncée, hélas), dans sa série "Splastik", le court métrage Garçon boucher (The Butcher Boy). Réalisé en 1917 par Fatty Rosco Arkbuckle, le film est connu pour être l’un des premiers de Buster Keaton. Or, autant la gloire de Keaton n’a pas trop pâti de son déclin à partir de l’arrivée du Parlant, autant celle de Fatty, qui fut presque son mentor et dont la célébrité surpassait celle de son comparse à l’orée des années 1920, n’a pas résisté à sa disparition des écrans.

 

undefinedVictime, en 1921, de l’une des plus retentissantes affaires de mœurs de la Babylone hollywoodienne, dont la presse, puis Kenneth Anger, puis bien d’autres ont fait leurs choux gras, Fatty ne s’en est jamais relevé.

Voici par exemple comment son histoire était racontée dans Le Film complet en 1954 :

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J'aurais pu choisir bien d’autres récits de la vie de Fatty, plus ou moins rigoureux, plus ou moins romancé. Celui-ci a retenu mon attention par son titre : « Le Martyre de Fatty ». Car il fait directement référence au roman qui valut l’obtention du prix Goncourt, en 1922, à Henri Béraud, comme je l'explique dans le n°XIV des Cahiers Henri Béraud (automne 2007).

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Informations et liens complémentaires :

- Si vous avez manqué The Butcher Boy, le film bénéficie d’une séance de rattrapage sur Youtube (dans une qualité douteuse…)

- Il est également possible de voir en DVD un film de Fatty, The Cook (1918 ; toujours avec Buster Keaton et Al St John), dans le cinquième coffret « Retour de flammes » des éditions Lobster : http://www.lobsterfilms.com/dvd_retour_de_flamme_5.htm

- Cahiers Henri Béraud : pouvant être commandés à l'association rétaise des Amis d’Henri Béraud (ARAHB, BP n°3, 17 111 Loix-en-Ré) – 15 € pièce (port compris) ou adhésion à l’association pour 2007 et 2008 (19 € par année) ; une page de présentation de l'association des Amis d'Henri Béraud et de ses cahiers est en cours de préparation. En attendant, on peut consulter le très précieux Guide nicaise des associations d'amis d'écrivains.


 

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TOPS ET FLOPS DES CHAÎNES TV – OÙ SONT PASSÉS LES FILMS ?

3 Janvier 2008, 17:14pm

Publié par Mister Arkadin

Les films ne constituent pas forcément les plus grands événements d’une année cinématographique. Certes, La Vie des autres, que l’on aurait qualifié autrefois de "phénomène de société" (les mauvaises langues auraient dit : « film pour "Dossiers de l’écran" ») et qui a été cité, dans la liste de leurs films préférés, par tous les collaborateurs du « Libre journal du cinéma » (dont je suis), peut être considéré comme le grand événement de l’année 2007. Mais, parfois, l’"événement" peut être d’un tout autre mode, depuis l’apparition d’un nouveau moyen de diffusion et de financement des films (telle l’émergence de Canal + dans les années 1980) jusqu’au saut technologique que représente le passage au numérique des salles de cinéma, que l’on nous annonce prochain et inéluctable. J’ai moi-même souligné dans un précédent article sur le doublage combien le passage à la version multilingue sur le câble me paraissait une étape importante de l’histoire du cinéma, à tout le moins de la réception des films.

Il est un autre événement du même ordre qui a marqué les esprits en 2007, au point de susciter de vives réactions parmi les "professionnels de la profession" : la décision de TF1 de ne plus passer un film de cinéma en première partie de soirée le dimanche soir, au profit d’une série américaine, autrement plus rentable. À la lecture des meilleurs et des pires audiences des principales chaînes hertziennes en 2007 ("principales" veut hélas dire : « sans qu’Arte soit prise en compte »), dont Le Parisien a donné un récapitulatif le 30 décembre 2007 (p.29 : « Bilan TV de l’année 2007 », on comprend parfaitement la stratégie de la chaîne des "cerveaux disponibles". Paradoxalement, figurent cependant, parmi les dix premiers flops de TF1, six épisodes de la série américaine Heroes, la coupe du monde de rugby ayant permis à la chaîne de se rattraper. En revanche, les séries américaines sont bien au rendez-vous des meilleures audiences de M6 (avec NCIS) et de France 2 (FBI, portés disparus ; Cold Case), une série française (Louis la Brocante) se distinguant sur France 3. Notons également les bides de Bigard sur M6 (si cela pouvait nous débarrasser de lui…) (1), du Téléthon sur France 2 (idem ; « je serais prêt à payer pour qu’il n’y ait pas de Sidathon », avait déclaré Serge Daney…), de Colette, une femme libre et, hélas, du Cyrano de Bergerac de Denis Podalydès.


