J'ai parlé voici deux jours d'anomalie à propos de l'affiche du film Indigènes à sa sortie en salles.
Il faut croire qu'elle n'a pas été relevée par les divers auteurs, producteurs et distributeurs du film, puisque cette affiche fut reprise à l'identique pour l'édition en DVD.
Pour vous mettre sur la piste, je vous renvoie à la cérémonie de remise des prix du festival de Cannes en 2006, que l'on peut regarder dans le cadre d'un JT de France 2 mis en ligne par l'INA ici. Les acteurs d'Indigènes obtinrent un prix d'interprétation collectif.
Si je me reporte aux articles d'alors (par exemple un article de Jérôme Garcin dans Le Nouvel Observateur) ou les « Détails sur le produit » DVD, sur le site en ligne Amazon, j'imagine que le prix fut partagé par Sami Bouajila, Jamel Debbouze, Samy Naceri et Roschdy Zem. Or, un intrus s'était glissé à la cérémonie de Cannes. Un certain Bernard Blancan. Qui'q c'est cui-là ?! D'où qui sort ? Du film ? Ah, oui, c'est vrai, je me souviens. Je me souviens même que, des cinq acteurs principaux, ceux qui obtinrent ce fameux prix, c'était de loin le meilleur - avec Samy Naceri, soyons juste. La question n'est donc pas : d'où sortait-il ? Mais, pourquoi a-t-il disparu du paysage une fois Cannes passé (l'a-t-on souvent entendu ou lu dans les nombreux entretiens que les acteurs ont obtenu de la presse et de la télévision ?) ? Pourquoi est-il sorti de l'affiche ? Ou, plus exactement, pourquoi n'y a-t-il pas été rétabli, puisqu'il avait lui aussi obtenu le prix cannois ?
J'ai du mal à ne pas y voir une forme de discrimination, ce qui pourrait paraître fort de café pour un film prétendant justement dénoncer les discriminations dont furent victimes les "indigènes" des troupes françaises de Libération. Réparer une discrimination en en commettant une autre, n'est-ce pas quelque peu maladroit ?
En premier lieu, il convient de ne pas s'émouvoir outre mesure de cette discrimination, personne ne semblant s'en être rendu compte.
En second lieu, apporter une réserve à propos des si nobles intentions des auteurs, financiers et promoteurs de ce film du fait qu'une injustice aurait été commise au passage ne me semble pas pertinent s'agissant d'un film de propagande. Je suis en effet persuadé qu'un film "engagé", "militant" ou "à message", comme on voudra dire, genre auquel appartient indubitablement Indigènes, ne peut être pleinement efficace que s'il ne s'embarrasse pas trop de nuances et s'il ne se préoccupe pas tant d'être juste que de frapper fort. Aussi les efforts de quelques-uns (notamment Roger Holeindre et Marc-Edouard Nabe) pour rectifier les erreurs du film, en montrer le schématisme, voire une certaine malhonnêteté, à tout le moins un souci à éclipses dans la recherche de la vérité (même le sympathisant Pascal Blanchard, lors d'une émission d' « Arrêt sur images », dut admettre que des contre-vérités étaient colportées par le film et par les discours de Bouchared et de Debbouze), m'avaient-ils parus aussi louables que vains. Le film aurait-il eu un tel succès, aurait-il ainsi pu « faire bouger les choses », à l'instar du plus récent Welcome, s'il avait été moins outrancier ? Et, qui sait, l'injustice faite à Blancan, peut-être était-elle délibérée, et non involontaire comme on pourrait croire ? Pour nous faire prendre conscience d'une discrimination, quoi de mieux que d'en commettre une autre ?
Compléments :
(3 juin 2009) Albert Montagne commente mes billets sur Indigènes sur son blog consacré à la censure (quoiqu'il ne s'agisse à proprement parler pas de cela). Il a bien raison de faire remarquer, de façon plus explicite que je ne l'avais fait (j'aurais dû comme lui placer les illustrations côte à côte dans ce deuxième billet - je rectifie aujourd'hui), que le nom de Bernard Blancan a été inscrit sur la jaquette du DVD (alors qu'il ne figurait pas sur l'affiche), sans pour autant que sa bobine ait été ajoutée sur la photo, qui demeure inchangée.
(8 janvier 2012) Coupure de presse tirée de « 1 500 ans d'histoires de France : les dates, les héros, les légendes » ("Les Collections de L'Histoire", Sciences Po Paris, n°44, 2009, p.83) :
(22 février 2013) La photo choisie pour l'affiche et pour le DVD d'Indigènes vient de l'être pour la couverture d'un livre, publié en 2013 par le Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) de Basse-Normandie, intitulé Le cinéma peut-il nous apprendre l'histoire ? (par Dominique Briand) :
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