Comme prévu (1, 2, 3), le Katyn de Wajda n'a pas fait l'objet d'un accueil digne de son importance, principalement en raison de sa faible distribution, seules trois salles parisiennes l'ayant projeté en première semaine (quatre en deuxième) et aucune à Lyon (une en deuxième semaine). La réception critique a été un peu plus abondante que je le pensais, même si elle a pris en grande partie la forme que je prévoyais (ignorance pour les uns, Les Cahiers et Libé se surpassant, tiédeur pour les autres, diversion enfin, sous la plume de Jean-Luc Douin notamment, Le Monde ayant cependant largement mis en valeur le film et quelques critiques l'ayant tout de même traité très favorablement).
Distribution :
Avant-premières parisiennes : à la Cinémathèque française le 30 mars 2009 ; au Champo le 31 mars 2009 (avec un débat organisé par la revue L'Histoire)
Semaine du 1er au 7 avril 2009 : 3 salles à Paris (Les Cinq Caumartin ; Reflet Médicis ; Saint-André-des-Arts)
Semaine du 8 au 14 avril 2009 : 4 salles à Paris (Les Cinq Caumartin ; Saint-André-des-Arts ; Lincoln ; Majestic Bastille) ; 9 salles en Province (Aix-en-Province, Brest, Grenoble, Lyon, Nantes, Orléans, Perpignan, Pessac, Toulouse)
Émission de télévision :
France 3, « Ce soir ou jamais » (Frédéric Taddéi), mercredi 25 mars 2009 : « Staline - Poutine : les liaisons dangereuses ? », débat, avec notamment Andrzej Wajda
Émissions de radio :
France Inter, « Et pourtant elle tourne » (Bruno Duvic), mercredi 1er avril 2009 : Entretien d'Evan Bettan avec Andrzej Wajda ; « Le Masque et la Plume » (Jérôme Garcin), dimanche 5 avril 2009, avis d'Éric Neuhoff, Pierre Murat, Sophie Avon et Xavier Leherpeur
Radio Courtoisie : Libre journal du cinéma (Philippe d'Hugues, avec Philippe Ariotti et Pascal Manuel Heu, 19 mars et 16 avril 2009) ; « Libre journal de Jacques Trémolet de Villers » (avec Benoît Gousseau, critique littéraire et crédacteur en chef du mensuel Politique Magazine, jeudi 19 mars 2009 - enregistrement) ; « Libre journal de la Réplique » (Bernard Antony, avec Yves Daoudal), mercredi 25 mars 2009 ; Bulletin de réinformation du 2 avril 2009 ; « Libre journal de la Résistance » (Emmanuel Ratier, mercredi 8 avril 2009, de 18h00 à 19h30, « Club de la presse nationaliste », avec Camille-Marie Galic, Caroline Parmentier et Jeanne Smits (journalistes) ; « Libre journal des lycéens » (Romain Lecap, avec Xavier Delaunay et Agathe Menot, samedi 11 avril 2009, de 12h00 à 13h30, « Chronique culturelle »)
France Culture, « Du grain à moudre » (Julie Clarini et Brice Couturier), vendredi 10 avril 2009, de 18h15 à 19h15 : « Autour de la sortie du dernier film d'Andrzej Wajda, Katyn [« film d'une amère mélancolie et d'une grande beauté » (Brice Couturier)] », en direct et en public de la Gare Saint Sauveur à Lille, avec Stéphane Courtois (Historien du communisme, directeur de recherche au CNRS), Jean-Yves Potel (Politologue, ancien conseiller culturel à l'ambassade de France à Varsovie) et Christian Szafraniak (Spécialiste du cinéma polonais, correspondant pour la Pologne du FIPA, Président de l'association Jean Mitry) - Enregistrement
Quotidiens :
20 minutes (1er avril 2009, p.13) : « Le cinéaste polonais revient en signant un drame bouleversant sur un massacre historique et l'absurdité de la guerre » (texte intégral)
Canard enchaîné (Le) (1er avril 2009, p.6 - film mis en vedette dans la rubrique « Cinéma ») : « Faucille, marteau, fosse commune », par Jean-Luc Porquet [« c'est grave, sans effets, presque sans affect », « une impeccable leçon d'histoire »]
Croix (La) (1er avril 2009, p.21) : « Ce film sur Katyn était une nécessité », entretien avec Andrzej Wajda ; « Récit d'un massacre et d'un mensonge d'État », par Laurent Larcher (**)
Direct Matin : rien le mercredi 1er avril 2009 (deux page sur le cinéma et une marée de pub pour Montres contre Aliens)
Figaro (Le) (15 février 2008) : « "Katyn, du massacre à l'imposture », par Marie-Noëlle Tranchant ; « Un des plus terrifiants massacres de l'histoire », par Jacques Saint Victor
Figaro magazine (Le) (27 mars 2009) : « Katyn : l'autre devoir de mémoire », par Jean Sévilla
Figaro (Le) (1er avril 2009, p.28 ; ***) : « Historiquement correct », par V.D. ; « Andrzej Wajda au cœur du massacre de Katyn », entretien ; « Entre requiem et réquisitoire », par Marie-Noëlle Tranchant ; « Tout le symbole du mensonge totalitaire », par Stéphane Courtois
France soir (trois pages sur le cinéma le mercredi 1er avril 2009 ; www.francesoir.fr) : néant.
Humanité (L') (1er avril 2009, p.22) : « Tu n'as rien vu à Katyn », par Jean Roy [L'Huma a-t-elle souhaité rendre hommage à "Mister Arkadin" et à mon billet du même titre ?!]
Libération (1er avril 2009, p.22, colonne « D'autres films ») : « Katyn, d'Andrzej Wajda, est le premier film consacré au massacre des 25 000 soldats et officiers polonais par le futur grand frère soviétique » (texte intégral)
Métrofrance.com (31 mars 2009) : « "Katyn" du Polonais Andrzej Wajda, met en images un massacre longtemps tabou »
Monde (Le) (29-30 mars 2009, p.20) : « Au cinéma avec Stéphane Courtois »
Monde (Le)(1er avril 2009) : « Je voulais évoquer le crime et le mensonge », entretien avec Andrzej Vajda, p.1-19 (débutant en ventre de une) ; « "Katyn" : film poignant et douloureux pour Wajda », par Jean-Luc Douin, p.19.
Parisien (Le) : rien dans le journal - Internet ?
Tribune (La) (1er avril 2009, p.30) : « "Katyn", crime de guerre et mensonge d'État », par Jean-Christophe Chanut »
Hebdomadaires :
Express (L') (supplément « Style », 2 avril 2009, pages « Tentations Culture ») : rien.
Figaroscope (1-7 avril 2009, p.19) : critique de Marie Noëlle Tranchant (♥♥♥ ; 1/4 de page sur 2 pour les nouveautés du jour)
Humanité Dimanche (2-8 avril 2009, p.57) : « Du devoir de mémoire au cinéma », par Maud Vergnol
Inrockuptibles (Les) (n°696, 31 mars 2009, p.53) : Jean-Baptiste Morain [« Évocation lourdingue d'un drame national polonais »]
Journal du Dimanche (Le) (29 mars 2009) : « Tragédie polonaise », par D.A. (*)
Marianne (28 mars - 3 avril 2009, p.76) : Danièle Heymann
Monde 2 (Le) (n°253, 20 décembre 2008, p.16) : « Le souffle de l'épopée invisible », par Pierre Assouline
Nouvel Observateur (Le) (26 mars - 1er avril 2009, p.111) : « Révélations sur le massacre de Katyn », par François Forrestier
Nouvel Observateur (Le), supplément « TéléObs » (2 avril 2009, p.62 et 68) : « L'homme de fer » et critique, par François Forrestier
Pariscope (« Cotation des critiques », semaine du 1er au 7 avril 2009) : V.Gaucher/A.Gaillard (Pariscope) * / Françoise Delbecq (Elle) *** / Fabrice Leclerc (Studio - Ciné Live) * / Bruno Cras (Europe 1) *** / Pierre Murat (Télérama) *
Siné-hebdo : pas d'article, mais une forme d'hommage, certes involontaire, avec le dessin de couverture (reproduit ci-dessous)
Télérama (1er avril 2009, p.50) : Pierre Murat (« pas si mal »)
Valeurs actuelles (2 janvier 2009, p.63) : « Katyn massacré », par Basile de Koch
Valeurs actuelles (26 mars 2009) : « Katyn ou la tragédie du mensonge », par Éric Branca
Vie (La) (n°3318, 2 avril 2009, p.78) : Frédéric Théobald (*, « La Vie aime un peu »)
Mensuels :
Histoire (L') (n°341, avril 2009, p.34-35) : « Wajda, Katyn au cœur », entretien avec Alexandra Viatteau
Historia : ............
