Une brillante chaîne de billets sur « l'horrible danger de la lecture » s'est propagée il y a trois ou quatre mois sur quelques blogs littéraires :
- « La cave du Dr Orlof »;
- « café du commerce » ;
- « Château de sable » (« mauvaises lectures » ; « suite »).
J'en ai pris connaissance à partir du site "Cinématique". Je m'étonne que le si perspicace Ludovic Maubreuil n'ait pas songé à poser la question de possibles écrits subversifs (ou se croyant tels, parfois...) sur le cinéma. Les pamphlets ne manquent pourtant pas en la matière.
Le dernier en date a été publié par Philippe Person dans Le Monde diplomatique (février 2009, p.27 ; extrait disponible sur le site du Monde diplomatique). « A-t-on le droit de critiquer la nouvelle vague ? », s'interroge-t-il. Peut-être aurait-il pu ajouter au titre "encore", les mises en cause de la Nouvelle Vague n'ayant pas manqué, comme on le verra plus loin (Compléments 1 et 4).
Quoi qu'il en soit, voici une ébauche d'inventaire (que je complèterai progressivement) (C2) de textes ou livres sur le cinéma ayant fait scandale ou ayant "remué" les milieux du cinéma ou de la cinéphilie, certains ayant valu à leur auteur un procès :
- Émile Vuillermoz, « Naïveté », Le Temps du 31 août 1921 (p.1, billet signé V.) :
« Le cinéma, cette industrie qui devrait être un art, compte un assez grand nombre d'ennemis acharnés. Mais il n'en a pas de plus dangereux que certains de ses défenseurs naturels. C'est dans sa propre famille que se recrutent généralement les plus féroces tortionnaires. Un exemple nouveau vient de nous en être offert par les loueurs de films qui ont cru devoir faire désormais précéder leur programme hebdomadaire de cette naïve prescription : "La critique à haute voix est interdite !" Insondable candeur ! Ces marchands peuvent-ils avouer plus maladroitement le peu de confiance que leur inspire leur marchandise ? »
- Paul Souday, « Le cinéma n'est pas un art », La Dépêche de Toulouse, 1927 (texte reproduit dans mon livre "Le Temps" du cinéma, à propos des querelles entre cinéphobes et cinéphiles durant les années 1920)
- Léon Moussinac, critique parue dans L'Humanité appelant à siffler le film Jim le Harponneur, ce qui lui valut d'être attaqué en justice par le magnat du cinéma français Jean Sapène (affaire sur laquelle je reviendrai peut-être, notamment en reproduisant un texte paru quelques semaines auparavant où L.Mouss s'en prenait encore plus directement à Sapène, d'où le courroux de celui-ci).
- Georges Duhamel, Scènes de la Vie future, 1930
- Paul Morand, France la doulce, 1934
- Lucien Rebatet, Les Tribus du théâtre et du cinéma, 1941, dont une version en pdf est disponible ici
- Maurice Bardèche et Robert Brasillach, Histoire du cinéma, 1943
- « Le Corbeau est déplumé » (non signé ; œuvre de Georges Adam et Pierre Blanchar, selon Olivier Barrot) (reproduit par Barrot dans son livre sur L'Écran français, p.13-15), L'Écran français, 1944
- François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Cahiers du cinéma, n°32, janvier 1954
- Raymond Borde, Freddy Buache, Jean Curtelain, Nouvelle Vague, 1962
- Henri Jeanson, « Petit dictionnaire de feu la nouvelle vague », Le Crapouillot, 1964
Il faudrait tout citer de ce savoureux dézinguage de près de trente pages, dans lequel Jeanson s'en prend à toutes les idoles d'alors (demeurées celles de certains clans critiques), notamment Truffaut, dont il démonte les "méthodes" de travail pour le texte mentionné plus haut. Contentons-nous de reproduire le texte sur Bazin, puisque un colloque récent vient de nous inciter à reconsidérer l'œuvre de ce critique que l'on nous enjoint de redécouvrir tous les quinze jours.


- Les Dossiers du « Canard » : « Ça, c'est du cinéma ! Le 7ème Art et la manière », n°24, juin 1987, 100 p.
- Serge Daney, critique du film Uranus paru dans Libération, qui entraîna la publication d'un droit de réponse par Claude Berri (affaire sur laquelle je reviendrai, en y mêlant... Rohmer et Truffaut)
- Claude Autant-Lara, Les Fourgons du malheur, 1987
L'un des rares (le seul ?) ouvrages de cinéma interdit.
