KÉCHICHE, ROI DU NATURALISME POISSEUX À LA FRANÇAISE
J’avais annoncé, dans mon billet du 16 mai 2008, que je reviendrais sur La Graine et le mulet. La sortie du film en DVD pourrait me permettre de tenir parole. Sauf que je ne me vois pas sortir le moindre euro de ma poche pour l’acquérir, d’autant que je ne suis pas sûr que je serais plus capable chez moi qu’en salle d’en regarder plus d’une demi-heure. Je me contenterai donc de deux remarques, jusqu’au jour où j’aurai le courage de m’imposer la vision du Kéchiche jusqu’à la fameuse danse du ventre finale (mes rubriques « Érotisme et cinéma » et « Tous les prétextes sont bons » montrent qu’il faut vraiment que le film m’ait gravement barbé pour que je ne sois pas resté jusqu’à un tel dénouement – cela m’était déjà arrivé pour Basic Instinct 2, que j’ai quitté avant même que Sharon Stone dévoile un bout de sa poitrine admirablement ferme).
Quelques critiques ont été rebutés par une conversation de groupe qui tourne, pendant une dizaine de minutes qui en paraissent cinquante, autour des couches culottes (et de leur prix, si mes souvenirs sont bons). Pourquoi pas, après tout ? Pourquoi l’art s’interdirait-il de prendre pour objet les sujets les plus triviaux ? Ce qui m’avait épaté, c’est l’absence totale d’humour de la séquence (et de toutes les autres du reste). Dix minutes de discussion entre quatre ou cinq personnes au sujet de couches culottes sans une seule blague, sans qu’un seul des protagonistes ne disent quoi que soit pour dérider un peu les autres, sans que Kéchiche arrive à se déprendre de l’esprit de sérieux qui semble désormais constamment l’habiter.
Quelques procédés stylistiques procèdent du même naturalisme poisseux teinté de misérabilisme. N’en décrivons rapidement qu’un seul. Au début du film, peu après s’être embrouillé avec son patron, le personnage principal du film, un vieil ouvrier maghrébin, va voir une femme. Si je me souviens bien (cette précaution devrait être prise après chaque mot que j’écris sur ce film, tant il n’a laissé que des traces évanescentes dans mon esprit), il n’a pas la tête à la bagatelle. Un dialogue s’instaure plus ou moins entre eux. Champ contre champ classique. Sauf que, cela me paraît si gros que je l’écris sous réserve (bien que j’en sois presque sûr), les plans de la femme ne sont pas filmés de la même façon que ceux du bonhomme. La perception de l’accablement de celui-ci, déjà largement signifié par le jeu de l’acteur, son dos voûté, ses mines atterrées, son mutisme ostentatoire, est rendue plus évidente encore par le changement de manière de filmer entre les plans de l’homme et ceux de la femme. Je ne saurais dire quel procédé technique a été employé, mais je mettrais ma main à couper que l’image a été trafiquée pour que les premiers soient très moches, granuleux, et les seconds plus claires, plus "propres".
Peu de temps auparavant, ou juste après, j’avais vu Je suis une légende, film en bien des points remarquables, mais dont m’avaient gêné quelques procédés de mise en scène un peu lourdauds, en particulier les effets sonores assourdissants qui accompagnent la fermeture de toutes les portes et fenêtres de son appartement par Will Smith à la tombée de la nuit. Je me suis dit qu’il était dommage de gâcher ce qui aurait pu être un grand film par ce genre de facilité. Dans le cas de Kéchiche, le procédé est un peu plus discret, mais il a été employé avec une intention similaire, forcer la perception du spectateur, induire en lui une émotion que les metteurs en scène ont pensé ne pas être capables de susciter seulement grâce à la force de la situation, de sa mise en place et du jeu des acteurs. Un effet supplémentaire leur a semblé nécessaire. Dès lors, si la morale est affaire de travelling, Kéchiche nous a appris qu’elle pouvait aussi être affaire de grain de l’image.