Politique Magazine (n°73, avril 2009, p.36-38) : « Un testament polonais », entretien avec Andrzej Wajda
Mensuels de cinéma :
Cahiers du cinéma (numéros de mars et avril 2009) : néant.
Positif (n°578, avril 2009, p.42-43) : « Le mensonge insupportable », par Hubert Niogret
Première
Studio - Ciné Live
Internet :
Allociné : revue de presse
DVDrama
Filmtrailer : bande-annonce
Objectif-cinema : compte rendu à l'occasion de la Berlinade 2008, par Nicolas Villodre
Zéro de conduite (4 avril 2009) : « Katyn : requiem pour un massacre », par Francis
Revues :
Nouvelle Revue d'Histoire (n°41, mars-avril 2009, p.8) : « "Katyn" à la trappe », par Norbert Multeau
Rappels bibliographiques sur les massacres de Katyn eux-mêmes :
Faverjon (Philippe), « Le charnier de Katyn : controverse autour d'un massacre », Les Mensonges de la seconde guerre mondiale, Perrin, mars 2004, p.149-166.
Viatteau (Alexandra), « Katyn : la négation d'un massacre », L'Histoire, n°35, juin 1981, p.6-17.
Viatteau (Alexandra), Katyn, l'armée polonaise assassinée, Complexe, 1992.
Viatteau (Alexandra), Katyn, André Versaille éditeur, printemps 2009.
Zaslavsky (Victor), Le Massacre de Katyn, Monaco, Éditions du Rocher, octobre 2003, 168 p.
Le Figaro :
« "Katyn, du massacre à l'imposture » :
Avec son nouveau film, «Katyn», présenté à la Berlinale en présence de la chancelière Angela Merkel, Andrzej Wajda signe une œuvre magistrale sur une page terrible de l'histoire polonaise.
Avec ce film présenté hors compétition, la Berlinale a retrouvé l'esprit de confrontation historique et politique qui était sa marque avant la chute du Mur. Il revenait au maître du cinéma polonais de signer le premier film sur le massacre de vingt-deux mille Polonais dont plus de 4 000 officiers dans la forêt de Katyn, perpétré par l'Armée rouge, sur l'ordre de Staline, au début de la Seconde Guerre mondiale. Wajda, qui s'est montré dans toute son œuvre un grand historiographe de son pays, avait, en outre, une raison toute personnelle de vouloir traiter cette tragédie longtemps occultée : son père compte parmi les officiers victimes du crime soviétique.
À 82 ans, il évoque enfin un sujet absolument tabou au temps du communisme, au point que le seul fait d'être apparenté à une victime de Katyn pouvait entraîner l'interdiction de faire des études. «Sur le mensonge de Katyn reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou», a dit le cinéaste, qui ne s'exempte pas de ce mensonge imposé, lors de la première de son film à Varsovie, le 17 septembre dernier.
Refusé à l'université
Une date symbolique : c'est le 17 septembre 1939 que l'Armée rouge pénètre en Pologne, quinze jours après que les troupes allemandes sont entrées, à l'ouest, déclenchant la guerre. Le début du film montre ces deux vagues d'invasion militaire qui vont à la rencontre l'une de l'autre pour dévaster la Pologne. Le pacte germano-soviétique est alors en vigueur. Après sa rupture, en 1941, les Allemands, avançant vers l'est, découvriront les charniers de la forêt de Katyn, et révéleront le crime soviétique, que la toute-puissante URSS, désormais dans le camp des alliés, saura étouffer. Tel est le contexte historique d'un film qui cherche avant tout à retracer des aventures humaines individuelles, un peu à la manière de Vie et Destin, de Vassili Grossman. «Les faits sont connus et indéniables, dit Andrzej Wajda. Ils appartiennent à l'Histoire. En 1989, Gorbatchev a apporté des documents aussi irréfutables que l'ordre de Staline à Beria d'assassiner les officiers capturés. Et des historiens sérieux avaient déjà établi la culpabilité soviétique. Mon propos n'était donc pas d'établir les faits, mais de leur donner chair et vie, de montrer la dimension humaine des événements, la souffrance de ceux qui les ont traversés.»
À partir de lettres et de journaux intimes authentiques, Wajda a créé divers personnages fictifs d'officiers, leurs femmes qui les attendent, sans nouvelles, leurs enfants qui auront en héritage le silence et le mensonge. Le film, magnifiquement mis en scène et interprété, est puissamment articulé autour de trois dates qui jalonnent clairement cet itinéraire du massacre au mensonge : 1939-1940, avec la double occupation et la capture des officiers par les Soviétiques. 1943, où des haut-parleurs et des journaux diffusent les noms des tués : c'est ainsi que les Polonais apprennent le massacre de Katyn, découvert et dénoncé par les Allemands, et aussitôt retourné par les Soviétiques en «crime nazi». 1945, quand l'imposture atteint la nouvelle génération : on voit un jeune homme refusé à l'université parce qu'il est fils d'un officier disparu à Katyn, et tué peu après. Katyn s'achève en revenant à sa terrible origine : le massacre lui-même, sans merci.
«Je me suis demandé s'il fallait ou non montrer ces images, dit Andrzej Wajda. Et cela m'a paru nécessaire, dans le premier film sur ce sujet. Il ne suffit pas de savoir que cela a eu lieu. Il faut voir, sentir et comprendre comment la tragédie s'est déroulée. Parce que cela a été interdit pendant des années, et qu'on a besoin de la vérité.»
À la table de la conférence de presse, les acteurs, tous remarquables, pour qui la guerre est un passé lointain, et même le communisme, appuient le cinéaste avec ensemble : «Nous sommes ces enfants à qui on a menti, et qui étaient incapables de comprendre notre histoire, la destruction des élites, la tragédie vécue par nos aînés. Wajda nous a ouvert le cœur et la conscience. »
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« Un des plus terrifiants massacres de l'histoire » :
Les exécutions de plusieurs dizaines de milliers d'officiers polonais, connues sous le nom de massacre de Katyn, constituent une manipulation lourde de sens.
Longtemps attribuée à l'Allemagne nazie, cette tragédie a été en réalité commise par les forces soviétiques en 1940. En septembre 1939, la Pologne est non seulement envahie par l'armée allemande, mais, quelques jours plus tard, l'Armée rouge profite de la situation pour pénétrer à son tour dans le pays. Près de 10 000 officiers polonais sont emprisonnés par les Soviétiques et, en mars 1940, le Politburo décide d'exécuter, en leur sein, les «nationalistes et contre-révolutionnaires». Plus de 4 000 sont exécutés dans la forêt de Katyn (ce qui donnera son nom au massacre). D'autres sont assassinés dans les locaux du NKVD à Kharkov, d'autres à Kalinine, d'autres, enfin, en Ukraine ou en Biélorussie. Au procès de Nuremberg, en 1945, les Soviétiques affirmèrent, contre toute vraisemblance, que les massacres de Katyn avaient été l'œuvre des troupes nazies. Et ils firent pression pour que ce mensonge soit avalisé par l'acte d'accusation.
Lamentable péripétie
De toute évidence, les dirigeants soviétiques tenaient beaucoup à masquer leur forfait. De multiples voix s'élevèrent dès cette époque (et même dès 1941, lorsque les Allemands découvrirent les charniers en envahissant la partie polonaise occupée par l'URSS) contre ce faux historique. À commencer par des enquêteurs anglais et américains. Mais on refusa de publier leurs rapports. Une chape de plomb pesait sur le secret de Katyn. Le président Roosevelt ne souhaitait pas ouvrir les hostilités avec ses alliés russes, notamment sur un point où les responsables du Kremlin semblaient particulièrement chatouilleux.