Note et complément :

(1) Un lecteur me dit ne pas être d’accord sur Jean-Marie Bigard, qui, mis à part son « utilisation, parfois excessive, d'une certaine grossièreté » (bel euphémisme !), aurait « un pouvoir comique extraordinaire (voir par exemple son sketch sur la valise RTL, qui n'a rien a envier aux meilleurs sketchs de Coluche) » et « humainement » « bien plus de profondeur que la plupart des autres "artistes" ». Fichtre ! Comme il n’est rien de plus sain, et même de voluptueux, que de se déprendre d’un préjugé, j’ai passé outre mon aversion pour le personnage et suis allé regarder quelques sketchs de Bigard sur quelques sites de vidéo en ligne. Le sketch sur la valise RTL n’est pas mauvais, en effet, ainsi que celui sur les films d’horreur. Cela ne me fait pas rire aux éclats, loin de là, cela ne m’a pas donné suffisamment envie d'écouter d'autres sketchs pour voir si je serais susceptible de me transformer en fan, mais ce n'est pas trop mal observé et joué.
-30 septembre 2008 : Le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) vient de publier une étude sur "la place du cinéma dans les meilleures audiances de de la télévision" qui confirme la désaffection des chaînes pour les films.

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PALMARES 2007

3 Janvier 2008, 07:56am

Publié par Mister Arkadin

Voici ma liste des meilleurs films et œuvres relatives au cinéma de 2007 :
- Films de fiction sortis en salles (138 films vus) : Apocalypto ; La Vie des autres ; Un baiser, s’il vous plaît ; Nue propriété / Ça rend heureux ; Die Hard 4.0 ; Planète terreur / Boulevard de la mort – Deux films Grindhouse ; 12 : 08, à l’est de Bucarest / 4 mois, 3 semaines et 2 jours ; Les Promesses de l’ombre / La nuit nous appartient ; Les Témoins
- Documentaires : Volem rien foutre al païs ; Sicko
- Reprise : L’Eventail de Lady Wintermere
- TV : La Prise de l’Elysée
- DVD : Coffret Atom Egoyan [plus mauvais : Indigènes]
- Coups de cœur : Rocky Balboa ; Je t’aime… moi non plus
- Meilleure bande-annonce : Paranoid Park
- Meilleur roman sur le cinéma : Un roman russe (Emmanuel Carrère) [plus mauvais : Baisers de cinéma (Eric Fottorino)]
- Hors concours : Federer / Nalbandian, en huitième de finale à Bercy
- Regrets (films ratés qui auraient pu figurer dans cette liste) : Les Amours d’Astrée et de Céladon ; Secret Sunshine ; L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford.
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LO DUCA RETROUVÉ

2 Janvier 2008, 23:18pm

Publié par Mister Arkadin

undefinedRevue de presse : Magali Thomas, « Joseph-Marie Lo Duca 1910-2004 », Archives, n°100, novembre 2007, 24 p.

 

A l’occasion de la sortie du centième numéro de la précieuse revue de l’Institut-Vigo de Perpignan (http://www.inst-jeanvigo.asso.fr), Archives – un remarquable ensemble consacré à l’une des grandes figures de la critique et de l’édition cinématographique en France (étude minutieuse par une universitaire ayant rencontré Lo Duca, illustrations abondantes, riches annexes et bibliographies) –, nous reprenons deux textes nécrologiques mentionnés par Jean A. Gili dans sa préface (« Lo Duca, de Milan à Samois-sur-Seine »), le nôtre, précédé par celui qui l’avait suscité.

