VUILLERMOZ - COMPTE RENDU DE "CINEMACTION"
G.G. [Guy GAUTHIER], CinémAction, n°112, 2ème trimestre 2004, « Livres ».
Il faudrait plutôt lire « Le cinéma du Temps », mais si l’auteur peut inverser, c’est parce que son titre reproduit la présentation graphique du journal « Le Temps », qui disparut en 1942. C’est « Le Monde » qui lui succédera après la guerre.
Pourtant, si l’on prend le titre au pied de la lettre, on peut dire que cette période de 1910 (Canudo venait de parler d’un 7e Art) – 1930 (la mutation ou la crise du parlant, comme on veut) fut à sa manière « le temps » du cinéma, car c’est au cours de cette vingtaine d’années que le cinéma, encore muet, acquit la maîtrise de l’image. Ce fut aussi une période où un large secteur du monde intellectuel affecta de mépriser ce divertissement trop populaire à son gré. Alexandre Arnoux a bien montré a contrario (dans Cinéma), par sa distinction entre « cathédrales » et « chapelles », qu’il s’agissait plutôt d’une sorte de ségrégation, une partie de la bourgeoisie cultivée, plus ou moins bohème, ne dédaignant pas les salles élitaires du centre de Paris. Cependant, globalement, on disait pis que pendre, dans les milieux académiques (ceux qui avaient sifflé l’Impressionnisme, le Cubisme, le Surréalisme, et autres révolutions artistiques) de cet art naissant qui avait le vice supplémentaire d’être apprécié du peuple, cette bande d’ignorants. L’un des « cinéphobes » les plus virulents, avant Georges Duhamel, dont on connaît les diatribes, fut Paul Souday, critique littéraire au Temps, justement. Une heureuse circonstance a voulu que l’un de ses voisins de colonne, critique, musical, prit de bonne heure parti pour le cinéma : Emile Vuillermoz. Les deux critiques cohabitent, probablement dans l’indifférence des lecteurs (selon P. M. Heu), et n’eurent qu’une seule fois l’occasion de dialoguer en direct, à l’occasion d’une polémique qui mit aussi en cause Marcel L’Herbier et Henri Bergson, pas moins.
C’est évidemment Vuillermoz qui est au centre du livre minutieusement documenté de P.M. Heu, qu’il faut lire avec attention, sans oublier les articles reproduits en annexes, de même que la liste des films cités.
Les amateurs du cinéma des années 30 auront eu l’occasion de lire quelques-unes de ses critiques dans Pour Vous Cinéma, source de documentation précieuse, mais son activité antérieure était largement méconnue, sauf de quelques érudits. Ceux qui s’intéressent à la période du cinéma muet trouveront dans cette étude complète des renseignements précieux, les « cinéphiles » découvriront avec jubilation que les « cinéphobes » trouvaient déjà à qui parler.
Quant aux critiques elles-mêmes, du moins en ce qui concerne les films qui ont traversé le temps, on peut évidemment prendre quelque distance. C’est le sort de toute critique et de toute œuvre, d’hier ou d’aujourd’hui, de connaître par la suite des fortunes diverses. Rien n’empêchera de manifester à ce pionnier en partie oublié la reconnaissance que lui doivent ses successeurs, parfois sans le savoir, et de saluer l’auteur de ce livre parfois ardu par les détails, passionnant par son propos, en attendant avec impatience la suite promise. Car Emile Vuillermoz a encore vécu 30 ans après la période étudiée.