C'est ainsi qu'on sacrifia allègrement la vérité historique. Pourtant, embarrassé par de nombreuses voix contraires, le verdict final de Nuremberg s'abstint d'évoquer les faits. Et c'est ainsi que le doute demeura longtemps sur la paternité du massacre. Durant la guerre froide, les Soviétiques réussirent à entretenir longtemps le mythe d'un massacre perpétré par les forces de l'Axe. Il fallut attendre la chute du Mur et la Glasnost pour que les langues se délient. Après Gorbatchev, Boris Eltsine remet au gouvernement polonais des documents prouvant que l'ordre sanguinaire a été donné par les dirigeants du Kremlin. Mais la reconnaissance officielle du massacre de Katyn tarde à s'imposer. Cette lamentable péripétie prouve, s'il en était besoin, le danger de figer l'histoire comme une vérité officielle. Fallait-il ne pas enquêter sur Katyn ? C'est tout le problème posé par les lois mémorielles. Le vrai travail de l'esprit, celui de l'historien mais aussi celui du philosophe, de l'écrivain, est de procéder à une perpétuelle remise en cause des vérités officielles.
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« Katyn : l'autre devoir de mémoire » :
Le 1er avril sort en France le dernier film d'Andrzej Wajda : « Katyn ». Le réalisateur y raconte l'assassinat par les Soviétiques, en 1940, de 20 000 officiers polonais prisonniers.
Le film commence comme ça : sur un pont, une troupe de civils en fuite croise une autre foule, elle aussi jetée sur les routes par la défaite. Les premiers fuient les Allemands, les seconds, les Russes. Quel bourreau choisir, quand son pays est attaqué des deux côtés ? Avec Katyn, soixante-dix ans après, Andrzej Wajda porte à l'écran la tragédie polonaise de 1939.
Le film, sorti en 2007 en Pologne, y a réalisé 3 millions d'entrées. En Allemagne, il a été projeté en ouverture du festival de Berlin, en 2008, en présence d'Angela Merkel. En France, l'attente a été longue pour que Katyn - furtivement diffusé sur Canal +, au moment des fêtes - trouve un distributeur. Pourquoi cette timidité ? Wajda jette une lumière crue sur un pan occulté de l'histoire contemporaine : la collaboration entre le communisme et le nazisme. Est-ce cela qui gêne ?
Le 23 août 1939, le pacte germano-soviétique, signé par Ribbentrop et Molotov, prévoit le futur partage de la Pologne. Le 1er septembre, la Wehrmacht envahit le pays - agression qui contraint l'Angleterre et la France à déclarer la guerre à l'Allemagne. Le 17 septembre, cependant, l'Armée rouge envahit la Pologne orientale. Les troupes polonaises, prises en tenailles, sont laminées. Le 27 septembre, le gouvernement et le haut commandement polonais se réfugient en Roumanie, d'où ils gagneront la France, puis l'Angleterre. Dès le 28 septembre, un « traité d'amitié » entre le IIIe Reich et l'URSS raye la Pologne de la carte, et procède à la délimitation des frontières. Dans la partie russe, la nationalité soviétique est automatiquement attribuée aux résidents des territoires incorporés, désormais soumis à la loi soviétique.
240 000 Polonais ont été faits prisonniers par les Russes, dont 22 000 officiers. Quel avenir pour ces derniers ? Sur proposition de Beria (le chef du NKVD, la police politique soviétique), le bureau politique retient la solution la plus radicale : leur élimination physique. L'ordre, daté du 5 mars 1940, porte les signatures de Staline et de Molotov. Il ne s'agit donc pas d'une bavure du NKVD, mais bel et bien d'un acte d'Etat voulu et pensé : liquider l'élite d'un pays occupé pour mieux le dominer. Selon Victor Zaslavsky, «la politique soviétique dans les territoires polonais annexés, et l'affaire de Katyn en particulier, représentent un cas emblématique de la politique de génocide de classe»(1).
D'avril à mai 1940, un peu plus de 4 000 officiers sont abattus à Smolensk, ville alors située en Biélorussie. Leurs dépouilles sont ensevelies dans la forêt de Katyn, où d'autres prisonniers sont exécutés directement. Katyn, ce nom s'imposera pour désigner un crime collectif qui, au même moment, est perpétré ailleurs, et selon le même mode opératoire : une balle dans la nuque. Au total, 22 500 tués, sur cinq sites. A Mednoïe, en Russie, est ainsi exécuté le capitaine Jakub Wajda, du 72e régiment d'infanterie, dont le fils, Andrzej, deviendra une gloire du cinéma mondial...
Mais Katyn, ce n'est qu'une partie du malheur polonais. D'après Alexandra Viatteau, les Soviétiques déportent, au cours des deux années suivantes, au moins 1,6 million de personnes, qui mourront au goulag (2). En 1941, le Reich attaque l'URSS, et la totalité de l'ancien territoire polonais passe sous contrôle allemand. S'installe un régime de terreur qui vise d'abord les Juifs, mais qui n'épargne pas les autres Polonais, le film de Wajda le montre aussi.
Le 12 avril 1943, les Allemands annoncent la découverte, à Katyn, d'un charnier contenant plus de 4 000 cadavres d'officiers polonais, et affirment qu'ils ont été tués par les Soviétiques. De la part des nazis, dont les mains sont couvertes de sang, c'est un coup de propagande. L'URSS rejette aussitôt la responsabilité sur le Reich, et maintiendra cette version des faits pendant un demi-siècle. En 1946, les Soviétiques osent même inscrire Katyn dans l'acte d'accusation du procès de Nuremberg. Anglais et Américains savent la vérité, mais ne peuvent la proclamer sans dénoncer l'allié avec lequel ils viennent de vaincre.
Dans la Pologne communiste règne le mensonge ou le silence sur Katyn : être fils d'officier assassiné rend suspect. En URSS, il faudra attendre Mikhaïl Gorbatchev et la perestroïka pour que Moscou avoue sa responsabilité. En 1992, alors que le régime soviétique s'est effondré, Boris Eltsine remet au président polonais, Lech Walesa, les preuves de la préméditation du massacre : l'ordre du 5 mars 1940.
Sur le plan judiciaire, l'affaire n'est cependant pas close. Outre que les corps de 7 000 soldats et officiers polonais n'ont jamais été retrouvés, des descendants de victimes veulent obtenir leur réhabilitation. Le 29 janvier 2009, la Cour suprême de Russie a définitivement refusé la réouverture d'une enquête, mais les plaignants se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l'homme. A suivre...
Le film de Wajda est un chef-d'œuvre de piété filiale : pour son père, pour sa patrie. Dans une des premières scènes, on voit un christ étendu à terre, abrité par la cape d'un officier polonais. On ne sait si ce sont les soldats de Hitler ou ceux de Staline qui l'ont fait tomber.
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« Historiquement correct » :
Mi-septembre 1939, l'armée soviétique envahit la Pologne. Au printemps 1940, sur l'ordre de Staline, plus de 20 000 officiers et résistants civils - le fleuron militaire et intellectuel du pays - sont sommairement exécutés dans les forêts de Katyn, Tver et Kharkov. Les Allemands, qui succèdent aux Russes, découvrent les charniers de Katyn en 1943. Dès la défaite d'Hitler et jusqu'en 1989, la vérité sur ces massacres est consciencieusement falsifiée par l'Union soviétique et la République populaire de Pologne, qui feront officiellement porter la responsabilité de ce crime de guerre aux nazis. A travers quelques destins particuliers, c'est le sort de tous ces officiers et de leurs familles, de leurs femmes qui leur sont restées fidèles, et de leurs enfants qui ont grandi dans le mensonge, que raconte Andrzej Wajda. Adapté du roman Postmortem (Andrzej Mularczyk), Katyn est plus qu'une œuvre cinématographique : une leçon d'histoire, un monument à ceux «auxquels la vie à manqué pour raconter ces choses», un acte de mémoire. Requiescant in pace.
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Fils de l'un des 12 000 officiers polonais assassinés, et cinéaste inspiré par l'histoire de son pays, il est le premier à aborder ce sujet tragique, longtemps tabou.
LE FIGARO. - Quand avez-vous su exactement ce qui s'était passé à Katyn ?
Andrzej WAJDA.- Je l'ai appris comme tout le monde, au printemps 1943, quand les Allemands ont publié des listes d'officiers massacrés. Le nom de Wajda y figurait, mais le prénom n'était pas celui de mon père, qu'on a retrouvé beaucoup plus tardivement. À aucun moment je ne me suis dit : mon père est mort. Il n'y a pas eu de choc, mais une longue période où l'espoir alternait avec la disparition de l'espoir.
Sur quelles bases avez-vous écrit le scénario ?
