Mister Arkadin

LES FEMMES DE L’OMBRE

22 Septembre 2008, 23:10pm

Publié par Mister Arkadin

Les Femmes de l’ombre, grosse production d’Éric Névé réalisée par Jean-Paul Salomé sur des françaises employées dans la Résistance par les services secrets anglais, est sorti en DVD au début du mois. Le film avait bénéficié d’une grosse campagne médiatique au moment de sa sortie en salles, à la hauteur de son sujet et de son casting (Sophie Marceau, Marie Gillain, Julie Depardieu), et d’un coup de pouce de TF1, qui, en invitant Sophie Marceau dans le même journal que Jean-Marie Le Pen, provoqua le courroux de la première, si scandalisée qu’on n’ait pas songé qu’elle ne pourrait respirer le même air que le second qu’elle quitta les loges sans passer par le plateau. Incarnant la Résistance, elle ne pouvait figurer dans le même JT que celui qui incarne probablement à ses yeux la Collaboration. Ce n’est pas le lieu d’examiner si Jean-Marie Le Pen aurait plus de titres que Sophie Marceau pour se réclamer de la Résistance (son engagement effectif à la fin de la guerre semblant n’avoir consisté qu’en une impulsion de très jeune homme désireux de rejoindre un maquis pour bouter le boche hors de France, sans grande conséquence) ; il pourrait toutefois difficilement en avoir moins que l’actrice, qui n’en a rigoureusement aucun. Quand bien même Jean-Marie Le Pen serait assimilé au régime collaborateur honni de Vichy et même si Sophie Marceau était adepte de la méthode Stanislavski, elle devrait savoir que jouer un rôle peut nécessiter de s’identifier à son personnage, d’essayer de se mettre dans le même état psychologique (et parfois physique) que lui, en aucun cas de s’imaginer a posteriori avoir réellement vécu les mêmes choses ! A-t-elle demandé à ce que toute chaîne recevant Jean-Marie Le Pen ne diffuse plus les films où elle apparaît, de peur d’être compromise par une telle proximité, que tout organe de presse où il est question du FN cesse illico de parler d’elle, etc. ? Cette façon de se la jouer, alors qu’on ne risque strictement rien et qu’il y a au contraire tout à gagner à se poser en courageux combattant de "la-bête-immonde-qui-revient", cette manière de sembler ne célébrer la Résistance que pour suggérer qu’on en aurait forcément fait partie soi-même (tel le complice sinon collabo au col Mao Sollers) est si indécente que cela m’aurait plutôt incité à boycotter le film, de même que l’affiche, qui fait craindre le pire.

Une chose m’a finalement convaincu d’aller voir le film. La présence au scénario de Laurent Vachaud, l’un des rédacteurs de Positif que j’aimais le plus (il y a écrit régulièrement de 1987 à 1999, plus épisodiquement depuis ; voir la liste de ses articles dans l’index Calenge). Il y aurait à ce propos un relevé statistique à faire pour vérifier que les rédacteurs des Cahiers du cinéma sont plutôt devenus des cinéastes et ceux de Positif des écrivains ou des scénaristes (Vitoux, Vassé, etc.), ce qui est l’idée que l’on se fait à vue de nez, malgré quelques exceptions (par exemple Benayoun et Carrère, ce dernier étant finalement devenu cinéaste après avoir été longuement écrivain et scénariste, activités qu’il exerce toujours). C’est en tout cas peu dire que Laurent Vachaud me paraît être un meilleur critique que scénariste. Car si le film se suit plutôt agréablement, il n’arrive pas à la cheville de Black Book, chef d’œuvre de Paul Verhoeven sur la même période, sorti quelques mois auparavant. Je n’ai guère plus envie de me procurer le DVD que je ne l’aie pour La Graine et le mulet, dont j’ai parlé hier. Je me contenterai donc de deux remarques supplémentaires.

La première, à la faveur du film, est que le méchant, un officier nazi, est particulièrement réussi et bien interprété par Moritz Bleibtreu. Cela ne saurait suffire à sauver le film, malgré le théorème d’Hitchcock, mais lui permet de ne pas être complètement raté. La deuxième, en sa défaveur cette fois, est l’image des femmes que véhicule ce film. Je sens que les adeptes des "gender studies", une Geneviève Sellier par exemple, vont s’en donner à cœur joie, à juste titre en l’occurrence, pour vitupérer un film où, paradoxalement vu qu’il est censé célébrer le courage des femmes, leur mérite au moins égal à celui des hommes, elles sont constamment passives (l’une d’elle ne s’engage d’ailleurs que contrainte), aux ordres d’hommes qui les manipulent éhontément, n’ayant jamais aucune décision personnelle à prendre, découvrant leurs missions au fur et à mesure, quand on ne leur a pas menti sur les tenants et aboutissants de celles-ci et sur les suites qui en seraient données. Peut-être était-ce le cas dans la réalité. Le film ne semble cependant pas avoir été conçu pour dénoncer, sinon très très implicitement, le machisme d’alors. Et il contient suffisamment d’invraisemblances, comme ont dû en convenir d’authentiques résistantes interrogées à la sortie du film (par exemple Lise Graf dans Le Figaro du 5 mars 2008, page 28), pour en inventer quelques-unes de plus qui permettraient à nos vaillantes "femmes de l’ombre" d’en sortir sans être constamment chaperonnées par un mâle. Une seule fait, in extremis, preuve d’initiative, le personnage de Sophie Marceau allant toute pimpette exécuter un officier allemand sur un quai de gare peu après s’être fait torturée et s’être pris moult coups de pompes dans le ventre alors qu’elle était enceinte. Assurément, nous avions sous-évalué les capacités de Résistance de la môme Marceau !