 
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  Nécrologie : Joseph Marie LO DUCA (191O-2OO4), par Lucien Logette, Jeune Cinéma, n°291, septembre / octobre 2004, p.98

 

 

  Pour ceux qui n'étaient pas encore majeurs au début des années 60, son nom était lié à ces ouvrages infeuilletables, les (peu nombreux) libraires qui les proposaient les gardant sous vitrine cadenassée : nous a-t-elle fait rêver, cette « Bibliothèque internationale d'érotologie », sous jaquette somptueusement illustrée, dirigée par Lo Duca chez Jean-Jacques Pauvert, et surtout cet Érotisme au cinéma, qu'il avait signé et dont nous espérions les plus extrêmes délices le jour où nous pourrions enfin y accéder. Le moment venu, plus que l'iconographie, pourtant assez décoiffante dans ces années gaulliennes, c'est l'humour et l'intelligence de l'auteur qui nous étonna. Sous l'érotomane perçait l'encyclopédiste, capable d'ouvrir des perspectives foisonnantes à partir d'un matériau (assez) répétitif. La dimension du personnage nous apparut peu à peu, au fil des découvertes dans les boîtes à livres (il fallait alors découvrir, tout n'était pas balisé par google) : s'il y avait un lien entre son Histoire du cinéma, datée 1942 (le premier « Que sais-je ? » sur le sujet), dépassée mais plaisante, le roman de science-fiction La Sphèrede platine (écrit en 1927 et préfacé par Marinetti), Le Dessin animé (quifaisait, en 1948, le tour de la question) et l'opuscule, publié chez Pauvert en 1966, L'Objet, il était à chercher du côté du dilettantisme érudit (ou de l'érudition dilettante), ce qui n'est pas seulement un oxymore, mais une manière de vivre. Et nous ne savions pas encore qu'il avait conçu, en 1951, la couverture du premier numéro des Cahiers du Cinéma, qu'il avait fondé avec Jacques Doniol-Valcroze (et non pas, comme l'écrit Le Monde du 11/08, avec André Bazin, qui n'apparaîtra qu'au n° 2). Claude Beylie, dans la notice qu'il lui a consacrée dans La Critique de cinéma en France, nous apprend que son poème Neige sur la Baltique, traduit par Valéry, fut la première publication clandestine de la Résistance. Claude Lafaye (merci pour les renseignements qu'il nous a adressés) précise qu'il était docteur es lettres et docteur en médecine (et éditeur des Œuvres complètes d'Hippocrate), fondateur, en Italie, du musée Canudo, directeur à Paris du Cinéma d'Essai entre 1949 et 1954, réalisateur de courts métrages (dont un sur le douanier Rousseau), et que l'âge n'avait pas freiné son activité passionnée : il avait publié cette année une Petite histoire du cinématographe, et annonçait un Pourquoi ?, aux mêmes éditions du Capucin. En tout cas, on espère bien dénicher un jour son pamphlet Et si nous parlions des crétins ?, vaste sujet qu'il avait sans doute abordé avec la même verve si bien exercée pendant quatre-vingt-treize ans. Il était né à Milan le 18 novembre 1910, il est mort à Fontainebleau le 6 août 2004. 

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LO DUCA (suite), Jeune Cinéma, n°293, décembre 2004, p.71.

 

La nécrologie de Lo Duca publiée dans notre récent n°291 a éveillé l’attention de quelques lecteurs érudits. Ainsi, Pascal Manuel Heu nous a écrit :

« J'ai été ravi que vous rendiez un hommage mérité à Lo Duca, sauvant en quelque sorte l'honneur des Cahiers du cinéma, ou plutôt soulignant ainsi leur déshonneur de ne consacrer qu'une maigre notule à l'un de leurs fondateurs. Cette ingratitude était attendue, mais tout de même.

