LA MISE EN SCÈNE, SUJET DE LA CRITIQUE
Les petites notes de Jean-François Rauger sur « Les films de la semaine », publiées dans le supplément Radio-Cinéma du Monde, sont infiniment précieuses pour prendre le pouls des tendances de la critique qui se veut d’avant-garde. Cette semaine encore, Jef fait preuve d’une admirable concision pour nous rappeler le dogme suprême de la critique éclairée, celle qui nous guide en matière de bien-disant culturel, celle qui détermine presque immanquablement ses avis. Voici ce qu’il écrit à propos d’Exodus, le film d’Otto Preminger dont une contrefaçon passe cette après-midi sur FR3 : « Une infirmière américaine prend fait et cause pour la cause sioniste. Une leçon de mise en scène quasi parfaite que ne peut pas faire oublier le "grand" sujet du film. »
Admirable condensé de la pensée dominante dans la critique française, pour laquelle la notion de « mise en scène », suffisamment floue pour désigner un peu tout ce que l’on veut ou pour dissimuler que l’on ne désigne ainsi pas grand-chose d’autre que son goût (cela ferait un peu cheap d’écrire tout simplement « j’aime… j’aime pas »…), prévaut toujours sur le sujet des films. Cette absolue supériorité de la forme sur le fond est d’autant plus affirmée quand le fond concerne un "grand" sujet, dont le traitement ne saurait influencer le jugement que l’on porte sur le film, ce jugement ne devant reposer que sur l’évaluation de la "mise en scène" (à laquelle quel sujet que ce soit, même, et surtout "grand", pourrait-on écrire, ne doit pas faire d’ombre). On aura reconnu la stigmatisation des "grands" sujets par Claude Chabrol, du temps où il était encore critique aux Cahiers du cinéma, bible du cinéphile moyen. Cela date des années cinquante, référence ultime de notre avant-gardiste.
À force, Jef finira par nous rendre plus que sympathiques les inénarrables Burch et Sellier, les éternels pourfendeurs du formalisme critique et promoteurs aussi infatigables de la « quête du sens » (une autre que celle du tandem Mougeotte / Le Lay…).