LE TOUR DE GODARD
Une pleine page sur Jean-Luc Godard aujourd’hui dans Le Monde !
Jean-Luc Douin a-t-il vu en avant-première son dernier film, Socialisme ? Nous entretient-il d’une traduction du monumental bouquin signé par l’Américain Richard Brody ou du prochain Baecque, que l’on nous annonce être également une biographie du maître suisse ?
A-t-il résolu le mystère de l’exposition du Centre Pompidou ?
Évoque-t-il une transcription de la conversation de janvier 2005 entre Elias Sambar et Jean-Luc Godard, qui devait, si mes souvenirs sont bons, paraître dans La Revue d’études palestiniennes, hélas défunte ?
Nous n’y sommes pas encore, mais nous brûlons, puisqu’il est question, dans les deux articles de Jean-Luc Douin qui composent la page 3 du Monde, de l’antisémitisme qui pourrait être prêté à Jean-Luc Godard, à partir d’une phrase consignée dans un livre d’Alain Fleischer, qui fait elle-même suite au film de ce dernier, Morceaux de conversation avec Jean-Luc Godard.
Pierre Assouline avait déjà attiré notre attention en juin dernier sur la question, après avoir examiné le rapport trouble de Jean-Luc Godard aux écrivains de la Collaboration, et notamment à Robert Brasillach (que questionne un blogueur us), dans "Mr Godard va à Hollywood". Il renvoyait à la section « La question juive » d’un gros dossier « Pour Jean-Luc Godard » établi par Maurice Darmon sur son site, "Ralentir travaux" (5).
La documentation s’accumule donc, mais les déclarations de Godard, à ce sujet comme sur bien d’autres, restent suffisamment ambiguës pour que le dossier ne soit pas près d’être refermé.
À ce propos, tout ma reconnaissance à la personne qui pourrait me retrouver les propos sur Philippe Henriot publiés par JLG dans La Gazette du cinéma au début des années 1950…
Compléments (20 décembre 2009 pour les deux premiers, 27 décembre 2009 pour le troisième, 17 novembre 2010 pour le quatrième) :
(1) Un lecteur me fait remarquer que "Pour un cinéma politique", article paru dans le n°2 de La Gazette du cinéma (juin 1950), a été reproduit dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard (tome 1, 1950-1984, Éditions Cahiers du cinéma, 1998, p.72-74). Godard y écrit en conclusion : « Cinéastes français qui manquez de scénarios, malheureux, comment n'avez-vous pas encore filmé la répartition des impôts, la mort de Philippe Henriot, la vie merveilleuse de Danielle Casanova ? » (4) Dans le même volume est reproduit un entretien donné à L'Autre journal (n°2, janvier 1985) dans lequel Godard déclarait : « Dans ma famille, ils ne nous ont rien appris mais ils étaient très tolérants. C'était une famille de collaborateurs ; la première que j'ai été au cinéma, c'était à Vichy, j'avais dix ans. Je me souviens que pendant la guerre on écoutait les éditoriaux de Philippe Henriot. Je lisais les romans de Paul Chak que j'aimais beaucoup. Il y en a certains que j'aimerais bien filmer : Trafalgar, Des Dardanelles aux Côtes-du-Nord. Le jour où Brasillach a été fusillé, ça a été un deuil dans la famille. »
(2) La médiatrice du Monde, Véronique Maurus, consacre sa chronique du 5 décembre 2009 (p.22) à "la question Godard", de nombreux lecteurs ayant trouvé disproportionnée la place accordée par leur journal à cette tempête dans un verre d'eau. Elle y reproduit la réponse de Jean-Luc Douin, le fameux journaliste qui s'était déjà illustré à l'encontre de Wajda et qui se défend en assurant n'avoir "rien inventé" : « La phrase monstrueuse n'est pas dans le film, Fleischer n'a pas de témoin et les proches sont gênés, mais il n'est pas invraisemblable que Godard l'ait dite, ne serait-ce que par provocation. » Il se confirme donc que Le Monde a choisi de consacrer sa page 3 à une phrase dont il n'a pas pu prouver qu'elle avait été prononcée, car rien ne prouve pas qu'elle n'a pu l'être.
(3) Mettre en cause Jean-Luc Godard, non pour ses films mais pour ce qu'il aurait pu dire ou ne pas dire, semble à la mode en ce moment, Bernard-Henri Lévy s'y livrant, à propos de l'insuffisance du nombre de voix se faisant entendre contre la Suisse, sans que l'on soit sûr de bien comprendre pourquoi il s'en prend spécifiquement à JLG : « Où sont passés les collègues cinéastes de Polanski ? Pourquoi ce silence assourdissant de quelqu'un comme Jean-Luc Godard ? »
(4) Dans la fiche de présentation de La Gazette du cinéma proposée par le site de la Bibliothèque du Film (Cinémathèque française, Paris), cette phrase de Godard est citée avec une coupure après « répartition des impôts ».
(5) Ce travail n'est plus accessible intégralement en ligne depuis qu'il a fait l'objet d'une publication en volume, sous le titre La Question juive de Jean-Luc Godard (Éditions Le Temps qu'il fait, 2011).