Mister Arkadin

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MÉMOIRE ET IMAGES REÇUES DE LA FRANCE SOUS L’OCCUPATION

8 Mai 2011, 23:01pm

Publié par Mister Arkadin

Compte rendu paru dans le dernier numéro de la revue Jeune cinéma (n°336/337, printemps 2011, p.141-142).


Les ouvrages d’Henry Rousso sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en France, Le Syndrome de Vichy (1987) et Vichy. Un passé qui ne passe pas (1994, en collaboration avec Éric Conan), accordaient une grande place au cinéma. La représentation filmée de cette période a également fait l’objet d’un livre de Sylvie Lindeperg (Les Écrans de l'ombre, la seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (1944-1969), 1997). Une preuve supplémentaire que les historiens accordent, à ce sujet, une place centrale aux films est apportée par Le Chagrin et le venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues (1). Le titre affiche d’emblée que la réflexion de Pierre Laborie y prend appui sur une étude détaillée du Chagrin et la pitié, sur sa réception et la manière dont le documentaire de Marcel Ophuls, quoiqu’il ne soit que l’ « un des lieux multiples de formation de la vulgate » sur l’Occupation, a largement contribué à façonner celle-ci (2). Laborie examine les positions des uns et des autres, Françoise Giroud, dont le rôle fut très important pour le « retentissement dans l’imaginaire national des années noires » du film, Simone Veil, qui exprima de fortes réserves à son propos (3), Alfred Fabre-Luce, Marcel Ophuls lui-même (qui fut amené à prendre ses distances avec les lectures partielles qui avaient été faites de son film) et jusqu’à la presse nationaliste (Rivarol en particulier), dont l’accueil favorable serait dû à la satisfaction de voir la culpabilité résultant du comportement de Vichy et des Collaborateurs être quelque peu diluée. Laborie, sans établir d’équivalence, va jusqu’à pointer les similitudes entre la dénonciation du résistancialisme par quelques petites revues ayant servi de refuge aux épurés après guerre (Les Écrits de Paris notamment) et la « dénaturation » de la Résistance qui serait désormais latente : « les rapprochements effectués entre libération et climat de guerre civile ont terni et entachent toujours la représentation de la Résistance comme fait moral » (p.176). En spécialiste de l’opinion, Laborie relativise, voire réfute les notions de "consentement" et d’"accommodement" appliquées à l’attitude des Français sous l’Occupation. Les historiens n’ayant assurément pas fini d’affiner leurs analyses sur la question, nul doute que les nombreux films que la période suscite continueront à les alimenter.

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Notes :

(1) Montrouge, Bayard Éditions, 2011, 356 p.

(2) Si Pierre Laborie se focalise sur Le Chagrin et la pitié, il n’ignore pas plusieurs autres films ayant joué un rôle dans la mémoire de l’Occupation, Lacombe Lucien (p.114) et La Bataille du rail (p.311-312) bien sûr, mais aussi Un héros très discret (p.285) et le Lucie Aubrac (p.290) de Claude Berri.

(3) Dans le dernier chapitre, « La lumière des justes », de son autobiographie (Une vie, Stock, 2007), Simone Veil est revenue longuement (p.325-329) sur son opposition, alors qu'elle siégeait au conseil d'administration de l'ORTF, au début des années 1970, à l'achat par la télévision française du Chagrin et la pitié. Persévérante, comme aurait dit Serge Daney, elle y juge toujours ce documentaire « injuste et partisan », n'épargnant au spectateur « aucun raccourci mensonger », surfant sur la pensée dominante d'alors (qui demeure plus que jamais en vigueur), « tout aussi simplificatrice » que la précédente, notamment en ne rendant pas justice aux Français qui ont permis que la France soit « de loin le pays où le pourcentage de Juifs déportés s'était révélé le plus faible ».