Si le film avait été consacré à ce qui s'est passé dans la forêt de Katyn, on n'y aurait vu que des hommes. Et leur histoire aurait eu un sens si ces hommes avaient eu à faire des choix, s'il avait été question de patriotisme, de trahison, de responsabilité. Mais il n'y a rien eu de tel : on ne leur a donné aucun choix, et ils n'imaginaient pas ce qui les attendait. L'un des personnages, Andrzej, qui tient son journal jusqu'à la fin, écrit : « On nous emmène dans une forêt... »
Katyn reste-t-il un enjeu de mémoire nationale ?
Katyn a représenté une perte très lourde pour un pays déjà dépourvu d'élite. Beaucoup d'officiers n'étaient pas militaires de carrière, ils se trouvaient mobilisés à cause de la guerre. Cette histoire s'est maintenue et renforcée dans la mémoire polonaise d'autant plus que c'était des familles qui écrivaient et qui ont laissé des traces, lettres, carnets...
Le film montre que ce crime s'est répercuté sur plusieurs générations.
Ce qui s'est perpétué, c'est le mensonge d'attribuer le massacre aux Allemands. J'ai connu des gens qui disaient à voix haute que c'était un crime soviétique. Une de mes condisciples à l'école de cinéma de Lodz a été emprisonnée, et n'a jamais réintégré l'école. Il fallait vraiment faire des choix. Pour moi, je savais qu'on ne vivait pas dans un pays libre, et j'ai toujours considéré qu'il fallait partir de cette réalité si on voulait la changer. Il fallait profiter des possibilités du moment (après Staline, il y a eu un certain dégel) pour raconter quelque chose de vrai. Le scénario de L'Homme de marbre a attendu douze ans avant que je puisse le réaliser. Jusqu'en 1989, faire un film sur Katyn était hors de toute possibilité. À la fin, le mensonge s'était transformé en silence complet sur le sujet.
Aujourd'hui, faut-il considérer que le dossier Katyn est clos ?
Les Russes essaient à présent d'accréditer la thèse que ce ne fut pas un crime de masse signé par Staline, mais le résultat d'une quantité d'incidents fragmentaires. Les Polonais qui viennent demander des renseignements sur leurs vingt-deux mille compatriotes massacrés ne sont guère compris d'un pays où les victimes se comptent par millions, et qui ne réclame pas. Mais il y a des exceptions. Lorsque Katyn a été montré à Moscou, lors de la discussion qui a suivi, une femme a fait passer un bout de papier jusqu'à la scène : elle demandait d'honorer les officiers polonais par une minute de silence. Pour cette minute de silence, il valait la peine de faire le film.
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« Entre requiem et réquisitoire », par M.N.T. :
Comment raconter à l'écran ce qui fut un massacre d'une barbarie absolue suivi d'une longue imposture étouffante ? Andrzej Wajda a pris le parti le plus juste et le plus profond : plutôt que d'aborder de front l'inhumanité stalinienne de Katyn, il filme son contrechamp, l'humanité des victimes.
Le scénario, largement puisé dans des témoignages vécus, entrelace les histoires individuelles de plusieurs officiers polonais et de leurs familles, séparés sans savoir ce que le destin leur réserve. Avec Anna, on espère le retour d'Andrzej, son mari, capitaine. Avec Roza, on apprend la mort de son mari, général, quand les Allemands publient des listes d'officiers assassinés, en 1943, après leur découverte des charniers de Katyn. Avec Agnieszka, on découvre ce qu'il en coûte de vouloir offrir une tombe à son frère, dans la Pologne de 1945 devenue communiste.
Le temps secret de la chronique intime fait une doublure émouvante au temps historique, dont Wajda trace les lignes brutales avec un sens du raccourci puissamment expressif : la Pologne doublement envahie, les déportations par les nazis, le crime soviétique publié par les Allemands, la dictature du mensonge et du silence instaurée par le communisme vainqueur. Le cinéaste a gardé pour la fin les images du massacre, comme un terrible mémorial.
Entre requiem et réquisitoire, Katyn est animé d'un grand souffle d'indignation et de piété.
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« Tout le symbole du mensonge totalitaire », par Stéphane Courtois* :
Longtemps nié par les autorités soviétiques, le massacre de dizaines de milliers de Polonais dont 12 000 officiers, n'a été avoué qu'en 1990 par Gorbatchev.
Le 23 août 1939, à la stupeur du monde entier, les régimes nazi et soviétique, qui semblaient les pires ennemis, signèrent un pacte nommé par antiphrase « de non-agression » puisque ses clauses secrètes décidaient du partage des sphères d'influence. La partie orientale de la Pologne était promise à Staline, ainsi que les États baltes et les provinces roumaines de Bessarabie et de Bukovine.
Fort de ce pacte, Hitler attaqua la Pologne le 1er septembre et l'Armée rouge la prit à revers à partir du 17 septembre. Le 28 septembre, la disparition de la Pologne était entérinée par un traité « d'amitié et de délimitation des frontières » entre les deux régimes totalitaires. Très vite, Staline engagea l'extermination des forces vives du pays occupé - les cadres militaires, politiques, économiques et intellectuels - dans ce qu'il faut bien nommer un génocide de classe.
Dès le 10 février 1940, 140 000 « koulaks » - propriétaires fonciers, paysans aisés - étaient arrêtés et déportés au Goulag soviétique. Fin février, Nikita Khrouchtchev, chef de l'Ukraine soviétique à laquelle était rattachée la Pologne orientale annexée, proposa à Staline de déporter les familles des officiers prisonniers de guerre, mais aussi de policiers, de gardiens de prisons, de gendarmes, d'agents secrets, de propriétaires terriens, d'entrepreneurs et de hauts fonctionnaires : soit plus de 65 000 personnes, surtout des femmes et des enfants. Le 2 mars, le Bureau politique du PC d'Union soviétique approuva cette proposition et, le 5 mars, il signa l'ordre d'exécution des chefs de famille visés plus haut, soit 25 700 Polonais. Parmi ceux-ci, près de 12 000 officiers qui furent tous assassinés, à Katyn (environ 4 400) et dans d'autres lieux. Ces massacres furent suivis de grandes opérations de déportation (75 000 personnes le 29 juillet 1940, des dizaines de milliers début juin 1941).
Campagne de désinformation
Entre septembre 1939 et juin 1941, les Soviétiques assassinèrent ou déportèrent plus de 440 000 Polonais. Et ces opérations reprirent, sur une moindre échelle, en 1944 quand l'Armée rouge pénétra à nouveau en Pologne orientale, puis lors de la prise de pouvoir par les communistes polonais.
En 1943 l'occupant nazi découvrit le charnier de Katyn et orchestra une formidable campagne de propagande anticommuniste. Les Soviétiques nièrent farouchement et dès qu'ils réoccupèrent le site de Katyn, fin 1943, ils organisèrent, film à l'appui, une campagne de désinformation et propagande qui, durant des décennies, fut relayée par les communistes du monde entier.
En mars 1959, Chelepine, le chef du KGB, adressa un rapport à Khrouchtchev, devenu le chef du PC soviétique. Avec le plus grand cynisme, il y rappelait le détail du massacre des officiers et se félicitait du succès de sa désinformation, estimant que désormais « les conclusions [soviétiques] s'étaient profondément enracinées dans l'opinion publique internationale ». En conséquence, il préconisait de détruire toutes les archives concernant l'affaire afin d'éviter « qu'un cas imprévisible [puisse] mener à la révélation de l'opération réalisée, avec toutes les conséquences désagréables pour notre État ». Khrouchtchev donna l'ordre de destruction.
Des excuses officielles
Durant les années 1960 et 1970, l'URSS poursuivit son mensonge d'État, allant jusqu'à interdire l'érection en Angleterre d'un monument privé à la mémoire des victimes de Katyn. Mais, sous la pression d'une Pologne passée après 1989 sous l'autorité de Solidarnosc, Gorbatchev fut contraint, le 13 octobre 1990, journée mondiale pour les victimes de Katyn, de présenter des excuses officielles au peuple polonais. Cependant, il fallut attendre décembre 1991 et sa passation de pouvoir à Eltsine pour que Gorbatchev exhume les ordres originaux d'exécution (1). Enfin, en octobre 1992, le nouveau président russe transmit officiellement copie de ces documents au nouveau président polonais, Lech Walesa.
