LE PETIT PAN DE MUR (DE CHÉREAU ?) : TWO LOVERS ?



Site personnel de Pascal Manuel Heu, consacré à ses publications, au cinéma et à la critique. Page complémentaire : https://www.facebook.com/Mister-Arkadin-1041074065975069/
Bien qu'ayant essayé de recenser de façon relativement complète les blogs français de cinéma (ici et là), je ne les fréquente que très irrégulièrement, par manque de temps plus que par manque d'intérêt, un désolant paradoxe me poussant à ne pas aller trop souvent visiter ceux que j'apprécie le plus, de peur d'être aspiré par la spirale infernale d'Internet, qui nous fait naviguer d'article en article, de lien en lien et d'heure en heure, sinon perdue, du moins évaporée ! Ainsi n'ai-je découvert que très récemment le billet Paysage(s), dans lequel Ludovic Maubreuil a lancé fin septembre un référendum sur le cinéma français de ces vingt dernières années : « Qu'y a t'il à sauver de ces vingt dernières années ? » Maubreuil y écrit très aimablement attendre ma réponse, que je n'ai par conséquent pu lui envoyer avant la publication des résultats.
Je la donne donc aujourd'hui, en trichant un peu. Ne pouvant me limiter à dix films, je donne d'abord les dix films qui me sont venus à l'esprit les dix premières minutes :
Van Gogh (Pialat)
Mon père ce héros (Lauzier)
Conte d'été (Rohmer)
Pour rire ! (Belvaux)
Smoking / No Smoking (Resnais)
Série de films produits par Chevallier sur Arte (en particulier Les Roseaux sauvages et L'Eau froide)
Laissez-passer (Tavernier)
Travaux. On sait quand ça commence... (Rouan)
Parfait amour ! (Breillat)
La Vie de Marianne (Jacquot ; film passé sur Arte, qui devait sortir en salles, ce qui ne fut jamais fait...)
Puis les dix films auxquels j'ai pensé à la lecture des listes des autres blogueurs ayant participé à ce sondage :
Germaine et Benjamin (Doillon ; version longue de Du fond du cœur passée en feuilleton sur Arte)
Un cœur en hiver (Sautet)
OSS 117 (Hazanavicius) et Un gars, une fille (Dujardin/Lamy/Camus/Jacques)
La Vie des morts et La Sentinelle (Desplechin)
De bruit et de fureur (Brisseau)
Un baiser s'il vous plaît (Mouret)
Le Parfum d'Yvonne (Leconte)
Marion (Poirier)
Veillées d'armes (Ophuls)
Level Five (Marker)
Un regret : plusieurs auteurs mentionnés ci-dessus pourraient figurer dans une liste des pires films pour certains de leurs films suivants (Breillat, Brisseau, Desplechin, Doillon, Leconte, Poirier, Resnais).
Un hommage : à Gérard Lauzier, pas seulement parce qu'il est récemment décédé, mais parce qu'il a réalisé un film que je tiens pour un miracle de finesse, anomalie dans sa filmographie, pour laquelle j'ai un faible inexplicable.