P.S. (NDLR de JC) : Le texte de l’entretien accordé par Pierre Laborie à Libération (29 janvier 2011) est consultable sur le blog de l’historien Jacky Tronel, consacré à l’histoire pénitentiaire et à la justice militaire.


Complément :

(10 avril 2013) Le témoignage de Suzanne Borel-Bidault va dans le même sens que celui de Simone Veil (Souvenirs de guerre et d'Occupation, Paris, La Table ronde, 1973, p.99-100) : « l'armée française était à l'image des Français : des veaux, déjà des veaux. Du moins une majorité de veaux. Car, n'en déplaise aux tristes auteurs du film : Le chagrin et la pitié, je découvris peu à peu entre ces veaux et le nombre infime de résistants de choc, une minorité importante de gens tranquilles, civils et militaires, qui à toute occasion devenaient nos complices. S'ils ne nous avaient pas cachés, s'ils n'avaient pas recueilli et dissimulé nos papiers, s'ils ne s'étaient pas tus sur ce qu'ils pouvaient savoir de nos activités, nous n'aurions pas fait tout ce que nous avons pu faire - et je ne parle pas seulement des paysans et d'ouvriers [note de l'auteur : A propos du film Le chagrin et la pitié, Claude Mauriac a écrit un article d'où il m'a semblé ressortir que seuls les gens du peuple avaient résisté.], mais des bourgeois cossus, d'aristocrates réactionnaires. Seulement, dans ces premiers mois, je n'avais pas su les distinguer : je ne voyais que les intrigants, les jouisseurs et les traîtres, et c'était horrible. »

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"OUVREZ DIX ROMANS QUI TRAITENT DES MŒURS MODERNES"

23 Mars 2011, 00:09am

Publié par Mister Arkadin

« Ouvrez dix romans qui traitent des mœurs modernes : je serais bien surpris si, dans l’un quelconque des dix, les personnages ne vont pas au cinéma. Je fais toutes réserves sur la fidélité de la littérature à représenter une époque ; mais ce détail m’a paru caractéristique. Le cinéma, pour un bon nombre de nos contemporains, est une habitude. »

Ces lignes composent le premier paragraphe de la « Chronique du cinéma » que Jean Morienval tint dans la vénérable revue Le Correspondant à partir du 25 octobre 1929 (101ème année, tome 317, p.299). La proportion de romans dans lesquels les personnages ont un rapport avec le cinéma est sans nul doute bien plus considérable aujourd’hui. À titre d’exemple, en voici trois que j’ai lus ces derniers mois où le cinéma occupe une place centrale ; par ordre de lecture, qui se trouve être aussi l’ordre de préférence, le dernier étant le seul que je ne saurais conseiller et les deux premiers ayant pour point commun d'offrir une vision savoureuse d'un festival de cinéma :

- La Fuite, de Bernard Cohn ;

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- Curieuse, d’Alain Paucard ;

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- L’Amour nègre, de Jean-Michel Olivier.

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LE JUGE ET L'ASSASSIN (DE L'IMPARTIALITÉ)

23 Janvier 2011, 00:14am

Publié par Mister Arkadin

Nul ne conteste que l'Institut Lumière édite de forts beaux livres de cinéma, en association avec Actes Sud. Ses pratiques promotionnelles sont toutefois souvent un peu limite (demi-page publicitaire extraite de L'Express, n°3107, 19 janvier 2011, p.88 ; publicité également parue en une du Monde des 1er et 3 février 2011 ; voir aussi le blog de Bertrand Tavernier) :

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INJURES CINÉMATOGRAPHIQUES

4 Janvier 2011, 00:10am

Publié par Mister Arkadin

La cinéphilie française ayant toujours eu partie liée avec la littérature, il est logique que le Dictionnaire des injures littéraires publié aux éditions l’Éditeur comporte de nombreuses entrées relatives au cinéma. Sans surprise, le doux François Truffaut est l’insulteur le plus cité.