Ainsi était amorcée une importante démarche en faveur de l'histoire et de la mémoire du totalitarisme en Europe. C'est à cette démarche que le film d'Andrzej Wajda vient donner une nouvelle dimension en rappelant aux Européens de l'Ouest - mais aussi à la Russie de Vladimir Poutine - la mémoire tragique du communisme dans « l'Autre Europe ».
* Historien, directeur de recherches au CNRS (Sophiapol-Paris-X). (1) On trouvera la plupart de ces informations dans Victor Zaslavsky, « Le Massacre de Katyn », Perrin, Tempus.
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Figaroscope (Marie Noëlle Tranchant) :
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande envahit la Pologne par l'ouest, l'Armée rouge par l'est. Au milieu, les officiers polonais disparaissent. Leurs familles attendent vainement des nouvelles jusqu'en 1943 : les Allemands publient les noms des officiers massacrés par les Soviétiques, découverts dans un charnier de la forêt de Katyn. Mais l'URSS est passée dans le camp des alliés. Le crime soviétique est toujours nié.
Wajda fait revivre cette tragédie nationale à travers l'attente, l'angoisse, l'espoir et le courage des femmes, des mères, des jeunes gens. En entrecroisant les histoires individuelles prises dans une vaste tourmente historique, le film pénètre au cœur du crime et du mensonge. Un grand requiem polonais, émouvant et puissamment dramatique.
Humanité (L') :
Histoire. Le plus célèbre des cinéastes polonais revient sur le massacre où a péri son père.
Katyn, d'Andrzej Wajda.
Pologne. 2 h 1.
En 1940 à Katyn, probablement quinze mille officiers de l'armée polonaise sont purement et simplement liquidés et balancés dans des fosses. Les coupables désignés de cette extermination sont les Allemands. Moi-même, participant il y a quelque trente ans de cela à une délégation très officielle en Union soviétique, ai été invité à me recueillir à Katyn sur ce symbole de la barbarie nazie. Mais
(la délégation comportait de vieux crabes, dont un des officiers supérieurs de l'escadron Normandie-Niemen) des phrases circulaient sous le manteau. L'Armée rouge aurait, sur ordre de Staline, été responsable du massacre. Le dire aujourd'hui, en - Pologne de surcroît, ne relève plus
du scoop mais on comprend que - Andrzej Wajda, qui perdit son père à Katyn à l'âge de quatorze ans, ait pu avoir envie, dans le cadre d'une superproduction apte à toucher des millions de spectateurs de surcroît, de revenir sur cette période de douleurs qu'il avait déjà abordée dans Génération, Kanal et Cendres et Diamant. C'est donc à travers une nouvelle fiction qu'il retrouve le chemin de sa mémoire, de sa propre résistance anticommuniste et de sa mère, Anna dans le film. Il y a là assez pour émouvoir.
Néanmoins, le résultat ne convainc pas. La première raison est que l'esthétique est surannée, vieillotte, académique en un mot. Piège incontournable où d'autres avant Wajda ont laissé des dents. Impossible de faire de l'avant-garde sur un tel sujet, et voici comment la forme se fige dans une intemporalité qui fait qu'il est impossible de savoir si l'oeuvre date d'aujourd'hui ou d'il y a bien longtemps (pourtant Wajda, dans les films précités, avait ouvert une voie possible...). L'autre cause de l'échec est plus subtile. Wajda intègre des documents d'archives soviétiques pour nous montrer que l'image peut mentir. Belle idée de cinéaste. Mais si l'image peut mentir, pourquoi alors ne pas douter de la version des faits rapportés par Wajda ? En bref, si je crois tout ou partie (la place manque pour soulever la question de sa représentation de l'antisémitisme en - Pologne) de ce qu'il affirme, c'est à partir d'un savoir extérieur, pas d'un point de vue intrinsèque. Comme - aurait dit Godard, est-ce une image juste ou juste une image ? Convaincu que l'affirmation d'une vérité suffit, Wajda n'est pas assez dialecticien pour traiter ontologiquement cette question. D'où, ce qui renvoie à notre réserve précédente, un film qui illustre son propos au lieu de secréter son - discours.
J.R.
Les Inrockuptibles :
Evocation lourdingue d'un drame national polonais.
En 1941, près de Katyn, en Pologne, les nazis mettent au jour des charniers contenant plus de 14 000 cadavres d'officiers, d'intellectuels et d'étudiants polonais. Pendant des décennies, Allemands et Soviétiques se rejettent la responsabilité du massacre. En 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît que le NKVD, sur ordre de Staline, en est bien l'auteur. A travers le portrait d'officiers polonais et de leurs familles, Andrzej Wajda, figure emblématique du cinéma polonais (et dont le père fut tué à Katyn), met en images la façon dont a été perpétré ce drame national. On comprend ce qu'il a voulu réaliser : une sorte de tombeau à des soldats tués par traîtrise. Hélas, son lyrisme se teinte dès les premiers plans d'un académisme empesé et d'une religiosité (un peu nationaliste) dont il ne se débarrassera jamais.
Le Journal du Dimanche :
En 1940, Staline ordonne le massacre à Katyn de 22.000 officiers et civils polonais, tout en accusant les Allemands d'en être les responsables. Andrzej Wajda, 83 ans, dont le père fut l'une de ces victimes, revient, dans ce film réalisé il y a deux ans, sur ce tragique événement. Il raconte aussi le destin de plusieurs femmes confrontées au deuil de leurs proches. Le réalisateur de L'Homme de marbre voulait revisiter son histoire et raviver les mémoires. Katyn est une réflexion sur le mensonge et la vérité, malheureusement très académique.
Métro (1er avril 2009, supplément sur les spectacles du mercredi, rubrique « Et aussi », p.23) [une erreur typographique est maintenue] :
Pour son retour derrière la caméra après plusieurs années d'absence, le cinéaste polonais Andrezj Wajda adapte le roman de son compatriote Andrzej Mularczyk consacré de plus de 15 polonais au massacre en 1940 par l'armée stalinienne, dans la forêt de Katyn. Une œuvre dense et solennelle qui refuse le spectaculaire, quitte à déplaire au jeune public.
Métrofrance.com :
Avec "Katyn" qui sort mercredi en salles, le cinéaste polonais Andrzej Wajda signe un film très personnel et revient sur un sujet longtemps tabou, un massacre nié par les Soviétiques qui, au contraire, accusaient, jusqu'à l'effondrement de l'URSS, le régime hitlérien.
Nommé à l'Oscar du meilleur film étranger en 2008 et montré hors compétition au festival international du film de Berlin l'an dernier, "Katyn" traite du "secret le mieux gardé de la censure" estime Wajda dont le père, Jakub Wajda, a été tué lors de ces évènements.
"Jusqu'à sa mort en 1950, ma mère n'a pas voulu croire qu'il avait été tué. Elle écrivait à la Croix-Rouge, en Suisse, à Londres...", avait dit à Berlin le réalisateur, 82 ans, qui n'en avait que 14 lorsque son père a disparu.
Il aura fallu attendre 1990 et le président Mikhaïl Gorbatchev pour que Moscou reconnaisse la responsabilité des Soviétiques dans ce massacre de 22.500 officiers polonais, en 1940.
"Katyn" conte avec sensibilité l'attente des femmes, leurs espoirs et leur incrédulité après la révélation de la tuerie en 1943 par les nazis, lorsqu'ils découvrirent les charniers.
"C'est une élégie, un film sur le deuil, sur la souffrance individuelle", sur ces femmes qui attendaient le retour d'un mari, d'un père, d'un frère, "mais pas un film politique", estime le cinéaste.
"Il fallait faire un tel film. Il faut voir pour faire son deuil et arrêter la douleur. Certaines images resteront dans la conscience collective".
L'auteur de "Kanal" (1957), "L'Homme de marbre", qui remettait en question l'époque stalinienne, et "L'homme de fer", Palme d'Or à Cannes en 1981, a assuré que "Katyn" était le dernier film de sa série historique.
Récompensé d'un Ours d'honneur à Berlin en 2006 et d'un Oscar d'honneur en 2000 pour sa carrière, Wajda avait aussi affirmé craindre une politisation de son film, à l'occasion du 55e anniversaire de la mort de Staline.
Il avait aussi protesté par lettre auprès du président polonais Lech Kaczynski, anticommuniste notoire, contre la tenue, en pleine campagne présidentielle, de cérémonies du souvenir du massacre de Katyn.
