SI C’EST "LE MONDE" QUI L’ÉCRIT…
« 2008 : très bonne année pour le cinéma français », a titré Le Monde en une de son édition du 10 janvier 2008. Ah, bon ? Tant mieux, serait-on tenté d'écrire à notre tour, si le jugement du Monde ne se révélait fondé uniquement sur les chiffres de la fréquentation, et plus particulièrement sur ceux de quelques "locomotives", dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne font pas tant honneur à notre cinéma (Bienvenue, Astérix aux Jeux olympiques, Disco et Enfin veuve, Mesrine : L'Instinct de mort pouvant à la rigueur faire figure d'exception). Cette accroche de une du Monde en dit finalement plus sur la décrépitude de ce journal (que plus grand monde dit « de référence »), puisqu'il juge de la santé d'un domaine artistique à l'aune de celle d'une industrie culturelle, que sur le déclin du cinéma français (après tout, Les Charlots et Les Gendarmes précédèrent Les Bronzés et les Ch'tis). Au demeurant, les articles qui établissent ce bilan annuel de l'économie du cinéma (en page 22) sont loin d'être inintéressants, « Le Ciné Cité des Halles, baromètre des bons résultats de fréquentation 2008 en salles » étant très instructif sur le complexe phare de la capitale.
« Le Ciné Cité des Halles, baromètre des bons résultats de fréquentation 2008 en salles », par Clarisse Fabre, Le Monde, 10 janvier 2009, p.22 :
Il est 9 heures, l'UGC Ciné Cité des Halles s'éveille. Déjà plus de deux cents personnes attendent devant les grilles fermées, mercredi 7 janvier. Certaines boivent le café qui leur est offert dans des bouteilles Thermos. Enfin, les spectateurs s'engouffrent dans l'une des dix-neuf salles du cinéma situées dans le Forum des Halles, à Paris. Son directeur, Antoine Cabot, est sur le pont : comme chaque mercredi, jour de sortie des nouveaux films, "c'est non-stop jusqu'à 22 h 30".
Ouvert en 1995, l'établissement parisien vient d'enregistrer le record de fréquentation en France "et en Europe", tient à préciser M. Cabot : 3,2 millions d'entrées en 2008. Il bénéficie d'un emplacement on ne peut plus central au coeur de la capitale et du réseau de transports (métro, RER). Sur l'ensemble du pays, il est le seul à programmer des films aussi tôt le matin - quand ailleurs les séances débutent entre 10 heures et 10 h 30. Et, chose rare pour un multiplexe, plus d'un film sur deux à l'affiche est labélisé "art et essai", lesquels réalisent au total plus du tiers des entrées. Ici, aucun film n'engrange plus de 2,5 % des entrées sur l'année. "On a été le seul complexe à n'avoir qu'une copie des Ch'tis", rappelle M. Cabot.
Ce mercredi, il va surveiller heure par heure la fréquentation des sept nouveaux films au programme, parmi lesquels Che - 1re partie : L'Argentin, de Steven Soderbergh, et Un barrage contre le Pacifique, de Rithy Panh. Le directeur du Ciné Cité n'est pas le seul à scruter le box-office. Des distributeurs sont venus sur place pour "prendre la température". L'établissement des Halles est un peu le baromètre de la profession.
Devant la plus grande salle (493 fauteuils), l'équipe de Twilight distribue des affiches des héros du film de Catherine Hardwicke, qui raconte l'histoire d'un gentil vampire et connaît un immense succès aux Etats-Unis. Florent Burgeau, de Rezo Films, s'inquiète, lui, du score de Frozen River, film indépendant américain de Courtney Hunt. "Allez, on va voir les chiffres" : vers 9 h 15, M. Cabot emmène tout le monde à la caisse. Sur l'écran de l'ordinateur, les résultats tombent : Twilight arrive en tête avec 67 entrées, devant Che (59 entrées). Frozen River se place en troisième position (36 entrées). Un bon départ, de l'avis général. Suivent le film de Dany Boon, De l'autre côté du lit (32 entrées), Un barrage contre le Pacifique (21 entrées), Everything Is Fine (7 entrées) et, enfin, Une nuit de chien (6 entrées).
RESTER À L'AFFICHE
Pendant ce temps, dans les bureaux du Ciné Cité, le téléphone sonne. Tout le temps. Distributeurs et producteurs appellent pour connaître "les résultats de la première séance". Marie-France répond à tous, sans exception. "C'est plus humain qu'un répondeur, on garde le contact avec les professionnels", explique l'une des assistantes de M. Cabot entre deux coups de fil. Il n'empêche, ce rituel a quelque chose d'anachronique dans ce temple des cartes illimitées et des bornes automatiques. "Jusqu'à 14 heures, c'est hard core. Après, ça se calme", poursuit-elle.
Vers 15 h 30, en effet, les professionnels reçoivent les résultats centralisés de la société Ciné chiffres, laquelle recueille les données de toutes les salles de Paris intra-muros jusqu'à 14 h 55. Pour doper les résultats de Ciné chiffres, le multiplexe des Halles programme des séances à 14 h 50. Plus le score d'un film est élevé, plus il aura de chances de rester à l'affiche...
Qui choisit de décrocher un film au Ciné Cité ? "Ce n'est pas moi qui décide, mais le directeur de la programmation d'UGC diffusion, indique M. Cabot qui précise, tous les mercredis soir, vers 21 heures, on analyse ensemble les chiffres de la journée."
Les cartes peuvent alors être rebattues et un film qui réalise un score décevant se retrouver, dès le jeudi matin, dans une salle plus petite. Antoine Cabot insiste : "On n'éjecte pas forcément les derniers de la liste. Il y a des films qu'on défend. Par exemple, dit-il, Les Plages d'Agnès, d'Agnès Varda, sont restées trois semaines, alors que, dans une pure logique commerciale, on aurait pu le décrocher avant..."