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Je note pour mémoire l’ensemble des acteurs, cinéastes et autres personnalités du cinéma insultées figurant dans le bouquin :

- acteurs : Bourseiller, Bourvil, Brando, Brel, Casarès, la Cicciolina, Cooper, Cuny, Debbouze, Fernandel, Fields, Deneuve, Fresnay, Garbo, Jouvet, Karina, Lambert, Laughton, Monroe, Printemps, Raimu, Renaud, Rossi, Yanne ;

- cinéastes : Allégret, Allen, Antonioni (et autres), Bertolucci, Bresson, Bunuel, Carbonnaux, Chaplin, Clouzot, Cocteau, Duvivier, Eastwood, Eisenstein, Duras, Dreyer, Giovanni, Godard, Guitry, Hawks, Lang, Lévy, Moix, Murnau, Pagnol, Robbe-Grillet, Truffaut, Welles ;

- autres : Bardèche, Brasillach, Dutourd, Langlois, Pathé, Prévert.

Toutefois, mes deux "insultes" préférées ne concernent que très lointainement le cinéma :

- la première est la reprise par Pierre Vidal-Naquet d’une expression de Bernard-Henri Lévy, « bateleur analphabète », qu’il applique à son auteur ;

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- la seconde est d’Alphonse Allais, dans ses immortelles pensées : « La preuve que Shakespeare n’a jamais écrit les pièces qu’on lui prête, c’est qu’on le surnommait "Willy". »

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"L'ORDRE ÉTABLI" DES "COLLABORATEURS"

16 Septembre 2010, 02:00am

Publié par Mister Arkadin

Toujours plus soucieux de "bousculer l'ordre établi", selon la vocation proclamée en "édito", Les Inrockuptibles viennent de changer de "formule". Près de cinquante pages de pub sur cent quarante-huit ; dans l'ours, une bonne trentaine de "collaborateurs" (pigistes sans doute ; et stagiaires ? en majorité "intellos précaires" à coup sûr), en plus des permanents (trois pour le cinéma, sur dix signataires...). Pas de doute, "l'ordre établi" n'a qu'à bien se tenir avec la bande du banquier Pigasse !


Compléments :

(5 décembre 2010) : les "collaborateurs" sont quarante dans l'ours du n°783 (1-7 décembre 2010), preuve que Les Inrockuptibles est de plus en plus un journal en phase avec les évolutions actuelles, en l'occurrence la précarisation du travail : n'est-ce pas une qualité pour un magazine qui se veut aussi "tendance" ?

(25 janvier 2011) : un autre observateur a relevé quelque anomalie dans l'ours de ce magazine, mais pas avec le même regard que moi, Marc Cheb Sun ayant titré son article sur le sujet « Les Inrocks font peau neuve, mais restent blancs ! » Ces petits messieurs-dames des Inrocks se piquant de cinéphilie, ça a dû leur rappeler le titre d'un des premiers films Lumière : L'Arroseur arrosé !

(24 février 2012) autre illustration du principe de "l'arroseur arrosé" avec la diversité au Mouvement les Jeunes Socialistes).

(30 avril 2012) Je tombe en bibliothèque sur une Anthologie des Inrockuptibles sous-titrée "25 ans d'insoumission", et n'arrive pas à déterminer s'il s'agit d'ironie ou d'infatuation.

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ENCORE UN INSTANT DE CINÉMA POPULAIRE

3 Août 2010, 23:31pm

Publié par Mister Arkadin

Est reproduite ci-dessous une note de lecture que je viens de publier dans Jeune cinéma (n°331/332, été 2010, p.138-139).