"Je ne voulais pas faire un film contre la Russie. D'ailleurs, dans la forêt de Katyn, à côté des fosses des officiers polonais, il y a aussi des milliers de Russes, de Biélorusses, d'Ukrainiens, assassinés dès 1937, dont on parle peu", avait-il affirmé.
Pour autant, la date choisie pour la sortie du film en Pologne, où il a eu quelque 3 millions de spectateurs, était très symbolique : ce fut le 17 septembre 2007, jour anniversaire de l'entrée des troupes de l'Armée rouge dans l'est de la Pologne, en 1939, en vertu du pacte germano-soviétique.
Depuis "Katyn", Wajda a signé "Sweet rush", en compétition à la Berlinale 2009 où il a reçu le Prix Alfred Bauer, et annoncé préparer un film consacré à Lech Walesa, le fondateur de Solidarité, le premier syndicat indépendant du bloc soviétique.
"Katyn" sera à l'affiche d'une quinzaine de salles en France.
Le Monde :
- « "Katyn" : film poignant et douloureux pour Wajda », par Jean-Luc Douin :
Dans les pays de l'Est, Katyn est un mot tabou. C'est le nom d'une forêt, en territoire russe, près de Smolensk, où les troupes allemandes trouvèrent en 1941 un charnier. Les cadavres de milliers d'officiers polonais exécutés d'une balle dans la nuque. Qui avait commandité ce massacre ? Les Allemands accusèrent les Soviétiques. Les Soviétiques désignèrent les Allemands. La polémique dura jusqu'à ce qu'éclate la vérité : en 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît officiellement que ces prisonniers de guerre avaient été fusillés par les services spéciaux du NKVD en avril 1940. En 1992, Boris Eltsine en livrera la preuve aux autorités de Varsovie : l'ordre du crime signé par Staline.
Rappel historique : lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l'Armée rouge est liée aux nazis par le pacte germano-soviétique signé en 1939. Hitler et Staline se sont mis d'accord pour se partager la Pologne, "ce bâtard né du traité de Versailles", comme dit Molotov, le ministre soviétique des affaires étrangères. Les Allemands attaquent, et, lorsque les Soviétiques franchissent à leur tour la frontière, Staline parle de tendre une "main fraternelle au peuple polonais", de défendre les Ukrainiens et les Biélorusses de la Pologne orientale. Son objectif caché est de détruire la Pologne, qu'il considère comme un Etat fasciste, et d'y imposer le système soviétique.
Andrzej Wajda tenait absolument à tourner un film sur ce traumatisme national pour deux raisons. La première est intime : son père faisait partie des officiers exécutés à Katyn. Cette histoire lui permet de rendre hommage au courage de sa mère et de régler quelques comptes avec sa propre histoire. Il s'est par ailleurs donné une mission messianique, celle de défendre l'identité d'un pays qui fut envahi, morcelé, déchiqueté. Katyn est un nouvel épisode de l'épopée de la survie d'un peuple qui n'a cessé d'être une proie pour ses voisins. Et de la détermination de Wajda à dénoncer la falsification de l'histoire par les communistes.
Morceau de bravoure de ce film, le spectacle terrifiant de l'assassinat systématique des officiers - dont on pousse le corps dans une fosse après avoir tiré à bout portant à l'arrière de leur crâne - est précédé par l'évocation des épisodes de cette tragédie (attaque armée des Soviétiques, découverte des restes, etc.), et la manière dont un certain nombre de Polonais vivent l'événement, essentiellement des femmes. Un capitaine de cavalerie est longtemps attendu par sa femme, sa fille et sa mère, qui ont gardé espoir à cause d'une confusion sur la liste des morts. L'épouse d'un général, la soeur d'un pilote vivent douloureusement le silence et les mensonges qui entourent la disparition de leurs proches.
A 83 ans, Wajda arbore une belle vigueur créatrice. Katyn est l'un des films les plus poignants qu'il ait réalisés depuis longtemps. Il faut savoir toutefois que, évoquant des sujets sensibles, Katyn encourt deux types de critiques.
La première concerne le renvoi dos à dos des nazis et des Soviétiques comme prédateurs du territoire national. Réalisé, comme L'Homme de marbre, dans un contexte politique consensuel, le film est conçu comme une bombe antisoviétique. On y voit le Politburo envoyer une universitaire de Cracovie en camp de travail ; on y entend les troupes polonaises clairement assimilées à des partisans de la Pologne libre, et comportant autant de scientifiques, professeurs, ingénieurs, juristes et artistes que de militaires de carrière.
Étrange confusion
Comme l'explique Victor Zaslavsky dans un ouvrage sur Le Massacre de Katyn (Tempus, 202 p., 7,50 €), les Soviétiques ont effectivement programmé la mort des officiers polonais, qui incarnaient les "ennemis objectifs", une intelligentsia bourgeoise, un vivier potentiel de résistance, ainsi que la déportation en camps de leurs familles. Ces exécutions de masse sont conçues comme un "nettoyage de classe".
La seconde est l'étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs. Rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah, mais une description des rafles, de la traque des familles d'officiers polonais, comme s'il s'agissait de la déportation des juifs en camps. Détail troublant : ces proies d'un massacre programmé sont viscéralement attachées à leur ours en peluche. Or le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l'ours un symbole de l'extermination des enfants juifs, du martyre d'un peuple.
Dans Katyn, sommée par les services allemands de dénoncer la responsabilité soviétique dans le massacre, la femme d'un général polonais est menacée d'être envoyée à Auschwitz... Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n'est jamais prononcé. Le juif n'existe pas. La victime de la seconde guerre mondiale, c'est le Polonais.
Pourquoi ce non-dit, cette confusion ? Andrzej Wajda aura traîné cette question toute sa carrière, puisque son premier film, Génération (1955) - évocation de la résistance contre les nazis -, occultait déjà cet enjeu capital de la guerre. Il est vrai que l'ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais dépasse sa personne.
Télérama (Pierre Murat) :
On retrouve avec émotion le style d'un cinéaste un peu oublié aujourd'hui (que c'était beau, pourtant, Les Noces et Les Demoiselles de Wilko !) et depuis quelques années silencieux. On retrouve ses profondeurs de champ, l'ampleur de ses mouvements de caméra, ses plans bleutés où la lumière semble toujours avoir du mal à se frayer un chemin à travers les rares ouvertures...
L'idée du film est venue à Wajda en entendant un lycéen polonais déclarer qu'à ses yeux le 17 septembre 1939 (date de l'invasion de la Pologne par les Russes) n'était rien d'autre qu'un « jour férié »... Trop, c'est trop ! D'où ce Katyn, évocation romancée, à partir de trois destins de femmes, du massacre, au début de la Seconde Guerre mondiale, de vingt mille officiers polonais (dont le père de Wajda).
Massacre fomenté par la police secrète de Staline, mais nié par les autorités soviétiques jusqu'à la reconnaissance du crime par Gorbatchev, en 1990... Le film est constamment sous-tendu par une haine féroce de l'hypocrisie militaire et par la volonté de renvoyer dos à dos l'Armée rouge et les troupes nazies. Il est tout imprégné d'un lyrisme à l'ancienne, beau et solennel, qui risque, hélas, de laisser totalement froid le lycéen polonais, indifférent à l'Histoire, pour lequel il a visiblement été fait.
La Tribune :
"Katyn", d'Andrzej Wajda, raconte le massacre de 22.0000 officiers polonais par les Soviétiques durant la dernière guerre. Crime que le régime communiste a toujours nié. Dans son film fleuve, le réalisateur revient sur ce drame qui lui est personnellement cher. Son père est mort à Katyn.
Un pont, le matin du 17 septembre 1939. D'un côté, une foule de civils polonais fuit la barbarie nazie qui a déferlé sur le pays quinze jours plus tôt. A l'autre extrémité, d'autres Polonais. Eux refluent devant l'avancée des troupes soviétiques qui viennent, à leur tour, d'envahir leur pays. Dans cette scène d'ouverture de "Katyn", Andrzej Wajda résume le drame polonais, de cet Etat historiquement pris en tenailles par de puissants voisins.
Mais, cette fois, l'ignominie va atteindre son comble : sur ordre de Staline, 22.000 officiers et hauts fonctionnaires polonais, faits prisonniers par l'URSS, sont ensuite froidement exécutés d'une balle dans la tête, au printemps 1940, par les agents du NKVD (l'ancêtre du KGB) dans la forêt de Katyn, en Russie. Le père d'Andrzej Wajda était l'un d'eux.
