KATYN : VOICI DÉJÀ VENIR LES CONTRE-FEUX
Le 11 janvier dernier, j'écrivais, dans « Tu n'as rien vu à Katyn », que je ne croirais à la sortie en France de Katyn que le jour où j'aurai le film d'Andrzej Wajda « sous les yeux, dans un cinéma de la région parisienne ». J'ai toutefois pu le voir grâce à son passage sur Canal et me suis réjoui le 24 janvier de sa qualité dans « Viva Wajda ! ». Cette fois, quelques distributeur et exploitants courageux, peu nombreux paraît-t-il (1), étant venus à bout des résistances, la sortie du film est annoncée pour mercredi prochain, le 1er avril. Il ne semblerait pas que ce soit un poisson d'avril, des avant-premières étant également annoncées, notamment au Champo (séance organisée par la revue L'Histoire, avec Antoine de Baecque, Stéphane Courtois et Alexandra Viatteau, mardi 31 mars à 20 heures).
Autant avais-je donc tort d'aller jusqu'à douter que le film finirait par sortir, autant je puis maintenir ma prédiction du 11 janvier sur le peu d'empressement des médias et salles françaises à promouvoir un film sur les massacres du communisme. L'accueil critique devrait être à l'unisson, comme je le pressentais aussi : « la genèse, le parcours, l'exploitation (à tous les sens du terme, ne tarderont pas à dire les gardiens du temple) et les diverses réceptions de Katyn mériteraient d'être analysés en détails tant ils sont aussi instructifs que le film lui-même ». D'ores et déjà, quelques contre-feux ont été allumés. Contentons-nous pour aujourd'hui de deux exemples.
"Zéro de conduite", site sur « l'actualité éducative du cinéma », s'est fendu d'un petit article sur son blog (2), qui se termine ainsi : « Mais s'il dénonce la censure de l'Histoire par le régime communiste, le film n'est pas à l'abri de la récupération et de l'instrumentalisation par le gouvernement actuel, dans un contexte doublement sensible : les tensions avec le voisin et ex-grand-frère russe, et la campagne interne de lustration, chasse aux dernières sorcières communistes... » Ce n'est pas moi qui surligne en gras. J'attirerai plutôt l'attention sur le « Mais », annonce d'une procédure de diversion qui devrait avoir bien des équivalents dans la presse mercredi prochain, le plus probable étant cependant l'accueil tiède et discret, comme c'est le cas par exemple dans le mensuel de cinéma Studio (3) - mieux vaut encore passer sous silence ou s'attarder le moins possible sur un film ou un fait qui dérange pour l'étouffer dans l'œuf plutôt que de l'attaquer de front et franchement.
Plus culotté est le procédé trouvé par le « magazine culturel » Transfuge (« Littérature et Cinéma »), dans son n°28 de mars 2008, qui intitule son « Essai du mois » (signé Vincent Jaury, son rédacteur en chef) « Le cinéma polonais, antisémite ? » (p.16-17). Sujet éculé que la sortie en janvier d’un livre sur Juifs et Polonais : 1939 à nos jours permet de réactiver opportunément pour traiter le film de Wajda de manière biaisée, en conclusion : « Il y a fort à parier que le débat reprendra avec la sortie du film Katyn où le mot juif n’est pas une seul fois prononcé. » Pourquoi le serait-il au sujet d’un film sur le massacre d’officiers polonais par les Soviétiques ? Mystère. En revanche, il est clair que Vincent Jaury a trouver là le moyen de ne pas parler du film lui-même. De la même façon que Bernard-Henri Lévy assimile à tour de bras tout antiaméricanisme à de l’antisémitisme, voici venu le temps où l’on fait plus que sous-entendre que tout anticommunisme, ou la dénonciation de ses crimes, ne serait pas exempt d’antisémitisme. Cela vaut la peine de parler de "débat", comme Vincent Jaury fait mine de l’appeler de ses vœux, quand l’on en est réduit à ce genre d’argument !

(1) Six copies en France selon Benoît Gousseau (critique littéraire et rédacteur en chef du mensuel Politique Magazine), interrogé dans l'émission du « Libre journal de Jacques Trémolet de Villers » consacrée au sujet (Radio Courtoisie, jeudi 19 mars 2009, de 19h30 à 21h00, « Le cinéma d'hier et d'aujourd'hui » - enregistrement).
(2) À quand un « dossier pédagogique » d'au moins une vingtaine de pages, comme pour d'autres œuvres à dimension historique (telle Indigènes) ?
(3) Studio Ciné Live, n°3, avril 2009, p.38 : « Quand le cinéma se conjugue avec le devoir de mémoire », le dit "devoir" étant expédié en un quart de pages (la revue en comportant cent soixante quatre), ce qui me rappelle un compte rendu d'un ouvrage sur le génocide arménien que Patrick Kéchichian qualifiait de « monument », « Le Monde des livres » ne lui ayant cependant concédé qu'un sixième de page environ...
Compléments :
- Le massacre de Katyn selon wikipédia.