Juste quelques compléments d’information. Que Lo Duca ait publié la "première publication clandestine de la Résistance" est bel et bon (quoique je demande à voir), mais sa Résistance ressemble un peu à celle de Sartre, c'est dire si elle fut glorieuse : publication dans Comœdia, comme Jean-Paul (avec notamment un article très laudateur sur le Jeune Hitlérien Quex) ; publication de deux "Que sais-je ?", dont une Histoire du cinéma dans laquelle Le Juif Süss est rangé parmi "les films allemands de classe" (devenus "typiques" en 1947 !) ; publication de Mécanisme de la défaite française - La guerre des 150 ans aux éditions Europa, dont l'extrait que Charles-Antoine Cardot donne dans son Guidargus du livre politique pendant l'Occupation n'incite guère à penser que ce livre était bien subversif...Juif-Suss.jpg

 
Bref, l'hommage au Résistant aurait pu être nuancé. Une étudiante devrait faire le point sur Lo Duca dans le D.E.A. qu'elle prépare sous la direction de Jean Gili. Mais, dans une revue de cinéma, c'est l'hommage au critique et historien du cinéma qui importait et vous le lui avez très bien rendu. »

 

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LES DÉFIS DE SYLVESTER STALLONE [À PROPOS DE SON DERNIER FILM, "ROCKY BALBOA" (ROCKY VI), ET DE SON PROJET "LES 40 JOURS DU MUSSA DAGH"]

2 Janvier 2008, 16:20pm

Publié par Mister Arkadin

Compte rendu paru dans Jeune cinéma, n°310/311, été 2007, p.94-97.

  « Quel mauvais film que vous avez toutes les raisons de détester, voire de mépriser, ne pouvez-vous vous empêcher d’aimer quand même ? » Telle est la question que Jean-Pierre Bouyxou suggérait à la regrettée Françoise de Paepe d’ajouter au « Questionnaire cinéphilique » qu’elle avait concoctée (1). L’invoquer à propos du dernier film de Sylvester Stallone peut paraître désobligeant pour lui. Car autant les nombreuses suites de Rocky et de Rambo, et maints autres films d’action dans lesquels il a tourné sont, pour la plupart, d’une effarante médiocrité, autant le film qui le rendit célèbre, Rocky, un ami de trente ans (1976), a toujours bénéficié d’une relativement bonne cote auprès des cinéphiles. Oui, mais voilà, le Rocky Balboa sorti en France le 24 janvier dernier est le sixième du nom ; il survient après quatre autres opus dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne rivalisèrent pas par leur finesse (2). Pourtant, le dernier Rocky nous est arrivé précédé d’une réputation flatteuse, vite relayée par la presse populaire, le magazine Première notamment, sur l’air de : « Vous allez retrouver la saveur de l’original, l’expérience en plus ! » Surprise : la presse intellectuelle a suivi le mouvement, dans une moindre mesure bien sûr, mais quasi unanimement (Cahiers du cinéma, Charlie-hebdo, Libération, Le Figaro, etc.).Rocky-Balboa---Affiche.jpg

Comment expliquer cette faveur soudaine dont bénéficie à nouveau Rocky ? Par l’indulgence que l’on ne peut s’empêcher d’éprouver par un "has been" luttant désespérément pour sa survie ? Certes. Mais, plus fondamentalement, cette sympathie s’explique par la nostalgie, à la mode et à l’œuvre également dans le succès de La Môme, par exemple, certes favorisée par le retour d’un personnage que Stallone n’avait pas repris depuis 1990 (Rocky V), mais surtout décuplée par la redécouverte d’un cinéma américain qui semble d’un autre temps, celui des années 1970. En premier lieu d’un cinéma qui prenait encore son temps, justement. De ce fait, étonnement, le dernier combat de Rocky Balboa se fait attendre jusqu’au dernier quart du film. Quasiment pas un ring en vue, un échange de coups avant ce final, sinon pour montrer à quel point le champion du monde en titre, un vigoureux jeune homme que seul le plus-que-vétéran Rocky parviendra à tenir en respect, était dépourvu de challengers sérieux avant que Rocky ne se décide à s’entraîner à nouveau et à le défier. Le film prend d’abord le temps d’installer tranquillement la situation : un Rocky retiré depuis longtemps du ring, ne revivant plus ses exploits lointains qu’en les narrant aux clients du petit restaurant où il semble s’être retiré du monde. Il prend également le temps d’initier ou de revivifier, et surtout de développer ses rapports avec plusieurs personnages secondaires mais attachants : sa défunte femme, à qui il rend visite au cimetière, son fils, qui vit encombré par la légende qui entoure son nom, une nouvelle petite amie et le fils de celle-ci, son manager, lassé de voir Rocky ruminer sa mélancolie, ses fans, etc. Le plus remarquable est que, malgré le rythme indolent du film, délibérément tourné de façon très classique, presque "plan-plan", sans la moindre esbroufe, sa durée dépasse à peine une heure trente. Alors que la durée standard d’un film américain tourne désormais autour de deux heures quinze, voire deux heures trente, même chez des cinéastes "nerveux" (Scorsese notamment), cela nous rappelle opportunément que les classiques du cinéma américain excédaient rarement une heure trente, et n’en disaient pas moins long.