Avec un nom pareil, Ford, Charles de son prénom, semblait prédestiné à devenir historien du cinéma. Mais sa mauvaise réputation en la matière, et plus encore en matière idéologique (il n'était pas franchement d'extrême-gauche...) (1), ne le destine en rien à servir de "bréviaire" (2) dans la découverte du cinéma par un adolescent. Voici pourtant ce qu'a déclaré Frédéric Taddeï à Valeurs actuelles (20 novembre 2008, p.86) (3) : « Á 14 ans, j'avais lu comme un bréviaire l'Histoire du cinéma de Charles Ford et, à 20, je me suis dit qu'il fallait que je vive intensément ce que j'avais vu au cinéma. »
Frédéric Taddeï confirme, une fois de plus, à la fois son anti-conformisme et son absence de crainte du quand-dira-t-on, sa curiosité et son érudition, en bref la richesse de sa personnalité. Il sait toutefois laisser en sourdine celle-ci quand il mène ses entretiens, que ce soit dans son émission d'Europe 1 (« Regarde les hommes changer », tous les samedis, après avoir été diffusée tous les jours en semaine) ou dans son émission de France 3 (« Ce soir ou jamais »). Alors même que je préfère ordinairement la formule de la première de ces deux émissions (un dialogue, qui permet à l'invité de s'exprimer relativement longuement et sans être interrompu à tout bout de champ), c'est dans la seconde (un débat réunissant un assez grande nombre d'intervenants) que le talent de Taddeï s'épanouit totalement, tant il est miraculeux de réaliser une émission aussi structurée et pertinente dans de telles conditions et surtout à la télévision, où il fait figure d'exception. Quoi qu'il en soit, l'autre formidable qualité de Taddeï est son audace dans le choix des invités, le plateau où il a réuni Edwy Plenel et Alain de Benoist, le 16 mai 2007 (sur l'héritage de Mai 68), étant probablement son coup de maître (qui montrait de plus la magnanimité de l'un et l'opportunisme de l'autre, ce dernier étant trop vaniteux pour refuser une invitation à la télévision et trop désireux de promouvoir les livre et site qu'il venait de publier et de lancer pour refuser de se retrouver confronté à un intellectuel qu'il avait contribué, dans une campagne de lynchage orchestrée par Le Monde quinze ans auparavant, à éjecter des médias dominants).
Le principal inconvénient des émissions de Taddeï finalement, c'est qu'elles ne permettent pas de l'entendre s'exprimer en son propre nom. Heureusement que son succès nous permet de lire de temps en temps des entretiens où il fait les réponses, et non plus les questions !
(2) L'emploi de ce terme convient cependant parfaitement pour Charles Ford, auteur d'un Bréviaire du cinéma, au demeurant représentatif de son œuvre : une documentation riche et abondante (en l'occurrence un recueil de citations diverses sur le cinéma), agréablement présentée, mais difficile à utiliser (les références n'étant données que de façon parcimonieuse ou incomplètes, et parfois erronées). Quant à cette Histoire du cinéma que Taddeï mentionne, difficile d'identifier avec certitude de quel volume il s'agit, tant Ford a publié d'ouvrages d'histoire du cinéma (et du western !), seul ou avec René Jeanne, en gros volumes ou en éditions de poche.
(3) Pour un ancien d'Actuel (remember le beau supplément « Un siècle de films X » qu'il avait conçu en avril 1991 avec Frédéric Joignot, Stéphane Bourgoin et Henri Gigaix), donner un entretien à Valeurs actuelles, n'est-ce pas déjà une preuve d'ouverture d'esprit ? Pas si étonnant que cela, ceci dit, quand on se rappelle qu'il collabora aussi à L'Idiot international.
J’apprends aujourd’hui, par la lettre d’information de l’AFRHC (cinehistoire@afrhc.fr), la mort le 12 juin dernier de Roger Icart. Après José Baldizzone, c’est une deuxième personnalité très attachante de la cinéphilie du Sud-Ouest qui disparaît depuis le début de l’année. Espérons que nous n’aurons pas d’aussi mauvaises nouvelles avant longtemps.
J’avais signalé le récit de cet historien du cinéma toulousain sur la drôle de guerre du cinéma, paru dans le dernier numéro de CinéScopie. Il ne s’agissait vraisemblablement que d’un extrait d’un manuscrit important sur le cinéma en France durant les années 1940, que Roger Icart préparait de longue date. Espérons que ce projet sera repris et publié. Cela permettrait, entre autres, de se rendre compte que les travaux historiques de Roger Icart ne se limitaient pas à Abel Gance, même si les deux noms étaient justement associés. Réalisés par un passionné en marge de l’Université, en liaison avec la Cinémathèque de Toulouse et l’Institut Jean-Vigo, ils étaient quelque peu dédaignés par les historiens professionnels. Les plus honnêtes d’entre eux, et pas forcément les moins sérieux, tel Laurent Véray, avaient tout de même l’honnêteté de reconnaître leur qualité et de citer couramment aussi bien les biographies de Gance écrites par Roger Icart (la plus volumineuse ayant paru chez l’Age d’Homme) que le recueil de textes d’Abel Gance joliment intitulé Un soleil dans chaque image (CNRS Éditions, 2002).