Mais le drame ne s'arrête pas là. Quand les Allemands découvrent les charniers en 1943, ils font de ces massacres l'un de leurs instruments de propagande antisoviétique. En réaction, l'URSS accuse les nazis d'être responsables des meurtres. Avec la défaite de l'Allemagne et l'instauration de la guerre froide, cette version devient la "vérité officielle" imposée en Pologne pendant cinquante ans. Jusqu'à l'effondrement du communisme en 1989.
Gorbatchev puis Eltsine reconnaissent alors que les massacres de Katyn étaient bien dus au NKVD. Ce mensonge d'Etat a traumatisé la Pologne et toutes les familles d'officiers qui n'ont jamais pu savoir ce qu'il était réellement advenu d'un père, d'un frère ou d'un mari disparu. La mère d'Andrzej Wajda faisait partie de ces malheureux.
C'est cette épouvantable histoire que raconte le "Katyn" d'Andrzej Wajda. Le réalisateur a eu bien du mal à faire aboutir son projet, faute de pouvoir accéder pendant longtemps à du matériel historique fiable. Son film est double. Il narre, d'abord, avec une minutie clinique, sans aucun pathos, voire de façon très académique, le cheminement vers la mort d'un groupe d'officiers. C'est criant de vérité et, quand l'inéluctable survient, l'on a envie de détourner son regard.
L'opus s'attache, ensuite, à expliquer comment le mensonge s'est installé à travers le destin de compagnes ou de fils d'officiers exécutés. Ici c'est un garçon qui ne peut être admis dans une école car il clame haut et fort que son père a été tué par les Soviétiques à Katyn. Là, c'est une jeune fille, enfermée à la libération de la Pologne, car elle a osé faire graver une stèle à la mémoire de son frère où la date du décès indiquée laisse entendre que ce sont
les communistes qui l'ont exécuté.
Une œuvre froide donc, efficace, mais aussi parfois un peu superficielle. Voulant saisir le problème de Katyn dans sa globalité, l'auteur n'a manifestement pas eu les moyens de s'arrêter davantage sur tel ou tel aspect de l'affaire. Les détracteurs de Wajda lui reprocheront également de trop flatter la fibre nationaliste - déjà exacerbée - des Polonais. On remarquera aussi la bande-son, une musique volontairement lugubre du compositeur Krzysztof Penderecki.
Valeurs actuelles :
« Katyn massacré » :
J'espère pour vous, amis lecteurs, que vous êtes abonnés à Canal + Cinéma. Sinon, comme 99 % des Français, vous ne pourrez tout simplement pas voir le film consacré par Andrzej Wajda à Katyn. À moins d'attendre sa sortie en DVD, si jamais elle a lieu...
C'est une histoire incroyable, ou plutôt deux ! Un massacre de masse froidement décidé par Staline contre le peuple et l'élite polonais ; et puis sa négation permanente, par tous les moyens, depuis tantôt soixante-dix ans.
Toute l'œuvre de Wajda ne parle que de son pays - ou depuis son pays, ce qui revient au même. Pourtant, ce n'est qu'à l'aube de ses 80 ans qu'il se décidera - « enfin », allais-je dire, mais surtout le premier... - à évoquer cette tragédie, à coup sûr l'une des plus atroces de l'histoire de la Pologne, qui pourtant n'en est pas avare. Le cinéaste est d'autant mieux placé pour parler de l'horreur de Katyn que son propre père en fut victime.
Le film a été distribué partout dans le monde, "y compris l'URSS", comme on disait dans ma jeunesse. Il a fait l'objet en 2007 d'une nomination aux Oscars. En février de l'an dernier, il était projeté en ouverture du 58e Festival international du film de Berlin, en présence d'Angela Merkel. Il n'y a qu'en France que Katyn soit resté étrangement absent des salles. Certes, il a été projeté au Festival du film polonais de Lille ! Mais c'est pas non plus Bienvenue chez les ch'tis.
Quant à la télévision, s'il y avait dans ce pays un service public digne de ce nom, c'est évidemment là que ce document aurait dû avoir sa place. Une page d'histoire aussi glaçante, et en même temps aussi instructive sur l'époque et la nature humaine, c'était tout indiqué compte tenu de la "mission" de France Télévisions, même avant la disparition de la pub (19 h 59, lundi prochain).
Bref, indispensable pour l'édification des jeunes générations... et même des plus anciennes puisque, rappelons-le, jamais depuis soixante-dix ans ce drame n'avait fait l'objet d'un film. Eh bien, en fait, Katyn n'aura été diffusé, dans la plus grande discrétion, que sur une des quatre déclinaisons numériques de Canal +. Le tout en plein milieu des "fêtes", comme si 22 000 cadavres étaient plus faciles à digérer entre la dinde et le foie gras.
À qui profite ce crime de lèse-mémoire, ou plutôt de lèse-Histoire ? Pourquoi ce carnage planifié reste-t-il tabou, soixante-dix ans après, en France et nulle part ailleurs ? J'ai du mal à suivre... Ce que je sais, en revanche, c'est que nous ne serons pas les derniers à rendre hommage, une fois encore, à Ernesto "Che" Guevara, le plus photogénique des tueurs communistes. Le premier volet de son hagiographie sort sur tous nos écrans mercredi prochain, et déjà le magazine Première nous l'annonce : « Ce que le film raconte, c'est une Passion au sens christique du terme. » Dans ces conditions, ils auraient pu attendre Pâques, non ?
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« Katyn ou la tragédie du mensonge »
5 mars 1940. Staline décrète l'extermination de l'élite polonais
Un film poignant d'Andrzej Wajda ressuscite le destin de ces 22 000 polonais exécutés par le NKVD. Un crime que les Soviétiques imputèrent aux Allemands jusqu'en 1990 !
C'est comme s'ils étaient morts deux fois. Au printemps de 1940, quand le NKVD les a liquidés d'une balle dans la nuque ; et jusqu'en 1990, puisqu'il était interdit à leurs familles, qui savaient la vérité, de dire qui les avait assassinés. Une transgression punie de prison sous Staline puis par une persécution de chaque jour infligée aux descendants des victimes, de l'interdiction faite de suivre des études supérieures à la fermeture des emplois publics, sans compter la surveillance exercée par l'appareil policier.
Ce double drame, que Varsovie se bat pour ériger au rang de crime contre l'humanité, les Français le revivront, et, pour beaucoup, le découvriront, ce 1er avril au cinéma, avec un an et demi de retard par rapport à leurs voisins (3 millions de spectateurs en Pologne, autant en Allemagne, un début prometteur en Russie !) et, sans doute, une émotion proportionnelle au tabou auquel s'est attaqué Wajda. Moins la tragédie en elle-même que la manière dont les communistes se sont attachés à l'extirper de la mémoire polonaise, après être parvenus à en faire un "non-sujet" au procès de Nuremberg.
Le 17 septembre 1939, fuyant vers l'est, les débris de l'armée polonaise rescapés de l'offensive allemande commencée le 1er tombent aux mains de l'Armée rouge qui, conformément aux clauses secrètes du pacte germano-soviétique du 23 août, vient officiellement "au secours" des populations biélorusses et ukrainiennes de Pologne orientale. Le 29 septembre, au lendemain de la chute de Varsovie, le septième partage de la Pologne de l'Histoire est entériné : à l'Ouest, les Allemands instituent le "gouvernement général" ; à l'Est, les Soviétiques annexent purement et simplement les territoires entrés en leur possession.
À cette date, environ 250 000 soldats polonais, dont 15 000 officiers, sont prisonniers des Soviétiques. La moitié des simples soldats et des sous-officiers sont relâchés peu après, les autres étant "traités" par le NKVD.
Sur ces 125 000 hommes remis à la police politique de Staline, 42 000 seront libérés car originaires d'Ukraine ou de Biélorussie, et 43 000 autres, issus de Pologne occidentale, livrés aux Allemands. Les 40 000 restants seront déportés en Russie.
Parmi ceux-ci, les 15 000 officiers capturés lors de l'invasion soviétique, mais aussi plus de 6 000 policiers et fonctionnaires issus des "classes hostiles", selon la terminologie du NKVD.
Les officiers, parmi lesquels de nombreux étudiants, incorporés systématiquement dans l'armée de réserve par le système de conscription polonais, sont déportés à Kozelsk et à Starobielsk ; les policiers, les gendarmes et les cadres du scoutisme (essentiels dans la formation de l'élite catholique polonaise d'avant-guerre) à Ostachkov, où les rejoindront de nombreux médecins, scientifiques, juristes et universitaires, mais aussi des prêtres.