Christian-Marc Bosséno, Yannick Dehée (dir.), Dictionnaire du cinéma populaire français des origines à nos jours, préface de Jean-Jacques Bernard, Paris, Nouveau Monde éditions, octobre 2004, 810 p. ; 2ème édition, préface de Christine Masson, octobre 2009, 894 p.


http://www.nouveau-monde.net/Resources/titles/84736100818460/Images/84736100818460L.gifJean-Baptiste Thoret avait souligné cruellement, dans sa chronique de Charlie hebdo (n°664, 9 mars 2005), à quel point certaines entrées du Dictionnaire du cinéma populaire français étaient d’une faiblesse navrante, voire indigentes. Il pointa par exemple du doigt cette "analyse" du Cinquième élément : « Besson, dans son élément, n’a pas eu d’autre ambition ici que de bien s’amuser, avec l’argent dont il disposait (500 millions), pour offrir à son public ce qu’il attendait : du grand spectacle réussi ». Thoret regrettait également que n’aient pas été apportés d’éclaircissements bien pertinents sur la notion éminemment complexe de "populaire", surtout appliqué au soi disant "septième art". Quoi qu’il en soit, malgré l’inégale qualité de ses notices, habituelle pour un ouvrage collectif (plus encore quand il mêle journalistes et universitaires), ce dictionnaire présentait d’abondantes richesses, en particulier sous la plume d’un Paul Vecchiali ou d’un Noël Herpe, quand ce n’était pas sous celle de tel pionnier de l’histoire du cinéma, plagié de façon transparente à propos de Sous les toits de Paris : « La poésie y prime trop le réalisme […], elle y maintient le bonheur encore un instant. » Il avait aussi le mérite de ne pas se limiter aux films, réalisateurs et acteurs, puisqu’il consacrait aussi des notices aux journalistes (France Roche par exemple, à propos de laquelle on peut cependant regretter que ne soient pas rappelés ses brillants débuts à Ciné-Mondial), aux compositeurs et producteurs, notamment. Certes, les auteurs faisaient un peu trop confiance aux mémoires des personnalités dont ils tiraient les portraits (les erreurs ou omissions allant bon train pour certains, par exemple François Chalais, dont on oublie quel remarquable critique il fut à Combats, sous le nom de François-Charles Bauer) et l’accent y était un peu trop mis sur les personnalités de ces trente dernières années, sans toutefois ignorer les "anciens", tendance renforcée par l’actualisation opérée pour la seconde édition, publiée en octobre 2009. Des choix discutables ont également été effectués en ce qui concerne l’espace accordé aux uns ou aux autres, les familles Gélin ou Laffont (une page chacune) ne paraissant pas moins importantes que les seuls Emmanuelle Béart ou Bernard Giraudeau (deux pages chacun). Mais, au moins, plusieurs pans de cinéma peu considérés, la gauloiserie, l’érotisme et le porno, entre autres, ne sont pas passés sous silence, Brigitte Lahaie ayant légitimement autant droit de cité que Véronique Genest. Plus encore que les textes, de bonne facture sans être éblouissants d’originalité, informatifs et relativement informés mais n’apportant que peu de bonheur d’écriture ou d’érudition, c’est la splendeur de l’iconographie qui retient l’attention, ainsi que son impressionnante diversité (photos et affiches de films bien sûr, mais aussi couvertures de magazines, de disques et de livres, matériaux publicitaires, etc.). L’équilibre entre photos et textes est en outre remarquable. On en regrette d’autant plus le remplacement, en couverture de la seconde édition, du magnifique dessin de Tardi qui ornait la première par un assemblage de photos de stars assez banal. Au rang des déceptions, ajoutons l’absence d’index et de liste récapitulative des articles. Savourons en revanche l’annexe qui donne à la fois la liste des « 100 films français ayant réalisé les meilleurs scores d’entrées en salles depuis 1945 » et celle des « 100 films français les plus diffusés à la télévision ». La Grande Vadrouille ayant de nouveau réalisé la meilleure audience ciné de l’année 2009 à la télévision française, se plonger dans ce Dictionnaire du cinéma populaire français s’avère aussi instructif que plaisant !http://www.nouveau-monde.net/Resources/titles/84736100491640/Images/84736100491640L.gif

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LE CINÉMA ET LE MONDE DE COCTEAU

27 Juillet 2010, 12:50pm

Publié par Mister Arkadin

Est reproduite ci-dessous une note de lecture que je viens de publier dans Jeune cinéma (n°331/332, été 2010, p.142-143).

