Dans une très bonne critique parue sur son site « Enquête & Débat », Jean Robin juge « décevant », de façon très pertinente, le dernier film de Pierre Carles, Fin de concession. Il ne revient cependant pas sur un point évoqué dans un précédent papier, la feinte candeur de Jean-Luc Mélenchon lorsque le réalisateur l’a interrogé sur "Le Siècle", à laquelle appartiennent plusieurs des dirigeants politiques qu’il a côtoyés au sein du parti socialiste et de gouvernements formés majoritairement par celui-ci (1).
Jean Robin ne se montre-t-il pas un peu décevant, à son tour, lui qui est soucieux de ne pas participer à l’ostracisation des mouvances dites d’extrême-droite (surtout pour qu’elles ne puissent se prévaloir de la censure dont elles font l’objet), en ne rappelant pas que ce club "Le Siècle" serait bien plus fameux encore si les enquêtes de journalistes classés à l’extrême-droite n’étaient délibérément ignorées des médias du Système ? Quelle est en effet la principale source de la notice de l’encyclopédie en ligne Wikipédia du "Siècle" ? Les travaux publiés par Emmanuel Ratier (Au cœur du pouvoir. Enquête sur le club le plus puissant de France, Paris, Facta, 1996, 589 p.), dont on trouvera un résumé dans une émission de Serge de Beketch sur Radio Courtoisie (2).
Ne nous refait-on pas le coup de Péan, dont l’enquête aurait révélé le passé vichyste de Mitterrand (3) ?
Que Pierre Carles et Jean Robin découvrent avec tant de retard "Le Siècle" et s’abstiennent d’indiquer que celui-ci a déjà fait l’objet d’au moins une étude approfondie, par crainte sans doute d’être assimilés à quelque obscures complotistes, voici effectivement qui est décevant.
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Notes :
(1) L'extrait en question peut être écouté dans l'émission "Là-bas si j'y suis" du 26 octobre 2010.
(2) Une autre présentation des recherches d'Emmanuel Ratier peut être écoutée dans l'émission du 28 novembre 2010 de "Méridien Zéro".
(3) A propos de Mitterrand, l’opération est de nouveau à l’œuvre s’agissant de son attitude pendant la guerre d’Algérie (en particulier vis-à-vis de l'application de la peine de mort alors qu'il était ministre de l'Intérieur, puis de la Justice), le benêt de la crèche Serge Moati se disant une nouvelle fois bouleversifié (cf. supplément "Télévisions" du Monde, si mes souvenirs sont bons). Notons à cet égard la différence d'attitude des deux réalisateurs du film. L'un, François Malye, a reconnu au micro de "Ménard sans interdit" (iTélé, 27 octobre 2010), que c'était déjà « sorti, comme pour la francisque », aux débuts des années 1980, « mais c'[était] sorti dans "Le Crapouillot" et dans "Minute", et donc c'était discrédité parce que c'était la presse d'extrême droite », ce qui permet au dit Minute de se réjouir (« A force de reconnaître qu'on a eu raison vingt ou trente ans avant tout le monde, on va peut-être finir par nous croire... », 3 novembre 2010, p.15). L'autre, Benjamin Stora, dans un entretien donné à Politis (28 octobre 2010, p.24-26), prétend que les positions de Mitterand n'avaient jusque là été évoquées que dans les travaux de Jean-Luc Einaudi (1986), et, « plus récemment », dans ceux de Sylvie Thénault. Stora manquant sans doute d'audience dans les médias, il faut bien qu'il choisisse ce qu'il dit et ce qu'il tait. Il donne ensuite quelques explications pour expliciter le silence des uns et des autres sur le sujet jusqu'à ce qu'il se dévoue pour se mettre au boulot. On appréciera l'explication du réveil non seulement par l'accessibilité des archives, mais aussi par "une conjoncture politique" ayant deux aspects. D'abord « un désir des jeunes générations, en particulier les enfants de l'immigration postcoloniale » de « connaître leur passé, celui de leurs parents et celui d'une France qui a été en guerre coloniale », l'échec cinglant du dernier film de propagande franco-algérienne de Rachid Bouchared, Hors-la-loi (sur lequel Benjamin Stora a écrit un texte intéressant, quoique pourvu des biais habituels, dans Les Cahiers du cinéma), faisant douter de cette prétendue ardente volonté des enfants de l'immigration postcoloniale de connnaître "leur passé" (pour autant que la volonté de connaître le passé, autrement qu'instrumentalisé, parcellaire et partial, soit encouragée chez eux, comme chez tous les autres d'ailleurs, par l'Education nationale, les médias et politiques réunis). Ensuite par « le renouvellement des générations politiques à gauche » permettant que « la période des années 1980 et 1990 [soit] passée au crible de la critique, ce qui n'était pas alors possible ». Stora voudrait-il stigmatiser l'aveuglement volontaire de "la gauche" qu'il ne dirait pas autre chose !
