Mister Arkadin

DE "LA BELLE ÉQUIPE" A "CAMPING"

2 Mai 2013, 15:15pm

Publié par Mister Arkadin

Au lendemain de la publication par Mediapart d'un article de Laurent Mauduit montrant très bien (C1), à l'occasion du 1er mai, comment les ouvriers français sont gaillardement trahis par le gouvernement "français" et "socialiste", le n°147 d'Éléments tombe à pic pour rappeler que ce n'est guère une suprise :

 

http://blogelements.typepad.fr/.a/6a0147e4419f47970b01901b83af99970b-piL'un des fils conducteurs de l'ensemble des articles du dossier est la représentation des classes populaires au cinéma, avec des photos de Gabin dans Le Jour se lève et La Belle équipe, de Que la bête meure (à propos de « L'invention du beauf », immortalisé sous les traits de "Dupont Lajoie" par Yves Boisset), de Billy Elliott et La Part des anges pour le cinéma anglais - célébré, en opposition au cinéma français actuel, par l'excellent (1) David L'Épée (qui tient aussi un blog cinéphile, "Perlicules", où il parle par exemple de l'épatant Tucker and Dale fight le mal - BO, en VO) - et de Camping, exemple canonique de « l'humiliation des classes populaires » qui prévaut désormais (2).

L'ensemble est aussi roboratif que convaincant.

Je me contenterai de deux compléments.

Pascal Eysseric considère que « depuis la fin des années 1970, les universitaires ont abandonné les recherches sur le monde ouvrier », même s'il note un regain d'intérêt ces dernières années (4). Les études cinématographiques en apportent la confirmation, comme en témoignent aussi bien les travaux de Michel Cadé (3) que d'assez nombreux articles parus en revue - par exemple dans une revue que le neuchâtelois L'Épée connaît peut-être : « Le mouvement ouvrier au risque du cinéma », par Marc Perrenoud, Musée neuchâtelois (« Revue historique neuchâteloise »), 1995, n°4, « Le Cinéma neuchâtelois au fil du Temps », consultable ici. Plus généralement, deux revues ont publié récemment un dossier sur le travail au cinéma : « Filmer le travail », par la revue "Ethnographiques" ; « Sociologie et cinéma : vers l’hybridation ? » (« L’écriture cinématographique de la sociologie filmique. Comment penser en sociologue avec une caméra ? », par Pierre Maillot ; « Sociologie filmique et travail », par Joyce Sebag ; « À propos de "La Gueule de l’emploi" », par Géraldine Rieucau), La Nouvelle Revue du Travail, n°1, 2012 (décembre).

Enfin, l'histoire de la cinéphilie, qu'un ouvrage récent a souhaité sortir d'une vision parisianiste et bourgeoiso-centrée (Cinéphiles et cinéphilies, de Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, que j'avais invité au "Libre journal du cinéma"), ne néglige plus du tout la réception du cinéma en milieu ouvrier : confer Spectacle cinématographique et classe ouvrière: Longwy 1944-1960, thèse de doctorat d'histoire de Fabrice Montebello , Université Lyon 2 (1997) ; Contribution à une sociologie de la consommation cinématographique : la réception des films à Longwy (France) au début des années 2000, thèse de Laurent Kasprowicz (résumé).

Dès lors, force est de constater que le dossier d'Éléments comporte un angle mort : comment se fait-il qu'un film comme Camping puisse connaître un tel succès populaire alors que les films de Ken Loach sont surtout prisés par un public bourgeois ?


Notes :

(1) Lire par exemple « Les illusions de la contre-culture », paru dans Rébellion, ou « La Grande Illusion de Jean Renoir : fraternité des peuples ou union sacrée des classes ? », paru dans Éléments (n°143, avril-juin 2012, p.37). Sur un tout autre thème, lire son éloge de Roger Federer, modèle quelque peu écorné en Suisse depuis quelque temps.

(2) Cette liste de films recoupe celle que j'avais établie dans le billet "Économie et Cinéma".

(3) L’Écran bleu, la représentation des ouvriers dans le cinéma français, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, Collection Études, 2000, 272 p.

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Compléments :

(11 mai 2013) Parallèlement à la publication de son livre L'Étrange capitulation, qui lui fait dire notamment (Les Inrockuptibles, n°810, 8 mai 2013, p.28) : « Nous sommes sûrement arrivés au bout de l'histoire longue des socialistes tellement leur épuisement ou leur impuissance apparaît manifeste. »

(15 mai 2013) Intervention radiophonique de David L'Épée sur Ken Loach.

(20 mai 2013) Lire également sur le sujet le dossier « Le cinéma populaire et ses idéologies » (2004) de la revue L'Homme et la Société, en particulier l'entretien avec le documentariste Jean-Pierre Thorn, « Cinéma populaire et cinéma du peuple ».

(4) (17 juillet 2013) Pascal Eysseric tire grand profit notamment des travaux de Bernard Rothé sur la manière dont le parti socialiste s'est aliéné les classes populaires en ne défendant plus guère ses intérêts. Voir par exemple :  « Le PS, c'est dur avec les faibles, faible avec les forts ».  Et deux conférences : « Comment le parti socialiste a abandonné la classe ouvrière » et « A qui profite la mondialisation ? ».