RÉDEMPTION DU CINÉPHILE
Quels sont les meilleurs films de l’histoire du cinéma ? Périodiquement, une revue prestigieuse ou une institution patrimoniale de cinéma organise un référendum auprès de critiques ou de cinéastes pour qu’ils désignent leur(s) film(s) préféré(s). Les réponses sont habituellement très différentes des palmarès obtenus quand ce sont des cinéphiles ordinaires qui sont interrogés. Il est d’autant plus surprenant que celui des utilisateurs de la plus grande base de donnée en ligne, l’Internet Movie Data Base, son « Top 205 », ne comprenne pratiquement que des films ayant assez bonne réputation critique : Le Parrain, Batman, Le Bon, la brute et le truand, Pulp Fiction, Vol au dessous d’un nid de coucou, Casablanca, 12 hommes en colère, Les Affranchis, Fenêtre sur cour, entre autres films que l’on retrouve aux premières places. Mis à part le tropisme anglo-saxon et la prééminence de films relativement récents, cette liste pourrait être celle d’un critique. Une seule énorme surprise dans ce palmarès, en première place qui plus est : The Shawshank Redemption. « The what ? », se demande probablement nombre de cinéphiles français. « Qu’est-ce que c’est qu’ce film ? D’où qui sort ? » Les Évadés ne diront peut-être pas grand-chose de plus à mes lecteurs, sauf ceux qui ont déjà regardé les photos ci-dessous. Ce film de Frank Darabont est non seulement celui qui a suscité le plus de votes sur l’IMDB (369.731 !), mais aussi celui qui obtient la meilleure note moyenne (9,2), les votants non américains l’ayant autant plébiscité que les Américains (1).
Cela demeure un mystère pour moi. Indépendamment de l’avis que l’on peut avoir sur cette espèce de conte philosophique nous enseignant que l’espoir rend plus libre que la peur, je n’arrive pas à comprendre le gouffre existant entre l’amour des amateurs de cinéma pour ce banal film de prison et la discrétion du culte qui lui est rendu, le peu d’écho qu’il a dans les conversations cinéphiles (2), le néant critique qu’il suscite (3). Tout film ayant un peu de succès engendre aussitôt son lot d’interprétations et d’explications, souvent plus sociologiques qu’esthétiques, parfois idéologiques (les "Ch’tis" étant le dernier exemple en date). Rien de tel en ce qui concerne Les Évadés, qui baigne dans une absence complète d’analyse du phénomène d’adhésion dont il bénéficie.
Quelle audience aura-t-il donc ce soir pour son passage sur M6 ?
(1) Tout juste peut-on remarquer que les utilisateurs de l’IMDB qui sont les plus actifs (« Top 1000 voters ») apprécient un peu moins le film (8,4 de moyenne tout de même).
(2) Pour être tout à fait honnête, je dois préciser que j’avais regardé Les Évadés sur les conseils de mes anciens voisins. Les cinéphiles français le tenant pour un grand film existent donc : j’en ai rencontrés !
(3) Les hebdomadaires de programmes télévisés en rendent bien sûr compte quand ce film passe à la télévision (Télérama par exemple), mais sans qu’il les inspire plus qu’un film de série moyen.