CE QU'IL Y A DE TERRIBLE, C'EST QUE GUÉDIGUIAN A SES RAISONS
La fameuse sentence d'Octave prononcée par Jean Renoir dans La Règle du jeu ("ce qu'il y a de terrible sur cette terre, c'est que tout le monde a ses raisons") est devenue le mot d'ordre de la critique pour caractériser ce que doit être le regard juste d'un metteur en scène sur ses personnages. Certains cinéastes consciencieux semblent également extrêmement soucieux d'en faire leur principe directeur, tel ce bon Robert Guédiguian dans Les Neiges du Kilimandjaro. Surtout qu'aucun personnage ne soit tout blanc ou tout noir. Quelle application à montrer que "les bons" de l'histoire peuvent aussi avoir de mauvaises pensées et de mauvais gestes, et qu'un malfrat est d'abord un désespéré (première circonstance atténuante), mais aussi un aîné aussi attentionné qu'astucieux dans son comportement à l'égard de ses deux frères délaissés par leurs parents (enclenchons la seconde), voire un analyste lucide des limites de la lutte syndicale (un, deux, trois zéros, tout le monde s'incline). Cependant - mettons cela sur le compte moins de la malhonnêteté que de la maladresse (tant le film en regorge, de maladresse s'entend) -, Guédiguian n'ose pas aller jusqu'au bout. Ainsi passe-t-il totalement par pertes et profits un autre personnage, chargé de tous les vices puis promptement évacué de l'écran, parce qu'embarrassant, à tel point qu'on l'oublierait presque avant de s'étonner de ne pas le voir resurgir au moment où cela s'imposerait (s'il est "indéfendable", que Guédiguian ose le dire au lieu de fuir la question). La fin du film relève du conte de fées, sans quoi le "happy ending" paraîtrait niaiseux. Sauf que, là aussi, Guédiguian n'ose pas nous montrer une franche réconciliation générale et évacue la question de savoir comment une personne qui n'est pas tenue informée de la résolution du problème auquel sont confrontés les protagonistes va réagir quand il va l'apprendre - « Oh merci, je ne puis résister à tant de générosité, soyons les meilleurs amis du monde désormais » ou « allez vous faire foutre et mêlez vous de vos oignons ! » Encore un effort, Robert, pour rendre moins sommaires vos scénarios...
Complément :
(15 août 2012) Le même type de réserve peut être faite à propos de la majeure partie de l’œuvre de Ken Loach, dont je comprends qu’elle puisse enthousiasmer (par exemple Philippe Bilger) mais qui me laisse sur ma faim depuis le sommet de sa trilogie Riff Raff / Raining Stones / Lady Bird.
Que ce soit dans son versant léger (le récent La Part des anges), ou dans versant grave (It’s a Free World), son poids fort rejoint son point faible : elle ne s’intéresse jamais tant qu’aux fracassés de la vie, aux petits voyous "attachants" en voie d’amendement, aux prises à de vrais méchants, à des personnages irrécupérables dont on ignore à peu près tout sinon leurs forfaits – part d’ombre d’un cinéma somme toute plutôt rassurant, rédempteur.