 


Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série, n°7, août 2009, « Jean Cocteau. Le cinéma et son monde », par Francis Ramirez et Christian Rolot – Paris, éditions Non Lieu

 


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Que pouvait-il être écrit de nouveau sur la relation de Jean Cocteau au cinéma ? Tout n’avait-t-il pas été trouvé et étudié par des chercheurs aussi perspicaces qu’Alain et Odette Virmaux, Jeanne-Marie Clerc, Claude Gauteur, Philippe Azoury et Jean-Marc Lalanne, entre autres ? Que pouvait donc apporter le volume que le comité Jean Cocteau a consacré au sujet, d’autant qu’un précédent Cahiers Jean Cocteau (n°3, 2ème trimestre 1972) avait déjà recueilli les témoignages de Charensol, Bory, Langlois et Bresson sur « Jean Cocteau et le cinématographe » ? Avouons que le choix de « l’empilement des faits, des projets et des opinions », sous forme de « chronologie factuelle », pour présenter « les relations entre Jean Cocteau, le cinéma et son monde » paraît à première vue une solution de facilité, une façon de compiler sans gros efforts de recherche et d’analyse tout ce qui a été publié depuis longtemps ici ou là. De nombreux textes et entretiens dans lesquels Cocteau évoque le cinéma n’ont certes toujours pas été recueillis en volume, mais l’essentiel n’a-t-il pas été divulgué, notamment dans Du cinématographe (textes réunis et présentés par André Bernard et Claude Gauteur, Monaco, Éditions du Rocher, septembre 2003) ? Francis Ramirez et Christian Rolot ne prétendent du reste nullement révolutionner la connaissance en la matière. Et pourtant, les mêmes faits en un autre ordre assemblés donnent incontestablement une vision plus claire des choses. La profusion des dates, des notations réunies les unes derrière les autres, de façon à la fois concise et précise, montre d’une manière saisissante à quel point le cinéma fut une préoccupation majeure et quasi journalière de Cocteau durant les trente dernières années de sa vie. Pour ce faire, en bons universitaires, les auteurs ont fait feu de tout bois, prélevant leurs informations aux sources les plus variées, dont l’abondance étourdit presque : ouvrages sur le sujet, archives (notamment la correspondance conservée par la Bibliothèque historique de Paris), nombreux volumes de journaux et de correspondances, mémoires (Le Passé défini), recueils d’articles, revues, bulletins et catalogues divers, etc. Nous est ainsi livrée une sorte d’indexation croisée qui permettra de se repérer dans la masse des documents laissés par Cocteau ou concoctés par ses admirateurs et exégètes. Sur le fond, cette chronologie montre de manière remarquable la façon dont Cocteau a contribué au « triomphe de l’auteur-metteur en scène », qu’il décèle fin 1944 dans L’Espoir de Malraux et qui lui apparaît de plus en plus nécessaire à mesure qu’il se rend compte que « l’idée » ne peut être « directement écrite pour les yeux sur l’écran », selon l’idéal qu’il se forge, que s’il parvient à mettre en scène lui-même ses films. La masse des obstacles que Cocteau rencontre pour insuffler sa vision aux films auxquels il participe le conduit à en prendre son parti : « [Le Baron fantôme] est un film de Poligny. Le metteur en scène gagne toujours et donne son niveau. Quoi que je fasse, L’Éternel Retour sera un film de Delannoy. Je ne ferai plus de films ou je les mettrai en scène » (Journal, 16 mars 1943). Il n’aura de cesse dès lors de surmonter les entraves, notamment financières, pour réaliser ses propres œuvres. Parallèlement à ce cheminement personnel vers la réalisation, la richesse des notations de Cocteau consignées sur les films et sur le travail de ses confrères montre la pertinence du spectateur qu’il fut, souvent sévère, voire caustique (à l’égard de Carné, par exemple), de l’historien en temps réel des évolutions qu’il observait (ainsi a-t-il tôt fait de noter que, sous l’Occupation, « une nouvelle génération de cinéastes » émergeait, « toute différente de celle qui existait avant ») et du critique des mœurs cinématographiques, parfois impitoyable : « À Cannes, il n’y a même plus de snobs. Même plus ce public qui applaudissait certains noms à l’avance. Il n’y a plus que des imbéciles prétentieux et inattentifs » (Le Passé défini, 6 mai 1956). Nul doute qu’il y a encore beaucoup à découvrir sur ce sujet protéiforme par excellence que constitue Cocteau et le cinéma. Et quelque chercheur audacieux et persévérant réussira bien un jour ou l’autre à renouveler la question. Le minutieux travail de Ramirez et Rolot constitue néanmoins à coup sûr une balise qui fera date.