 

Pourquoi, malgré ses qualités indéniables, de mise en scène notamment, avoir parlé à son propos de « mauvais film » que l’on ne pourrait « s’empêcher d’aimer quand même » ? D’abord parce qu’il faut quelque courage pour se déprendre de préjugés que tout cinéphile a du mal à ne pas faire siens, dont le moindre n’est pas l’imbécillité de Stallone, à tout le moins de ses films depuis une vingtaine d’années. Ensuite parce que son petit dernier repose sur un postulat totalement absurde : que Rocky pourrait revenir à soixante ans et faire jeu égal avoir le champion en titre des lourds, de trente-cinq ans son cadet ! Comment croire à une telle histoire, viciée dès l’entame par ce que l’on sait qu’il arrivera inexorablement, à savoir qu’il est impossible que Stallone se prenne une dérouillée, alors que la simple vraisemblance l’exigerait ? Toutes sortes d’idées scénaristiques auraient pu être trouvées pour pousser Rocky à reprendre les gants : l’ennui d’une vie devenue routinière, la déchéance financière (à la Tyson), la volonté de se montrer à son fils sous son meilleur jour (tel Boris Becker remportant son dernier tournoi du grand chelem alors que son fils n’était pas né pour le précédent), etc. Or, ces motivations ne sont que très périphériquement évoquées par Stallone. Il en a choisi une autre comme moteur de l’histoire, bien plus audacieuse. Ce qui motive Rocky, c’est d’avoir vu une retransmission télévisée d’une sorte de jeu vidéo, une simulation de combat entre le boxeur qu’il fut jadis et le champion en titre. Qui gagnerait si deux champions pouvaient se combattre en abolissant la frontière temporelle, par delà leurs générations d’écart ? Tout l’enjeu du film est de nous convaincre, non seulement que Rocky pourrait croire être capable de faire coïncider la réalité avec cette simulation, que son entourage pourrait y croire aussi et l’y encourager, mais que cela pourrait advenir. Et surtout, que nous-mêmes pourrions en fin de compte y croire, ou le vouloir. Bref, que la réalité pourrait rattraper le virtuel au lieu de se laisser phagocyter par son expansion. Dans une mise en abyme à la fois simple et astucieuse, le film acquiert une dimension insoupçonnée en mettant en scène à l’intérieur même de son intrigue le conflit formel qu’il représente, entre un cinéma classique, en prise avec la réalité, et le nouvel univers des images, celui du "tout est possible" grâce aux avancées techniques, celui des jeux vidéo et des images de synthèse, celui qui distord la réalité en tous sens pour permettre, selon son bon vouloir, de « [mettre] Spencer Tracy dans Batman », pour reprendre un exemple de Martin Scorsese (3). « Est-il possible de créer des images digitales d’êtres humains et de faire, quand même, un film qui parle de gens ? », s’interroge ce dernier. Stallone lui répond en montrant qu’un Rocky vieilli pourrait, à force de volonté, de courage, sans se départir de son humanité, être l’égal du clone numérique du Rocky d’il y a trente ans, mécanique à boxer dépourvue de sentiments, entièrement mue par la technologie numérique. Le spectateur ne peut y croire, bien sûr, mais il le souhaite tellement qu’il finit par donner son assentiment, aussi absurde que le postulat du film puisse paraître. Stallone ne peut se résoudre à renoncer à son ambition de raconter des histoires d’être humains et non de machines à gagner, à abdiquer contre l’inéluctable victoire de la technique sur l’humain. Louable projet, quoique presque pathétique, qu’il a réussi à mener à bien en trouvant le moyen de mettre en forme la lutte d’influence qui oppose le nouveau cinéma et l’ancien. Mais pourrons-nous y croire encore longtemps ? 

