DU RECORD DES CH’TIS ET DE LA CHRONOLOGIE DES MÉDIAS
« Les Ch’tis ne devraient pas battre "Titanic" », a titré Le Monde dans son édition du 4 juillet 2008, suite au score décevant du film de Dany Boon lors de la "fête du cinéma", fin juin. Le record de Titanic devrait tenir, puisqu’il compte encore 500 000 spectateurs de plus. Avance en apparence très confortable, et qui devrait le rester, le film de Dany Boon ne réalisant plus que 15 000 entrées environ lors d’une semaine normale.
Jamais je n’avais eu une aussi claire conscience des bouleversements de la fréquentation des films en salles et de la fameuse "chronologie des médias" qu’à la lecture de cette information. Que nous dit-elle en effet ? Qu’un film sorti le 27 février 2008, qui faisait plus d’un million d’entrées par semaine à ses débuts, n’en attire plus que quelques milliers moins de six mois plus tard, alors même que l’on parle encore énormément de lui (encore la bouille de Dany Boon en une de Paris Match récemment). 500 000 spectateurs, par rapport à 20 000 000, cela représente 2,5 %. Autrement dit, il est d’ores et déjà acquis pour tout le monde (i.e. exploitants, distributeurs, journalistes, etc.) que le film aura fait plus de 97 % de ses entrées en cinq mois, que, non seulement il sortira de l’affiche prochainement (contrairement à Emmanuelle, par exemple, qui était encore projeté dans une salle parisienne au début des années 1980, des années après sa sortie), mais qu’une reprise dans quelques années ne permettrait pas de combler ce si faible retard sur Titanic, reprise plutôt improbable d’ailleurs, vu la carrière que Bienvenue chez les Ch’tis devrait faire en DVD, puis à la télévision, où l’on peut parier qu’il sera presque aussi souvent diffusé que La Grande vadrouille. Bref, tous ceux qui voulaient voir le film en salles l’ont vu, le bouche à oreille ne fonctionne que quelques semaines durant, les autres l’ayant vu dans une version piratée ou attendant qu’il soit disponible légalement sur les petits écrans.
Le constat n’est pas tout à fait nouveau, mais, à l’heure où un groupe de cinéastes considère que « la mise à disposition des films [en DVD, VOD ou à la TV] plus tôt après leur sortie en salles » serait l’une des seules mesures susceptibles de compenser les restrictions induites par la lutte contre les téléchargements sauvages sur Internet, qu’il appelle de ses vœux en prenant la défense du projet de loi « création et Internet » (« Culture ne rime pas avec gratuité », Le Monde, 9 juillet 2008), il laisse tout de même songeur.