- Jean-Paul Torök, Pour en finir avec le maccarthysme, 1999
- Lettre de Patrice Leconte à ses confrères cinéastes sur la critique
- Stéphane Zagdanski, La Mort dans l'œil. Critique du cinéma comme vision, domination, falsification, éradication, fascination, manipulation, dévastation, usurpation, 2004
- Serge Kaganski, tribune parue dans Libération le 31 mai 2001 contre Amélie Poulain, "film lepéniste" (affaire dont il est question dans une discussion entre cinéphiles amateurs de Mad Movies qui recensent « Les perles de la critique » et sur laquelle Mathieu Kassovitz donne son point de vue ici)
- Alain Soral, « Cinéma. L'immoralité de l'exception culturelle », dans Jusqu'où va-t-on descendre ? (Abécédaire de la bêtise ambiante), Paris, Éditions Blanche, mai 2002, p.69-70 [Voir aussi les entrées Breillat, Carrière, Lévy et Renoir] ; « Cinéma (1) Remettons à sa place le cinéma de la "nouvelle vague" », « (2) L'étrange succès de "La vérité si je mens" » et « (3) », « Deneuve, Catherine ou les ravages de la chirurgie esthétique » et « Denis, Claire et l'art de l'ellipse », Socrate à Saint-Tropez, repris dans Abécédaires de la bêtise ambiante, Paris, Éditions Blanche, 2008, p.277-285 et 301-302.
À suivre...
P.S. 1 : À noter que des ouvrages de critiques ne portant pas sur le cinéma figurent parmi les "livres interdits" (essayer de les trouver sur e-bay, pour voir...), par exemple Les Décombres de Lucien Rebatet ou les deux Nuremberg de Maurice Bardèche. Il s'agit bien sûr de la situation en France et en Europe, Le Figaro rappelant opportunément, dans son supplément littéraire du 5 mars 2009 (p.7), à propos de la famille de Hitler (qui revendique ses royalties !), que Mein Kampf est en vente libre aux États-Unis (C3). P.S. 2 : Je me permets de renvoyer à un petit texte de mon cru, « Critiques, encore un effort si vous voulez sortir de l'amnésie », qui dérangea légèrement et passagèrement le petit monde de la critique parisienne. Il s'agit du compte rendu d'un ouvrage, publié par le syndicat de la critique (sous la direction de Michel Ciment et Jacques Zimmer) en 1997, sur l'histoire et la situation de la critique de cinéma en France, que les Cahiers du cinéma avaient trouvé trop virulent pour être publié sans être allégrement caviardé et réécrit (dans leur « Courrier des lecteurs », qui plus est, afin de ne pas en assumer la responsabilité).
Compléments :
(C1) La vénération dont jouit la Nouvelle Vague demeure si prégnante que sa mise en cause persiste à susciter des levées de boucliers, par exemple d'adeptes du Forum des Cahiers du cinéma, regroupés au sein du collectif "Spectres du cinéma".
(C2) Ludovic Maubreuil, sous le titre « Cinématographiquement incorrect », me fait l'honneur de choisir le présent billet pour inaugurer une rubrique « Les uns et les autres », dans laquelle il signalera chaque vendredi un blog ou un site. Il précise qu'à propos de ces « enfers de bibliothèques », c'est sans grande surprise Céline qui suscite le plus de débats, voire de polémiques (par exemple ici), notamment Bagatelles pour un massacre. Cela me rappelle que j'avais moi-même prévu d'inclure ce titre dans ma liste de livres cinématographiquement subversifs, dans la mesure où de nombreuses pages y sont consacrées aux Juifs de Hollywood, dont Rebatet s'est inspiré, et à La Grande illusion.
(C3) Un lecteur érudit me signale que Mein Kampf n'est, pas plus que Bagatelles, interdit de publication en France. Sa rareté est indéniablement plus un problème de diffusion que de censure à proprement parler, de crainte des troubles à l'ordre public qui pourraient en résulter, la demande ne manquant pas (ce serait le livre le plus demandé à la Bibliothèque municipale de Lyon !). Car, vérification faite dans Electre, une édition récente de Mein Kampf est disponible aux Nouvelles Éditions latines. Remarque pertinente donc, qui ne remet pas en question le fait que ce type de livres est plus facile à trouver aux États-Unis, qu'en France, et dont je me fais d'autant plus volontiers l'écho que mon texte entretient trop la confusion entre "livres interdits" (au sens de subversifs, et quasi tabou, quoique pas interdits au sens strict) et livres réellement interdits à la vente (aussi ai-je distingué sur ce point l'Autant-Lara).
(C4) L'un des plus vigoureux et argumentés pamphlets contre la Nouvelle Vague a paru en 1998 dans la revue L'Homme et la société (n°127-128, p.39-53 : « Tempête dans un verre d'eau ? Le phénomène "Nouvelle Vague" au prisme de la politique », par Jean-Pierre Garnier).
(C5) (7 septembre 2009) De nouveau à propos de Mein Kampf, l'érudit Pierre-André Taguieff a fait récemment un point complet sur les débats relatifs à la réédition "critique" qui est envisagée par le Land de Bavière (détenteur des droits) et le Conseil central des Juifs d'Allemagne.