Mister Arkadin

QUI A VU L'OURS... DES "INROCKS"...

14 Septembre 2009, 23:07pm

Publié par Mister Arkadin

L’un des principaux employeurs de travailleurs précaires, notamment sous forme de vacataires, serait… l’État. Ce dernier est pourtant sans doute très loin de concurrencer le secteur audiovisuel en matière de précarité, tant la pratique des stages y est généralisée, comme le rappelle Séb Musset dans une vidéo sur les « gentils stagiaires ».

Pour ma part, je me suis amusé à regarder l’ours des Inrockuptibles, "news magazine générationnel rebelle à l'ordre établi" (comme dit son patron, le banquier d'affaires de Lazard Matthieu Pigasse) (1) se voulant de gauche "réformiste" (flairez l’arnaque dès l'adoption de "Le News culturel" comme sous-titre…) qui s’est fait une spécialité de la dénonciation de la précarité et du sort réservé par la France-Fachô aux immigrés et travailleurs clandestins, ainsi que des grands groupes audiovisuels (de son capitalisme et de sa complicité avec un pouvoir droitier). Faut-il lui jeter la pierre alors qu’il essaie désespérément de lancer une énième nouvelle formule ? Formule, sous la houlette d’un banquier philanthrope et amoureux de la Culture (« Le rachat des "Inrocks" est engagement », qu'il dit), visant à le transformer en magazine de société, ce qui le rapprochera encore un peu plus, sur la forme et sur le fond (la seule véritable différence étant le ton de coolitude branchée), de Télérama, modèle à demi-avoué, car honni et envié pour sa prospérité (2).    Au moins Télérama, quoi qu’on pense de son contenu rédactionnel (souvent très énervant), donne-t-il les programmes relativement complets de la télé, de la radio et du cinéma en région parisienne, ce dont Les Inrocks a toujours été incapable ; au moins rend-il donc service. Fermons les parenthèses et revenons à l’ours des Inrockuptibles (je prends celui que j’ai sous la main, du 12 mai 2009, n°702, p.27). Ce qui frappe, c’est qu’il n’est quasiment pas un domaine d’activité où ce journal n’emploie des stagiaires. J’en compte près d’une vingtaine au total. Si l’on y ajoute les pigistes, c’est-à-dire ceux qui « ont collaboré à ce numéro » comme il est écrit, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils n’y collaborent pas régulièrement (tel Vincent Ostria), on se rend compte qu’un bon tiers des personnes travaillant pour Les Inrocks n’y ont pas un emploi stable. Et certains ne doivent pas seulement y préparer les cafés, puisqu’ils peuvent y occuper soit des postes à responsabilité (la « coordinatrice » de la « Publicité culturelle » - gros secteur, soit dit en passant, dans ce magazine anti-libéral), soit carrément plusieurs postes (ainsi une stagiaire travaille-t-elle à la fois pour les « Événements et projets spéciaux », en collaboration avec la « responsable », et à la « Publicité commerciale » - autre gros secteur…), soit travailler à la fois pour le magazine papier et pour sa version Internet.

Je suppose que si Les Inrockuptibles affiche aussi ouvertement son recours massif à une armée de stagiaires, c’est que leur sort est tout de même un peu plus enviable que celui des esclaves de l’audiovisuel ou que celui des étudiants exploités en fin d’études (sans doute pour leur donner un petit avant-goût de ce qui les attend…). Ce phénomène me laisse cependant assez dubitatif.


Notes :

(1) Entretien donné au Figaro du 20 juillet 2009.


Compléments :

- 10 octobre 2009 : un lecteur me signale que, depuis la parution de ce billet (je n'aurais pas l'outrecuidance d'y voir une relation de cause à effet), l'ours des Inrockuptibles a été nettoyé de toute mention des stagiaires et pigistes.

- (2) 26 décembre 2009 : récemment est, comme par hasard, apparu le papillon "Nouveau jour de parution / le mercredi", ce qui permet aux Inrocks de se poser encore un peu plus en alternative à Télérama.

Se poser en contre-modèle Télérama est cependant nécessaire pour ne pas décevoir le lectorat branché (Les Inrockuptibles, n°884, 7 novembre 2012, p.10) : http://farm9.staticflickr.com/8481/8196092689_6ae71cc3d6_c.jpg

- 25 juillet 2011 : à lire sur ce blog un deuxième article sur la rebellitude des Inrocks (« "L'ordre établi" des "collaborateurs" »), à lire sur celui de Pierre Jourde « La banque, c'est rebelle » (repris dans C'est la culture qu'on assassine, Paris, Balland éditeur, janvier 2011, p.28-30).

- 5 novembre 2011 : un lecteur attentif me fait remarquer que l'hypocrisie des Inrockuptibles à propos de la précarité de l'emploi a été pointé du doigt par Le Monde diplomatique en mai 2006 ( « Le paradis sur terre des intellos précaires ») : « Ils sont ainsi des dizaines de milliers à hanter ce qu’Anne et Marine Rambach, dans Les Intellos précaires. ont appelé les "banlieues de l’intelligentsia". Avec eux, le procédé journalistique classique consistant à recueillir des témoignages, puis à les faire analyser par des "experts", s’avère inapplicable : dotés de tous les outils théoriques nécessaires, habités d’un vif intérêt pour la marche de la société en général, ils sont des analystes très compétents de leur propre situation – d’autant plus que certains ont l’habitude de travailler sur la précarité : un magazine comme Les Inrockuptibles, notamment, qui a trouvé là un créneau éditorial jeune et branché, fait réaliser ses dossiers par des légions de pigistes payés au lance-pierre, voire pas payés du tout. »

- 22 mai 2012 : coucou le voilou, photo de Matthieu Pigasse dans un article de Marianne du 31 mars - 6 avril 2012 (page 105) intitulé « 2007 - Les Caisses d'épargne transformées en une Sarkobank ». MP serait-il l'un de ses virtuoses à la JA qui sait toujours choisir le bon cheval ?

- 8 juillet 2012 : cette couverture des Inrocks (n° du 4 au 10 juillet 2012), la fausse droite adoubée par la fausse gauche, serait-ce le coup de pied de l'âne ?

http://www.magazinedown.com/upimg/201207/04/0417440119.jpeg - 18 juillet 2012 : on pourrait se poser la même question à propos des quatre pages d'entretien accordées par Marianne à Roselyne Bachelot dans son numéro 795 (13-20 juillet 2012, p.32-35). (+ 19 juillet 2014) Hallucinante hagiographie de la mécène public des labos vaccinologistes dans un récent numéro de Libération, sous le titre « Roselyne Bachelot, l'affranchie », dans le cadre d'une série "Sur les chemins de la liberté" (!).

- 31 octobre 2012 : Acrimed à propos de la coolitude des Inrocks.