Sylvester-Stallone---r-alisateur.jpgUne nouvelle annoncée dernièrement par la presse d’outre Atlantique montre que Sylvester Stallone est décidément de nouveau l’un des hommes à suivre dans le cinéma américain. Il est devenu la cible des lobbys turcs car il rêverait de porter à l’écran le roman du romancier juif autrichien Franz Werfel, Les Quarante jours du Moussa Dagh (4). Paru en 1933 (inutile d’insister sur l’importance de cette date), ce roman traite de la résistance menée par une poignée d’hommes contre une autre forme d’anéantissement de l’humain, aussi bien physique que spirituelle celle-là, la tentative de Génocide dont furent victimes les Arméniens de l’Empire ottoman au début du XXème siècle. En cette Année de l’Arménie en France, une vitrine installée au Musée nationale de la Marine (Palais de Chaillot, Paris XVI°), parallèlement à l’exposition consacrée au peintre russe arménien Aïvazovski (jusqu’au 4 juin 2007), montre comment des navires français réussirent à sauver quelques Arméniens d’une mort quasi certaine. Des coupures de presse montrent également que, dès cette époque, l’opinion était informée du caractère systématique de cette persécution, qui prouve la volonté génocidaire (L’Illustration, n°3455, 15 mai 1909, « Les massacres d’Asie mineure », et n°3788, 9 octobre 1915, p.386, « L’extermination des Arméniens »). Une adaptation de ce roman a été réalisée dans les années 1980. Sans grand relief, elle passa à peu près inaperçu. Par contre, à la fin des années 1930, la Metro-Goldwyn-Meyer dut renoncer à une première adaptation face aux pressions de la Turquie. Après avoir réussi à se confronter au virtuel, Sylvester Stallone parviendra-t-il à relever ce défi, plus difficile encore à réaliser, un grand film populaire sur une réalité en proie aux dénégations d’Etat, le Génocide arménien (5) ? 


Notes : 

(1) Pour son admirable site Internet « Cinerivage.com », disparu avec elle. Mes réponses à ce questionnaire ont été reprises ici. 

(2) Le net déclin de la série est particulièrement flagrant en comparant les notes attribuées aux différents films par les usagers de l’Internet Movie Data Base (Imdb pour les intimes) : 7,9 (40.043 votes) pour le premier Rocky, 6,4 pour le II (16.619 votes), 5,8 pour le III (17.185), 5,4 pour le IV (19.910), 4,1 (13.681) pour le V (chiffres du 16 avril 2007, à 18 heures). La note de la VIème mouture – 7,4 (27.013 votes) – confirme le retour en grâce de Rocky auprès du public. 

(3) Scorsese s’inquiète de cette « digitalisation, qui déshumanise le cinéma » (Thomas Sotinel), dans un entretien donné au Monde (« Le cinéma de distraction me fait penser aux jeux du cirque », 27-28 novembre 2005, p.14). 

(4) http://stallone.forumactif.com/AUTRES-FUTURS-PROJETS-f3/sly-veut-adapter-Les-40-Jours-du-Moussa-Dagh-t1281.htm undefinedLe projet, plus ou moins abandonné par Stallone, aurait été repris par Mel Gibson, comme je m’en suis déjà réjouis ici.

 

(5) Film qui constituerait le pendant du chef d’œuvre d’Atom Egoyan, plus intellectuel, Ararat (film que l’on a pu revoir en mai-juin lors d’une grande rétrospective au centre Pompidou et au sein d’un coffret DVD, aucun Jamel arménien n’ayant hélas été invité à le montrer au président Chirac pour qu’il interrompe le processus d’adhésion de la Turquie à l’Europe).undefined

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