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Compléments :
(1) La dénonciation de "l'oligarchie" ne s'est rarement aussi bien portée que depuis la crise de 2008, le terme même n'étant plus du tout tabou, puisque son utilisation va de Michel Onfray (Le Monde, 9-10 janvier 2011, p.26) à Daniel Schneidermann (sur son site "Arrêt sur images"), en passant par Hervé Kempf (journaliste au Monde, auteur de L'Oligarchie ça suffit, vive la démocratie !), Eva Joly, Roland Dumas (dans ses mémoires Coups et blessures, 50 ans de secrets partagés avec François Mitterrand), Philippe Nemo (« La double oligarchie de la Ve République », Le Débat, n°114, été 2006), Jean-Claude Guillebaud (« une oligarchie roturière plane sur le pays », Le Nouvel Observateur, supplément "TéléObs", n°2397, 14-20 octobre 2010, p.106 ; Guillebaud allant jusqu'à ajouter une pointe de maurassisme en parlant des "gens d'en bas", ignorés par "la gauche", dans« Un immense malentendu »,Le Nouvel Observateur, n°2430, 2 juin 2011, p.36), Étienne Chouard («10 raisons de sortir de l'Union européenne»), Éric Verhaeghe (fils d'ouvrier devenu énarque épinglant le "fatalisme oligarchique" dans Jusqu'ici tout va bien, Éditions Jacob-Duvernet, janvier 2011), Alain Cotta (Le Règne des oligarchies, Plon, 2011), Yvan Blot, Jean Garrigues (présidant du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique, dans Les Patrons et la politique : 150 ans de liaisons dangereuses), Tzvetan Todorov (Le Monde, 27-28 mars 2011, p.18 : « Dans les pays européens, il arrive fréquemment que les gouvernements se mettent au service des puissances d'argent, donnant lieu à une nouvelle oligarchie politico-économique qui gère les affaires communes dans l'intérêt de quelques particuliers. »), Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (« Nous vivons sous le régime de l'oligarchie financière », Le Monde, 18 juin 2011, p.23 ; « En vérité l'alternance politique est une sorte de bicéphalisme plus ou moins organisé qui permet de maintenir la défense des intérêts de l'oligarchie », L'Humanité, 13-15 septembre 2013, p.16), Clémentine Autain ("Rencontres de Pétrarque : Vous avez dit populisme ?", 19 juillet 2011), Alain Badiou (Le Réveil de l'histoire), Christian Vanneste (parlant d'« oligarchie de notre République », à laquelle s'opposerait sa proposition de loi en faveur de mesures de démocratie directe, Radio Courtoisie, 2 décembre 2011), Serge Federbusch (Conférence du Réseau des Français Libres, 3 décembre 2011), Sophie Coignard et Romain Guibert (L'Oligarchie des incapables, Éditions Albin Michel), Marcel Gauchet (« L'évolution oligarchique de nos régimes est en phase avec la dépolitisation des citoyens », Causeur, n°43, janvier 2012, p.31), Christophe Bourseiller (à la sortie de son livre L'Extrêmisme. Une grande peur contemporaine, "Y a-t-il un risque populiste à gauche ?", "Du grain à moudre, France Culture, 26 janvier 2012), Daniel Schneidermann (« les combines de l'oligarchie française, pour truster envers et contre tout des postes auxquels seule les qualifie leur incompétence », "Arrêt sur images", 20 février 2012), Bernard Stiegler (Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sélectionnés pour la Présidentielle de 2007 par « le système médiatico-politique », d'après l'un de ses vingt-sept livres en dix ans, "Arrêt sur images", "Dans le texte", 4 avril 2012), Bertrand Tavernier (émission "C à vous", 10 avril 2013, dans laquelle le réalisateur fait également part de son "envie d'exécuter le juge Outreau"...), Laurent Mauduit (les "oligarchies financières et politiques" se protégeant mutuellement et profitant d'un "capitalisme de connivence s'accomodant d'importantes zones d'ombres et de violations des règles légales", Marianne, 13-19 avril 2013, p.39), Serge Halimi (Le Monde diplomatique, n°710, mai 2013, p.9, "un système oligarchique" profitant aux riches, notamment