Mister Arkadin

JUSQU’OÙ MENTIR PLUS VRAI ?

10 Août 2008, 23:12pm

Publié par Mister Arkadin

« Une menteuse qui dit la vérité ». Ainsi l’écrivain Henri Raczymow avait-il intitulé une tribune publiée dans Le Monde du 16 juillet 2004. Il y expliquait que la fameuse Marie-Léonie du RER D, dont André Téchiné s’est inspiré pour son dernier film (1), s’inscrivant ainsi dans la mode des docu-fictions relatant des faits divers ou divers drames contemporains (Villemin, Mesrine, le Rwanda, Baudis, etc., etc.), n’était pas « une mythomane », mais « une usurpatrice », car elle se serait appropriée une histoire qu’elle n’avait pas inventée, mais entendue. La prétendue affaire antisémite était en fait parfaitement véridique, même si sa soi-disant victime ne s’en était fait que le porte-parole. Le scandale n’aurait donc pas été que les médias et les plus hautes autorités politiques françaises aient relayé promptement, solennellement et à sons de trompettes le récit de ladite Marie-Léonie, sans vérification aucune, mais qu’ils aient fait machine arrière une fois la supercherie révélée, dans la mesure où son récit était une « histoire vraie », à défaut d’être la sienne.

Un rebondissement similaire est survenu voici quelques mois à propos d’un récit filmé par Véra Belmont, aidé pour le scénario par Gérard Mordillat, toujours en quête de Vérité cachée (à défaut d’être révélée…). « L’auteur de Survivre avec les loups a menti sur sa vie. Y’a un loup dans son histoire », titrait en une, le premier week-end de mars, France Soir (1-2 mars 2008, p.1-3), pratiquement le seul journal français (avec, dans une moindre mesure, Le Figaro) à avoir fortement relayé les révélations de son confrère belge Le Soir, déjà largement éventées sur Internet et dont l’hebdomadaire Minute avait aussi fait ses choux gras. À la sortie du film, fin janvier 2008, la grande presse (Le Monde et Le Nouvel Observateur en tête) avait mordu à l’hameçon et laissé à la presse honnie (i.e. nationaliste, sinon d’extrême droite) le soin de faire part de son scepticisme, puis de se délecter de la débandade qui a suivi (par exemple Claude Lorne dans Rivarol).

L’amusant dans cette histoire, si je puis dire, est qu’elle fut presque concomitante du projet annoncé par Sarkozy, au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), de confier la mémoire de chaque petit enfant juif déporté à un élève français, projet plus ou moins abandonné suite au tollé qu’il provoqua. Or, c’est toujours le recours aux enfants qui permet de tout justifier, en l’occurrence son récit par Misha Defonseca (ses carnets étaient destinés à ses enfants, « pour qu’ils sachent ce que j’ai vécu »), puis l’adaptation de Véra Belmont, qui aurait chercher comment raconter la Shoah aux enfants, tant il est vrai que les programmes audiovisuels sur le sujet sont fort rares.

Cela fait immanquablement pensé à L’Industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, de Norman G. Finkelstein (postface de Rony Brauman, Paris, La Fabrique Editions, 2001, 160 p.). Il y rapporte plusieurs cas d’écrivains qui se sont inventé une histoire de persécution par les nazis et de déportation, qui en ont tiré un livre à succès, couvert d’éloges pour leur authenticité et leur valeur documentaire (notamment par l’inévitable et inénarrable Elie Wiesel), avant que l’on découvre qu’il s’agissait d’imposteurs. La similitude la plus intéressante avec Survivre avec les loups réside dans la défense adoptée par Véra Belmont, qui rejoint celle de tous ceux qui justifient l’imposture dans ce domaine. Quand Wilkomirski, l’auteur du roman Fragments, fut démasqué, ses défenseurs ne furent pas pris au dépourvu, l’un d’eux déclarant par exemple qu’il n’était « pas important » que le livre soit un faux : « Wilkomirski a écrit une histoire dont il a ressenti profondément le sens ; c’est certain […] ce n’est pas un faussaire. C’est quelqu’un qui vit cette histoire dans le fond de son âme. Sa douleur est authentique. »