Qu'en faire ? Staline ne tergiverse pas longtemps. Il distingue les Polonais "utiles", séparés en deux camps - ceux qui sont prêts à collaborer avec le régime et ceux qui, à raison d'un million d'entre eux, seront déportés au goulag pour servir la machine de guerre soviétique -, et ceux qui, non seulement ne lui serviront pas, mais pourraient contribuer à la renaissance d'une Pologne indépendante.
Le 5 mars, il fait signer par le Politburo l'ordre d'exécution des "contrerévolutionnaires" préparé par Beria, le chef de sa police.
Entre le 3 avril et le 13 mai 1940, les prisonniers du camp de Kozelsk sont transportés dans la forêt de Katyn,non loin de Smolensk, ceux de Starobielsk dans les locaux du NKVD à Kharkov et ceux d'Ostachkov à Kalinine (Tver, aujourd'hui). La même opération se déroule simultanément en Ukraine et en Biélorussie pour 7 800 fonctionnaires polonais membres de divers réseaux de résistance, extraits de leurs prisons pour être exécutés. Soit plus de 22 000 personnes. La méthode qui préside au massacre est tristement traditionnelle chez les Soviétiques depuis les années 1920 : chaque prisonnier est amené, les mains liées dans le dos, au bord d'une vaste fosse commune fraîchement creusée par un bulldozer qui attend,moteur tournant. Puis, un homme du NKVD lui tire une balle dans le crâne. Pas besoin de coup de grâce : quand la fosse sera remplie, le bulldozer ensevelira les corps sous trois mètres de terre, puis nivellera le terrain. La routine de l'horreur.
Or, un an plus tard, le 22 juin 1941, Hitler rompt le pacte germano-soviétique et lance 160 divisions à l'assaut de l'URSS. Parcourant 100 kilomètres par jour jusqu'au 28 juin, les Allemands réussissent la plus grande percée mécanisée de l'histoire militaire : Smolensk tombe le 16 juillet, Kiev le 19 septembre, Odessa le 16 octobre. L'offensive ne s'arrêtera, en décembre, que devant Moscou.
C'est alors que, les exactions allemandes succédant à celles du NKVD, la Wehrmacht découvre, presque par hasard, les traces du passé récent, aubaine inespérée pour les équipes de la Propaganda Staffel qui, pour une fois, n'auront guère besoin de mentir ! Courant août, soit quelques semaines après la chute de Smolensk, un premier charnier d'une centaine de corps est découvert dans la forêt de Katyn. Les plaques d'identité, papiers et autres photos retrouvées sur les corps parlent d'eux-mêmes : il s'agit d'officiers polonais. Ce n'est qu'un début. À la fin 1942, sur la foi d'informations recueillies auprès de paysans russes, la Wehrmacht exhume plusieurs nouvelles fosses. Et en mars 1943, 4 500 corps sont déterrés d'un coup.
Le 13 avril 1943, Radio Berlin rend publique la nouvelle, aussitôt démentie par Moscou, qui impute évidemment aux Allemands la responsabilité du massacre. Exploitant leur découverte, les autorités du Reich forment une commission d'enquête internationale qui se rend sur place et reconstitue la liste complète des victimes, immédiatement communiquée aux familles.
Certes, les membres de la commission d'enquête appartiennent à des pays occupés par l'Allemagne (France, Danemark, Belgique, Pays-Bas) ou alliés du Reich (Italie, Finlande, Hongrie, Roumanie, Bulgarie). Mais des représentants de la Suède et de la Suisse, neutres, participent à la rédaction du livre blanc qui s'ensuit. Surtout, le général Sikorski, chef du gouvernement polonais en exil à Londres, qui connaît personnellement plusieurs des officiers exécutés par les Russes, donne quitus à ses conclusions. Mieux : il appuie la demande de Berlin de faire corroborer son enquête par l'envoi sur place d'une commission internationale de la Croix-Rouge (à laquelle participent, cette fois, des belligérants alliés, Américains et Britanniques, notamment). Celle-ci arrive bientôt aux mêmes conclusions que la commission réputée "proallemande".
Fureur à Moscou. Taxant Sikorski de « collusion » avec les « hitléro-fascistes », Staline tire prétexte de sa position pour rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement polonais réfugié à Londres - lesquelles, de toute façon, étaient purement symboliques, l'URSS ayant depuis longtemps décidé de remplacer la République polonaise « bourgeoise » d'avant-guerre par une « démocratie populaire » à sa solde, une fois le IIIe Reich vaincu... Mais, le 4 juillet, l'avion de Sikorski s'écrase au décollage à Gibraltar. Pour les Polonais non communistes, aucun doute : il s'agit d'un sabotage, voire d'un assassinat maquillé, le pilote de l'appareil, un Tchèque dont on a perdu la trace, étant sorti indemne de l'accident.
De fait, Sikorski était devenu un gêneur. Pour les Russes, mais aussi pour les Anglo-Saxons qui, en pleines négociations avec les Soviétiques, avaient finalement refusé, quelques jours plus tôt, de reprendre à leur compte les conclusions de la Croix-Rouge.
Un an plus tard, l'URSS reprenait la main sur le dossier. Ayant reconquis la zone des charniers, l'Armée rouge procédait à une seconde exhumation des corps, et un nouveau rapport établissant « sans contestation possible » la responsabilité des Allemands était publié sous l'égide du Pr Nikolai Burdenko, de l'Académie des sciences médicales de Moscou... non sans que la forêt de Katyn soit érigée en zone militaire spéciale et interdite au public jusqu'en 1991, dernière année d'existence de l'Union soviétique !
Mais, au procès de Nuremberg, nouveau coup de théâtre. Le rapport Burdenko étant versé au dossier de l'accusation - donc au passif des Allemands -, l'un des procureurs soviétiques,Nikolai Zoria, émet des doutes inattendus sur sa « valeur probante ». Pour récuser du même mouvement le livre blanc allemand, lui-même joint à la procédure ? Le lendemain, on le retrouve mort dans son lit. Les Soviétiques parviendront cependant à faire récuser tous les témoins désireux de défendre la thèse de la Croix-Rouge. Mais pas à faire porter le chapeau aux Allemands, dont la barque, il est vrai, était déjà bien chargée.
Résultat : le nom de Katyn est absent des vingt-deux jugements constitutifs du verdict, comme s'il s'agissait d'un non-événement. Et pour cause : seuls les Allemands étant susceptibles d'être jugés à Nuremberg, les Soviétiques ne pouvaient, en raison même de leur statut de vainqueur, faire l'objet de la moindre procédure. Cela conduisait l'État communiste polonais à en profiter pour persécuter les familles d'officiers persistant à attribuer à Staline la responsabilité du massacre.
Il faudra attendre 1990 pour que Mikhaïl Gorbatchev, désireux d'assainir ses relations avec Varsovie, reconnaisse verbalement la responsabilité du NKVD dans l'éradication programmée des élites polonaises. Et 1992 pour que Boris Eltsine remette à Lech Walesa, alors président de la République de Pologne, une copie des archives du Politburo retraçant, en détail, le déroulement de ce meurtre de masse, dont aucun des responsables, contrairement aux crimes hitlériens, n'aura été jugé.
La Vie :
Des officiers sortis d'un fourgon, poussés un à un dans une cellule et exécutés d'une balle dans la nuque. D'autres suppliciés au bord d'une fosse, liquidés avec la même froideur, au milieu d'une forêt de pins. C'était Katyn, au printemps 1940. Les faits sont connus. Restait à mettre des images sur ce massacre perpétré sur ordre de Staline. À redonner un visage à ces soldats. Andrzej Wajda, dont le père comptait parmi les victimes, raconte. La débâcle, la capture, le sentiment du devoir qui interdit l'évasion, l'espoir d'une libération et puis l'attente des familles, l'espoir jamais éteint d'un retour. Et, après-guerre, le mensonge officiel, la vérité détournée, confisquée par les autorités communistes. La femme d'un capitaine, disparu dans la tourmente, et son fils incarnent cette histoire. À 83 ans, Wajda n'échappe toutefois ni à une forme d'académisme ni au piège du didactisme. Mais ces pesanteurs n'occultent pas le caractère impérieux de ce film, mûri au fil d'une vie.