aux USA), Michèle Riot-Sarcey (« S'il y a un réveil, aujourd'hui, c'est à l'encontre de la démocratie des ploutocrates et des oligarques qui nous a été imposée », Le Monde, 8 juillet 2016, p.20) et donc par Mélenchon (« La construction de notre discours politique oppose deux catégories : d'une part le peuple, de l'autre l'oligarchie », Le Monde, 6-7 février 2011, p.8 ; « Notre pays est très riche mais sa richesse est captée par un petit groupe. C'est l'oligarchie, qui accapare le pouvoir, les médias et impose ses règles au niveau européen et mondial », tract "L'avenir en commun : Mélenchon 2017", janvier 2017), quand la notion n'est pas reprise implicitement : « En fait de démocratie, notre système est confisquée par une toute petite minorité » (Jacques Rancière à "Ce soir (ou jamais !)", cité par Basile de Koch, Valeurs actuelles, 27 janvier 2011, p.65). La stigmatisation du "Système", naguère l'apanage des courants idéologiques dits "d'extrême-droite" se portent on ne peut mieux désormais aussi bien "à gauche" qu'"à droite". Ainsi Martine Aubry a-t-elle, du côté PS, déclaré que son concurrent François Hollande lors de la Primaire socialiste de 2011 était le candidat choisi par le Système ; Guillaume Peltier assurant du côté de l'UMP (pour qui il effectue des études d'opinions), dans des propos rapportés par 20 Minutes le 27 janvier 2012, p.6 : « Le système a choisi François Hollande, mais le favori n'a jamais gagné une présidentielle. »
Sachant que les commentateurs "autorisés" rangent parmi « les thèses que mettait en avant l'extrême droite française dans les années 1930 », la « croisade contre les oligarchies (à l'époque on disait aussi "ploutocratie") » (« Marine Le Pen : le retour aux années 1930 », par Alain Duhamel, Libération, 31 mars 2011, p.26), cela nous donne une "extrême-droite" aussi pléthorique qu'hétéroclite ! Emmanuel Todd dénonce également l'obligarchie dans des propos recueillis par Élisabeth Lévy pour Le Point (n°2046, 1er décembre 2011, p.66-70), tout en déclarant qu' « il serait préférable, si ce terme ne renvoyait aux slogans antisémites, de parler de ploutocratie » (Remi Soulié choisit pour sa part d'associer les deux termes en parlant du "régime ploutocratico-oligarchique", "Boulevard Voltaire, 13 avril 2013) ; une marche supplémentaire est franchie par Todd à "Ce soir ou jamais", le 14 février 2012, où il parle de « complot des élites ». Enfin, des termes plus violents sont parfois utilisés pour dénoncer un phénomène similaire, par exemple par Nicolas Dupont-Aignan, qui parle pour sa part de la "mafia au pouvoir" (Le Monde, 18.19 décembre 2011, p.9).
(2) « Dans les cercles de l'oligarchie française », annonce en une Le Monde diplomatique de février 2011 (n°683), qui renvoie à l'article des pages 22 et 23, « Aux dîners du Siècle, l'élite du pouvoir se restaure » (repris dans Manière de voir, n°122, avril-mai 2012, p.34-36). Aucune mention de publications d'Emmanuel Ratier, cela va de soi, pas plus dans la pseudo-enquête publiée par Anne-Sophie Mercier dans l'hebdo bancaire "de gauche" Les Inrockuptibles (2 février 2011, p.48-50).
(3) Aucune mention non plus dans l'une des rares "recherches" universitaires sur "Le Siècle" (« "Le Siècle" (1944-2004), un exemple de sociabilités des élites », par Anne Martin-Fugier, auteur des Salons de la IIIe République. Art, littérature, politique, chez Perrin, en 2003), parue dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire (n°81, janvier-mars 2004, p.21-29).
(3) bis (20 mai 2012) Dans une recherche à la fois plus générale et nettement plus poussée, parue elle aussi dans Vingtième Siècle (n°114, spécial "Patrons et Patronat en France au 20e siècle", avril-juin 2012, p.137-151 : « Mythologies conspirationnistes et figures du discours antipatronal »), Olivier Dard cite aussi bien les publications d'Henry Coston que celle d'Emmanuel Ratier.