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AUTOUR DU CINÉMA

5 Juin 2010, 12:50pm

Publié par Mister Arkadin

Après un dossier « Autour de Béraud », auquel j’aurais dû participer (avec un article sur la couverture du procès Landru, phénomène judiciaire et quasi mondain du début des années 1920, par les journalistes et écrivains - Béraud, Colette, Vuillermoz, etc. ; j’espère que ce n’est que partie remise), la revue littéraire Livr’Arbitres publie, dans son n°3, un dossier « Autour du cinéma », auquel j’ai cette fois-ci trouvé le temps de contribuer par un bref hommage à « Rohmer, l’irréductible » et par un assez long entretien sur Rebatet et le cinéma sous l’Occupation (dans lequel je réponds indirectement à l’article godardo-seberguien paru dans le numéro de mai de la revue Positif ; d’autres ripostes suivront). Ce dossier comporte aussi un extrait des mémoires de Louis Védrines sur le cinéma sous l’occupation, un entretien avec Gilles de Beaupte, des "Études rebatiennes" et un article de Blaise de Hegelson sur « les erreurs et négligences d’un vieux cinéphile : Jean Tulard » (pour reprendre les termes de l’annonce par la revue).

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A découvrir également avec délice dans ce numéro, que le rédacteur en chef de la revue (Patrick Wagner) présente aujourd’hui au micro du "Libre journal des lycéens", un entretien avec Philippe Alméras (« Montherlant se voulait un artiste "totaliste", il voulait exprimer le haut comme le bas ») et deux contributions d’amis, l’excellent Alain Paucard sur Pierre Gripari et l’admirable Francis Bergeron, l’éditeur des Cahiers Béraud, qui reprend à Jean Mabire l’idée d’une chronique « Que lire ? ».

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QUI A VU L'OURS... DES "INROCKS"...

14 Septembre 2009, 23:07pm

Publié par Mister Arkadin

L’un des principaux employeurs de travailleurs précaires, notamment sous forme de vacataires, serait… l’État. Ce dernier est pourtant sans doute très loin de concurrencer le secteur audiovisuel en matière de précarité, tant la pratique des stages y est généralisée, comme le rappelle Séb Musset dans une vidéo sur les « gentils stagiaires ».

