Mister Arkadin

Y A-T-IL ENCORE UN LECTEUR DANS LA SALLE ?

23 Juillet 2008, 01:27am

Publié par Mister Arkadin

« Plus de rayon cinéma. » J’ai dû demander confirmation au libraire pour y croire vraiment. De retour d’un séjour à Lyon, je n’en reviens toujours pas que "Le Père penard", l’une des librairies de France les plus fournies en bouquins et revues d’occasion, délaisse le cinéma (essentiellement pour se spécialiser en BD). On y trouve encore ici ou là, à l’étage, dans ses nombreuses collections de périodiques anciens, quelques numéros sur le cinéma. Il est par exemple possible d’y acheter en ce moment les deux numéros sur le cinéma de la revue L’Age nouveau (« Devenir du cinéma », publié en 1955, et « Préhistoire du cinéma », 1960) ou tel bulletin des amis de Jean Giono sur Un roi sans divertissement. Mais c’est bien tout. Pour moi qui ai fréquemment enrichi au Père penard mes collections de revues de cinéma (Jeune cinéma par exemple) et surtout ma collection de numéros sur le cinéma publiés par des périodiques non spécialisés en cinéma (L’Ane, Art Press, Atlantis, le Bulletin des Amis d’André Gide, le Bulletin du Vieux Saint-Étienne, les Cahiers de l’histoire, les Cahiers de l’Université de Perpignan, les Cahiers de la Méditerranée, Dérives, Jungle, Lui, Masques, La Nef, Recherches soviétiques, etc.), c’est un choc. Maigre consolation, le rayon érotique résiste un peu à l’envahissement de la BD, mais n’offre que le dixième de ce que l’on pouvait y trouver il y a trois ou quatre ans.

Après ma déception d’avril, qui m’a vu revenir de Bruxelles avec à peine une valise de livres et revues en tous genres, alors qu’un coffre de voiture m’aurait été nécessaire quelques années auparavant, après la disparition de plusieurs librairies du cinéma, c’est un nouveau coup dur pour le collectionneur que je suis. Si les librairies abandonnent les unes après les autres la vente de périodiques, notamment de cinéma, j’imagine que c’est faute d’acheteurs. Mais, bientôt, faute de vendeurs, disparaîtront aussi les acheteurs potentiels, et sans doute aussi jusqu’aux derniers connaisseurs de la cinéphilie livresque. Ne subsisterait déjà plus qu’une "niche", comme l’a dénommée Antoine de Baecque lors d’un débat sur l’édition de livres d’histoire du cinéma, de 3 à 4.000 lecteurs. « Le cinéma a une réputation de sinistrose auprès des éditeurs » et « en termes économiques, l’édition de cinéma n’existe pas », a renchéri Michel Marie. Michel Ciment, à la fin de sa carrière, déplorait que les étudiants en cinéma ne lisent plus guère que Première ou Studio, plutôt que les Cahiers ou Positif ; au moins lisaient-ils encore quelque chose…
Lors de mon dernier passage à la librairie Gilda, j’ai tenté de revendre quelques numéros de revues, notamment de Cinémathèque. En vain : le libraire m’a expliqué qu’il n’achetait plus de revues, même Positif et les Cahiers, faute d’acheteurs. J’ai eu beau lui expliquer que s’il n’y avait plus d’offres, il n’y aurait bien sûr plus de demandes, que moi-même, si je n’avais pas déjà en double les numéros que je voulais lui vendre, je serais très heureux de les lui acheter, rien n’y fit. Je me souviens d’un dialogue de sourds similaire avec le libraire de Ciné Reflet. Il vendait ses Saisons cinématographiques trop cher pour que je puisse les lui acheter, mais ne voulait pas me prendre celles que je lui proposais, car il en avait trop en stock. Je suppose qu’il doit toujours les avoir dans ses cartons…

Certes, il pourrait m’être rétorqué que d’autres supports de lecture sont désormais privilégiés, qu’Internet supplée, avantageusement sur bien des points, le support papier, que ceci ne tuera pas cela, que d’autres canaux de vente se sont ouverts (e-bay, notamment), etc. Je les utilise moi-même largement, par ailleurs. La nostalgie ayant toujours fait bon ménage avec la cinéphilie, on me permettra toutefois d’y céder encore un peu.