(3) ter (30 juin 2012) Réaction de ce dernier dans le n°338 Faits & Documents (15-30 juin 2012, p.10).
(4) Emmanuel Ratier semble être le seul journaliste à avoir remarqué, dans son "Libre journal de Résistance française" du 9 février 2011, que les deux journalistes (Nicolas Demorand et Erik Izraelewicz) placés récemment à la tête de deux des principaux quotidiens français sont membres du "Siècle".
(5) (3 mars 2011) L'ouvrage d'Emmanuel Ratier, Au cœur du pouvoir. Enquête sur le club le plus puissant de France, vient d'être réédité. Une présentation est disponible sur un site consacré à ce club et sur un document promotionnel comprenant la préface et des extraits.
(6) (3 avril 2011) Emmanuel Ratier, dans un entretien donné à Flash info (n°62, 24 mai 2011, p.8) se fait un malin plaisir de citer longuement le livre d'Hervé Kempf en le commentant de la sorte : « Ce qui me plaît, c'est que tout ce qui est dit précédemment était écrit depuis des décennies par des gens comme mon maître Henry Coston et que cela faisait scandale. Aujourd'hui, le gratin intellectuel qui réfléchit admet qu'effectivement une petite "caste" nous gouverne pour notre plus grand malheur. »
(7) (19 août 2011) Pierre Carles revient sur Mélenchon et le Siècle dans un débat sur son film (extrait ici).
(8) (17 octobre 2011) Le livre d'Emmanuel Ratier est, enfin, cité en bonne place dans un article de Bertrand Laurier paru dans la revue Robert Ménard et Emmanuelle Duverger Médias (n°29, été 2011, p.14-20, « Les journaliste embedded dans les cercles du pouvoir »).
(9) Un documentaire d'un petit peu plus d'une demi-heure, intitulé "La France du Siècle", circule depuis octobre sur Internet. Y sont interrogés l'excellent Yann Sarfati (rigolo, son petit air de famille avec Saïd Taghmaoui), Pierre Carles et Emmanuel Ratier. Le second met comme d'hab en avant son rôle dans le dévoilement du club "Le Siècle", sans bien sûr mentionner les travaux de Ratier. A l'inverse, ce dernier salue le travail de Pierre Carles tout autant qu'il rappelle le sien.
(10) Selon Emmanuel Ratier, parmi les membres admis ces dernières mois au Siècle figurent (outre Jeannette Bougrab, les fille et fils Arnault, Bolloré et Decaux, ainsi que le "socialiste" Olivier Ferrand), la productrice et documentariste Yamina Benguigui, et Serge Toubiana, ancien critique de cinéma et directeur de la Cinémathèque française. L'ancien Mao y rejoint le producteur Alain Terzian, qui ne s'est jamais caché de le fréquenter pour y soigner son réseau. Il prend surtout le relais d'Yvonne Dornès (1910-1994), qui fut à la fois l'une des fondatrices du Siècle et l'une des principales animatrices de la Cinémathèque française. Une autre personnalité du cinéma a récemment déclaré avoir été « invité une fois à un dîner du "Siècle" ; je n'y suis jamais retourné » (Jean-Claude Carrière, "Libre journal du cinéma" du 26 janvier 2012).
Emmanuel Ratier dresse le portrait de Serge Toubiana dans le n°333 de sa lttre d'information Faits & Documents (1-15 avril 2012, p.7), celui de Yamina Benguigui dans le n°338 (15-30 juin 2012, p.9) et celui de Sidonie Dumas dans le n°385 (1-15 octobre 2014, p.7).
(11)
(Lazard vs. Goldman Sachs)
(Le Point, n°2133, 1er août 2013)
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(L'Humanité Dimanche, n°367, 20-26 juin 2013)
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(Courrier International, n°1224, 17-23 avril 2014)
(12) Article du numéro 30 de la revue Médias qui, par d'autres détours, arrivent à peu près aux mêmes constats et conclusions.
(13) (5 juin 2012) Dernière présentation audio de ses recherches par Emmanuel Ratier : "Le Cercle des Volontaires", 3 juin 2012.
(14) (10 avril 2013) L'"affaire Cahuzac" a relancé la dénonciation de l'oligarchie, principalement dans les rangs du Front de gauche de Jean-Louis Mélenchon, mais aussi au sein même du PS, le député Gaëtan Gorce stigmatisant "un processus d'oligarchisation de l'appareil dirigeant du parti".
(15) (29 septembre 2014)