Pour ma part, je me suis amusé à regarder l’ours des Inrockuptibles, "news magazine générationnel rebelle à l'ordre établi" (comme dit son patron, le banquier d'affaires de Lazard Matthieu Pigasse) (1) se voulant de gauche "réformiste" (flairez l’arnaque dès l'adoption de "Le News culturel" comme sous-titre…) qui s’est fait une spécialité de la dénonciation de la précarité et du sort réservé par la France-Fachô aux immigrés et travailleurs clandestins, ainsi que des grands groupes audiovisuels (de son capitalisme et de sa complicité avec un pouvoir droitier). Faut-il lui jeter la pierre alors qu’il essaie désespérément de lancer une énième nouvelle formule ? Formule, sous la houlette d’un banquier philanthrope et amoureux de la Culture (« Le rachat des "Inrocks" est engagement », qu'il dit), visant à le transformer en magazine de société, ce qui le rapprochera encore un peu plus, sur la forme et sur le fond (la seule véritable différence étant le ton de coolitude branchée), de Télérama, modèle à demi-avoué, car honni et envié pour sa prospérité (2).    Au moins Télérama, quoi qu’on pense de son contenu rédactionnel (souvent très énervant), donne-t-il les programmes relativement complets de la télé, de la radio et du cinéma en région parisienne, ce dont Les Inrocks a toujours été incapable ; au moins rend-il donc service. Fermons les parenthèses et revenons à l’ours des Inrockuptibles (je prends celui que j’ai sous la main, du 12 mai 2009, n°702, p.27). Ce qui frappe, c’est qu’il n’est quasiment pas un domaine d’activité où ce journal n’emploie des stagiaires. J’en compte près d’une vingtaine au total. Si l’on y ajoute les pigistes, c’est-à-dire ceux qui « ont collaboré à ce numéro » comme il est écrit, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’ils n’y collaborent pas régulièrement (tel Vincent Ostria), on se rend compte qu’un bon tiers des personnes travaillant pour Les Inrocks n’y ont pas un emploi stable. Et certains ne doivent pas seulement y préparer les cafés, puisqu’ils peuvent y occuper soit des postes à responsabilité (la « coordinatrice » de la « Publicité culturelle » - gros secteur, soit dit en passant, dans ce magazine anti-libéral), soit carrément plusieurs postes (ainsi une stagiaire travaille-t-elle à la fois pour les « Événements et projets spéciaux », en collaboration avec la « responsable », et à la « Publicité commerciale » - autre gros secteur…), soit travailler à la fois pour le magazine papier et pour sa version Internet.

Je suppose que si Les Inrockuptibles affiche aussi ouvertement son recours massif à une armée de stagiaires, c’est que leur sort est tout de même un peu plus enviable que celui des esclaves de l’audiovisuel ou que celui des étudiants exploités en fin d’études (sans doute pour leur donner un petit avant-goût de ce qui les attend…). Ce phénomène me laisse cependant assez dubitatif.


Notes :

(1) Entretien donné au Figaro du 20 juillet 2009.


Compléments :

- 10 octobre 2009 : un lecteur me signale que, depuis la parution de ce billet (je n'aurais pas l'outrecuidance d'y voir une relation de cause à effet), l'ours des Inrockuptibles a été nettoyé de toute mention des stagiaires et pigistes.

- (2) 26 décembre 2009 : récemment est, comme par hasard, apparu le papillon "Nouveau jour de parution / le mercredi", ce qui permet aux Inrocks de se poser encore un peu plus en alternative à Télérama.

Se poser en contre-modèle Télérama est cependant nécessaire pour ne pas décevoir le lectorat branché (Les Inrockuptibles, n°884, 7 novembre 2012, p.10) : http://farm9.staticflickr.com/8481/8196092689_6ae71cc3d6_c.jpg

- 25 juillet 2011 : à lire sur ce blog un deuxième article sur la rebellitude des Inrocks (« "L'ordre établi" des "collaborateurs" »), à lire sur celui de Pierre Jourde « La banque, c'est rebelle » (repris dans C'est la culture qu'on assassine, Paris, Balland éditeur, janvier 2011, p.28-30).

