LIQUIDER HENRI LANGLOIS ?
L’énième célébration de certains événements de Mai 68 offre l’occasion de revenir sur ce qui survint en 1968 à la Cinémathèque française, soit l'"Affaire Langlois", du nom de l’un de ses fondateurs et omnipotent directeur, que l’État aurait cherché à "liquider", pour reprendre une terminologie présidentielle. Car sans doute cette histoire n’a-t-elle pas encore suscité assez de papiers.

Libération accompagne le récit des journées légendaires d’un entretien avec un expert, Laurent Mannoni, qui a publié récemment une Histoire de la Cinémathèque française, la plus rigoureuse, le plus documentée et la plus honnête qu’il pouvait dans sa position et vu les conditions de réalisation du livre. Juge et partie, puisque employé de la Cinémathèque française (actuellement « directeur scientifique du Patrimoine »), disposant sur son lieu de travail d’une masse d’archives considérable, mais n’ayant que peu de temps pour en consulter beaucoup d’autres (des "vérifications" ont surtout été faites au CNC), il s’est tiré remarquablement de la plupart des chausse-trappes d’une telle commande institutionnelle (un peu à la manière d’Antoine de Baecque pour l’histoire des Cahiers du cinéma). Il aurait cependant été bien impossible à Mannoni d’utiliser « toutes les sources historiques possibles », contrairement à ce qu’écrit Michel Ciment dans une bonne note de lecture de Positif (n°556, juin 2007, p.74-75). Et surtout d’écorner plus encore le "mythe Langlois", dont il se déprend tout de même autant que faire se peut. Dès lors, il est indispensable de se reporter aux études fondatrices de Raymond Borde – notamment dans Les Cahiers de la cinémathèque… de Toulouse (publication dont celle de Paris n’a jamais réussi à fournir l’équivalent) – et à celle de Pierre Barbin, un peu hâtivement cataloguées comme des « témoignages à charge » (Michel Ciment). Barbin, quoique également juge et partie (et constamment pris à partie depuis 1968, de façon souvent peu loyale !), ne s’est pas contenté de consigner ses souvenirs d’un témoin. Il a aussi réussi à dénicher des archives peu ou pas du tout exploitées jusqu’à présent, en Allemagne notamment.
Cela devrait aller sans dire, mais, sur ce sujet comme sur bien d’autres, une information parcellaire, la limitation à quelques points de vue (toujours les mêmes en général), quand ce n’est pas la crédulité, ne permettent guère d’appréhender sereinement cette histoire. Surtout, on attend toujours que les institutions les plus puissantes de la cinéphilie française fassent l’objet d’études d’envergure menées par des historiens plus impartiaux (si tant est qu’ils puissent l’être, vu l’imbrication des intérêts dans ce milieu), et si possible par des collectifs.
- « La cinémathèque néglige le septième art », par Philippe Person, Le Monde diplomatique, décembre 2005.
- Laurent Mannoni organise en 2008 un cycle de conférences intitulé « Le conservatoire des techniques cinématographiques ».