Mister Arkadin

"PREMIÈRE", LES "CINÉPHILES SÉRIEUX" ET LE MARKETING DU CINÉMA

28 Janvier 2008, 17:57pm

Publié par Mister Arkadin

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Les publications cinématographiques ne sont guère florissantes, je l’ai déjà noté sur ce site, pour le déplorer. L’un des signes les plus flagrants de leur mauvaise santé est leur empressement à changer de "formule" et à s’annoncer régulièrement toute nouvelle toute belle. Cela fait partie du jeu, des obligations du marketing et nous ne saurions leur jeter la pierre, nous qui n’avons pas l’ambition de vivre de nos écrits.
 
Une fois n’est pas coutume, saluons le dernier changement de formule du magazine Première, assez réussi ma foi. La couverture de son n°372 (février 2008) est splendide, et à l’image du contenu : foisonnant, très bien illustré, bien agencé, jouant habilement sur les tons et les échelles (aussi bien en ce qui concerne les caractères, les titres que la taille des photos). Beau travail de la direction artistique. Certes, me rétorquera-t-on, mais qu’en est-il de la direction rédactionnelle ? N’a-t-on pas là affaire à ce qu’il a de plus bas de gamme, en tout cas de plus méprisé par les cinéphiles ? Cet ostracisme pour les magazines de cinéma populaires m’a toujours paru un peu suspect et même un brin ridicule, car, bien que ce ne soit pas les publications que je collectionne prioritairement (encore moins celles auxquelles j’adresse mes propres textes…), je ne comprends pas pourquoi ceux qui affectent de prendre le cinéma trop au sérieux pour lire Première ou Studio se régalent en revanche bien souvent de Mon Ciné ou de Ciné-Miroir, et se les arrachent auprès des marchands de vieux papiers. N’est-ce pas là l’effet d’un certain snobisme ? Les magazines grand public des années 1920-1930 étaient-ils tellement mieux faits et plus dignes d’intérêt que ceux d’aujourd’hui ? Ils ne l’étaient ni plus, ni moins… et vice-versa (si l’on me permet cette lapalissade !).
 
S’ils n’offrent guère d’analyses de films bien poussées (mais y en a-t-il encore tant que cela dans les revues les plus prestigieuses, les Cahiers et Positif ?), ces magazines fournissent quantité d’informations indispensables à quiconque veut suivre un tant soit peu l’actualité du cinéma (sorties en salles, annonces de tournages, sorties DVD, etc.). Ainsi, dans le nouveau Première, ai-je particulièrement apprécié la présentation de « toutes les sorties en salles » sur deux pages (74 et 75) par date, le titre de chaque film étant non seulement accompagné de ses principales caractéristiques (réalisateur, casting, durée, distributeur – en quoi cette dernière information est-elle nécessaire au lecteur, mystère ?), mais aussi de son affiche en miniature, nouveauté particulièrement bienvenue, l’ensemble constituant un kaléidoscope du plus bel effet. En plus des traditionnels entretiens d’acteurs, marque de fabrique de ce genre de publications, qui n’en oublient pas pour autant les réalisateurs (leurs "leçons" de mise en scène ou leurs commentaires sur leur filmographie y étant souvent bien aussi instructifs que ce qu’ils disent dans les "grandes" revues), ils proposent aussi des petites notes très réjouissantes, parfois signées de noms connus dans le milieu de la critique. Sont ainsi présents parmi les collaborateurs du nouveau Première Hubert Prolongeau, Didier Roth-Bettoni et Philippe Rouyer. Qu’avons-nous glané dans son dernier numéro ? Page 23, la définition du "feel-good movie", intéressante en cette période de renouvellement du vocabulaire du cinéma (j’y reviendrai dans une prochaine chronique). Et, page 14, un décryptage astucieux et assez impertinent de l’affiche du dernier Hou Hsien-Hsien, qui sort dans deux jours.HHH---Le-Voyage-du-ballon-rouge.jpg
 