- 5 novembre 2011 : un lecteur attentif me fait remarquer que l'hypocrisie des Inrockuptibles à propos de la précarité de l'emploi a été pointé du doigt par Le Monde diplomatique en mai 2006 ( « Le paradis sur terre des intellos précaires ») : « Ils sont ainsi des dizaines de milliers à hanter ce qu’Anne et Marine Rambach, dans Les Intellos précaires. ont appelé les "banlieues de l’intelligentsia". Avec eux, le procédé journalistique classique consistant à recueillir des témoignages, puis à les faire analyser par des "experts", s’avère inapplicable : dotés de tous les outils théoriques nécessaires, habités d’un vif intérêt pour la marche de la société en général, ils sont des analystes très compétents de leur propre situation – d’autant plus que certains ont l’habitude de travailler sur la précarité : un magazine comme Les Inrockuptibles, notamment, qui a trouvé là un créneau éditorial jeune et branché, fait réaliser ses dossiers par des légions de pigistes payés au lance-pierre, voire pas payés du tout. »

- 22 mai 2012 : coucou le voilou, photo de Matthieu Pigasse dans un article de Marianne du 31 mars - 6 avril 2012 (page 105) intitulé « 2007 - Les Caisses d'épargne transformées en une Sarkobank ». MP serait-il l'un de ses virtuoses à la JA qui sait toujours choisir le bon cheval ?

- 8 juillet 2012 : cette couverture des Inrocks (n° du 4 au 10 juillet 2012), la fausse droite adoubée par la fausse gauche, serait-ce le coup de pied de l'âne ?

http://www.magazinedown.com/upimg/201207/04/0417440119.jpeg - 18 juillet 2012 : on pourrait se poser la même question à propos des quatre pages d'entretien accordées par Marianne à Roselyne Bachelot dans son numéro 795 (13-20 juillet 2012, p.32-35). (+ 19 juillet 2014) Hallucinante hagiographie de la mécène public des labos vaccinologistes dans un récent numéro de Libération, sous le titre « Roselyne Bachelot, l'affranchie », dans le cadre d'une série "Sur les chemins de la liberté" (!).

- 31 octobre 2012 : Acrimed à propos de la coolitude des Inrocks.

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SINGULARITÉ DES "CAHIERS" ?

7 Septembre 2009, 23:02pm

Publié par Mister Arkadin

En complétant mercredi dernier l'article "Des goûts, des couvertures et des cahiers", je me suis rendu compte que les couvertures des Cahiers du cinéma ressemblaient de plus en plus à celles des si méprisés Première et Studio. Oh, certes, pour se singulariser (faire chic, diraient les mauvaises langues), on choisit encore un film portugais qui fera 3.000 entrées (2), mais, tout de même une jolie frimousse en très gros plan (1), "ça le fait mieux" qu'un photogramme point de vue marketting, si je puis me permettre de parler comme il convient pour ce genre de pratiques.

Note :
(1) Contrairement aux magazines populaires, Les Cahiers ne publient pas une photo posée hors plateau de l'actrice. Ils y viendront sans doute, mais préfèrent encore une photo du film, qu'ils recadrent pour faire ressortir le visage de la donzelle, contrairement à l'esprit du film d'ailleurs, ce me semble, vu qu'Oliveira filme quasiment tout le temps sa "jeune fille blonde" de loin (comme il sied pour un fantasme), à moins que la réalisation ne soit si plate que ne me reste déjà plus aucun souvenir de plans rapprochés de Catarina Wallenstein. Ainsi n'avais-je pas remarqué qu'elle avait les yeux bleus.

Compléments :
- un lecteur me fait judicieusement remarquer, à propos de photos posées de starlettes en couverture des magazines, que Les Cahiers y sont déjà venus, avec Louis Garrel par exemple, suivant en cela la tendance d'autres gazettes d'un avant-gardisme intransigeant, tels Les Inrockuptibles. Dont acte.
- (2) (septembre 2010) Je suis mauvaise langue. Le film a fait 27.391 entrées en Europe ; 21.287 en France et 6.104 au Portugal. Quelle force de persuasion anime les Cahiers !  

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