Le plus écoeurant est que des complices de la dernière imposture du genre, comme Gérard Mordillat et Véra Belmont, peuvent continuer à plastronner tranquillement dans les médias presque comme si rien n’était, et comme s’ils n’alimentaient pas le ressentiment mémoriel (qui se répand sur les forums d’Internet, par exemple celui d’allociné). Interrogé par un journal télévisé (je ne me souviens plus lequel et je cite de mémoire), Véra Belmont a sorti le même type d’argument que ceux cités par Finkelstein. Certes, Misha Defonseca s’est inventée une histoire, mais ce fait même prouve le traumatisme qu’a provoqué en elle la Shoah, dont elle a ainsi pu rendre compte avec sensibilité, sinon authenticité (2). Véra Belmont aurait été jusqu’à déclarer que cette petite mésaventure alimenterait avantageusement le DVD à venir, que l’on annonce d’ailleurs juste à temps pour les fêtes de noël (avec, comme de bien entendu, en bonus, le "décryptage" du film par une classe de 6ème – cela vaudra le détour !).

L’une des conclusions de Finkelstein – « Vu la masse d’absurdités déversées chaque jour par l’industrie de l’Holocauste, il est […] étonnant qu’il y ait si peu de sceptiques » – m’avait paru un peu excessive. Nombre de films et téléfilms français se chargeraient-ils de lui donner raison, sinon de donner du grain à moudre à tous les Norton Cru de la Seconde Guerre mondiale (3) ?


Notes :

(1) La Fille du RER, avec Émilie Duquenne, dont la sortie est annoncée pour le 18 mars 2009.

(2) Pourquoi se priver de ce genre de calembredaines puisque certains lecteurs et spectateurs les reprennent à leur compte (par exemple ici).

(3) Les révisionnistes n'ont pas manqué d'exploiter l'affaire (par exemple ; voir aussi le n°37 de la revue Sans Concession, p.45-76, où sont reproduits de nombreux documents).


Compléments :
- 30 décembre 2008 : Dans son "portrait du jour" ("Les Matins" de France Culture), Marc Kravetz a raconté une nouvelle histoire fabuleuse ayant connu un grand succès aux USA, l'ancien déporté Herman Rosenblat ayant été par deux fois l'invité d'Ophra Winfrey pour évoquer son histoire d'amour par delà les barbelés. La publication de ses mémoires a été annulée, suite à la découverte de l'imposture (cf. "The New Republic"). En revanche, indique "The Times", cela ne dissuade nullement le producteur Harris Salomon de poursuivre son adaptation cinématographique.

- 1er juillet 2009 : J'apprends (avec un an de retard), dans une enquête de Maria Malagardis sur cette affaire (« Histoire d'une imposture », XXI, n°3, été 2008, p.122-131), que Gérard Mordillat aurait admis, dans une déclaration à la presse, qu'il n'avait « jamais cru que cette histoire était vraie ». Maria Malagardis se demande : « Pourquoi alors avoir fait semblant ? Pourquoi avoir laissé la mention "d'après une histoire vraie" au générique ? »
- 7 août 2012 :
- sur d'autres sujets d'histoire traités par des films ou téléfilms, la révélation de mensonges ne troublent pas outre mesure leurs promoteurs ; ainsi Philippe Niang, réalisateur d'un Toussaint Louverture (France 2, 14 et 15 février 2012) bourré d'affabulations, ne s'est-il pas démonté : « Toussaint Louverture fait partie de ces icônes, quitte à tordre le cou à la vérité historique, au nom de la vraisemblance idéologique… C’est pourquoi j’ai mis en scène des épisodes qui pour n’être pas tangibles n’en sont pas moins crédibles comme l’assassinat par noyade du père de Toussaint. »
- pécadilles que toutes ces controverses : 742.417 gogos ont payé leur place pour aller voir ce film ; dès lors, pas de quoi dissuader quelque producteur de remettre le couvert.
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