UN "VOYAGE AUX PYRÉNÉES" TROP COHÉRENT POUR ÊTRE DISTINGUÉ
Parmi les six critères d’évaluation des films que définit Laurent Jullier dans Qu’est-ce qu’un bon film ? (La Dispute, 2002) figure l’originalité, qui serait l’un des deux « critères distingués » (par opposition à « ordinaires » et « communs »), de ce fait particulièrement prisée par la critique. Je ne puis à cet égard guère me considérer comme un critique "distingué" car, autant Le Voyage aux Pyrénées m’a semblé l’un des films les plus originaux produits en France ces dernières années, ce qui le rend d’une certaine manière assez remarquable (la concurrence n’est pas vive en la matière, certes, mais tout de même…) et, dans une certaine mesure, sympathique, autant le film des frères Larrieu ne me paraît pas valoir tripette. Il prouve à mes yeux que des artistes peuvent se montrer très originaux, peuvent même cultiver avec la plus grande application leur singularité sans avoir pour autant grand intérêt. Le deuxième critère distingué serait selon Jullier la cohérence. Peut-être est-ce à cette aune que je puis juger les insuffisances des Larrieu. Ils se veulent si furieusement farfelus, si doucement subversifs, si désireux de réaliser un film fantasque et bordélique qu’ils n’auraient pas dû chercher à toute force à retomber sur leurs pieds et à demeurer in fine cohérents. L’incohérence du film devrait être le gage de sa réelle originalité. Nous devrions, pendant la séance, être suffisamment intrigués pour vouloir savoir où ils veulent en venir, tout en étant postérieurement déçus qu’ils n’arrivent nulle part ou excités par les contrées inexplorées où ils nous auraient subrepticement conduits. Or, on voit trop bien où leur histoire de couple désorienté sexuellement et parti se réfugier sur les cimes pour se retrouver nous amène. Vers une conclusion somme toute parfaitement dans l’air du temps, à savoir que c’est par l’inversion des sexes, par l’acception par l’homme de sa féminité et par la femme de sa masculinité que le désir leur reviendra. Une fin aussi convenue que bêtasse relève encore plus du foutage de gueule que les péripéties abracadantesques et pourtant peu réjouissantes qui précèdent.
PS : j’ai décidément de plus en plus de mal à supporter Sabine Azéma, aussi exaspérante que Jean-Pierre Darroussin est, comme d’habitude, quasi impeccable. Alain Resnais en ayant fait son actrice fétiche, cette seule raison suffirait à m’empêcher à jamais de le reconnaître comme un grand cinéaste.