TROIS TENDANCES DE LA BÊTISE DANS LES COMÉDIES FRANÇAISES
L’un des ressorts de la comédie est la bêtise. On peut regretter que la comédie française en fasse presque son unique objet, mais on ne peut lui reprocher d’y recourir. En revanche, l’évolution de son traitement ne laisse pas d’inquiéter. Au risque d’être schématique, on pourrait classer en trois tendances les comédies selon leur façon d’envisager la bêtise des personnages qu’elles mettent en scène.
Les films d’un Jean Yann ou d’un Etienne Chatillez les caricaturent ouvertement. Ils chargent, dénoncent, voire méprisent, selon les détracteurs de ses deux cinéastes. Aucune complaisance envers la bêtise ne peut leur être imputée, mais plutôt de la condescendance, la complicité avec le spectateur s’exerçant au détriment de personnages dont chacun se sent supérieur. En réaction à cette tendance au mépris (comme aurait dit Truffaut), le public a fait un triomphe à Bienvenue chez les Ch’tis car ce film prend habilement le parti de la prétendue bêtise du peuple contre la soi disante intelligence des bobos parisiens ou de la Côte. C’est assurément plus sympathique, quoique un brin démagogique, et cela rejoint les procédés du duo Jaoui/Bacri, en particulier dans Le Goût des autres : méfiez-vous des apparences, riez donc de quelqu’un de bête et c’est vous qui vous sentirez bien sot quand vous découvrirez qu’il ne l’était pas du tout.
La troisième tendance, la plus récente si je ne me trompe, rompt toute coupure, aussi bien entre les auteurs et leurs personnages de demeurés, entre les auteurs et les spectateurs, qu’entre les spectateurs et les imbéciles qui lui sont présentés sur l’écran. Plus de distance, plus d’apparences à dépasser, nous sommes de plein pied dans la bêtise et nous y pataugeons gaiement. Je n’ai pas vu Camping assez longtemps pour pouvoir le placer indubitablement dans cette catégorie. Il m’a bien semblé toutefois que nous étions invités à nous reconnaître, sans honte ni dégoût, dans les personnages du film, aussi médiocres soient-ils. Un peu plus de distance dans La Personne aux deux personnes, esprit Canal oblige, force clins d’œil et décalages se voulant spirituels, mais même adhésion aux personnages. J’ai supporté difficilement ce que j’ai pris pendant les deux tiers de la projection pour du mépris de la part de parvenus de la télévision (Chabat, Bruno et Nicolas) envers le personnage joué par Auteuil, petit employé de bureau médiocrissime, auquel renverrait la bêtise du pauvre spectateur englué dans une vie minable au regard de la vie exaltante des auteurs. Mais, de fait, le moyen que trouve le personnage pour en sortir n’est guère plus exaltant : l’identification à un chanteur de variété tout aussi stupide que lui, qui, en terme d’élévation intellectuelle et d’accomplissement artistique, se situe précisément à peu près au niveau des auteurs du film. Pas de distance là non plus.
Enfin, cette bêtise revendiquée, satisfaite, apolitique et déculturée, se retrouve dans Seuls Two, malgré le cachet "film comique d’auteurs" que Libération et Les Inrockuptibles essaient tant bien que mal de conférer à Eric et Ramzy – à moins que ce ne soit justement l’une des raisons pour lesquels ces derniers trouvent grâce à leurs yeux. J’ai particulièrement été frappé par le moment où Eric découvre comment Ramzy s’occupe dans Paris subitement désert. Comment le personnage occupe-t-il son temps et l’espace soudain vierge ? En roulant à toute allure à travers Paris dans un bolide de course. D’une situation paradisiaque, de Paris sans bruit ni encombrement, sans nuisance sonore (la pire des pollutions) ni populacière, il ne profite nullement, par exemple en prenant le temps de flâner, de contempler, de se promener, à pied ou à vélo. Au contraire, il réintroduit le vacarme, la frénésie de vitesse et d’activités, l’encombrement de l’espace, la nuisance ; il détruit toute préciosité dans le rapport au temps et à l’espace, toute in-nocence (comme dirait Renaud Camus), pour étaler sa bêtise grasse. Et j’ai bien peur que ce que choisit de faire le personnage ne soit livré au spectateur comme ce qu’il y aurait de mieux à faire dans cette situation, de plus jouissif, de plus festif, de plus moderne.
Le spectateur n’est plus invité à se moquer de l’imbécile qui lui ait montré sur l’écran, ni à se déprendre de son sentiment de supériorité pour se rendre compte que son prochain n’est pas plus bête que lui ; il est désormais encouragé à s’identifier à ce qu’il y a de plus bête dans la société actuelle, à s’y vautrer complaisamment. C’est donc bien d’un Jean Yann dont la comédie française aurait aujourd’hui besoin pour être à nouveau dynamitée. Mais peut-être une quatrième voie s’offre-t-elle à nous. Celle du OSS 117 de Michel Hazanavicius et Jean-François Halin, tel qu’interprété par Jean Dujardin, plus difficile à définir bien que jouant également sur la bêtise du personnage , car nettement plus subtil. Cela tombe bien, OSS 117 revient bientôt sur les écrans (je dis cela au cas vous auriez échappé aux 413 reportages sur le tournage publiés dans la presse ces dernières semaines…). N’en attendons pas trop de peur d’être déçus. Mais soyons certains qu’il relèvera au moins quelque peu le niveau !