Pour ma part, je retiens de Roger Icart, outre sa très grande amabilité et le plaisir évident qu’il avait à faire partager son savoir à moins expérimenté que lui, ses très précieux index de revues de l’entre-deux guerres (Pour Vous, Cinémonde et Ciné-Miroir) et La Révolution du parlant vue par la presse français (Institut Jean-Vigo, 1998). L’enquête initiée par ce dernier livre devrait être étendue à la presse non cinématographique (notamment les revues théâtrales et techniques), mais elle constitue encore un ouvrage indispensable.
Assurément, le parcours et l’œuvre de Roger Icart montrent que l’écriture de l’histoire du cinéma a tout à gagner d’une cohabitation harmonieuse entre universitaires et amateurs, rigueur et passion pouvant être déployées aussi bien par les premiers que par les seconds.
L’énième célébration de certains événements de Mai 68 offre l’occasion de revenir sur ce qui survint en 1968 à la Cinémathèque française, soit l'"Affaire Langlois", du nom de l’un de ses fondateurs et omnipotent directeur, que l’État aurait cherché à "liquider", pour reprendre une terminologie présidentielle. Car sans doute cette histoire n’a-t-elle pas encore suscité assez de papiers.
Libération accompagne le récit des journées légendaires d’un entretien avec un expert, Laurent Mannoni, qui a publié récemment une Histoire de la Cinémathèque française, la plus rigoureuse, le plus documentée et la plus honnête qu’il pouvait dans sa position et vu les conditions de réalisation du livre. Juge et partie, puisque employé de la Cinémathèque française (actuellement « directeur scientifique du Patrimoine »), disposant sur son lieu de travail d’une masse d’archives considérable, mais n’ayant que peu de temps pour en consulter beaucoup d’autres (des "vérifications" ont surtout été faites au CNC), il s’est tiré remarquablement de la plupart des chausse-trappes d’une telle commande institutionnelle (un peu à la manière d’Antoine de Baecque pour l’histoire des Cahiers du cinéma). Il aurait cependant été bien impossible à Mannoni d’utiliser « toutes les sources historiques possibles », contrairement à ce qu’écrit Michel Ciment dans une bonne note de lecture de Positif (n°556, juin 2007, p.74-75). Et surtout d’écorner plus encore le "mythe Langlois", dont il se déprend tout de même autant que faire se peut. Dès lors, il est indispensable de se reporter aux études fondatrices de Raymond Borde – notamment dans Les Cahiers de la cinémathèque… de Toulouse (publication dont celle de Paris n’a jamais réussi à fournir l’équivalent) – et à celle de Pierre Barbin, un peu hâtivement cataloguées comme des « témoignages à charge » (Michel Ciment). Barbin, quoique également juge et partie (et constamment pris à partie depuis 1968, de façon souvent peu loyale !), ne s’est pas contenté de consigner ses souvenirs d’un témoin. Il a aussi réussi à dénicher des archives peu ou pas du tout exploitées jusqu’à présent, en Allemagne notamment.
Cela devrait aller sans dire, mais, sur ce sujet comme sur bien d’autres, une information parcellaire, la limitation à quelques points de vue (toujours les mêmes en général), quand ce n’est pas la crédulité, ne permettent guère d’appréhender sereinement cette histoire. Surtout, on attend toujours que les institutions les plus puissantes de la cinéphilie française fassent l’objet d’études d’envergure menées par des historiens plus impartiaux (si tant est qu’ils puissent l’être, vu l’imbrication des intérêts dans ce milieu), et si possible par des collectifs.