Mister Arkadin

DIS-MOI COMMENT TU TRAITES LES FILMS, JE TE DIRAI QUEL JOURNAL TU ES

20 Février 2008, 15:14pm

Publié par Mister Arkadin

Je fais un grand usage de la presse sur ce site. Rien de plus normal, puisque une grande partie de mes travaux porte sur la critique et l’édition cinématographiques. On s’étonnera peut-être que je ne dédaigne pas les "gratuits", malgré leur mauvaise réputation.

 

Quand ils furent annoncés à Paris, je m’imaginais mal lire les mêmes canards que tous mes voisins de RER ou de métro. Ne m’enchantait guère la perspective d’une population entière plongée dans la lecture de la même information prédigérée, standardisée, tellement condensée que les simplifications ne pourraient qu’être abusives. Je suis revenu de ce préjugé. Non que je considère que la lecture de quelques gratuits puissent suffire à mon information, à celle de quiconque d’ailleurs, loin de là, mais elle ne me paraît pas moins utile que l’audition de quelques bulletins d’informations radiophoniques en se rasant ou en se lavant les dents. D’abord parce qu’il n’est pas possible de se faire une idée de l’opinion (en matière de réception des films, par exemple) sans étudier comment elle est modelée par ses principales sources d’information, les gratuits en faisant incontestablement partie. Ensuite parce qu’elle permet de disposer d’une sélection des nouvelles de l’AFP, qui donne des pistes pour aller ensuite chercher des informations et commentaires plus poussés, soit dans la "grande presse", soit sur le Net. Les gratuits offrent en sus une multitude de renseignements pratiques, dont le rappel des films sortant en salle le mercredi et les programmes télévisés du soir.

 
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Le traitement de ces derniers fait l’objet d’une attention particulière dans les deux quotidiens gratuits du groupe Bolloré, Matin plus (devenu Direct matin plus depuis peu ; le premier créé, en partenariat avec Le Monde) et Direct soir. De pleines pages de pub y sont fréquemment publiées sur les programmes de Direct8, la chaîne dont Bolloré est également propriétaire. On n’est jamais si bien servi que par soi-même et Bolloré pouvait-il se priver d’une telle "synergie" entre ses divers médias ? Mais ses services de publicité ne sont pas les seuls à être mis à contribution, la rédaction mettant systématiquement en valeur, dans la sélection des programmes télé du soir, ceux de Direct8. Ainsi Coup de tête était-il hier « un chef-d’œuvre à (re)découvrir » ; ainsi le « bon scénario de Francis Veber », la « mise en scène efficace de Georges Lautner » et le « trio mythique » de La Valise ne pouvaient-ils être manqués lundi ; ainsi sommes-nous aujourd’hui alléché par l’annonce d’un « polar très efficace », Hold-up en l’air, dont nous n’avions jusqu’à présent jamais entendu parler.

 
Coup-de-t-te.jpg
 

Rien de bien grave certes, tant le procédé est voyant, le lecteur ne pouvant en être dupe. Sans doute est-il indifférent à cette publi-critique. Seulement, ce matraquage, en plus d’être à la longue probablement plus efficace qu’on ne pourrait croire et qu’on le voudrait, jette la suspicion sur l’ensemble des informations données par les deux quotidiens du groupe Bolloré. Peut-être est-il considéré que la rubrique sur les programmes de télévision relève strictement du divertissement et qu’elle pourrait, de ce fait, se soustraire aux règles déontologiques les plus élémentaires – qui voudraient qu’un quotidien ne soit pas transformé en organe de propagande pour son propriétaire. Néanmoins, qu’est-ce qui pourrait nous dissuader de penser que le reste de l’information, l’actualité politique et économique notamment, est traité de la même façon dans ces journaux ?

 

Cela me rappelle un entretien de Bertrand Tavernier dans lequel il disait acheter Le Monde et le lire passionnément tous les jours, sauf celui où était traité le cinéma, à cause de son manque de confiance dans l’équipe de journalistes parlant des films, accusée de mauvaise foi et de dogmatisme. Il ne semblait pas lui venir à l’esprit que, si sa connaissance du cinéma lui permettait de juger du travail des journalistes ciné du Monde, sa moindre connaissance d’autres domaines ne lui permettait pas de déceler si ceux-ci n’étaient pas traités de façon aussi biaisée et malhonnête, une apparente objectivité camouflant savamment des partis pris systématiques. Or, maintes personnes m’ont dit exactement la même chose sur d’autres rubriques du Monde, qui sur le traitement des conflits du Proche Orient, qui sur l’éducation, un troisième sur la santé, etc., moi-même étant très agacé par les innombrables bourdes que l’on trouvait alors dans les articles sur le tennis.

 

Doit-on en conclure qu’il suffirait de se faire un avis sur une rubrique d’un journal pour juger de celui-ci dans son ensemble ? Bien sûr que non. Mais le traitement des films donne tout de même de précieux indices. À cet égard, Direct matin plus et Direct soir n’inspirent guère confiance.