Bref, il serait dommage de ne pas consulter ces magazines, déjà précieux pour nous avant qu’ils ne le deviennent aux yeux des cinéphiles qui se prennent au sérieux (i.e. : dans cinquante ans !). Un point de convergence tout de même. Je partage la réticence desdits "cinéphiles sérieux" pour la tendance promotionnelle de ces magazines, surtout à l’égard des grosses productions françaises. Notons toutefois, pour les en féliciter, que ni Première ni Studio, qui célèbrent tous deux Johnny Depp en couverture, n’ont déroulé le tapis rouge pour le si tonitruant Astérix de Thomas Langman - qui sort mercredi 30 janvier, précision donnée au cas où cela vous aurait échappé. Ô, bien sûr, Première consacre, en plus d’une critique mitigée (p.72), quatre pages (46-49) à la "Méga prod" (sic), mais elles sont loin d’être inintéressantes. Un arbre généalogique assez détaillé donne la mesure des multiples relations dont a bénéficié Thomas Langman pour bâtir son "empire". Quant à l’entretien du producteur-réalisateur, il montre à quel point, si Claude Berri fut réalisateur avant que d’être producteur, son fils n’a pas oublié d’être producteur avant de devenir réalisateur, et que le premier prend toujours nettement le pas sur l’autre. Toute la réalisation du film semble en effet avoir été pensée en fonction de la campagne marketing à venir et des objectifs du box-office que l’on a fixés au « film-le-plus-cher-de-l’histoire-du-cinéma-français » (répètent en boucle tous les médias), en France, mais plus encore en Europe. Lire à ce propos que les blagues du film sont calibrées pour plaire à tous les publics européens a quelque chose d’assez pitoyable. Et, déjà, Langman anticipe le rejet des critiques, auxquels il s’en prend par avance (suivant la voie tracée par le père, là encore…), conscient qu’il est que son produit a toutes les chances de leur déplaire. Au moins ne les a-t-il pas interdit de projections préalables à la sortie, selon une pratique désormais courante (1). Cela a permis à plusieurs critiques de dire tout le mal qu’il pense du film, tel Éric Libiot dans L’Express. Mais sans doute n’est-ce pas par bonté d’âme que Langman laisse les critiques flinguer son film avant même sa sortie. Il sait probablement fort bien que ceux-ci n’ont guère d’influence sur le destin d’un film tel que le sien et que les articles d’accompagnement, qui relaient le dossier de presse (même en lui apportant quelques bémols, et y compris dans les journaux qui conservent une certaine réputation, tels Le Monde et Le Figaro, qui ont participé à la campagne de presse dès le samedi 26 janvier), servent bien plus la promotion de son film que les critiques ne la desservent. L’exemple du troisième épisode des Bronzés l’a bien montré. Plus inquiétant : il a montré qu’il n’était désormais pas même nécessaire de plaire au public pour obtenir un succès phénoménal. Le terrible bouche-à-oreille, pas meilleur, voire pire, que la réception critique, ne l’avait nullement empêché. Une longue étude serait à mener sur la déconnexion entre le goût du public et les films qu’il va voir en masse. Elle permettrait de relativiser les thèses en vogue dans certains départements d’études cinématographiques. Sous l’influence des théories de la sociologie de l’expertise artistique chère à Jean-Marc Levaretto, et avec le louable dessein de réhabiliter la légitimité du jugement de goût "populaire", à l’encontre du jugement de goût "élitiste" (dont on ignore pas à quel point il relève souvent du terrorisme intellectuel), cette école lorraine (je serais tenté d’écrire « de Metz », car plusieurs de ses tenants enseignent ou ont enseigné à la Faculté de Metz - la possible confusion avec Christian m’en dissuade) établit une corrélation entre la qualité d’un film et son succès, au nom de l’expertise qu’acquiert le public par son expérience du spectacle cinématographique. Fabrice Montebello a écrit une histoire du cinéma en France sur ce postulat, en prodiguant moult chiffres et raisonnements sur l’exploitation, l’évolution de la fréquentation, la carrière des films (en salles, à la télévision et en DVD), etc., mais quasiment aucun qui prendrait en compte le marketing du cinéma, la construction par les producteurs, distributeurs et promoteurs de l’envie d’aller voir tel ou tel film. Sur ceci aussi, il faudra que nous revenions un jour.
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(1) Certains journalistes n’ont tout de même « pas été convié[s], comme c’est d’ordinaire le cas, aux projections de presse nous permettant de découvrir le film avant sa sortie » (Michael Mélinard, L’Humanité Dimanche, 24-30 janvier 2008, p.50). Cela ne les a pas dissuadé de couvrir le "phénomène". Depuis, d'autres journaux se sont déclarés "black-listés", notamment Libération et Les Inrockuptibles, bizarrement en ce qui concerne ses derniers puisqu'ils avaient été enthousiasmés par Astérix et Cléopâtre, ne manquant jamais une occasion de servir la soupe à Jamel (comme depuis à Thuram, à Kechiche, etc., pour des raisons au moins autant idéologiques qu'artistiques ou "civiques").