Mister Arkadin

LA GAUCHE, MITTERRAND ET MOATI, VICHY ET LA PRESSE

10 Août 2008, 23:17pm

Publié par Mister Arkadin

Ce fut un vrai délice un soir de fin avril sur France 2 de voir, dans un documentaire de Christophe Barbier et Serge Moati, Mitterrand à Vichy. Le Choc d’une révélation (ne surtout pas oublier le sous-titre), tant de grands notables français de l’information déclarer avoir été abasourdis en 1994 par les "révélations" de Pierre Péan sur le passé vichyste de François Mitterrand. Un tel festival d’hypocrisie, à peine tempéré par les mises en perspectives de Henry Rousso ou Hubert Védrine, qui soulignaient que le tout-Paris était au courant depuis bien longtemps, suscite quelques doutes sur la capacité de nos leaders d’opinion à évoluer quelque peu et à ne plus prendre leur public pour un ramassis d’abrutis, ne serait-ce qu’un tout petit peu moins.

Dans « Les Matins de France Culture » du 22 avril 2008, Serge Moati a dit avoir été bouleversé par la publication par Péan de la photo de Mitterrand serrant la main de Pétain. Rousso lui a répliqué que « la révélation n’était pas si fracassante que ça », que l’affaire était largement connue, déjà en 1981, au moins depuis 1965. Le documentaire de Moati, bien plus inspiré quand il traite de l’actualité (son reportage sur la campagne présidentielle de 2007 était remarquable), pas plus que le docu-fiction médiocre qui précédait (ce genre est décidément l’une des plaies de la création audiovisuelle française, qui pullule malheureusement), n’a dès lors guère répondu à la « nécessité d’abattre les sédimentations de récits qui ont construit une série de mythes historiques » (Henry Rousso). Moati a assez piteusement défendu son soi disant aveuglement passé : « On pensait que c’était des calomnies d’extrême droite. » Remarquons d’abord que l’extrême droite est loin d’avoir l’exclusivité de la calomnie, puisque, par exemple, elle avait repris, dans les années trente, les insinuations au sujet de Roger Salengro émises par la presse communiste dès les années vingt, qui lui valurent d’être accusée d’avoir poussé au suicide le ministre de Blum. Notons ensuite que cette manière de laisser à la presse d’extrême droite, quand ce n’est pas à un Robert Faurisson, le soin de rectifier certaines mythologies ou de dénoncer certaines falsifications sur la Shoah (voir, par exemple, le cas de Survivre avec les loups) ne peut à terme que faire accroire que ces publications sont les plus à même de lever quelques tabous persistants. L’essentiel des "révélations" de Pierre Péan avait en effet largement rempli les pages de Minute et du Crapouillot depuis des années (elles-même souvent redevables des dictionnaires d'Henry Coston), dans des numéros spéciaux sur lesquels la grande presse avait bien entendu fait silence. De même, quand Moati rafla à son tour la mise en exploitant le dossier « Mitterrand à Vichy », si Jean-Pierre Azéma comme Henry Rousso soulignèrent que « les vichysto-résistants […] ont eu une place plus importante que celle, encore marginale, que leur accorde l’historiographie » (1), ce qui est aussi une façon de tordre le coup à l’assimilation de la Collaboration à la droite et de la Résistance à la gauche (alors que François Mitterrand, ainsi que ses complaisants biographes, prétendent qu’il serait passé de droite à gauche en quittant Vichy pour la Résistance), Jean-Paul Angelelli, dans Rivarol (n°2856, 2 mai 2008, p.11), fut l’un des rares, sinon le seul, à renvoyer à l’ouvrage de Simon Epstein, dont le titre est assez explicite (Un paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Albin Michel, 624 p.), pourtant tout frais (avril 2008) et dont un chapitre est consacré à l’itinéraire de Mitterrand, faisant qui plus est suite à une première étude décapante sur cette période (Les Dreyfusards sous l’Occupation, Albin Michel, 2001, 358 p.).http://www.decitre.fr/gi/54/9782226122254FS.gif


Note :

(1) Propos de Henri Rousso parus dans Marianne, 12-18 avril 2008, p.76-79 : « Sortons des clichés ! »


Compléments :

(1) (19 mars 2010) : Lire Max Gallo déclarer dans Paris-Match (18-24 mars 2010, p.16), où on l'interroge sur son dernier ouvrage de vulgarisation historique (1940. De l'abîme à l'espérance), que Vichy serait « la revanche des anti-dreyfusards », sans que l'universitaire Jean-Pierre Azéma (interrogé conjointement) ne prenne la peine de rectifier, fait douter que les acquis de la recherche historiographique (saluons à ce sujet la mémoire de Jean-Claude Valla, récemment disparu) finisse par bousculer les clichés véhiculés par les médias dominants et l'Éducation nationale sur cette période.

(6 juin 2010) : Max Gallo est tellement content de sa formule (« la revanche des anti-dreyfusards »), mais peut-être pas si assuré de sa justesse, qu'il la reprend systématiquement, pour bien enfoncer le clou et imposer l'idée qu'elle serait incontestable. La manoeuvre se dévoile un peu trop quand il insiste trois fois dans le même article, par exemple dans Le Figaro littéraire du 3 juin 2010 : « Et Vichy est pour toute une génération - Pétain, Weygand, etc. - la revanche des anti-dreyfusards » ; « En 1940, grâce à la défaite, qui a brisé la République, les anti-dreyfusards triomphent » ; « l'État français de Vichy, héritier des antidreyfusards ». Le "etc." désigne-t-il tous les dreyfusards qui se sont retrouvés à et dans Vichy. Qu'à cela ne tienne, quand il tient un os, Max n'est pas près de le lâcher !

http://farm5.static.flickr.com/4059/4530003887_326049eed9.jpg(2) (18 avril 2010) : « Jusqu'au jour où le président leva le voile... », écrit sans vergogne Valeurs actuelles à propos des rapports Mitterand-Pétain dans un dossier sur les rumeurs, "coups tordus de la République" et "ragots" (document ci-contre).  Il aurait donc fallu que le tabou soit levé d'en haut...