POUR UNE AUTRE GÉNÉALOGIE DE LA CRITIQUE ET DE L'AUTEUR AU CINÉMA
Venant de recevoir le sommaire du numéro 32 de Tausen Augen, il me tarde de l'acquérir, tant son dossier « A la recherche du Point G. L'identité de gauche au cinéma » recèle de sujets proches de mes préoccupations et d'études sur des films sur lesquels je me suis prononcé, j'ai écrit ou j'écrirai prochainement moi-même (L'Esquive, Katyn et Indigènes, notamment).
Mais l'article que je brûle le plus de lire est assurément celui de Vincent Joss, au titre trufaldien (« D'une certaine tendance de la critique cinématographique française »), ce qui est assez pertinent puisqu'il y est essentiellement question de François Vinneuil, si j'en crois le résumé donné sur le site :
« Au début des années 30, alors que le cinéma parlant français cherche encore ses repères entre le muet et le théâtre dans le confinement des expérimentations et des discussions de cinéastes, peu de journalistes ou de critiques d'art s'intéressent à ce genre par trop populaire, trop bâtard, trop neuf. Paradoxalement, l'une des premières défenses aiguisées du jeune cinéma parlant parait dans le journal royaliste et ultra réactionnaire dirigé par Charles Maurras, le grand ennemi de la modernité : Lucien Rebatet signe les critiques cinématographiques hebdomadaires de l'Action Française dès février 1930. Rebatet, qui commence alors une longue carrière de critique de cinéma, se bat pour l'avènement d'un cinéma pur, délié du théâtre, un cinéma où le mouvement, la pensée visuelle de "l'auteur" du film serait mise pleinement à contribution. Rebatet, plus connu pour avoir été le fer de lance de la collaboration intellectuelle parisienne et pour avoir prôné un fascisme à la française teinté du plus haineux des antisémitismes, est vraisemblablement l'un des hommes qui a le plus influencé la pensée critique du cinéma en France. Les concepts phares de la "politique des auteurs" furent forgés par les jeunes-turcs de L'Action Française des années 30, Brasillach, Rebatet, ces pères indignes dont les noms allaient disparaître après la guerre. »
Voilà qui va donner du grain à moudre aux "Études rebatiennes", association récemment créée par le professeur Gilles de Beaupte.
Je devrais moi aussi pouvoir en faire mon miel, à la fois dans la postface d'un recueil des écrits sur le cinéma de François Vinneuil, à paraître à la fin de l'année, et dans l'histoire/anthologie des écrits de cinéma parus pendant l'Occupation que je prépare également (ainsi que je l'ai annoncé ici). Car Vincent Joss semble partager l'une de mes convictions, à savoir l'influence non négligeable de la critique des années 1930 et 1940, et en particulier sa composante fasciste, dont Vinneuil fut le plus emblématique représentant, sur la critique des années 1950, en particulier celle qui aurait inventé la "politique des auteurs", dont Truffaut fut le moins réticent à "avouer" cette filiation.
Voici du reste ci-dessous le texte de la proposition d'intervention au colloque « L'auteur de cinéma : Histoire et archéologie d'une notion » que j'avais adressée en 2007 à Christophe Gauthier et Dimitri Vezyroglou (colloque auquel je n'ai finalement pas pu participer).
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Affirmation d'une génération de critiques et promotion de nouveaux auteurs : le cas du « renouveau » du cinéma français pendant l'Occupation
L' « Age d'or du cinéma français », l'expression a fait florès pour parler du cinéma sous l'Occupation. Controversée, elle est accusée d'être une reconstitution a posteriori, soit par les gens de cinéma de l'immédiat après-guerre, soucieux de se dédouaner à la Libération, soit par ceux de l'après Nouvelle vague, soupçonnés de vouloir promouvoir contre celle-ci la génération d'auteurs précédente.
Mais cet "âge d'or" n'a-t-il pas été perçu ou construit comme tel dès l'Occupation par une nouvelle génération de critiques, pour une part apparue dans les années trente, mais qui s'affirme alors en mettant en avant une nouvelle génération d'auteurs (Jacques Becker, Robert Bresson, Henri-Georges Clouzot) ou en proclamant le statut d'auteurs majeurs de metteurs en scène apparus précédemment (Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Christian-Jaque, Jean Grémillon, entre autres) ? Dans quelle mesure la promotion des uns sert (se sert de ?) celle des autres ? Dans quelle mesure une lutte d'influence s'exerce-t-elle entre les tenants d'un « renouveau » du cinéma français par sa défense presque inconditionnelle comme vecteur de la "Révolution nationale" (journalistes de la presse spécialisée) et des contestataires de l'ordre établi vilipendés pour leur véhémence par la corporation (jeunes critiques de la presse générale, François Vinneuil, François-Charles Bauer, Kléber Haedens, Barjavel, en particulier) ? Les auteurs du cinéma français sont-ils l'enjeu de cette querelle critique ?